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La Pensée de l'Humanité

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CHAPITRE IV
MÊME ÂME CHEZ TOUS

Tous les êtres vivants sont séparés par leurs corps les uns des autres; mais l'origine la vie est la même pour tous.

I. —La Conscience de la divinité de l'âme unit les hommes
1

La doctrine chrétienne révèle aux hommes que le même principe spirituel vit en eux tous, qu'ils sont tous frères, et elle les unit ainsi pour une heureuse vie commune.

LAMENNAIS.
2

Il ne suffit pas de se dire que chaque homme a la même âme que moi; il faut se dire qu'en chaque homme vit le même principe qui vit en moi. Tous les hommes sont séparés les uns des autres par leurs corps, mais ils sont tous unis par le même principe spirituel qui donne la vie à tout.

3

C'est un grand bonheur que d'être en communion avec les hommes; mais comment faire pour s'unir à tous? Je peux m'unir aux membres de ma famille; mais aux autres? Je peux m'unir à mes amis, à tous les Russes, à tous mes coreligionnaires. Mais comment faire pour m'unir à ceux que je ne connais pas, les étrangers, ceux qui professent une autre religion? Il y a tant d'hommes et ils sont tous si différents! Comment faire?

Il n'existe qu'un moyen: oublier les hommes, ne pas penser à s'unir à eux, et ne songer qu'à s'unir au seul principe spirituel qui vit en moi et en tous les hommes.

4

On dit que chaque homme peut être très bon et très mauvais et qu'il manifeste l'un ou l'autre sentiment suivant ses dispositions. C'est parfaitement exact.

La vue des souffrances d'autrui provoque, non seulement chez des personnes différentes, mais chez le même homme des sentiments absolument contradictoires: parfois, la compassion, et, parfois, une sorte de mauvais plaisir qui va jusqu'à la plus cruelle méchanceté.

J'ai eu l'occasion de le constater sur moi-même: tantôt j'avais pour tous les êtres une profonde compassion, tantôt j'éprouvais la plus grande indifférence, et, parfois, de la haine même.

Cela, prouve clairement que nous avons deux façons, absolument opposées, de concevoir les choses: l'une, quand nous nous considérons comme des êtres séparés, quand tous les êtres nous sont absolument étrangers et qu'ils ne sont pas «moi». Dans ce cas, nous ne pouvons éprouver pour eux autre chose que de l'indifférence, de l'envie, de la haine, de la malveillance.

L'autre façon de concevoir est dans la conscience de notre unité avec tous. Dans ce cas, tous les êtres sont pour nous ce qu'est noire «moi», et alors, ils suscitent notre amour pour eux.

L'une nous sépare les uns des autres comme par un mur infranchissable, l'autre détruit ce mur, et nous ne faisons qu'un. La première nous apprend à reconnaître que tous les autres êtres ne sont pas «moi», la seconde nous enseigne que tous les êtres sont le même «moi» que celui que je sens en moi-même.

SCHOPENHAUER.
5

Plus l'homme vit pour son âme, plus il sent son unité avec tous les êtres vivants. Vis pour ton corps, et tu seras seul parmi des étrangers; vis pour ton âme, et tous te seront parents.

6

Un fleuve ne ressemble pas à un étang, un étang à un tonneau et un tonneau à un seau d'eau. Mais dans un étang, dans un fleuve, dans un tonneau et dans un seau il y a la même eau. De même, tous les gens sont différents, mais l'esprit qui vit en eux tous est le même.

7

L'homme ne comprend sa vie que lorsqu'il se voit dans chacun de ses semblables.

8

L'essentiel dans la doctrine du Christ c'est qu'il considérait tous les hommes comme frères. Dans chaque homme, il voyait un frère et, pour cette raison, aimait chacun, quel qu'il soit et qui que ce soit. Il ne s'occupait pas de son extérieur, mais de l'intérieur. Il ne voyait pas le corps, mais, à travers les beaux habits du riche et les haillons du misérable, il voyait l'âme immortelle. Dans l'homme le plus dépravé, il apercevait ce qui pouvait transformer l'être le plus déchu en l'homme sublime, aussi grand et aussi saint qu'il l'était lui-même.

