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Ma conversion; ou le libertin de qualité

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Ma conversion; ou le libertin de qualité
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Monsieur Satan,

Vous avez instruit mon adolescence; c'est à vous que je dois quantité de tours de passe-passe qui m'ont servi dans mes premières années.

Vous savez si j'ai suivi vos leçons, si je n'ai pas sué nuit et jour pour agrandir votre empire, vous fournir des sujets nouveaux.

Mais, Monsieur Satan, tout est bien changé dans ce pays; vous devenez vieux; vous restez chez vous; les moines même ne peuvent vous en arracher. Vos diablereaux, pauvres hères! n'en savent pas autant que des récits infidèles, parce que nos femmes les attrapent et les bernent.

Je trouve donc une occasion de m'acquitter envers vous; je vous offre mon livre. Vous y lirez la gazette de la cour, les nouvelles à la main des filles, des financiers et des dévotes. Vous serez instruit de quelques tours de bissac où, tout fin diable que vous êtes, vous auriez eu un pied de nez. Mais que votre chaste épouse n'y fourre pas le sien; car aussitôt cornes de licornes s'appliqueraient sur votre front séraphique.

Défiez-vous surtout de ces grandes manches à gros vit, et ne laissez pas aller votre femme en confrérie sans une ceinture. Cependant, que la jalousie ne trouble pas votre repos; car voyez-vous, Monsieur Satan, si elle le veut, cocu serez, et quand vous la mettriez en poche, s'y foutrait-elle par la boutonnière.

Puissent les tableaux que j'ai l'honneur de mettre sous vos yeux ranimer un peu votre antique paillardise. Puisse cette lecture faire branler tout l'univers!

Daignez recevoir ces voeux comme un témoignage du profond respect avec lequel je suis,

Monsieur Satan,

de votre altesse diabolique

le très humble, très obéissant

et très dévoué serviteur,

CON-DESIROS.

Jusqu'ici, mon ami, j'ai été un vaurien; j'ai couru les beautés, j'ai fait le difficile: à présent, la vertu rentre dans mon coeur; je ne veux plus foutre que pour de l'argent; je vais m'afficher étalon juré des femmes sur le retour, et je leur apprendrai à jouer du cul à tant par mois.

Il me semble déjà voir une dondon, qui n'a plus que six mois à passer pour finir sa quarantaine, m'offrir la molle épaisseur d'une ample fressure. Elle est fraîche encore dans sa courte grosseur; ses tétons rougissants d'une substance très abondante sont d'accord avec ses petits yeux pour exprimer tout autre chose que de la pudeur; elle me patine la main; car la financière, comme son mari, patine tout et toujours; je rougis: ah! voyez comme cela me va, comme mes yeux s'animent, comme mon pucelage m'étouffe; car vous noterez que j'ai mon pucelage et que je cherche à me faire élever. On m'offre plus que je ne veux; les agaceries sont de vraies orgies… Foin! je ne bande point… Je deviens triste; mes malheurs me tourmentent; des créanciers avides… Pendant ce temps-là, ma main erre; elle s'anime; quelle légèreté! comme la cadence est brillante! Ma voix exprime l'adagio d'un presto vigoureux et soutenu. Ah! mon ami, voyez cul de ma dondon, comme il bondit!… Sa poitrine siffle, son gosier se serre, son con décharge, elle est en fureur, elle veut m'entraîner… Là, là, tout doux… La douleur me ressaisit… On me fait des offres: hélas! comment se résoudre à accepter d'une femme à qui on voudrait témoigner le sentiment le plus pur! On redouble; je pleure: l'or paraît. L'or!… Sacredieu! je bande et je la fous.

Mais ma chaste dondon en paie plus d'un; aussi, bientôt après ma facile victoire, je me fais présenter chez Mme Honesta (famille presque éteinte). Tout y respire la pudeur et l'honnêteté; tout prêche l'abstinence, jusqu'à son visage, dont la tournure, quoique assez piquante, n'a cependant aucun de ces détails qui inspirent la tendresse.

