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La Pensée de l'Humanité

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CHAPITRE XXIII
PENSÉE

De même que l'homme peut s'abstenir de commettre un acte qu'il croit mauvais, il peut repousser une pensée qui l'attire et qu'il croit mauvaise. C'est en cette abstention de pensées qu'est la force principale de l'homme, parce que tous les actes naissent de la pensée.

I. —Le rôlé de la pensée
1

On ne peut se débarrasser des péchés, des tentations et des superstitions par l'effort physique. Cela n'est possible que par l'effort de la pensée. C'est par l'effort de la pensée qu'on peut s'habituer à l'abnégation, à l'humilité, à la droiture. Quand l'homme aspire à l'abnégation, à l'humilité, à la droiture, il a également la force de lutter dans la vie quotidienne contre les péchés, les tentations et les superstitions.

2

Bien que ce ne soit pas la pensée qui nous ait révélé que l'on doit aimer – elle ne pouvait nous le révéler – elle importe en raison de ce fait qu'elle nous indique ce qui empêche l'amour. C'est précisément cet effort intellectuel contre ce qui empêche l'amour qui est plus important et plus nécessaire que tout le reste.

3

Si l'homme n'avait pas la faculté de réfléchir, il ne comprendrait pas pourquoi il vit. Et s'il ne le comprenait pas, il n'aurait pu savoir ce qui est bien et ce qui est mal. C'est pourquoi il n'y a rien de plus cher à l'homme que de savoir penser.

4

Les hommes envisagent les doctrines morales et religieuses, d'une part, et la conscience, de l'autre, comme deux guides différents. En réalité, il n'y a qu'un seul guide: la conscience, c'est-à-dire, la reconnaissance de la voix de Dieu qui vit en nous. Cette voix décide indubitablement pour chaque homme ce qu'il doit ou ne doit pas faire; et chaque homme peut toujours évoquer cette voix par un effort de pensée.

5

Si l'homme ne savait pas que ses yeux pouvaient voir et s'il ne les ouvrait jamais, il aurait été très misérable. De même, et plus encore, est misérable l'homme qui ne comprend pas que la faculté de penser lui est donnée pour supporter tous les malheurs. Si l'homme est raisonnable, il lui sera facile de les supporter; d'abord, parce que sa raison lui dira que tous les malheurs passent et se transforment en bonheur, et ensuite, que chaque malheur est utile à un homme raisonnable. Et pourtant, au lieu de regarder le malheur en face, les hommes tâchent de l'éviter.

Ne serait-il pas préférable de nous réjouir de ce que Dieu nous ait donné la faculté de ne pas nous chagriner de ce qui nous arrive, indépendamment, de notre volonté, et de Le remercier de ce qu'Il ait subordonné notre âme uniquement à ce qui est en notre pouvoir: notre raison? Il n'a soumis notre âme ni à nos parents, ni à nos frères, ni à la richesse, ni à notre corps, ni à la mort. Par Sa bonté, Il l'a seulement subordonnée à ce qui dépend de nous: à nos pensées.

C'est sur ces pensées-là et sur leur pureté que nous devons veiller de toutes nos forces pour notre bien.

D'après ÉPICTÈTE
6

Lorsque nous apprenons une nouvelle pensée et que nous la trouvons juste, il nous semble l'avoir connue depuis longtemps et nous rappeler maintenant de ce que nous savions déjà. Toute vérité se trouve déjà dans l'âme de tout homme. Ne l'étouffe pas seulement par le mensonge, et, tôt ou tard, elle se révélera à toi.

7

Souvent nous vient une pensée qui nous semble juste et étrange à la fois, et nous avons peur d'y croire. Mais, après avoir bien réfléchi, nous voyons que la pensée qui nous semblait étrange est la plus simple vérité à laquelle on ne peut plus cesser de croire, dès l'instant qu'on l'a apprise.