9

Lorsque l'homme ne voit pas dans chacun le même esprit qui l'unit à tous les hommes, il vit comme dans un rêve. Celui qui voit Dieu et lui-même dans chacun, vit réellement.

II —Le même principe spirituel vit non seulement dans tous les hommes, mais aussi dans tout ce qui vit
1

Nous sentons dans notre for intérieur que ce par quoi nous vivons, ce que nous appelons notre vrai «moi», est le même non seulement dans chaque homme, mais aussi dans un chien, un cheval, une souris, une poule, un moineau, une abeille, et même dans une plante.

2

Quand on prétend que les animaux nous sont absolument étrangers, on peut en dire autant des sauvages, des noirs et des jaunes. Et si l'on estime que ces hommes nous sont étrangers, ils ont absolument le même droit de considérer les blancs comme des étrangers. Quel est donc notre prochain? II ne peut y avoir qu'une seule réponse à cette question: ne demande pas qui est ton prochain, mais agis envers tout ce qui vit comme tu voudrais que l'on agisse envers toi-même.

3

Tout ce qui vit, craint les souffrances; tout ce qui vit, craint la mort. Reconnais-toi non seulement dans un homme, mais aussi dans chaque être vivant; ne tue pas et ne cause pas de souffrance ni de mort. Tout ce qui vit veut la même chose que toi; reconnais-toi donc dans chaque être vivant.

Sagesse bouddhiste.
4

L'homme n'est pas supérieur aux bêtes parce qu'il les fait souffrir, mais parce qu'il est capable de les plaindre. Et il a pitié des bêtes, car il sent vivre en elles ce qui vit également en lui.

5

La pitié pour tout ce qui vit, est plus nécessaire que tout le reste pour pouvoir avancer vers la vertu. Un homme bon ne peut manquer de pitié. Si un homme est injuste et méchant, il est sûrement impitoyable. Sans pitié pour tout ce qui vit, il ne peut y avoir de vertu.

SCHOPENHAUER.
6

On peut se déshabituer de la pitié envers les bêtes. Cela se remarque tout particulièrement à la chasse. Les hommes bons qui y prennent goût, tourmentent et tuent les bêtes sans remarquer la cruauté qu'ils commettent.

7

Le commandement: «Tu ne tueras point» ne se rapporte pas à l'homme seul, mais à tout ce qui vit. Ce commandement avait été gravé dans le cœur de l'homme avant d'être inscrit sur la table.

8

Les hommes considèrent qu'il n'y a pas de mal à se nourrir de la chair animale, parce qu'on les a persuadés que Dieu l'avait permis. C'est faux. On a beau assurer qu'il n'y a pas de péché de tuer et démanger les animaux, il est gravé dans le cœur de l'homme, mieux que dans tous les livres, qu'il faut avoir pitié des animaux et qu'on ne doit pas les tuer, au même titre que les hommes. Nous le savons tous, si nous n'étouffons pas la voix de la conscience.

9

Si seulement tous ceux qui mangent les animaux, les tuaient eux-mêmes, un grand nombre parmi eux auraient renoncé à la viande.

10

Nous sommes étonnés de voir qu'il y ait eu et qu'il y a encore des hommes qui tuent leurs semblables pour les manger. Mais le temps viendra où nos petits enfants s'étonneront que leurs grands pères aient tué, tous les jours, des millions d'animaux pour les manger, alors qu'on peut avoir une nourriture saine et substantielle en se servant des fruits de la terre.

11

On peut se déshabituer de toute pitié, même envers les hommes, et on peut s'habituer à avoir pitié même d'un insecte.

Plus l'homme est pitoyable, mieux cela vaut pour son âme.

