Le Don du Combat

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From the series: L'anneau Du Sorcier #17
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CHAPITRE TROIS

Kendrick, Brandt, Atme, Koldo et Ludvig cheminaient à travers la Grande Désolation, vers les soleils levants de l’aube du désert, marchant à pied, comme ils l’avaient fait durant toute la nuit, déterminés à secourir le jeune Kaden. Ils marchaient d’un air sombre, dans un rythme silencieux, chacun avec la main sur son arme, le regard attentif, suivant la piste des Marcheurs des Sables. Les centaines de traces de pas les menaient de plus en plus profondément dans ce paysage de désolation.

Kendrick commençait à se demander si cela se terminerait un jour. Il s’étonnait de s’être retrouvé une fois encore dans cette position, de retour dans ce désert dans lequel il avait juré de ne plus remettre les pieds – surtout à pied, sans chevaux, sans provisions, et aucun moyen de rentrer. Ils avaient fondé tous leurs espoirs sur les autres chevaliers de la Crête, pour qu’ils reviennent à eux avec les chevaux – mais sinon, ils s’étaient offert un aller simple pour une quête sans retour.

Mais c’était ce que la bravoure signifiait, Kendrick le savait. Kaden, un excellent jeune guerrier au grand cœur, avait noblement monté la garde, s’était bravement aventuré dans le désert pour faire ses preuves pendant qu’il faisait le guet, et avait été enlevé par ces bêtes sauvages. Koldo et Ludvig ne pouvaient pas tourner le dos à leur frère cadet, même si la chance était mince – et Kendrick, Brandt, Atme ne pouvaient pas se détourner d’eux tous ; leur sens du devoir et de l’honneur les contraignait à faire autrement. Ces bons guerriers de la Crête les avaient accueillis avec hospitalité et grâce quand ils avaient eu le plus besoin d’eux – et maintenant il était temps de leur rendre la faveur – quel que soit le prix. La mort signifiait peu pour lui – mais l’honneur signifiait tout.

« Parlez-moi de Kaden », dit Kendrick en se tournant vers Koldo, voulant briser la monotonie du silence.

Koldo leva les yeux, surpris après cette profonde quiétude, et soupira.

« Il est un des meilleurs jeunes guerriers que vous rencontrerez jamais », dit-il. « Son cœur est toujours plus grand que son âge. Il voulait être un homme avant même d’être un garçon, voulait brandir une épée avant même de pouvoir en tenir une. »

Il secoua la tête.

« Cela ne me surprend pas qu’il se soit aventuré trop profondément, soit le premier de la patrouille à être pris. Il ne reculait devant rien – en particulier si cela signifiait veiller sur les autres. »

Ludvig intervint.

« Si n’importe lequel d’entre nous devait être pris », dit-il, « notre petit frère serait le premier à se porter volontaire. Il est le plus jeune d’entre nous, et il représente ce qu’il y a de mieux en nous. »

Kendrick en avait supposé autant d’après ce qu’il avait vu en parlant à Kaden. Il avait reconnu l’esprit du guerrier en lui, même avec son jeune âge. Kendrick savait, comme il l’avait toujours su, que l’âge n’avait rien à voir avec le fait d’être un guerrier : l’esprit du guerrier résidait en quelqu’un, ou pas. L’esprit ne pouvait pas mentir.

Ils continuèrent à marcher pendant un long moment, retombant dans leur silence constant tandis que les soleils montaient plus haut, jusqu’à ce que finalement Brandt se racle la gorge.

« Et qu’en est-il de ces Marcheurs des Sables ? » demanda Brandt à Koldo.

Ce dernier se tourna vers lui pendant qu’ils avançaient.

« Un groupe de nomades vicieux », répondit-il. « Plus des bêtes que des hommes. Ils sont connus pour patrouiller à la périphérie du Mur de Sable. »

« Des charognards », intervint Ludvig. « Ils sont connus pour entrainer leurs victimes loin dans le désert. »

« Vers où » demanda Atme.

Koldo et Ludvig échangèrent un regard sinistre.

« Vers là où ils se rassemblent – là où ils accomplissent un rituel et les mettent en pièces. »

Kendrick tressaillit à la pensée de Kaden, et au sort qui l’attendait.

