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La Pensée de l'Humanité

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CHAPITRE X
DE LA CUPIDITÉ

Le péché de cupidité est dans l'accumulation d'une quantité toujours grandissante d'objets ou d'argent nécessaires aux autres hommes, et de garder ces objets ou cet argent afin de jouir à sa guise du travail d'autrui.

I —Le péché du riche
1

Dans notre société, un homme ne peut pas dormir sans payer sa place. L'air, l'eau, la lumière du soleil ne lui appartiennent que sur la grand'route… L'unique droit reconnu chez nous, c'est de marcher sur cette grand'route jusqu'à ce que l'on commence à chanceler de fatigue, parce qu'on ne peut s'arrêter et que l'on doit marcher toujours.

GRANT ALLEN 7.
2

Dix hommes bons s'étendent et dorment paisiblement sur le même feutre, mais deux riches ne peuvent pas vivre en paix dans dix chambres. Si un homme de cœur trouve une miche de pain, il en donne la moitié à celui qui a faim. Mais lorsqu'un conquérant conquiert une partie du monde, il ne se tranquillise pas tant qu'il n'en n'a pas pris une autre partie encore.

3

Les riches ont quinze chambres pour trois personnes, et il ne peuvent pas laisser un mendiant se chauffer et coucher chez eux.

Le paysan a une chaumière de sept mètres pour sept personnes; mais il laisse volontiers entrer un voyageur en disant: «Dieu nous ordonne de partager».

4

Les riches et les pauvres se complètent les uns les autres. Quand il y a des riches, il y a et il doit y avoir des pauvres. Quand existe le luxe effréné, existe et doit exister l'affreuse misère qui force ceux qui n'ont rien à être au service du luxe.

Le Christ aimait les pauvres et s'éloignait des riches.

Dans le royaume de vérité qu'Il prêchait, les riches et les pauvres seraient également impossibles.

HENRY GEORGE.
5

Le vagabond est le complément indispensable du millionnaire.

HENRY GEORGE.
6

Les plaisirs des riches sont obtenus par les larmes des pauvres.

7

Lorsque les riches parlent du bonheur social, je ne doute pas qu'ils forment sous ce prétexte un complot en vue d'assurer leurs intérêts.

THOMAS MORE.
8

Les honnêtes gens ne sont jamais riches. Les gens riches ne sont jamais honnêtes.

LAO-TSEU.
9

«Ne vole pas un pauvre parce qu'il est pauvre,» dit Salomon. Pourtant, ce pillage du pauvre parce qu'il est pauvre est une chose très ordinaire: le riche profite toujours de la misère du pauvre pour le forcer à travailler pour lui, ou bien pour lui acheter ses produits à vil prix.

On dévalise rarement les riches sur les grand'routes, parce qu'il est dangereux de voler un riche, alors qu'on peut dévaliser un pauvre sans aucun risque.

D'après JOHN RUSKIN.
10

Les gens qui appartiennent aux classes ouvrières tâchent le plus souvent de passer dans la classe des gens aisés qui vivent du travail d'autrui. Ils appellent ça se joindre aux bonnes gens, alors qu'il faudrait dire quitter les bonnes gens pour les méchants.

La richesse est un grand péché devant Dieu, la pauvreté l'est devant les hommes.

Proverbe russe.
II. —-L'homme et la terre
1

Etant issu de la terre, la terre m'est donnée pour que j'y prenne tout ce qu'il me faut pour cultiver et ensemencer, et j'ai le droit de réclamer ma part.

Montrez-moi donc où elle est.

EMERSON.
2

La terre est notre mère à tous; elle nous nourrit, nous donne asile, nous réjouit et nous chauffe; depuis notre naissance et jusqu'au moment où nous nous endormons du dernier sommeil sur son cœur de mère, elle nous caresse constamment de son étreinte affectueuse.

Et voici que les gens parlent de sa vente; et elle présente, en effet, à notre époque vénale, un article de négoce, elle est vendue et achetée.

Mais la vente de la terre créée par le Créateur céleste est une énorme ineptie. La terre ne peut appartenir qu'au Dieu tout-puissant et à tous les fils des hommes qui la travaillent, de même qu'à ceux qui la travailleront dans l'avenir.