«Comment s'abstenir de tuer la mouche ou la puce? Chacun de nos mouvements supprime malgré nous la vie des êtres que nous ne voyons pas,» dit-on généralement pour justifier la cruauté humaine envers les animaux. Ceux qui parlent ainsi oublient qu'il n'est pas donné à l'homme d'arriver à la perfection en toutes choses. La tâche de l'homme est de se rapprocher de la perfection. Il en est de même lorsqu'il s'agit de la compassion envers les bêtes. Nous ne pouvons pas vivre sans faire mourir d'autres êtres, mais nous pouvons avoir pour eux plus ou moins de compassion. Et plus nous en aurons, mieux cela vaudra pour notre âme.

III. —Plus les hommes sont bons, mieux ils conçoivent l'unité du principe divin qui vit en eux
1

Pourquoi sommes-nous tout joyeux quand nous avons accompli une bonne action? Parce que chaque bonne action nous confirme que notre vrai «moi » ne se borne pas à notre personne seule, mais qu'il existe en tout ce qui vit.

Lorsqu'on vit pour soi-même, on ne vit que d'une parcelle de son vrai «moi». Lorsqu'on vit pour les autres, on sent son «moi» s'étendre.

Si tu vis pour toi seul, tu te sens entouré d'ennemis, tu sens le bonheur de chacun entraver le tien. Vis pour les autres, et tu te sentiras entouré d'amis et le bonheur de chacun deviendra ton bonheur à toi.

2

L'homme ne trouve le bonheur qu'en servant son prochain. Et il l'y trouve parce qu'en rendant service à ses prochains, il communie avec l'Esprit Divin qui vit en eux.

3

Toute bonne action véritable, celle que l'homme accomplit avec désintéressement et en ne pensant qu'au malheur d'autrui, serait un fait étonnant et inconcevable, s'il n'était pas aussi naturel et familier à l'homme.

 

En effet, pourquoi se priver de quelque chose, s'inquiéter, se déranger pour un étranger, un homme comme il y en a tant sur la terre? On ne peut pas expliquer cela autrement que par le fait que la personne qui fait du bien, sait que celui pour qui elle le fait n'est pas un être isolé de tous, mais le même être qu'elle, mais sous un autre aspect.

D'après SCHOPENHAUER.
4

Lorsqu'on vit de la vie spirituelle, on éprouve des souffrances morales chaque fois qu'on se sépare des hommes. Pourquoi cette souffrance? Parce que, de même que la souffrance physique démontre le danger qui menace la vie corporelle, la souffrance morale démontre le danger qui menace la vie spirituelle de l'homme.

5

Un sage hindou disait: «En toi, en moi, en tous les êtres vivants vit un seul et même esprit vital; et voici que tu te fâches contre moi, tu ne m'aimes pas. Souviens-toi que toi et moi, nous sommes un. Qui que tu sois, toi et moi, nous ne faisons qu'un.»

6

Bien qu'un homme soit méchant, injuste, bête et désagréable, souviens-toi qu'en ne le respectant plus, tu romps non seulement tout lien avec lui seul, mais avec tout le monde spirituel.

7

Pour qu'il te soit facile de vivre avec chaque homme, pense à ce qui t'unit à lui et non pas à ce qui te sépare de lui.

IV. —Les conséquences résultant de la conception de l'unité de l'âme de tous les hommes
1

Il ne peut y avoir et il n'y aura pas de liberté et de bonheur véritable, tant que les hommes n'auront pas compris leur unité. Si seulement les hommes avaient compris cette vérité essentielle du christianisme, – la communauté spirituelle de tous les hommes – leur vie se serait transformée, et il s'établirait entre eux des rapports que nous ne saurions imaginer maintenant. Les insultes, les peines, les humiliations que nous faisons subir aux hommes-frères nous auraient révoltés plus que les plus grands crimes actuels.

Oui, il nous faut une nouvelle révélation, non pas sur le paradis et l'enfer, mais sur l'esprit qui vit en nous.

CHANNING.
2

L'amour appelle l'amour. Cela ne peut être autrement parce qu'en se révélant en toi, Dieu se révèle également en un autre homme.