Mais elle a des yeux, de la physionomie, une taille qui serait trop maigre, si toute l'habitude du corps ne s'y proportionnait pas. Je ne louerai pas sa gorge, quoiqu'une gaze qui s'est dérangée m'ait permis d'entrevoir du lointain; ses bras sont un peu longs, mais ils sont flexibles, on pourrait souhaiter une jambe plus régulière; telle qu'elle est, un joli pied la termine. Nous avons les grands airs, des nerfs, des migraines, un mari que l'on ne voit qu'à table, des gens discrets, de l'esprit bizarre, capricieux, mais vif, mais quelquefois ne ressemblant qu'à soi… Pardieu! allez-vous me dire, celle-là ne vous paiera pas… Oh! que si! parce qu'elle est vaniteuse, parce qu'elle se pique de générosité, parce qu'elle veut primer.

D'abord, vous imaginez bien que nous faisons du respect, de l'esprit, des pointes, des calembours; que madame a raison, que tout chez elle est au mieux possible… Irai-je à sa toilette? Pourquoi non?… Je placerai une mouche; je donnerai à cette boucle tout le jeu dont elle est susceptible… Un chapeau arrive… Bon dieu! les grâces l'ont inventé; le dieu du goût lui-même a placé les fleurs, et tous les zéphyrs jouent dans les plumes qui le couvrent. Comme cette gaze prune-de-monsieur coupe avec ce vert anglais… Mais qui l'a envoyé?… Vous sentez que je suis le coupable; et pourquoi un coupable ne rougirait-il pas?… Je suis trahi, déconcerté, boudé… Victoire, que son emploi de femme de chambre, quelques baisers des plus vifs et un louis ont mise dans mes intérêts, les plaide en mon absence… Ah! Madame, si vous saviez ce que l'on me dit de vous!… Combien ce monsieur est aimable! Il vaut bien mieux que votre chevalier, et je suis sûre qu'il ne vous coûterait qu'une misère… Il n'est pas joueur, je le sais de son laquais; c'est un coeur tout neuf. – Mais crois-tu que je sois assez aimable pour… – Ah! Dieu! Madame, comme ce chapeau est tourné! Vous voilà à l'âge de vingt ans. – Tais-toi, folle, sais-tu que j'en ai trente, et passés?… (Pardieu, oui, passés, et il y a dix ans que cela est public…) Je reviens l'après-midi; on est seule: pourquoi ne le serait-on pas? Je demande pardon en offensant davantage; on s'attendrit, je me passionne; on se… (foutre! attendez donc… cette femme-là est d'une précipitation à me faire perdre les frais de mon chapeau.) Vous sentez bien que mon laquais n'est pas assez bête pour ne pas me faire avertir que le ministre (ah! pardieu! tout au moins) m'attend. Je jette un coup d'oeil assassin; j'embrasse cette main qui tremble dans la mienne… Je me relève et je pars.

Pendant ce temps-là, je fais connaissance avec une de ces femmes qui, blasées sur tout, cherchent des plaisirs à quelque prix que ce soit. Elle me fait des avances, parce que son honneur, sa réputation, la bienséance… Tout cela est aussi loin que sa jeunesse. Nous sommes bientôt arrangés; elle me paie, je la lime; car je ne veux, sacredieu! pas décharger… Mon infante le sait; les tracasseries viennent. Ah! doux argent! je sens que ton auguste présence!… Enfin, on se détermine; il y a déjà quinze mortels jours qu'on languit. Je fais entendre, modestement, que la reconnaissance m'attache, que j'ai des obligations d'un genre… N'est-ce que cela?… On me paie au double; et dès lors je suis quitte avec ma messaline; je vole dans les bras qui m'ont comblé de bienfaits nouveaux, et je goûte… non pas du plaisir… mais la satisfaction de prouver que je ne suis pas ingrat.