Elle est la propriété non seulement d'une seule génération, mais de toutes les générations passées, futures et présentes qui la travaillent.

style="margin-left: 70 %; font-size: 0.8em;"CARLYLE.

3

Nous occupons une île sur laquelle nous vivons des produits de nos mains. Un marin naufragé est rejeté sur notre côte. A-t-il le même droit naturel que nous d'occuper sur les mêmes bases que nous, une parcelle de terre pour s'y nourrir de son travail? Il semblerait que ce droit est incontestable. Et cependant, combien d'hommes naissent sur notre planète auxquels les gens qui y vivent refusent ce droit.

DE LAVELEYE.
III. —Les conséquences nuisibles de la richesse
1

Les hommes se plaignent d'être pauvres et s'efforcent, par tous les moyens, d'arriver à la richesse; cependant, la misère et la pauvreté donnent aux gens la fermeté et la force, alors que les excès et le luxe les affaiblissent et les amènent à leur perte.

Les pauvres ont tort de vouloir échanger l'indigence utile au corps et à l'âme contre la richesse qui est nuisible au corps et à l'âme.

2

Si le pauvre a des peines, le riche en a doublement.

3

Le riche est malheureux; d'abord, parce qu'il craint toujours pour ses richesses, ensuite, parce que plus il a de biens, plus il a de soucis et d'affaires. Mais il est surtout malheureux parce qu'il ne peut se lier qu'avec des riches comme lui, qui sont peu nombreux, et non avec les pauvres qui sont la majorité. S'il se lie avec un pauvre, il voit trop nettement son péché, et il ne peut pas ne pas en avoir honte.

4

La richesse a l'or, la pauvreté a la joie.

Proverbe
5

La richesse habitue les gens à l'orgueil, à la cruauté, à l'ignorance présomptueuse et à la débauche.

6

Seul un homme riche peut être insensible et indifférent au malheur d'autrui.

Le Talmud.
7

La misère assagit, la richesse abêtit. Les chiens eux-mêmes deviennent enragés à force de trop bien manger.

Proverbe russe.
8

Celui qui est charitable n'est jamais riche. Le riche n'est sûrement pas charitable.

Proverbe mandchourien.
9

Les gens cherchent la richesse; s'ils savaient seulement combien ils perdent de bonté en gagnant l'opulence et en vivant au milieu d'elle, ils auraient cherché à s'en débarrasser avec le même zèle qu'ils mettent à l'acquérir.

10

Le moment est proche où les hommes cesseront de croire que la richesse donne le bonheur et comprendront, enfin, la simple vérité qu'en gagnant et en conservant leur richesse, ils rendent plus malheureuse et non meilleure l'existence des autres et la leur.

IV. —On ne doit pas envier la richesse, mais en avoir honte
1

Il ne faut pas respecter et envier les riches, mais les plaindre et s'éloigner d'eux. Quant au riche, il ne doit pas être fier de ses biens, mais honteux.

2

Si le pauvre envie le riche, il ne vaut pas mieux que lui.

3

L'orgueil des riches est mauvais, mais l'envie des pauvres n'est pas moins mauvaise. Combien il y a de pauvres qui, tout en blâmant les riches, agissent de même qu'eux envers ceux qui sont plus pauvres qu'eux-mêmes!

V. —L'excuse de la richesse
1

Si tu as des revenus sans travailler, il y a sûrement quelqu'un qui travaille sans être payé.

2

Seul celui qui est sûr de n'être pas un homme comme tous les autres, mais meilleur qu'eux, peut posséder des richesses au milieu des pauvres et avoir la conscience tranquille. Seule la pensée qu'il est meilleur que les autres peut justifier un tel homme à ses propres yeux. Et, chose extraordinaire, la possession des richesses, qui devrait rendre un tel homme honteux, est pour lui la principale justification de sa supériorité sur les autres hommes. «Je jouis de la richesse parce que je suis meilleur que les autres. Et je suis meilleur que les autres parce que je jouis de la richesse,» se dit-il.