3

La branche coupée de son nœud est, par cela même, séparée de l'arbre entier. De même l'homme qui rompt avec un autre homme, se détache de toute l'humanité. Seulement, la branche est coupée par un bras étranger, alors que, par son mépris, l'homme se détache de son prochain, sans penser que, par cela même, il se détache de toute l'humanité.

MARC-AURÈLE.
4

Il n'y a pas de mauvaise action pour laquelle soit seul puni celui qui l'a faite. Nous ne pouvons nous isoler de façon à ce que notre méchanceté ne se répande pas sur les autres hommes. Nos actions, bonnes et mauvaises, sont comme nos enfants: elles vivent et agissent non plus par notre volonté, mais par elles-mêmes.

GEORGE ELLIOT.
5

La vie des hommes est pénible uniquement parce qu'ils ne savent pas que l'âme, qui est en chacun de nous, vit dans tous les hommes. C'est de là que provient l'animosité, que les uns sont riches, les autres pauvres, les uns sont maîtres, les autres ouvriers; de là que vient l'envie, la haine et tous les tourments humains.

CHAPITRE V
DE L'AMOUR

L'âme humaine, isolée par le corps aussi bien de Dieu que des autres êtres, tend à se réunir à ce dont elle est séparée.

L'âme s'unit à Dieu par la conscience progressive de la présence de Dieu en soi, alors qu'elle s'unit aux âmes des autres par des manifestations d'amour de plus en plus évidentes.

I. L'Amour unit les hommes à Dieu et aux autres êtres
1

«Jésus dit au légiste: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C'est le premier et le plus grand des commandements.

«Le second est: aime ton prochain comme toi-même, répondit l'homme de loi au Christ, et Jésus lui dit: Tu as bien répondu; agis donc comme tu l'as dit, c'est-à-dire, aime Dieu et ton prochain et tu vivras bien.»

2

Vous êtes bien malheureux, vous, les gens du monde! Les chagrins et les inquiétudes sont au-dessus de vos têtes et sous vos pieds, à droite et à gauche, et vous êtes des énigmes pour vous-mêmes. Et vous resterez toujours énigmes si vous ne devenez pas joyeux et affectueux comme les enfants. Alors seulement vous Me connaîtrez et, m'ayant connu, vous vous comprendrez vous-mêmes et vous pourrez vous gouverner.

Alors seulement, lorsque vous regarderez le monde à travers votre âme, tout sera joie pour vous sur la terre et en vous-mêmes.

Soutes bouddhistes.
3

On ne peut aimer que la perfection.

Il faut donc, pour aimer: ou bien considérer comme parfait ce qui ne l'est pas, ou bien aimer ce qui est parfait, c'est-à-dire Dieu. Si l'on considère comme parfait ce qui ne l'est pas, l'erreur se révélera tôt ou tard et l'amour ne sera plus. Mais l'amour de Dieu, c'est-à-dire de la perfection, ne peut pas finir.

4

Dieu est amour; celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. Personne n'a jamais vu Dieu; mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est accompli en nous. Si quelqu'un dit: «J'aime Dieu» et qu'il haïsse son frère, c'est un menteur. Car celui qui n'aime point son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas? Frères, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime, est né de Dieu et connaît Dieu, car Dieu est amour.

D'après la 1re épitre de saint Jean.
5

Les hommes ne peuvent communier réellement qu'en Dieu. Pour se rencontrer, les hommes n'ont pas besoin de se croiser, ils doivent simplement se diriger vers Dieu.

S'il y avait un grand temple où la lumière ne pénétrerait que d'en haut et du centre, les hommes, pour se rencontrer dans ce temple, n'auraient qu'à se diriger vers la lumière. Il en est de même dans le monde: si tous les hommes allaient, à Dieu, ils se rencontreraient tous.

6

Il n'y a rien de plus agréable que de se savoir aimé. Mais, chose extraordinaire! pour qu'on nous aime il est inutile de rendre service aux autres: il suffit de se rapprocher de Dieu. Rapproche-toi de Dieu et ne pense pas aux hommes, et les hommes t'aimeront.