8

Pour pénétrer dans la conscience de l'humanité, toute vérité doit traverser trois phases. La première: «C'est tellement inepte que ce n'est même pas la peine de discuter.» La deuxième: «C'est immoral et contraire à la religion.» La troisième: «Ah, c'est tellement connu de tous que ce n'est même pas la peine d'en parler!»

9

En vivant au milieu des hommes, n'oublie pas ce que tu as appris dans la solitude. Et réfléchis dans la solitude sur ce que tes relations avec les autres t'ont appris.

10

Nous pouvons arriver à la sagesse par trois chemins: d'abord, par la voie de l'expérience, et ce chemin-là est le plus difficile; ensuite, par la voie de l'imitation, et ce chemin-là est le plus facile; enfin, par la voie de la réflexion, et ce chemin-là est le plus noble.

CONFUCIUS.
II. —La vie de l'homme est déterminée par ses pensées
1

Le sort de l'homme est tel et tel uniquement d'après la façon dont il comprend sa vie.

2

Tous les grands changements dans la vie d'un homme, de même que dans la vie de l'humanité entière, commencent et s'accomplissent dans la pensée. Pour qu'une modification puisse s'effectuer dans les sensations et les actes, un changement dans les pensées doit s'effectuer d'abord.

3

Tout ce qui est bon et nécessaire aux hommes ne s'acquiert pas d'un coup, mais toujours au moyen d'un travail long et continu. C'est ainsi que l'on apprend les métiers, qu'on acquiert des connaissances, et c'est ainsi que l'on apprend la chose plus difficile au monde: savoir vivre d'une vie juste.

Pour apprendre à vivre ainsi, il faut avant tout savoir s'habituer à n'avoir que des bonnes pensées.

4

Les passages de notre vie d'un état dans un autre ne se déterminent pas par les actions, accomplies selon notre volonté: par le mariage, le changement du lieu d'habitation, le changement de profession, etc., mais par les pensées qui nous viennent pendant la promenade, au milieu de la nuit, en mangeant et, surtout, par les pensées qui, englobant tout notre passé, nous disent: «Tu as agi ainsi, mais tu aurais mieux fait d'agir autrement.» Et tous nos actes ultérieurs servent ces pensées servilement, exécutent leur volonté.

THOREAU.
5

Nos désirs ne seront pas bons tant que nous n'aurons corrigé les habitudes de notre raison; et ces habitudes se forment au contact des déductions de sagesse des meilleurs hommes de la terre.

SÉNÈQUE.
6

Ce qui est calme peut être maintenu dans le repos. Ce qui ne s'est pas encore manifesté peut être facilement prévenu. Ce qui est encore faible peut facilement être brisé. Ce qui n'est pas encore nombreux peut facilement être dispersé.

Un gros arbre a commencé par être une tige mince. Une tour à neuf étages a commencé à être élevée par la pose de quelques petites briques. Un voyage de mille lieues commence par un pas. Faites attention à vos pensées: elles sont le commencement de vos actes.

LAO-TSEU.
7

De même que la vie et la destinée d'un homme sont déterminées par ce à quoi nous prêtons le moins d'attention, par ses pensées, la vie des sociétés et des peuples est déterminée non par les événements qui ont lieu dans ces sociétés et ces peuples, mais par les idées qui unissent la plupart des hommes de ces sociétés et de ces peuples.

8

Ne pense pas que seuls les hommes extraordinaires peuvent être sages. La sagesse est nécessaire à tous les hommes, et c'est pourquoi ils peuvent tous être sages. La sagesse consiste à savoir quelle est l'œuvre de la vie et comment l'accomplir. Et pour l'apprendre, il suffit de se rappeler que la pensée est une grande chose, et, par conséquent, réfléchir.

III. —La cause des plus grands malheurs des hommes réside non pas dans leurs actes, mais dans leurs pensées
1

Lorsqu'il t'arrive un malheur, sache que cela ne vient pas de ce que tu as fait, mais de ce que tu as pensé.

2

Les pensées qui provoquent les actes mauvais sont bien plus nuisibles que les actes eux-mêmes. On peut ne pas recommencer une mauvaise action et s'en repentir; tandis que les mauvaises pensées engendrent les mauvaises actions. Une mauvaise action aplanit seulement la route pour les autres mauvaises actions; les mauvaises pensées entraînent sur cette route.