3

Rien ne prouve aussi clairement la fausseté de la religion professée parmi nous que ce fait que les hommes qui se considèrent comme chrétiens peuvent non seulement jouir de leurs richesses, au milieu des pauvres, mais encore en être fiers.

 
4

L'une des erreurs les plus fréquentes et les plus significatives que les hommes commettent, est de croire comme bon ce qu'ils aiment. Ils aiment la richesse, et bien que le mal de la richesse soit évident, ils se persuadent que la richesse est bonne.

5

Est-ce que Dieu a donné quelque chose à l'un, sans le donner à l'autre? Est-ce que notre Père commun a exclu l'un de ses enfants? Vous qui exigez le droit exclusif de profiter de ses dons, montrez le testament par lequel il aurait privé les autres frères de son héritage.

LAMENNAIS.
6

Il semblerait que, connaissant l'affreuse misère des ouvriers qui meurent de privations et d'excès de travail (et il est impossible de ne pas le savoir), les gens riches, qui profitent de ce travail homicide, seraient forcés de s'en émouvoir. Cependant, ces gens riches, libéraux, humanitaires, très sensibles non seulement aux souffrances des hommes, mais à celles des bêtes, cherchent à s'enrichir davantage, c'est-à-dire à profiter de plus en plus du travail des autres et le font en toute sérénité.

Cette sérénité des riches est due à l'intervention d'une nouvelle science dénommée économie politique, qui a posé des lois en vertu desquelles la répartition du travail et la jouissance de ses produits dépendent de l'offre et de la demande, du capital, de la rente, du taux des salaires, des bénéfices, etc.

Il a été écrit sur ce thème, en peu de temps, un nombre incalculable de traités, de brochures; il a été fait des cours et des conférences, et on en écrit et on conférencie encore à l'infini.

Bien que la plupart des gens ignorent les détails de ces explications rassurantes de la science, ils savent quand même que cette explication existe, que les savants, des gens subtils, ne cessent de démontrer que l'ordre de choses actuel est tel qu'il doit être, et que l'on peut se laisser vivre tranquillement dans cet état de choses, sans essayer de le modifier.

Ce n'est qu'ainsi qu'on peut expliquer l'aveuglement surprenant dans lequel se trouvent les hommes sensibles de notre société, qui plaignent sincèrement, les animaux, mais qui, la conscience tranquille, s'attaquent à la vie de leurs semblables.

VI.– Pour atteindre le bonheur, l'homme ne doit pas se soucier de l'accroissement de son avoir, mais de l'amour qui est en lui
1

Gagne une richesse que personne ne pourra te prendre, qu'elle te reste même après la mort et qu'elle ne diminue ni ne tarisse jamais. Cette richesse – c'est ton âme.

Proverbe hindou.
2

Les gens se soucient mille fois plus d'augmenter leurs richesses que de développer leur raison. Pourtant chacun devrait comprendre qu'il vaut bien mieux pour son bonheur conserver ce qui est en lui que ce qui est chez lui.

D'après SCHOPENHAUER.
3

Et il leur dit celte parabole: «Les terres d'un riche donnèrent, une abondante récolte; et ce riche se demanda: Que ferai-je? Je n'ai pas assez de place pour serrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai: j'abatterai mes greniers, j'en bâtirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma récolte et tous mes biens. Puis je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années; repose-toi, mange, bois et réjouis-toi. Mais Dieu lui dit: Insensé, celte nuit même ton âme te sera prise, et ce que tu as amassé, à qui cela appartiendra-t-il?

Luc, XII, 16-20.
4

Pourquoi l'homme voudrait-il être riche? Pourquoi lui faut-il des chevaux de race, de riches habits, de magnifiques chambres, des droits d'entrée dans les lieux de distractions?

Parce qu'il manque de vie spirituelle.

Donnez à cet nomme une vie spirituelle, et il n'aura besoin de rien.

EMERSON.
5

De même qu'un vêtement riche embarrasse les mouvements du corps, la richesse entrave les mouvements de l'âme.

VII. —La lutte contre de péché de cupidité
1

Celui qui possède moins qu'il ne veut avoir doit se souvenir qu'il a plus qu'il ne mérite.