« Alors il y a peu de temps à perdre », dit Kendrick. « Courons, d’accord ? »

Ils se regardèrent tous les uns les autres, connaissant l’immensité de cet endroit et la longue course qu’ils auraient devant eux – en particulier avec la chaleur qui augmentait et leur armure. Ils savaient tous combien il était risqué de ne pas doser leurs efforts dans ce milieu impitoyable.

Pourtant ils n’hésitèrent pas ; ils se mirent à courir ensemble. Ils couraient vers le néant, de la sueur coula bientôt sur leurs visages, sachant que s’ils ne trouvaient pas Kaden rapidement, ce désert les tuerait tous.

*

Kendrick haletait tout en courant, le second soleil était maintenant haut au-dessus de leurs têtes, sa lumière aveuglante, sa chaleur étouffante, et cependant lui et les autres continuaient à courir, tous essoufflés, leur armure cliquetant. De la sueur dégoulinait le long du visage de Kendrick et piquait tant ses yeux qu’il pouvait à peine voir. Alors que ses poumons étaient prêts à exploser, il n’avait jamais imaginé à quel point il pouvait avoir si terriblement envie d’oxygène. Kendrick n’avait jamais expérimenté quoi que ce soit de similaire à la chaleur de ces soleils, si intense, comme si elle allait dessécher la peau sur son corps.

Ils ne progresseraient guère plus loin avec cette chaleur, à ce rythme, Kendrick le savait ; bien assez tôt, ils mourraient tous là dehors, s’effondreraient, ne deviendraient rien d’autre que de la nourriture pour les insectes. En effet, tandis qu’ils couraient, Kendrick entendit un cri strident, distant, et leva les yeux pour voir des vautours décrire des cercles, comme ils l’avaient fait depuis des heures, perdant de l’altitude. Ils étaient toujours les plus futés : ils savaient quand une mort fraîche était imminente.

Tandis que Kendrick regardait fixement les traces de pas des Marcheurs des Sables, qui s’estompaient encore à l’horizon, il ne pouvait pas comprendre comment ils avaient couvert une telle distance si rapidement. Il priait seulement pour que Kaden soit en vie, que tout cela n’ait pas été pour rien. Mais il ne pouvait pas, malgré lui, s’empêcher de se demander s’ils l’atteindraient tout bonnement. C’était comme suivre des empreintes dans un océan à marée descendante.

Kendrick jeta quelques regards autour de lui et vit les autres effondrés eux aussi, tous titubant plus que courant, tous à peine sur pieds – mais tous déterminés, comme lui, à ne pas s’arrêter. Kendrick le savait – ils le savaient tous – que dès qu’ils arrêteraient de bouger, ils seraient tous morts.

Kendrick voulait casser la monotonie du silence, mais il était trop fatigué pour parler aux autres à présent, et il força se jambes à avancer, avec l’impression qu’elles pesaient des tonnes. Il n’osa même pas utiliser de l’énergie pour lever les yeux vers l’horizon, sachant qu’il ne verrait rien, sachant qu’il était condamné à mourir là après tout. À la place, il regarda par terre, observant la piste, préservant toute la précieuse énergie qu’il lui restait.

Kendrick entendit un bruit, et d’abord fut certain qu’il s’agissait de son imagination ; mais il se fit entendre à nouveau, un bruit distant, comme le bourdonnement d’abeilles, et cette fois il s’obligea à lever les yeux, sachant que c’était stupide, que rien ne pouvait être là, et craignant d’avoir bon espoir.

Mais cette fois-ci, la vue devant lui fit palpiter son cœur d’excitation. Là, devant lui, à peut-être cent mètres, se tenait un rassemblement de Marcheurs des Sables.

Kendrick donna un coup de coude aux autres, et chacun leva les yeux, tiré de ses rêveries, et ils le virent chacun avec un choc. Le combat était là.

Kendrick baissa la main et saisit son arme, tout comme le firent les autres, et ressentit la familière poussée d’adrénaline.