3

Pour qu'un flambeau puisse donner une clarté calme, il faut qu'il soit mis à l'abri du vent. Si le flambeau est exposé au vent, la lumière vacillera et donnera des ombres étranges. Les mêmes ombres tomberont dans l'âme de l'homme lorsque ses pensées seront futiles, vacillantes et incontrôlées.

Sagesse brahmane.
IV. —L'homme est maître de ses pensées
1

Notre vie peut être bonne ou mauvaise, suivant la qualité de nos pensées. Or on peut les gouverner. C'est pourquoi, pour vivre bien, l'homme doit travailler à ses pensées, ne pas écouter les mauvaises.

2

Travaille à purifier tes pensées. Si tu n'as pas de mauvaises pensées, tu ne commettras pas de mauvaises actions.

CONFUCIUS.
3

Tout est dans le pouvoir du Ciel, sauf notre désir de servir Dieu ou nous-mêmes. Nous ne pouvons empêcher les oiseaux de voler au-dessus de nos têtes, mais nous pouvons ne pas les laisser y faire leurs nids. De même, nous ne pouvons empêcher les mauvaises pensées de traverser notre esprit, mais nous avons le pouvoir de ne pas les laisser y faire leur nid pour couver et engendrer de mauvaises actions.

 
LUTHER.
4

On ne peut chasser une mauvaise pensée lorsqu'elle vient à l'esprit, mais on peut comprendre que cette pensée est mauvaise. Et si l'on sait qu'elle est mauvaise, on peut ne pas s'y abandonner. Il nous vient l'idée que tel ou tel autre homme est méchant. Je ne pouvais pas m'empêcher de le penser, mais si j'ai compris que cette idée était mauvaise, je peux me souvenir que c'est mal de médire des gens, que je suis mauvais moi-même, et je peux ainsi me contenir de la médisance, même par la pensée.

5

Si tu veux que ta pensée te serve, tâche de réfléchir indépendamment de tes sentiments et de ta situation, c'est-à-dire de ne pas agir contre tes idées afin de justifier la sensation que tu éprouves, ou la chose que tu as faite ou que tu feras.

V. —Il faut vivre d'une vie spirituelle pour avoir la force de gouverner ses pensées
1

Nous croyons souvent que la plus grande force qui existe au monde est la force matérielle. Nous le pensons, parce que notre corps, que nous le voulions ou non, sent toujours cette force. Mais la force spirituelle, la force de la pensée, nous semble insignifiante, et nous ne la reconnaissons pas pour une force. Cependant, c'est en elle qu'est la vraie force, celle qui modifie notre vie et la vie des autres hommes.

2

Notre vie est meilleure ou plus mauvaise, selon que nous nous reconnaissons notre nature d'êtres charnels ou d'êtres spirituels. Dans le premier cas, nous affaiblissons notre vie réelle, nous développons, nous excitons les passions, la cupidité, la lutte, la haine, la crainte de la mort. Tandis que si nous reconnaissons notre nature d'êtres spirituels, nous exaltons, nous élevons la vie, nous la libérons des passions, de la lutte, de la haine, nous libérons l'amour. Le transfert de la conscience de l'être charnel dans un être spirituel s'effectue au moyen d'un effort de pensée.

3

Voici ce que Sénèque écrivait à un ami: «Tu fais bien, mon cher Lucain, de tâcher de maintenir ton esprit bon et charitable par tes propres forces. Tout homme peut toujours se mettre dans cet état d'âme. Pour cela, on n'a pas besoin d'élever les bras au ciel et de demander au garde du temple la permission de nous approcher de Dieu afin qu'il puisse mieux nous entendre: Dieu est toujours près de nous, Il est en nous. En nous vit le Saint Esprit, témoin et gardien de tout ce qui est bon et de tout ce qui est mauvais. Il agit avec nous comme nous agissons envers Lui. Si nous le soignons, Il nous soigne.»