Las! que voulez-vous? Quand on a engraissé la poule, elle ne pond plus; les honoraires se ralentissent, et je dors. – Comment! tu dors? – Oui, la nuit, et, qui plus est, le matin… Ce matin chéri qui anime l'espérance, qui éclaire les combats amoureux. On se plaint, je me fâche; on me parle de procédés, d'ingratitude, et je démontre que l'on a tort, car je m'en vais.

Dieu Plutus, inspire-moi!… Un dieu m'apparaît; mais il n'est point chargé de ses attributs heureux: c'est le dieu du conseil, le diligent Mercure, il me console et m'envoie chez M. Doucet. Vous ne le connaissez sûrement pas: or, écoutez.

Une taille qu'une soutane et un manteau long font paraître dégagée; un visage qui rassemble la maturité de l'âge, l'embonpoint et la fraîcheur; des yeux de lynx, une perruque adonisée; l'esprit en a tracé la coupe; sa physionomie ouverte, mais décente, répand l'éclat de la béatitude; il ne se permet qu'un sourire, mais ce sourire laisse voir de belles dents… Tel est le directeur à la mode; les troupeaux de dévotes abondent, les consultations ne tarissent pas.

Mais il existe des privilégiées, de ces femmes ensevelies dans un parfait quiétisme de conscience et dont la charnière n'en est que plus mobile. Le père en Dieu cache sous un maintien hypocrite une âme ardente et de très belles qualités occultes… Vous vous doutez bien que c'est à ces femmes qu'il faut parvenir. Je m'insinue donc dans la confiance du bonhomme, je lui découvre que je suis presque aussi tartuffe que lui: il m'éprouve; et quand toutes ses sûretés sont prises, il m'introduit chez Mme ***.

C'est là que la sainteté embaume, que le luxe est solide et sans faste, que tout est commode, recherché sans affectation… Mais, quoi! un jeune homme chez une femme de la plus haute vertu!… Eh! Justement; c'est afin de ne pas perdre la mienne; car vous noterez que je dois en avoir au moins autant que d'impudence. Mes visites s'accumulent, la familiarité s'en mêle, et voici une des conversations que nous aurons, j'en suis sûr.

A la sortie d'un sermon (car j'irai, non pas avec elle, mais je serai placé tout auprès, les yeux baissés, jetant vers le ciel des regards qui ne sont pas pour lui), à la sortie d'un sermon duquel elle m'a ramené, je commencerai par la critique de toutes les femmes rassemblées autour de nous. Notez que les questions viennent de ma béate. – Comment avez-vous trouvé Mme une telle? – Ah! Bon dieu! elle avait un pied de rouge. – Pourtant, elle est jolie. – Elle aurait de vos traits, si elle ne les défigurait pas; mais le rouge… cependant, je lui pardonne; elle n'a ni votre teint, ni vos couleurs… (croyez-vous qu'à ces mots elles n'augmenteront pas?) – Par exemple, la comtesse n'était pas habillée dûment. – Du dernier ridicule, elle montre une gorge! Et quelle gorge! Je ne connais qu'une femme qui eût le droit d'étaler de pareilles nudités. Au moins nous verrions des beautés. (remarquez ce coup d'oeil sur un mouchoir dont les plis laissaient passage à ma vue… Un autre coup d'oeil me punit, et je deviens timide, décontenancé.) – Que pensez-vous du sermon? – Moi, je vous l'avouerai, j'ai été distrait, inattentif. – Cependant, la morale était excellente. – J'en conviens; mais présentée d'une manière si froide! une belle bouche est bien plus persuasive. Par exemple, quel effet ne font pas sur moi vos exhortations! Je me sens plus animé, plus fort, plus courageux… hélas! vous me faites aimer la vertu parce que je vous aime… (Ah! mon cher ami, voyez-moi tremblant, interdit; la pâleur couvre mon visage… Je demande pardon… Plus on me l'accorde, plus j'exagère ma faute, afin de ne pas être coupable à demi…) Ma dévote se remet plus promptement; cependant, elle est encore émue, elle me propose de lire, et c'est un traité de l'amour de Dieu. Placé vis-à-vis d'elle, mon oeil de feu la parcourt et l'épie: je paraphrase, je compose; ce n'est plus un sermon, c'est du Rousseau que je lui débite… Je saisis l'instant, un oratoire est mon boudoir, et je suis heureux.