LICHTENBERG.
2

On peut éviter la misère par deux moyens: augmenter son avoir, ou bien apprendre à se contenter de peu. Augmenter les richesses n'est pas toujours possible, et c'est presque toujours malhonnête; tandis que diminuer nos caprices est toujours en notre pouvoir et est salutaire à notre âme.

3

Le pire voleur n'est pas celui qui a pris ce qui lui est nécessaire, mais bien celui qui garde sans en donner aux autres ce dont il n'a pas besoin.

4

«Celui qui aurait des biens de ce monde et qui, voyant son frère dans le besoin, lui fermerait son cœur, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui? Mes enfants, n'aimons pas en paroles, mais en actes et par la vérité!» I. JEAN, III, 17-18.

Pour qu'un riche n'aime pas en paroles mais en actes et par la vérité il doit donner à celui qui demande, ainsi que l'a dit le Christ. Et si l'on donne à celui qui demande, toute richesse s'épuise bientôt. Et dès que l'homme cesse d'être riche, il lui arrive ce que Jésus a dit au jeune homme, c'est-à-dire que ce qui empêchait le jeune homme riche de le suivre n'existe plus.

5

La charité est véritable seulement quand tu t'es privé en la faisant. C'est alors que celui qui reçoit un don matériel, reçoit également un don spirituel. Et si ton don n'est pas un sacrifice, mais le résultat de la surabondance, il ne fait qu'irriter celui qui le reçoit.

6

Les opulents bienfaiteurs ne voient pas ce qu'ils donnent au pauvre, ils l'enlèvent souvent des mains de plus pauvres encore.

CHAPITRE XI
DE LA COLÈRE

I. —Péché de malveillance
1

«Il a été dit aux anciens: Tu ne tueras point, et celui qui tuera sera jugé (Exode, XX, 13). Mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera jugé.»

MATTH., V, 21-22.
2

Si tu éprouves une douleur dans le corps, tu sais que quelque chose n'est pas en bon état: ou tu fais ce que tu ne devrais pas faire, ou bien lu ne fais pas ce que tu devrais faire. Il en est de même de la vie spirituelle. Si tu te sens triste, irrité, sache que quelque chose est en mauvais état: ou tu aimes ce qu'il ne faudrait pas aimer, ou bien tu n'aimes pas ce qu'il faudrait aimer.

3

Les péchés de la gourmandise, de l'oisiveté, de la volupté, sont mauvais par eux-mêmes. Mais ces péchés sont surtout repréhensibles parce qu'ils engendrent le pire des péchés: la malveillance, l'iniquité envers les gens.

4

Ce ne sont pas les pillages, les assassinats, les exécutions qui sont effrayants. Qu'est-ce que le pillage? C'est le passage de la propriété des uns aux autres. Cela a toujours existé, cela sera toujours, et il n'y a rien d'effrayant à cela.

Que sont les exécutions, les assassinats? C'est le passage des hommes de la vie à la mort. Ces passages ont été, sont et seront toujours, et cela n'a également rien, d'effrayant. Ce qu'il y a de réellement effrayant, c'est la haine des hommes qui engendre le brigandage, le vol, le meurtre.

II. —L'absurdité de la colère
1

Les Bouddhistes disent que tout péché vient de la bêtise. Cela est juste pour tous les péchés, mais surtout pour l'inimitié. Le pêcheur, l'oiseleur se fâche contre le poisson ou l'oiseau parce qu'il ne l'a pas pris, et moi je me fâche contre l'homme, parce qu'il fait ce dont il a besoin pour lui, et non pas ce que je voudrais de lui. N'est-ce pas également stupide?

2

Un homme t'a offensé. Tu t'es fâché contre lui. L'affaire est terminée. Mais la colère contre cet homme s'est figée dans ton cœur, et lorsque tu penses à lui, tu t'irrites. Comme si le diable, qui est toujours en faction à la porte de ton cœur, avait profité de l'heure où tu as ressenti ta colère contre cet homme; comme si elle lui eut ouvert la porte, qu'il eut bondi dans ton cœur et qu'il y fût maître, maintenant. Chasse-le. Et à l'avenir, sois plus prudent, n'ouvre pas la porte par laquelle il entre.