7

Celui qui prétend aimer Dieu tout en n'aimant pas son prochain, trompe les hommes. Celui qui prétend aimer son prochain et n'aime pas Dieu, se trompe lui-même.

8

On dit que le jour du jugement dernier arrivera et que le bon Dieu se fâchera. Mais un Dieu bon ne peut faire que du bien.

De toutes les religions existantes, il n'y en a qu'une seule vraie, celle qui dit que Dieu est amour. Et l'amour ne peut donner que le bonheur.

Ne crains rien: pendant ta vie et après ta mort, il ne peut y avoir que l'amour.

Traduit du persan.
9

Vivre selon les préceptes de Dieu c'est être pareil à Dieu. Et, pour être pareil à Dieu, il faut ne rien craindre et ne rien désirer pour soi. Et pour ne rien craindre et ne rien désirer pour soi, il n'y a qu'à aimer.

Les uns disent: rentre en toi-même et tu trouveras le repos. Toute la vérité n'est pas là.

D'autres disent, au contraire: sors de toi-même; tâche de t'oublier et de trouver le bonheur dans les plaisirs. Ceci n'est pas vrai non plus. Ce n'est pas vrai pour cette seule raison qu'on ne peut pas se débarrasser des maladies par les plaisirs. Le repos et le bonheur ne sont ni en nous, ni en dehors de nous, ils sont en Dieu. Et Dieu est en nous et hors nous. Aime Dieu, car c'est en Dieu que tu trouveras ce que tu cherches.

PASCAL.
II. —De même que le corps a besoin de nourriture et souffre lorsqu'il en est privé, l'âme a besoin d'amour et souffre en son absence
1

Tous les corps sont attirés par la terre et les uns par les autres. De même toutes les âmes sont attirées vers Dieu et les unes vers les autres.

2

Tous les gens vivent, non pas parce qu'ils pensent à eux-mêmes, mais parce que l'amour est le propre des hommes.

Afin que les hommes ne vivent pas chacun pour soi, mais tous pour la même cause, Dieu ne leur a pas révélé ce qu'il faut à chacun d'eux, mais leur a dit seulement ce qu'il leur fallait à tous.

Afin que les hommes sachent ce qu'il leur faut à tous, Il a pénétré dans leurs âmes et s'y est manifesté en amour.

3

Tous les malheurs des hommes ne sont pas causés par les mauvaises récoltes, les incendies, les brigands, mais simplement parce qu'ils vivent en désaccord. – Ils sont en désaccord, parce qu'ils ne croient pas à la voix de l'amour qui vit en eux et qui les appelle à s'unir.

4

Tant que l'homme vit d'une vie matérielle, il lui semble qu'il est séparé des autres hommes parce que cela est ainsi et ne peut être autrement. Mais dès qu'il commence à vivre d'une vie spirituelle, il s'étonne, ne comprend pas, jusqu'à en souffrir, pourquoi il est séparé des autres hommes, et il cherche à s'unir à eux. L'amour seul unit les hommes.

5

La vie de chaque homme consiste à devenir meilleur chaque année, chaque mois, chaque jour. Plus les gens deviennent meilleurs et plus ils s'unissent, plus leur vie est meilleure.

6

Si nous tenions fermement à nous rallier aux hommes là où nous sommes d'accord avec eux, sans exiger leur consentement sur les points où nous ne sommes pas d'accord, nous serions bien plus près du Christ que ceux qui, tout en se qualifiant de chrétiens, se détachent, au nom du Christ, des hommes d'une autre religion, en exigeant qu'ils soient d'accord avec ce qui leur semble être la vérité.

Aimez vos ennemis, et vous n'en n'aurez point.

Actes des Apôtres.
III. —L'amour n'est vrai que lorsqu'il se répand sur tout
1

Dieu voulait que nous fussions heureux et, dans ce but, il nous a donné le besoin du bonheur; seulement, il voulait que nous soyons heureux tous, et non pas quelques-uns, et pour cela il nous a donné le besoin d'aimer. Il s'ensuit que les hommes ne seront heureux que lorsqu'ils s'aimeront tous les uns les autres.