 

Mais l'argent! l'argent! – Foutre, un moment; laissez-nous décharger… Quelle jouissance qu'une dévote! Que de charmants riens! Comme cela vous retourne! Quel moelleux! Quels soupirs!… Ah! ma bonne sainte vierge!… ah! mon doux Jésus!… Ami, sens-tu cela comme moi?

Mais l'argent! Eh! me croyez-vous assez bête pour aller faire un mauvais marché? Nenni…

Quelque sot…

Je revois mon cafard, je lui raconte le tout; il est discret; il perdrait trop à ne pas l'être, et c'est lui qui va me servir; bien entendu qu'il aura son droit de commission.

Depuis trois jours, ma dévote, en abstinence, n'a eu pour ressource que son godemiché. Le père en Dieu arrive. —Hélas! ce pauvre jeune homme! il est encore retombé dans le vice! des femmes perdues l'entraînent… (Quel coup de poignard! ) – Ah! mon père, quel dommage! il a un bon fond! – Madame, ce n'est pas sa faute; il y a même en lui une espèce de vertu, car il est franc. "Monsieur, m'a-t-il dit, j'ai des dettes d'honneur, ma conscience me tourmente; je vais me perdre peut-être, je serai la victime de mon devoir… Hélas! ce qui me perce l'âme, c'est de quitter Madame. (Ici elle baisse les yeux.) Cette femme est adorable; elle possède mon coeur… N'importe, il faut la fuir… Etoile malheureuse! déplorable destin!" Voilà, madame, ce qu'il m'a dit les larmes aux yeux… On me plaint; on parle d'autre chose, on revient… – Mais à quoi montent ces dettes? – Trois cents louis…

Et vous croyez qu'une femme qui connaît mes caresses et mes reins, qui est sûre du secret, qui ne me trouve pas un butor, qui aime surtout les variantes, ne me les enverra pas le lendemain?

Je vous vois d'ici faire le moraliste: mais cela est odieux; l'amour pur est généreux; vous êtes un fripon… Foutre! vous badinez, vous gâteriez le métier; elle a trente-six ans, j'en ai vingt-quatre; elle est encore bien, mais je suis mieux; elle met de son côté du tempérament et de l'argent, moi de la vigueur et du secret… Ne voilà-t-il pas compensation?

D'ailleurs, voulez-vous que je m'acquitte? Je lui fais l'honneur de l'afficher. Elle quitte sa dévotion; je la rends à la société, à elle-même; elle change d'état, enfin… Non, je me trompe, elle ne change que de robe et de coiffure.

Voilà ma dévote dans le monde, et par mes soins. – Mais il valait bien mieux la laisser dans son obscurité: vous allez la perdre, on vous l'enlèvera. – J'ai d'autres projets peut-être; son argent est consommé, ses diamants sont vendus, mon caprice est passé… Vous verrez cependant que, pour me faire enrager, elle s'avisera d'être fidèle; il faut que je prenne la peine d'avoir des torts avec elle. – Vous en aurez bientôt. – Non; car voici ma conclusion: "Madame, je ne rappellerai point vos bontés, elles me sont chères, et mon coeur aime à vous avoir des obligations que toute autre ne m'eût pas fait contracter; mais plaignez-moi; c'est ma reconnaissance qui me coûtera la vie; c'est le soin de votre gloire qui va détruire mon bonheur. Je vous dois de cesser des visites qui vous compromettraient: hélas! je sais trop qu'en prononçant cette séparation funeste, je dicte mon arrêt."

Puissances du ciel! combien vous êtes attestées!

A force de singeries, je parviens à m'attendrir; ma dulcinée verse tour à tour les larmes de la douleur et celles du plaisir: ma fuite est combinée par des points d'arrêt sur tous les sophas des appartements, et c'est à sa dernière extase que je me sauve.