4

Lorsque, plongés dans nos pensées, nous ne savons pas ce qui est bon et ce qui est mal, nous devons nous retirer du monde; seule la préoccupation de l'opinion du monde nous empêche de voir le bien et le mal. Se retirer du monde – c'est-à-dire rentrer en soi-même, – c'est aider à la dispersion de tous les doutes.

5

Il n'est facile de lutter avec les tentations que lorsqu'on ne leur est pas encore assujetti.

Dans les soucis et l'excitation des tentations, on n'a pas le temps de chercher des remèdes pouvant contrebalancer nos désirs. Etablis tes desseins lorsque les tentations sont absentes, lorsque tu es seul.

BENTHAM.
VI.– La faculté de s'unir par la pensée aux vivants et aux morts est un des grands bienfaits dont jouit l'homme
1

Les jeunes gens disent souvent: «Je ne veux pas vivre d'après les autres, je réfléchirai par moi-même.» Ceci est absolument juste: l'idée à soi est plus chère que toutes les idées des autres. Mais pourquoi réfléchir à des choses auxquelles on a déjà réfléchi? Prends ce qui est prêt et va plus loin. La force de l'humanité consiste en ce qu'on peut profiter des pensées d'autrui et aller plus loin.

2

Les efforts qui libèrent l'homme des péchés, des tentations et des superstitions, s'effectuent avant tout dans la pensée.

L'aide principale de l'homme dans cette lutte consiste en ce qu'il peut se joindre à l'activité raisonnable de tous les sages et de tous les saints de ce monde qui ont vécu avant lui. Cette communion avec les pensées des saints et des sages est la prière, c'est-à-dire, la répétition des paroles par lesquelles ces hommes exprimaient leurs rapports envers leur âme, envers les autres hommes, envers le monde et son principe.

3

Depuis les temps les plus reculés, il est reconnu que la prière est indispensable à l'homme.

Pour les hommes de l'ancien temps, la prière était – et elle l'est encore maintenant pour la plupart d'entre nous – un appel à Dieu, ou aux dieux, fait dans certains endroits et au moyen de certains procédés et expressions, avec l'intention d'apaiser les divinités.

La doctrine chrétienne ne connaît pas ces prières-là. Elle nous apprend que la prière est indispensable, non comme un moyen de nous débarrasser des malheurs de ce monde et d'acquérir des bienfaits, mais comme celui de nous raffermir dans nos bonnes pensées.

4

La vraie prière est importante et nécessaire à l'âme, parce que quand nous nous trouvons ainsi seul avec Dieu, notre pensée s'élève jusqu'au degré suprême qu'elle peut atteindre.

5

Le Christ a dit: lorsque tu pries, reste seul (MATTH. VI, 5-6). Alors seulement, Dieu t'entendra. Dieu est en toi et, pour qu'il t'entende, tu dois chasser tout ce qui te Le cache.

6

Priez à toutes les heures. La prière la plus difficile et la plus nécessaire est celle où l'on doit se souvenir, au milieu du mouvement de la vie, de ses obligations devant Dieu et devant Sa loi.

Tu t'effraies, tu te fâches, tu es confus, tu te passionnes, fais un effort, souviens-toi qui tu es et ce que tu dois faire. C'est en cela que consiste la prière. C'est difficile au début, mais cette habitude peut se former.

7

Il est bon de modifier sa prière, c'est-à-dire l'expression de ses rapports envers Dieu. L'homme grandit constamment, change, et, par suite, ses rapports envers Dieu doivent aussi se modifier et s'éclaircir. La prière aussi doit changer.

VII. —La vie juste est impossible sans un effort de pensée
1

Maîtrise tes pensées si tu veux atteindre ton but. Fixe le regard de ton âme sur l'unique lumière pure qui est exemple de passion.

Sagesse bouddhiste.
2

La réflexion est le chemin de l'immortalité; l'étourderie est le chemin de la mort. Ceux qui veillent dans la réflexion ne meurent jamais; les étourdis, les incroyants sont pareils aux morts.