Les Marcheurs des Sables, des dizaines d’entre eux, se tournèrent et les repérèrent ; eux aussi se préparèrent et leur firent face. Ils poussèrent des cris stridents et se mirent à courir.

Kendrick leva son épée haut et laissa échapper un grand cri de guerre, prêt, au moins, à tuer ses ennemis – ou mourir en essayant.

CHAPITRE QUATRE

Gwen marchait solennellement à travers la capitale de la Crête, Krohn à ses côtés, Steffen derrière elle, sa tête lui tournait tandis qu’elle réfléchissait aux mots d’Argon. D’un côté, elle était ravie qu’il ait récupéré, qu’il soit revenu à lui – cependant sa prophétie fatidique résonnait dans sa tête comme un sort, comme une cloche carillonnant dans sa tête. D’après ses sinistres et énigmatiques déclarations, on aurait dit qu’elle n’était pas censée être réunie avec Thor pour toujours.

Gwen ravalait ses larmes tout en marchant rapidement, avec décision, en direction de la tour. Elle tentait de refouler ses mots, refusant de laisser des prophéties ruiner sa vie. C’était ainsi qu’elle avait toujours été, et ce dont elle avait besoin pour demeurer forte. Le futur était peut-être écrit, et pourtant elle sentait qu’il pouvait aussi être altéré. Le destin, elle en avait conscience, était malléable. Il fallait le vouloir assez fort, être prêt à abandonner assez – quel que soit le prix.

C’était un de ces moments. Gwen refusait catégoriquement de laisser Thorgrin et Guwayne s’éloigner d’elle, et elle éprouvait une détermination grandissante. Elle défierait son destin, quoiqu’il en coûte, sacrifierait ce que l’univers demanderait d’elle. En aucune circonstance elle ne traverserait la vie sans revoir Thor et Guwayne.

Comme s’il entendait ses pensées, Krohn gémit à ses pieds, se frotta à sa jambe tandis qu’ils marchaient dans les rues. Tirée de ses pensées, Gwen leva les yeux et vit la tour menaçante devant elle, rouge, circulaire, s’élevant juste au centre de la capitale, et elle se souvint : le culte. Elle avait promis au Roi qu’elle pénétrerait dans la tour et tenterait de sauver son fils et sa fille des griffes de ce culte, affronter son chef à propos des livres anciens, du secret qu’ils dissimulaient qui pourrait sauver la Crête de la destruction.

 

Le cœur de Gwen battait tandis qu’elle s’approchait de la tour ; anticipant la confrontation à venir. Elle voulait aider le Roi, et la Crête, mais plus que tout, elle voulait être là dehors, à la recherche de Thor, de Guwayne, avant qu’il ne soit trop tard pour eux. Si seulement, elle le souhaitait, elle avait un dragon à ses côtés, comme avant ; si seulement Ralibar pouvait revenir à elle et l’emmener loin à travers le monde, loin d’ici, loin des problèmes de l’Empire et à nouveau de l’autre côté du monde, jusqu’à Thorgrin et Guwayne, une fois encore. Si seulement ils pouvaient tous retourner dans l’Anneau et vivre la vie qu’ils avaient autrefois.

Cependant elle savait qu’il s’agissait de rêves puérils. L’Anneau était détruit, et la Crête était tout ce qu’il lui restait. Elle devait affronter sa réalité actuelle et faire ce qu’elle pouvait pour aider à sauver cet endroit.

« Ma dame, puis-je vous accompagner à l’intérieur de cette tour ? »

Gwen se retourna en entendant la voix, tirée de sa rêverie, et elle fut soulagée de voir son vieil ami Steffen à côté d’elle, une main sur son épée, marchant d’un air protecteur, désireux, comme toujours, de veiller sur elle. Il était le conseiller le plus loyal qu’elle ait, elle le savait, alors qu’elle réfléchissait à depuis quand il avait été avec elle, et elle ressentit un élan de gratitude.

Alors que Gwen s’arrêtait face au pont-levis devant eux, menant à la tour, il la regarda fixement avec un air suspicieux.

« Je n’ai pas confiance en cet endroit », dit-il.

Elle posa une main réconfortante sur son poignet.