2

Sénèque disait que tout ce que nous voyons, tout ce qui vit n'est qu'un seul corps; tels les bras, les jambes, l'estomac, les os, nous sommes les parties de ce corps. Tous, nous sommes venus au monde de la même façon; tous, nous voulons notre bonheur; tous nous savons que nous ferions mieux de nous entr'aider que de nous exterminer et tous nous avons un germe d'amour les uns pour les autres. Comme des pierres, nous formons une même route et nous nous écroulerons, si nous ne nous soutenons pas.

3

Si nous aimons ceux qui nous plaisent, qui nous louent, qui nous font du bien, nous les aimons pour nous-mêmes. Le véritable amour est celui qui nous fait aimer non pour notre plaisir, mais pour le bien des hommes que nous aimons; nous devons les aimer, non pas parce qu'ils sont agréables ou utiles, mais parce que dans chaque homme nous reconnaissons l'esprit qui vit en nous.

Ce n'est qu'ainsi que nous pouvons aimer, comme nous l'a appris le Christ, non seulement ceux qui nous aiment, mais aussi ceux qui nous haïssent: nos ennemis.

4

Tâche d'aimer celui que tu n'aimais pas, que tu blâmais, qui t'a offensé. Si tu y réussis, tu connaîtras une sensation nouvelle de joie. De même que la clarté éclate après les ténèbres, la lumière de l'amour s'allumera avec plus d'intensité et plus joyeusement en toi, après s'être libéré de l'inimitié.

 
5

Le meilleur des hommes est celui qui aime tous et qui fait du bien à tous, qu'ils soient bons ou méchants.

MAHOMET.
6

«Je suis triste, ennuyé, seul.» Mais qui donc t'a ordonné de fuir tous les hommes et de te murer dans la prison de ton misérable et ennuyeux «moi».

7

Agis de façon à pouvoir dire à chacun: fais comme moi.

D'après KANT.
8

Tant que je n'aurai pas vu observer le plus grand commandement du Christ – l'amour envers les ennemis – je ne croirai pas que ceux qui se qualifient de chrétiens le soient effectivement.

LESSING.
IV. —On ne peut aimer réellement que l'âme
1

Tous les hommes ne désirent, qu'une seule chose, c'est de bien vivre. C'est pourquoi, depuis les temps les plus anciens, partout et toujours, les sages et les saints ont pensé et appris aux hommes comment il fallait vivre pour être heureux. Et à toutes les époques et dans tous les pays, les sages et les saints ont enseigné aux hommes la même doctrine.

Cette doctrine est brève et simple:

Tous les hommes vivent par le même esprit, mais sont séparés, dans cette vie, par leurs corps; s'ils en sont convaincus, ils doivent s'unir les uns aux autres par l'amour. S'ils ne le comprennent pas et s'imaginent qu'ils vivent uniquement par leurs corps, ils se querellent entre eux et sont malheureux.

Toute la doctrine est dans la recommandation de faire ce qui unit les hommes et de ne pas faire ce qui les désunit. Il est facile d'avoir foi en cette doctrine parce qu'elle demeure dans le cœur de chaque homme.

V. —L'amour est un sentiment naturel à l'homme
1

L'homme aime aussi naturellement que l'eau descend la pente.

Proverbe oriental.

2

Pour que l'abeille vive selon sa nature, elle doit voler, le serpent ramper, le poisson nager, l'homme aimer. Par conséquent, si l'homme fait du mal à son prochain au lieu de lui faire du bien, cela paraît aussi étrange que si le poisson se mettait à voler et l'oiseau à nager.

3

Le cheval, par sa course rapide, fuit l'ennemi. Il est malheureux non pas lorsqu'il ne peut pas crier comme un coq, mais lorsqu'il perd ce qui lui est acquis: la faculté de courir.

Le sens le plus précieux pour le chien est son flair. Il est malheureux lorsqu'il le perd, et non lorsqu'il voit qu'il ne peut pas voler.