Eveille-toi toi-même; alors, protégé par toi-même et t'approfondissant toi-même, tu ne changeras pas.

Sagesse brahmane.
3

La vraie force de l'homme n'est pas dans ses élans, mais dans sa tendance ferme et tranquille vers le bien qu'il établit dans ses pensées, exprime par ses paroles et exécute par ses actes.

4

Si tu remarques, en jetant un coup d'œil en arrière sur ta vie, qu'elle est devenue meilleure, plus charitable, plus libre de péchés, de tentations et de superstitions, sache que ce succès n'est dû qu'au travail de ta pensée.

5

Voici ce que Confucius dit de l'importance de la pensée:

La vraie doctrine donne aux hommes le bien suprême: la régénération et la faculté de séjourner dans cet état. Pour obtenir ce bien suprême, il faut que la vie du peuple entier soit bien organisée. Et pour cela, il faut que la famille soit bien organisée; et pour que la famille soit bien organisée, il faut qu'une bonne organisation préside à ta propre vie; et pour cela, il faut que ton cœur soit amélioré; et pour améliorer ton cœur, il faut que tu aies des pensées claires et justes.

VIII. —Seule la faculté de penser distingue l'homme de la bête
1

L'homme se distingue de la bête uniquement parce qu'il possède la faculté de penser. Les uns augmentent cette faculté, les autres ne se soucient pas de cela. Ces gens-là semblent vouloir renoncer à ce qui les distingue de la bête.

Sagesse-orientale.
2

Comparé à la nature qui l'environne, l'homme n'est qu'un faible roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser. Une vapeur, une goutte, suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ceux qui le tuent, parce qu'il sait qu'il meurt; et l'avantage que l'univers a sur lui, c'est que l'univers n'en sait rien.

Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever, non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principal de la morale.

PASCAL.
3

L'homme peut apprendre à lire et à écrire; mais cela ne lui apprendra pas s'il doit ou non écrire une lettre à son ami, ou formuler une plainte contre celui qui l'a offensé. L'homme peut étudier la musique, mais cela ne lui apprendra pas quand on peut jouer et chanter et quand on ne peut le faire. Il en est de même de tout. Seule la raison nous dit où et quand on peut faire les choses et où et quand on ne doit pas les faire.

En nous douant de raison, Dieu a mis à notre disposition ce dont nous avions le plus besoin. En nous accordant la raison, il semblait nous dire: Afin que vous puissiez éviter le mal et profiter des bienfaits de la vie, j'ai mis en vous une parcelle divine de Moi-Même. Je vous ai donné la raison. Si vous l'appliquez à tout ce qui vous arrive, rien ne sera pour vous un obstacle ou une entrave sur le chemin que je vous ai destiné, et jamais vous ne vous plaindrez ni de votre sort, ni des gens; vous ne médirez pas d'eux et vous ne les flatterez point. Ne Me reprochez donc pas de ne pas vous avoir donné davantage. Ne vous suffit-il donc pas de vivre toute votre vie raisonnablement, dans le calme et la joie?

D'après ÉPICTÈTE.
4

Un sage proverbe dit: «Dieu vient vers nous sans sonner.» Cela veut dire qu'il n'y a pas de cloison entre nous et l'infini, qu'il n'y a pas de mur entre l'homme-conséquence et Dieu-cause. Les murs sont tombés, nous sommes exposés aux profondes réactions des facultés divines. Seul le travail de l'esprit tient ouvert l'orifice par lequel nous communiquons avec Dieu.

D'après EMMERSON.
5

L'homme est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite; et tout son devoir est de penser comme il faut; et l'ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin; or, à quoi pense le monde? Jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se bâtir, à se faire roi, sans penser à ce que c'est que d'être roi et que d'être homme.

PASCAL.