3

Plus l'homme se croit haut placé, plus facilement il s'irrite contre les gens. Plus l'homme est modeste, plus il est bon et se fâche moins.

4

Ne pense pas que la vertu consiste dans la bravoure et la force. Si tu peux te placer au-dessus de la colère, pardonner et aimer celui qui t'a offensé, tu auras fait le mieux de ce qu'un homme peut faire.

DJERBELOTE, persan.
5

Il est vrai, que tu n'as peut-être pas la force de ne pas te fâcher contre celui qui t'a offensé, outragé. Mais tu peux toujours le contenir, ne manifester ta colère ni en paroles ni en actes.

6

La colère ment toujours de l'impuissance.

III. —La colère contre les hommes nos frères est déraisonnable parce que le même Dieu vit en nous tous
1

On doit s'observer depuis le matin et se dire: tout à l'heure, je pourrai avoir affaire à un homme insolent, effronté, importun, hypocrite, nerveux. Il y a souvent des gens comme ça. Ils ne savent pas ce qui est bien et ce qui est mal. Mais si je sais, moi, où est le bien et le mal, si je comprends que le mal pour moi ne peut venir que de la mauvaise action que j'ai commise moi-même, aucun mauvais homme ne peut me nuire. Personne ne peut me forcer à faire mal. Si je pense encore que tout homme m'est proche, non par le sang et la chair, mais par l'esprit, que le même Esprit divin vit en chacun de nous, je ne peux pas me fâcher contre un être qui m'est proche. Je sais donc que nous sommes créés l'un pour l'autre, que nous sommes appelés à nous entr'aider comme les mains, les pieds, les yeux et les dents s'aident entre eux et servent le corps entier; comment puis-je me détourner de mon prochain si, contrairement à sa vraie nature, il me fait du mal.

MARC-AURÈLE
2

Si tu t'es fâché contre un homme, c'est que tu menais une vie charnelle, et non pas une vie spirituelle. Si tu vivais selon la volonté divine, personne ne pourrait t'offenser, car on ne peut offenser Dieu, et Dieu, le Dieu qui est en toi, ne peut se fâcher.

3

On ne doit ni trop mépriser ni trop respecter aucun homme.

Si tu le méprises, tu ne pourras pas apprécier le bien qu'il y a en lui; si tu l'honores trop, tu exigeras trop de lui.

Pour ne pas se tromper, il faut mépriser le côté charnel autant chez autrui qu'en soi-même et respecter l'homme comme un être spirituel en qui demeure l'esprit divin.

IV. —Plus l'homme se diminue, mieux il vaut
1

On dit qu'un homme de bien ne peut pas faire autrement que de se fâcher contre les méchants. Mais si cela est ainsi, plus l'homme est bon comparativement aux autres, plus il doit se mettre en colère contre eux; en réalité, plus un homme est bon, plus il est doux et bon pour tous les autres hommes. Cela tient à ce qu'un homme bon se souvient que lui aussi a souvent péché, et que s'il s'irrite contre les méchants, il doit, tout d'abord, s'irriter contre lui-même.

SÉNÈQUE.
2

Un homme raisonnable ne peut pas se fâcher contre les hommes méchants et déraisonnables.

– Comment puis-je ne pas me fâcher s'ils sont voleurs et filous? dis-tu.

– Qu'est-ce qu'un voleur et un filou? C'est un homme qui s'est égaré. On doit non pas se fâcher contre un tel homme, mais le plaindre. Si tu peux, persuade-le que ce n'est pas bon pour lui-même de vivre comme il vit, et il cessera de faire le mal. S'il ne le comprend pas encore, quoi d'étonnant qu'il vive ainsi.

 

Tu diras que ces gens là doivent être punis.

Si un homme a mal aux yeux et qu'il est devenu aveugle, tu ne diras pas qu'il faut l'en punir. Pourquoi donc veux-tu punir celui qui est privé de quelque chose de bien plus précieux que les yeux, qui est privé du plus grand bonheur qui existe, celui de savoir vivre raisonnablement?

On ne doit pas se fâcher contre ces gens, mais les plaindre.