De même l'homme est malheureux, non quand il est impuissant à maîtriser un ours, un lion, ou de mauvaises gens, mais quand il perd ce qu'il a de plus cher: sa nature spirituelle, sa faculté d'aimer.

On n'a pas à regretter quand on meurt, quand on a perdu son argent, sa propriété, sa maison – tout cela n'appartient pas à l'homme. On doit regretter quand l'homme perd son bien réel, son plus grand bonheur: la faculté d'aimer.

4

On demanda à un philosophe chinois: qu'est-ce que la science? Il répondit: C'est connaître les hommes.

On lui demanda: Qu'est-ce que la vertu? Il répondit: C'est aimer les hommes.

5

Un philosophe hindou disait: «De même qu'une mère soigne son unique enfant, le dorlote, le garde et l'élève, l'homme doit élever et garder en soi ce qu'il a de plus cher au monde: l'amour pour tout ce qui vit. Toutes les religions nous l'enseignent: celle des Bramines, des Bouddhistes, des Hébreux, des Chinois, des Chrétiens, des Mahométans. C'est pourquoi, la chose la plus nécessaire au monde est d'apprendre à aimer.»

6

Les Chinois ont eu leurs philosophes tels que Confucius, Lao-Tseu et un autre sage, peu connu, du nom de Mi-Ti.

Mi-Ti enseignait qu'il ne fallait pas inculquer aux hommes le respect de la force, de la richesse, de la bravoure, mais de l'amour seul. Il disait: On élève les hommes de façon à ce qu'ils considèrent que la richesse et la gloire sont au-dessus de tout et ils ne songent qu'à gagner le plus possible de gloire et de richesses; il faut les élever de façon à ce qu'ils placent l'amour au-dessus de tout et que, dans la vie quotidienne, ils s'habituent à aimer les hommes et à consacrer toutes les forces à apprendre à aimer.

Mi-Ti n'a pas été écouté. Mendzé, un élève de Confucius, contredit Mi-Ti, en assurant qu'on ne saurait vivre uniquement d'amour. Et les Chinois suivirent Mendzé. 500 ans s'écoulèrent ainsi, lorsque Jésus vint enseigner aux hommes ce qu'avait déjà dit Mi-Ti, mais avec plus de force et de clarté. Bien que personne ne conteste cette doctrine d'amour, les disciples du Christ ne suivent toujours pas son enseignement. Mais le moment viendra – et il est proche – où les hommes ne pourront pas faire autrement que de suivre cette doctrine, parce que son germe se trouve dans tous les cœurs, alors que la non observation de ses préceptes rendra les gens de plus en plus malheureux.

VI. —L'amour seul donne le bonheur réel
1

Tu veux du bien, tu auras ce que tu désires, à condition que tu veuilles le bien qui est bon pour tous. Ce bonheur ne se gagne que par l'amour.

2

«Celui qui veut conserver sa vie, la perdra, et celui qui donne sa vie pour le bien, la conservera. L'homme n'a pas de profit à gagner le monde entier s'il fait du tort à son âme.» Ainsi parlait Jésus. De même parlait le païen Marc-Aurèle: «Âme, quand donc seras-tu le chef du corps? Quand te débarrasseras-tu des désirs et des peines charnelles, et pourras-tu te passer des services de ce que les hommes te servent de leur vie ou de leur mort! Quand comprendras-tu que le vrai bonheur est toujours en ton pouvoir et qu'il est l'amour pour tous les hommes?»

3

Celui qui dit qu'il est dans la lumière et qui hait son frère, est encore à présent dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne craint nulle tentation. Mais celui qui hait son frère est dans les ténèbres, marche dans les ténèbres et ne sait où il va, parce que les ténèbres ont aveuglé ses yeux… Aimons, non par la parole et la langue, mais par les actes et la vérité. C'est à cela que nous reconnaissons la vérité et que nous tranquillisons nos cœurs.