CHAPITRE XXIV
L'ABNÉGATION

Le bonheur de l'homme est dans sa communion d'amour avec Dieu et avec ses prochains. Les péchés entravent ce bonheur. La cause des péchés est en ce fait que l'homme met son bonheur à satisfaire les désirs de son corps, et non à aimer Dieu et son prochain. C'est pourquoi le bonheur de l'homme est dans l'affranchissement des péchés. S'affranchir des péchés, c'est faire un effort pour renoncer à la vie charnelle.

I. —La loi de la vie est dans le renoncement à la chair
1

Tous les péchés charnels: la luxure, l'oisiveté, le luxe, l'inimitié, la cupidité, viennent uniquement de ce qu'on reconnaît son corps comme son «moi», de ce qu'on soumet son âme à son corps.

2

«Alors Jésus dit à Ses disciples: si quelqu'un veut venir avec Moi, qu'il renonce à Lui-même, qu'il se charge de sa croix et me suive. Car quiconque voudra sauver sa vie, la perdra; et quiconque perdra sa vie pour l'amour de moi, la trouvera; car que servirait-il à l'homme de gagner tout le monde, s'il perdait son âme? Ou bien, que donnerait l'homme en échange de son âme?»

 
MATTH, XVI, 24-26.
3

«Voici pourquoi Mon Père m'aime: c'est que Je donne ma vie pour la reprendre.

«Personne ne me l'ôte, mais Je la donne de Moi-même; J'ai le pouvoir de la quitter, et le pouvoir de la reprendre. J'ai reçu cet ordre de mon Père».

JEAN, X, 17-18.
4

Le fait que l'homme peut renoncer à sa vie corporelle prouve clairement que l'homme est pourvu de quelque chose en vertu de quoi il renonce.

5

Plus on s'abandonne au charnel, plus on perd le spirituel.

Plus tu renonces au charnel, plus tu reçois de spirituel. Vois lequel des deux t'est plus nécessaire.

6

L'abnégation n'est pas le renoncement à soi-même, mais le transport de son «moi» d un être charnel dans un être spirituel. Renoncer à soi-même, n'est pas renoncer à la vie. Par contre, renoncer à la vie charnelle, c'est augmenter la vraie vie spirituelle.

7

La raison démontre à l'homme que son bonheur ne peut être dans la satisfaction des exigences de sa chair; c'est pourquoi la raison entraîne l'homme irrésistiblement vers le bonheur qui lui est propre, mais qui ne se place pas dans sa vie corporelle.

On pense et on dit généralement que le renoncement à la vie corporelle est un haut fait; ceci n'est pas exact. Ce renoncement n'est pas un exploit, mais une condition inévitable de la vie de l'homme. Pour la bête, le bonheur dans la vie corporelle, et la prolongation de l'espèce qui en découle, est le but suprême de la vie. Mais pour l'homme, cette vie, et la prolongation de l'espèce, n'est qu'un degré de l'existence d'où s'ouvre pour lui le vrai bonheur de la vie, incompatible avec le bonheur de la vie charnelle. Pour l'homme, celle-ci n'est pas toute la vie, mais uniquement une condition de la vraie vie qui consiste en une communion de plus en plus grande avec le principe spirituel de l'univers.

II. —L'imminence de la mort amène nécessairement l'homme à la conscience de la vie spirituelle qui n'est pas assujettie à la mort
1

Lorsqu'un enfant vient de naître, il lui semble qu'il n'y a que lui qui existe au monde. Il ne cède à rien ni à personne, ne veut rien savoir de personne et ne fait que réclamer ce qui lui est nécessaire. Il ne connaît pas même sa mère, il ne connaît que son sein. Mais des jours, des mois, des années passent, et l'enfant commence à comprendre qu'il y a d'autres hommes pareils à lui qui veulent aussi ce qu'il désire pour lui. Et plus il vit, plus il comprend qu'il n'est pas seul au monde et qu'il doit, s'il en a la force, lutter contre les autres hommes pour obtenir ce qu'il désire posséder, ou bien, s'il n'a pas la force, se soumettre à ce qui est. En outre, plus l'homme vit, plus il comprend clairement que sa vie ne dure qu'un temps, et que chaque heure peut se terminer par la mort. Il voit, aujourd'hui, demain, tantôt l'un, tantôt l'autre, emportés par la mort, et il comprend que cela peut également lui arriver à tout instant et que cela arrivera sûrement tôt ou tard. Et alors, l'homme ne peut ne pas comprendre qu'il n'y a pas de vraie vie dans son corps, et que tout ce qu'il pourrait faire dans cette vie pour son corps ne servirait à rien.