Aie pitié de ces malheureux et tâche de faire en sorte que leurs égarements ne t'irritent pas. Souviens-toi combien souvent tu t'es trompé et tu as péché toi-même, et fâche-toi plutôt contre toi-même de ce que ton âme renferme tant d'inimitié et de méchanceté.

ÉPICTÈTE.
3

Tu dis que tu n'es entouré que de mauvaises gens. Si tu penses ainsi, c'est une preuve certaine que tu es méchant toi-même.

4

Souvent les gens croient se faire valoir en remarquant les défauts des autres; mais ils ne font que montrer leur faiblesse.

Plus l'homme est bon et intelligent, plus il voit le bien chez les autres; plus il est bête et méchant, plus il voit les défauts des autres.

5

Il est vrai, qu'il est difficile de se montrer bon envers un vicieux, un menteur, surtout s'il vous offense; mais c'est précisément envers de pareils hommes qu'on doit être bon, et pour eux, et pour soi.

6

Lorsqu'on se fâche contre quelqu'un, on cherche généralement à justifier sa colère et, à ne voir que le mal en la personne contre laquelle on s'irrite; et l'on ne fait qu'augmenter son inimitié. Alors, qu'au contraire, plus on est irrité, plus on doit chercher le bien que peut contenir celui contre qui on s'irrite. Et lorsqu'on réussit à découvrir le bien et à aimer un tel homme, non seulement on apaise sa colère, mais encore on éprouve une joie profonde.

7

Si tu veux reprocher à un homme ses incohérences, ne qualifie pas ses actes ou ses paroles de sottises, ne dis et ne pense pas que ce qu'il a fait ou dit n'a aucun sens. Au contraire, suppose toujours qu'il voulait faire ou dire quelque chose de raisonnable et tâche de le prouver. Il faut s'efforcer de découvrir les idées erronées qui ont trompé l'homme et les lui faire voir de façon à ce qu'il arrive lui-même à la conclusion, qui est qu'il se trompe. On ne peut persuader un homme que par sa propre raison. De même, on ne peut persuader un homme de l'immoralité de son acte que par son sentiment moral. Il ne faut pas supposer que l'homme le plus vicieux ne puisse pas devenir un être vertueux et libre.

D'après KANT.
8

Si tu te fâches contre un homme parce qu'il a commis un acte que nous considérons comme repréhensible, tâche de savoir pourquoi il a fait ce que nous considérons comme mauvais. Dès que tu l'auras compris, tu ne seras plus fâché, parce qu'on ne peut se fâcher de ce que la pierre tombe du haut en bas et non de bas en haut.

V. —La nécessité de l'amour pour la communion entre les hommes
1

Pour que tes relations avec les hommes ne soient pas un sujet de souffrance pour toi et pour eux, n'entre pas en rapports avec les gens si tu n'éprouves pas d'affection pour eux.

2

Sans amour, on ne peut manier que les objets; sans amour, on peut abattre des arbres, faire des briques, forger le fer; on ne peut sans amour traiter les hommes.

Si tu n'éprouves pas d'amour pour les hommes, occupe-toi de toi-même, manie des choses, ce que tu voudras, mais laisse les hommes tranquilles. Dès que tu te permettras de les traiter sans amour, tu deviendras non pas un homme, mais une bête, tu leur nuiras et tu seras malheureux toi-même.

3

Lorsqu'on voit des gens toujours mécontents, critiquant, tout et tout le monde, on a envie de leur dire: «Le but de votre existence n'est pas de dévoiler l'absurdité de la vie, de la critiquer, de vous fâcher et de mourir. Cela n'est pas possible. Réfléchissez; vous ne devriez pas vous fâcher, ni critiquer, mais travailler à réparer le mal que vous voyez.

«Si vous voulez faire disparaître le mal que vous voyez vous n'y arriverez certainement pas par l'inimitié, mais uniquement par la bienveillance envers tous les hommes, car ce sentiment vit toujours en nous et vous le sentirez aussitôt que vous cesserez de l'étouffer en vous.»

4

Il faut nous habituer à être mécontents d'un autre homme de la même façon, qu'il nous arrive d'être mécontents de nous-mêmes. Cela nous arrive lorsque nous ne sommes pas satisfaits d'un de nos actes, et non de notre âme. Il faut agir de même à l'égard des autres: critiquer leurs actes, et les aimer eux-mêmes.