« Tu es un véritable ami, et loyal, Steffen », répondit-elle. « J’estime ton amitié, et ta loyauté, mais c’est une chose que je dois faire seule. Je dois découvrir ce que je peux, et t’avoir là les mettra sur leurs gardes. Du reste », ajouta-t-elle, tandis que Krohn geignait, « j’aurais Krohn. »

Gwen regarda par terre, vit Krohn les yeux levés vers elle avec espoir, et elle hocha de la tête.

Steffen opina.

« Je vous attendrais ici », dit-il, « et s’il y un problème quelconque à l’intérieur, je viendrais pour vous. »

« Si je ne trouve pas ce dont j’ai besoin dans cette tour », répondit-elle, « je crains qu’il n’y ait des problèmes bien plus grands qui nous attendent tous. »

*

Gwen marchait lentement sur le pont-levis, Krohn à côté d’elle, ses pas résonnaient sur le bois, par-dessus les eaux ondoyantes. Tout le long du pont s’alignaient des dizaines de moines, debout dans un garde-à-vous parfait, silencieux, portant des robes écarlates, les mains dissimulées à l’intérieur, et les yeux fermés. Ils formaient un étrange ensemble de gardes, désarmés, incroyablement obéissants, montant la garde là depuis Gwen ignorait combien de temps. Elle s’émerveilla face à leur loyauté et leur dévotion intense vis-à-vis de leur chef, et elle réalisa que c’était comme le Roi l’avait dit : ils le vénéraient tous comme un dieu. Elle se demanda dans quoi elle mettait les pieds.

Tandis qu’elle s’approchait, Gwen leva les yeux vers la gigantesque porte en plein cintre qui se profilait devant elle, faite de chêne ancien, sculptée de symboles qu’elle ne comprenait pas, et elle observa avec émerveillement pendant que plusieurs moines s’avançaient et les ouvraient. Elles craquèrent, révélant un intérieur dans la pénombre, éclairé seulement par des torches, et un courant d’air frais vint à elle, à la légère odeur d’encens. Krohn se raidit à côté d’elle, grognant ; Gwen entra et les entendit claquer derrière elle.

Le bruit résonna à l’intérieur, et il fallut un moment à Gwen pour s’orienter. Il faisait sombre à l’intérieur, les murs étaient éclairés seulement par des torches et par la lumière filtrante du soleil qui se déversait à travers des vitraux haut en dessus. L’air paraissait sacré, silencieux, et elle eut l’impression d’être rentrée dans une église.

Gwen leva les yeux et vit que la tour s’élevait en spirale encore plus haut, avec des rampes circulaires et graduelles qui menaient dans les étages. Il n’y avait pas de fenêtres, et les murs résonnaient du faible son des chants. L’encens pesait lourdement dans l’air ici, et des moines apparaissaient ou disparaissaient partout, entrant ou sortant des pièces, comme en transe. Certains balançaient de l’encens et d’autres chantaient, pendant que d’autres étaient silencieux, perdus dans leur réflexion, et Gwen s’interrogea plus quant à la nature de ce culte.

« Mon père vous a-t-il envoyée ? » résonna une voix.

Gwen, surprise, tourna les talons pour voir un homme debout à quelques mètres de là, vêtu d’une longue robe écarlate, lui souriant avec bonhomie. Elle pouvait à peine croire combien il ressemblait à son père, le Roi.

« Je savais qu’il enverrait quelqu’un tôt ou tard », dit Kristof. « Ses efforts pour me ramener dans le droit chemin sont infinis. S’il vous plaît, venez », lui fit-il signe en se tournant sur le côté et en faisant un geste de la main.

Gwen se mit à côté de lui pendant qu’ils marchaient dans un couloir de pierre voûté, montant progressivement le long de rampes en cercle vers les niveaux supérieurs de la tour. Gwen se retrouva prise au dépourvu ; elle s’était attendue à un moine fou, à un fanatique religieux, et fut surprise de trouver quelqu’un d’affable et accommodant, et à l’évidence avec toute sa tête. Kristof ne ressemblait pas la personne perdue et folle pour qui son père l’avait fait passer.