Et lorsque l'homme aura clairement compris tout cela, il comprendra également que l'esprit qui vit en lui n'est pas uniquement en lui, mais en tous les hommes, dans tout l'univers, que cet esprit est l'Esprit de Dieu. Et ayant compris cela, l'homme n'attachera plus d'importance à sa vie corporelle et fondera le but de sa vie sur la communion avec l'Esprit de Dieu, avec ce qui est éternel.

2

La mort, la mort, la mort nous guette à tout instant. Notre vie s'accomplit en vue de la mort. Si vous travaillez pour votre vie charnelle à venir, vous savez qu'une seule chose vous attend dans l'avenir: la mort. Et cette mort détruit tout ce à quoi vous avez travaillé. Vous direz que vous travaillez pour le bien des générations à venir; mais elles disparaîtront également et il n'en restera rien. Par conséquent, la vie, dans un but matériel, ne peut avoir aucun sens. La mort détruit toute cette vie. Pour que la vie ait un sens, il faut que la mort ne puisse pas détruire l'œuvre de la vie. Et c'est cette vie-là que le Christ révèle aux hommes. Il montre aux hommes qu'à côté de la vie charnelle, qui n'est qu'une apparence de la vie, il est une autre vie, la vraie, qui donne le véritable bonheur à l'homme, et que chaque homme connaît cette vie dans son cœur. La doctrine du Christ indique l'illusion de la vie personnelle, la nécessité d'y renoncer et de reporter le sens et le but de la vie dans une vie juste, la vie de l'humanité entière, dans la vie du Fils de l'homme.

3

Pour comprendre la doctrine du Christ indiquant le salut de la vie, il faut bien comprendre ce que disaient tous les prophètes, ce que disait Salomon, ce que disait Bouddha, ce que disaient tous les sages du monde entier sur la vie individuelle de l'homme. On peut, suivant l'expression de Pascal, ne pas y penser, porter devant soi des petits écrans qui cacheraient au regard l'abîme de la mort auquel nous courons tous; mais il n'y a qu'à réfléchir à ce qu'est la vie corporelle individuelle pour se persuader que toute cette vie, si elle n'est que matérielle, n'a non seulement aucun sens, mais encore n'est qu'une mauvaise plaisanterie aux dépens du cœur, de la raison de l'homme et de tout ce qu'il y a de bon en lui. C'est pourquoi, pour comprendre la doctrine du Christ, il faut tout d'abord reprendre ses sens, réfléchir, afin qu'il se fasse en nous ce que dit Jean, le précurseur du Christ, en prêchant sa doctrine à des gens égarés comme nous: «Repentez-vous avant tout, c'est-à-dire, revenez à vous; sinon, vous périrez tous.»

«Lorsqu'on eut raconté au Christ comment ont péri les Galiléens par la main de Pilate, il dit: «Pensez-vous que ces Galiléens avaient commis plus de péchés que tous les Galiléens pour avoir souffert ainsi? Je vous dis que non; mais si vous ne vous repentez pas, vous périrez tous ainsi. La mort inévitable est devant vous tous. Nous tâchons vainement de l'oublier, mais cela ne nous permettra pas de l'éviter; au contraire, lorsqu'elle viendra par surprise, elle sera plus affreuse encore. Il n'y a qu'un seul moyen de salut: c'est de renoncer à la vie qui meurt et de vivre de celle pour laquelle il n'y a pas de mort.»

4

Celui qui ne voit pas son «moi» dans son corps mourant, connaît la vérité de la vie.