5

Pour ne pas faire tort à son prochain, pour l'aimer, il faut s'habituer à ne pas dire de mal ni de lui, ni à lui, et pour y parvenir, il faut s'habituer à ne pas penser mal de lui, à ne pas laisser pénétrer dans notre âme le sentiment de malveillance.

6

Peux-tu te fâcher contre un homme parce qu'il a des plaies purulentes? Ce n'est pas sa faute si l'aspect de ses plaies est désagréable. Comporte-toi de même envers les vices d'autruis.

Mais tu diras que l'homme a une raison pour comprendre et corriger ses vices. C'est juste. Par conséquent, toi aussi, tu as une raison et tu peux réfléchir que tu ne dois pas le fâcher contre l'homme en raison de ses vices, mais au contraire, tu dois l'efforcer d'éveiller sa conscience en le traitant avec bonté et intelligence, sans colère, sans impatience et sans orgueil.

MARC-AURÈLE.
7

Il y a des gens qui aiment se fâcher. Ils sont toujours occupés à quelque chose et toujours heureux de l'occasion de brusquer, de gronder celui qui s'adresse à eux pour quelque affaire. Ces gens-là sont très désagréables, mais il faut se souvenir qu'ils sont très malheureux, ne connaissent pas la joie de la bonne humeur, et c'est pourquoi, il ne faut pas se fâcher contre eux, mais les plaindre.

8

On ne peut mieux calmer une colère, même juste, qu'en disant à celui qui se fâche que celui contre lequel il se fâche, n'est qu'un malheureux. La pluie a le même effet sur le feu que la compassion sur la colère.

9

L'homme qui désire faire du tort à son ennemi, n'a qu'à s'imaginer qu'il lui a déjà fait mal et qu'il souffre de corps et d'âme; il n'a qu'à se l'imaginer et à comprendre que tout cela est l'œuvre de nos mains, pour que, à l'idée des souffrances de l'ennemi, l'homme le plus méchant cesse de garder sa rancune.

SCHOPENHAUER.
VI. —La lutte contre le péché de malveillance
1

On me blâme, je suis ennuyé, j'ai de la peine. Comment me débarrasser de ce sentiment désagréable? D'abord, par l'humilité; quand on connaît sa faiblesse, on ne se fâche pas de ce que les autres la montrent. Ce n'est pas aimable de leur part, mais ils ont raison. Ensuite, par le raisonnement; car, en définitive, on reste toujours ce qu'on a été, et si l'on avait trop de vénération pour soi-même, on aurait qu'à modifier son opinion. Enfin, et principalement, par le pardon; il n'y a qu'un seul moyen pour ne pas haïr ceux qui nous font du mal et nous offensent, c'est de leur faire du bien. Si l'on ne parvient pas à les changer, du moins, arrive-t-on à se maîtriser soi-même.

AMIEL.
2

La meilleure boisson qu'un homme peut boire est la mauvaise parole qu'il a déjà sur les lèvres; qu'il ne la laisse pas, échapper et l'avale.

MAHOMET.
3

Comprends bien et souviens-toi que tout homme agit toujours au mieux de ses propres intérêts.

Si tu y penses toujours, tu ne te fâcheras contre personne, tu ne reprocheras rien à personne, tu ne gronderas personne; car si quelqu'un a réellement du profit à faire ce qui t'est désagréable, il a raison et il ne peut agir autrement. S'il se trompe et ne se fait du tort qu'à lui-même, tant pis pour lui; on doit le plaindre et non se fâcher contre lui.

ÉPICTÈTE.
4

Souvenons-nous que tous nous redeviendrons poussière, et soyons humbles et modestes.

D'après SAADI.
VII. —La malveillance nuit toujours à celui qui la ressent
1

Bien que la colère soit nuisible aux autres, elle fait surtout du tort à celui qui se fâche. La colère est toujours plus nuisible que la chose pour laquelle on se fâche.