1re épitre de saint JEAN.
4

Je ne sais pas lequel des chefs des religions a raison, et je ne puis le savoir d'une façon certaine; mais je sais pertinemment que le mieux que je puis faire, c'est de développer l'amour en moi; de cela je ne puis en douter. Je ne puis en douter parce qu'en se développant, mon amour augmente mon bonheur.

5

Nous savons trouver tout; il n'y a que nous-mêmes que nous ne sachions pas trouver. Chose étrange! L'homme vit sur la terre pendant de nombreuses années sans remarquer à quel moment il éprouve le plus de satisfaction. S'il s'en apercevait, il verrait clairement en quoi consiste son vrai bonheur; il saurait qu'il ne se sent à son aise que lorsqu'il a l'amour dans l'âme. C'est que nous ne méditons pas assez pour nous en apercevoir. Nous avons perverti notre raison et ne cherchons plus à connaître ce qui seul nous est nécessaire.

Si nous nous étions arrêtés un seul instant au milieu du tourbillon de la vie qui nous emporte, si nous étions rentrés en nous-mêmes, nous aurions compris où est notre bonheur.

Notre corps est faible, impur, mortel; mais il recèle un trésor divin: l'esprit immortel. Il nous suffirait d'avoir conscience de cet esprit intérieur pour nous mettre à aimer les hommes, et, en les aimant, nous aurons tout ce que notre cœur désire: le bonheur.

SKOVORODA.
6

Nous n'obtenons le bonheur corporel, tous les plaisirs, qu'au détriment des autres hommes. Par contre, nous n'augmentons le bien spirituel, le bien de l'amour qu'en augmentant le bonheur d'autrui.

7

Tous nos perfectionnements de la vie matérielle: les chemins de fer, le télégraphe, les machines peuvent servir à l'union des hommes et à les rapprocher du royaume de Dieu. Mais le malheur est que les hommes se passionnent pour ces perfectionnements et s'imaginent que s'ils construisent beaucoup de ces engins, ils peuvent se rapprocher de Dieu. C'est une aussi grosse erreur que si l'homme avait toujours travaillé le même terrain sans songer à y semer quelque chose. Pour que toutes ces machines soient utiles, il faut que les hommes perfectionnent leur âme, y cultivent l'amour. Car sans amour, le téléphone, le télégraphe, les machines volantes, loin de nous rapprocher, nous divisent de plus en plus.

8

L'homme est misérable et ridicule lorsqu'il cherche ce qu'il a sur le dos. Il est tout aussi misérable et ridicule lorsqu'il cherche le bonheur, sans savoir qu'il le trouvera dans l'amour qui est dans son cœur.

Ne regardez pas le monde et les œuvres des hommes, mais jetez un regard dans votre âme, et vous y trouverez, le bonheur que vous cherchez là où il n'est pas; vous trouverez l'amour et vous saurez que ce bonheur est si grand que celui qui l'a, ne peut plus rien désirer.

KRISHNA.
9

Fais du bien à tes amis pour qu'ils t'aiment davantage, fais-en à tes ennemis pour qu'ils deviennent tes amis.

KLEOVODLOS5.
10

On dit: quel profit y a-t-il à faire du bien aux gens qui vous paient par le mal? Si tu aimes celui à qui tu fais le bien, tu as déjà reçu ta récompense par ton amour pour lui, et tu en auras une plus grande encore dans ton âme si tu supportes avec amour le mal qu'il le fait.

11

Quand nous aimons nos frères nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie. Celui qui hait son frère n'a pas la vie éternelle qui est en lui.

D'après le 1er épitre de JEAN, III.
12

Oui, le temps viendra bientôt, celui-là même dont le Christ disait qu'il souffrait en l'attendant, le temps où les hommes seront fiers, non pas de la domination sur les autres et de la spoliation du fruit de leur travail, non pas de la crainte et de l'envie qu'ils provoquent, mais fiers de leur amour pour tous et heureux de cette sensation qui les libère de tout mal, malgré les peines qu'on peut leur causer.

13

L'amour donne et ne reçoit rien.

5L'un des sept sages de la Grèce; il vivait au VIe siècle avant J. – C. (Note du trad.).