« Votre père vous demande », dit-elle en fin de compte, brisant le silence après qu’ils aient dépassé un moine descendant dans l’autre sens, sans jamais lever les yeux du sol. « Il veut que je vous ramène à la maison. »

Kristof secoua la tête.

« C’est le problème avec mon père », dit-il. « Il pense qu’il a trouvé le seul véritable foyer dans le monde. Mais j’ai appris quelque chose », ajouta-t-il en lui faisant face. « Il y a beaucoup de véritables foyers dans ce monde. »

Il soupira et continua à marcher. Gwen voulait lui laisser de l’espace, ne voulait pas insister trop lourdement.

« Mon père n’a jamais accepté qui je suis », ajouta-t-il finalement. « Il n’apprendra jamais. Il reste bloqué dans ses vieilles croyances limitées – et il veut me les imposer. Mais je ne suis pas lui – et il ne l’acceptera jamais. »

« Votre famille ne vous manque-t-elle pas ? » demanda Gwen, surprise qu’il puisse dédier sa vie à cette tour.

« Si », répondit-il avec franchise, ce qui la surprit. « Beaucoup. Ma famille est tout pour moi – mais ma vocation spirituelle compte plus. Ma maison est ici désormais », dit-il, tournant le long d’un couloir tandis que Gwen suivait. « Je sers Eldof maintenant. Il est mon soleil. Si vous le connaissiez », dit-il en se tournant vers Gwen et en la dévisageant avec une intensité qui l’effraya, « il serait le vôtre aussi. »

Gwen détourna le regard, n’aimant pas cet air de fanatisme dans ses yeux.

« Je ne sers personne hormis moi-même », répondit-elle.

Il lui sourit.

« Peut-être est-ce la source de tous vos soucis terrestres », répondit-il. « Personne ne peut vivre dans un monde où ils ne servent pas quelqu’un d’autre. En ce moment même, vous servez quelqu’un d’autre. »

Gwen le dévisagea avec suspicion.

« Comment cela ? » demanda-t-elle.

« Même si vous pensez vous servir vous-même », répondit-il, « vous êtes trompée. La personne que vous servez n’est pas vous, mais plutôt la personne que vos parents ont modelée. C’est vos parents que vous servez – et toutes leurs croyances, transmises par leurs parents. Quand serez-vous assez téméraire pour vous débarrasser de leurs croyances et vous servir vous ? »

Gwen fronça les sourcils, ne gobant pas sa philosophie.

« Et endosser les croyances de qui à la place ? » demanda-t-elle. « Celles d’Eldof ? »

Il secoua la tête.

« Eldof n’est qu’un conduit », répondit-il. « Il aide à se défaire de qui vous étiez. Il vous aide à trouver votre véritable personne, tout ce que vous étiez censée être. C’est elle que vous devez servir. C’est elle que vous ne découvrirez jamais jusqu’à ce que votre faux moi soit libéré. C’est ce que fait Eldof : il nous libère tous. »

Gwendolyn regarda à nouveau ses yeux brillants, et elle put voir à quel point il était dévot – et cette dévotion l’alarma. Elle pouvait immédiatement dire qu’il était au-delà de la raison, qu’il ne quitterait jamais cet endroit.

C’était effrayant, cette toile qu’Eldof avait tissée pour attirer tous ces gens à l’intérieur et les piéger là – une philosophie sans mérite, avec une logique qui lui appartenait à elle seule. Gwen ne voulait pas en entendre plus ; c’était une toile qu’elle était décidée à éviter.

Gwen tourna et continua à marcher, se débarrassa de tout cela d’un frisson, et continua à monter le long de la rampe, tournant dans la tour, de plus en plus haut, où que cela la mène. Kristof se mit à côté d’elle.

« Je ne suis pas venue pour discuter des mérites de votre culte », dit Gwen. « Je ne peux pas vous convaincre de retourner auprès de votre père. Je lui ai promis de demander, et je l’ai fait. Si vous ne faites pas grand cas votre famille, je ne peux pas vous l’apprendre. »

Kristof la regarda en retour avec un air grave.

« Et pensez-vous que mon père estime la famille ? » demanda-t-il.