Sagesse bouddhiste.
5

«C'est pourquoi je vous dis: ne soyez point en souci pour votre vie, de ce que vous mangerez et de ce que vous boirez; ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?

Regardez les oiseaux de l'air; car ils ne sèment ni moissonnent, ni n'amassent dans des greniers, et votre Père Céleste les nourrit. N'êtes-vous pas beaucoup plus qu'eux?

Et qui est-ce d'entre vous qui, par son souci, puisse ajouter une coudée à sa taille?

Ne soyez donc point en souci, disant que mangerons-nous, que boirons-nous et de quoi serons-nous vêtus.

Mais cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous serons données par surcroît.

Ne soyez donc point en souci du lendemain; car le lendemain aura le souci de ce qui le regarde: «à chaque jour suffit sa peine».

MATTH., VI, 25-37, 31, 33-34.
III. —Le renoncement à son «moi» corporel révèle Dieu dans l'âme de l'homme
1

Plus l'homme renonce à son «moi» corporel, plus Dieu se révèle à lui. Le corps cache Dieu à l'homme.

2

Si tu veux arriver à connaître le «moi» universel, tu dois, avant tout, apprendre à te connaître toi-même. Et pour cela, tu dois sacrifier ton «moi» au «moi» universel.

Sagesse brahmane.
3

Si tu méprises le monde, ce n'est pas un grand mérite. Pour celui qui vit selon Dieu, lui-même et le monde seront toujours rien.

ANGÉLUS.
4

Le renoncement à la vie corporelle est précieux, nécessaire et joyeux uniquement lorsqu'il est religieux, c'est-à-dire, lorsque l'homme renonce à lui-même, à son corps, afin d'accomplir la volonté du Dieu qui vit en lui. Mais lorsque l'homme renonce à la vie corporelle, non pour exécuter la volonté de Dieu, mais pour accomplir sa volonté à lui et celle des hommes qui sont pareils à lui, une telle abnégation n'est ni précieuse, ni nécessaire, ni joyeuse, mais uniquement nuisible à lui-même et aux autres.

5

Si vous tâchez de plaire aux hommes pour qu'ils vous soient reconnaissants, vous travaillerez en vain. Mais si vous faites du bien aux autres sans songer à eux, pour Dieu, vous vous ferez du bien, et les autres vous seront reconnaissants.

Dieu se souvient de celui qui ne pense pas à lui-même, et Dieu oublie celui qui pense à lui-même.

6

C'est seulement quand notre corps meurt, que nous ressuscitons en Dieu.

7

Si tu n'attends rien et que tu ne veux rien recevoir des autres hommes, ceux-ci ne peuvent pas te faire peur, de même qu'une abeille ne craint pas une autre et qu'un cheval n'a pas peur d'un autre. Mais si ton bonheur est dans le pouvoir des autres hommes, tu les craindras sûrement.

C'est par là que l'on doit commencer: il faut renoncer à tout ce qui ne nous appartient pas, y renoncer au point qu'il ne soit pas notre maître, renoncer à tout ce qui est nécessaire au corps, renoncer à l'amour de la richesse, de la gloire, des fonctions, des honneurs, renoncer à ses enfants, à sa femme, à ses frères. Tu dois te dire que tout cela n'est pas ta propriété.

Mais comment arriver à cela? Subordonner sa volonté à la volonté de Dieu: s'Il veut que j'aie la fièvre – je le veux aussi. S'il veut que je fasse ceci et non pas cela – je le veux aussi. S'Il veut qu'il m'arrive une chose à laquelle je ne m'attendais pas – je le veux aussi.

ÉPICTÈTE.
8

La volonté propre ne se satisfera jamais, quand elle aurait pouvoir de tout ce qu'elle veut; mais on est satisfait dès l'instant qu'on y renonce. Sans elle, on ne peut être content. La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable, pour l'aimer. Mais, comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous, et cela est vrai d'un chacun de tous les hommes. Or, il n'y a que l'être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est nous (Luc, XVII, 21); le bien universel est en nous-mêmes et ce n'est pas nous.