2

Il y a des gens qui aiment se fâcher, qui s'irritent et font du mal aux autres sans aucune raison. On peut comprendre pourquoi un avare offense les autres: il veut s'emparer de leur bien pour s'enrichir; il fait du mal aux gens dans son propre intérêt. Un méchant homme fait du tort aux autres sans aucun bénéfice personnel. Quelle folie!

D'après SOCRATE.
3

Ne pas faire de mal, pas même à ses ennemis, est une grande vertu.

Celui qui cherche à faire périr les autres, périt sûrement lui-même.

Ne fais pas de mal. La pauvreté ne peut excuser le mal. Si tu fais du mal, tu seras plus pauvre encore.

Les gens peuvent éviter les conséquences de la méchanceté de leurs ennemis, mais ils n'éviteront jamais les conséquences de leurs péchés. Cette ombre les poursuivra pas à pas, jusqu'à ce qu'elle les fasse périr.

Que celui qui ne veut pas vivre triste et malheureux ne fasse pas de tort aux autres.

Si l'homme se veut du bien, qu'il ne fasse pas le moindre mal.

Kouran hindou.
4

Être vertueux, c'est avoir l'âme libre. Les gens qui s'irritent continuellement contre quelqu'un, qui craignent constamment quelque chose et qui s'adonnent aux passions, ne peuvent avoir l'âme libre. Celui qui ne peut pas avoir l'âme libre ne verra pas en regardant, n'entendra pas en écoutant, ne sentira pas de goût en mangeant.

CONFUCIUS.
5

Goutte à goutte, le seau se remplit; de même l'homme s'emplit de colère, bien qu'il la ramasse petit à petit, lorsqu'il se permet de s'irriter contre les gens. Le mal revient à celui qui le commet, de même que la poussière jetée contre le vent.

Ni au ciel, ni dans la mer, ni dans les profondeurs des montagnes, il n'y a de place dans tout l'univers, où l'homme pourrait se débarrasser de la méchanceté qui est dans son cœur. Souviens-t-en.

DJAMAPADA.
6

La loi hindoue dit: De même qu'il est juste qu'il fasse froid en hiver et chaud en été, il est juste qu'un mauvais homme soit malheureux et un bon heureux. Que personne n'entame de querelle, bien qu'il soit offensé et qu'il souffre; que personne n'offense, ni par un acte, ni par une parole, ni par une pensée. Tout cela prive l'homme du vrai bonheur.

7

Lorsque je sais que la colère me prive du vrai bonheur, je ne peux plus chercher consciemment querelle aux autres; je ne peux pas, ainsi que je le faisais avant, me réjouir de mon péché, en être fier, l'encourager, le justifier, me donner de l'importance et me croire raisonnable, considérer les autres comme nuls, perdus, insensés; je ne peux plus maintenant, en sentant que je me laisse emporter par la colère, ne pas reconnaître que j'en suis seul coupable, et ne pas tâcher de me réconcilier avec ceux qui me cherchent querelle.

Mais cela ne suffit pas. Si je sais maintenant que la colère est un mal pour mon âme, je sais aussi ce qui me conduit au mal. C'est que j'oublie que la même chose vit en moi et en tous les hommes. Je vois maintenant que l'habitude de se distinguer des autres hommes et de se considérer comme étant supérieur à eux – est l'une des raisons principales de mon inimitié.

En repassant ma vie écoulée, je vois que je n'ai jamais laissé s'accroître mon sentiment d'inimitié envers les gens que je considérais supérieurs à moi, et je ne les offensais jamais. Mais, par contre, le moindre acte de celui que je considérais comme mon inférieur provoquait ma colère, et plus je me considérais supérieur, plus il m'était facile de l'offenser. Parfois même, rien que l'idée de l'infériorité de l'homme, provoquait déjà une offense de ma part.

8

Un jour d'hiver François, accompagné du frère Léon se rendait de Pérouse à Porcioncule. Il gelait, et tous deux tremblaient de froid. François appela Léon qui marchait devant, et lui dit: «O frère Léon, Dieu veuille que nos frères donnent par toute la terre, l'exemple de la vie de sainteté. Note, cependant, que ce n'est pas là qu'est la joie parfaite.»

7Moraliste anglais (N. du tr.)