« Beaucoup », répondit-elle. « Au moins d’après ce que je peux voir. »

Kristof secoua la tête.

« Laissez-moi vous montrer quelque chose. »

Kristof prit son coude et la mena le long d’un autre couloir vers la gauche, puis grimpa une longue volée de marches s’arrêtant devant une épaisse porte de chêne. Il la regarda avec un air lourd de sens, puis l’ouvrit, révélant des barres de fer.

Gwen se tint là, curieuse, nerveuse de voir ce qu’il voulait lui montrer – puis elle s’avança et jeta un regard à travers les barreaux. Elle fut horrifiée de voir une belle jeune fille assise seule dans la cellule, regardant fixement par la fenêtre, ses longs cheveux pendant sur son visage. Bien que ses yeux soient grand ouverts, elle ne semblait pas remarquer leur présence.

« C’est ainsi que mon père prend soin de sa famille », dit Kristof.

Gwen reporta ses yeux sur lui, curieuse.

« Sa famille ? » demanda-t-elle, sidérée.

Kristof acquiesça.

« Kathryn. Son autre fille. Celle qu’il cache au monde. Elle a été reléguée là, dans cette cellule. Pourquoi ? Car elle est touchée. Car elle n’est pas parfaite, comme lui. Car il a honte d’elle. »

Gwen fit silence, sentant un nœud à l’estomac tout en observant avec tristesse la fille, voulant l’aider. Elle commençait à s’interroger à propos du Roi, et commençait à se demander s’il y avait une part de vérité dans les mots de Kristof.

« Eldof attache de l’importance à la famille », poursuivit Kristof. « Il n’abandonnerait jamais un des siens. Il estime nos véritables moi. Personne n’est chassé par honte. C’est le fléau de l’orgueil. Et ceux qui sont touchés sont les plus proches de leur vrai moi. »

Kristof soupira.

« Quand vous rencontrerez Eldof », dit-il, « vous comprendrez. Il n’y a personne comme lui, et il n’y en aura jamais. »

Gwen pouvait voir le fanatisme dans ses yeux, pouvait voir combien il était perdu dans cet endroit, ce culte, et elle sut qu’il était perdu trop loin pour retourner un jour vers le Roi. Elle jeta un coup d’œil et vit la fille du Roi assise là, et se sentit envahie de tristesse pour elle, pour ce lieu tout entier, pour leur famille déchirée. Son image parfaite de la Crête, de la famille royale irréprochable, se désagrégeait. Cet endroit, comme n’importe quel autre, possédait sa propre face cachée sombre. Une guerre silencieuse faisait rage ici, et c’était une guerre des croyances.

C’était une bataille que Gwen savait ne pas pouvoir gagner. Elle n’en avait pas le temps non plus. Gwen pensa à sa propre famille abandonnée, et elle ressentit l’urgence pressante de secourir son mari et son fils. Sa tête tournoyait dans cet endroit, avec l’encens lourd dans l’air et l’absence de fenêtres qui la désorientait, elle voulait obtenir ce dont elle avait besoin et partir. Elle tenta de se remémorer la raison pour laquelle elle était venue ici, puis cela lui revint : pour sauver la Crête, comme elle l’avait promis au Roi.

« Votre père croit que cette tour détient un secret », dit Gwen, en venant au fait, « un secret qui pourrait sauver la Crête, pourrait sauver votre peuple. »

Kristof sourit et croisa les doigts.

« Mon père et ses croyances », répondit-il.

Gwen fronça les sourcils.

« Êtes-vous en train de dire que c’est faux ? » demanda-t-elle. « Qu’il n’y a pas de livres anciens ? »

 

Il fit une pause, détourna le regard, puis soupira profondément et demeura silencieux pendant un long moment. En fin de compte, il continua.

« Ce qui devrait vous être révélé, et quand », dit-il, « me dépasse. Seul Eldof peut répondre à vos questions. »

Un sentiment d’urgence s’éleva en Gwen.

« Pouvez-vous me mener à lui ? »

Kristof sourit, pivota, et commença à marcher le long d’un couloir.

« Aussi sûrement », dit-il, marchant rapidement, déjà loin, « qu’un papillon de nuit vers une flamme. »