Parbleu! voilà bien des façons. – Pauvre sot tu ne vois donc pas que cette femme fait ma réputation pour l'éternité; je n'ai plus besoin de me vanter, je n'ai qu'à lui en laisser le soin, et je suis le phénix des oiseaux de ces bois. D'ailleurs, je n'ai pas perdu la tête; elle est amie intime de la présidente de ***, et depuis longtemps je lorgne cette riche veuve; elle ne manquera pas d'être la confidente de ma délaissée, et me croyez-vous assez novice pour n'avoir pas persuadé à celle-ci que ce serait un moyen de nous voir encore; à l'autre, que je ne quitte madame une telle que pour ses beaux yeux.

Tout réussit à mon gré… mais il faut que je les brouille… allons, discorde, vole à ma voix… On se pique, on se refroidit, les deux inséparables ne se voient plus; la présidente exige que j'embrasse son ressentiment; je me fais valoir, je deviens exigeant à mon tour. Que ne peut le désir de la vengeance! on se livre à moi pour faire pièce à sa bonne amie.

La présidente a trente-cinq ans, et n'en paraît pas plus de vingt-huit; elle est bien conservée, mais sans affectation. Ce serait une petite-maîtresse, si le jargon ne l'ennuyait pas. Elle a de l'esprit avec les femmes, de la gentillesse avec les hommes, beaucoup de retenue dans le public, un ton de femme de qualité et des dehors imposants.

Dans le particulier, je n'ai guère connu de tempérament plus vif, plus soutenu, et en même temps plus varié. Ses caresses sont séduisantes, parce qu'elles sont franches, et vingt fois j'ai été tenté de l'aimer. Au reste, elle n'est pas sans défaut: elle a une profonde vénération pour elle-même; ses décisions sont des oracles, ses préceptes, des lois; je n'ai rien vu de si impérieux. Il est vrai qu'elle y joint l'adresse et que souvent vous croyez faire votre volonté en ne suivant que la sienne.

Sa société, qui nous devine, ne tarde pas à me fêter, je suis le saint du jour; elle a de la confiance en moi: rien n'est bien si je ne l'ai conseillé. Nous passons ainsi six mortelles semaines. J'oubliais qu'elle veut être la confidente de mes affaires. Un jour, j'arrive chez elle; mon oeil est agité. – "Mais, qu'as-tu donc, mon ami? tu es bien sombre. – Quoi! dis-je (en m'efforçant de sourire), pourrais-je apporter chez vous de l'humeur?…" On me persécute, je m'obstine à me taire, j'ai des distractions que le monde qui abonde pour le souper ne saurait détruire: on me propose une partie, je la refuse, et je sors à minuit en m'échappant.

Voilà qui est bien simple, direz-vous; qui n'en ferait autant?… Je vous le donne en dix: écoutez seulement.

Est-ce que mon laquais, qui est un crispin des mieux dégourdis, n'a pas eu l'esprit de foutre la femme de chambre pour éviter l'ennui? Or, ce jour-là, il est presque aussi triste que moi; sa charmante le presse autant que la mienne, et comme il est d'un naturel confiant, il avoue que la nuit dernière j'ai soupé chez la duchesse une telle, que l'on m'a fait, malgré moi, tailler un pharaon; que le jeu était diabolique, que j'ai perdu énormément, et qu'étant peu riche, je suis étrangement incommodé; mais, ce qui me tourmente, c'est d'avoir été obligé de mettre en gage le diamant que m'a donné la présidente. Hélas! cette bague n'a pas même été suffisante avec tous mes bijoux pour dégager ma parole, et je suis sans un sou!

Il retombe ensuite sur lui-même, car le drôle est presque aussi coquin que moi: on l'a forcé aussi de jouer, et sa montre est avec mes effets chez Madame La Ressource. La pauvre Adélaïde, qui aime le pendard, tire de son armoire quarante écus, qui composent sa petite fortune et sont même le fruit de mes dons. Le scélérat les empoche; mais il y a bien un autre manège.

J'ai aperçu des chuchotages de la présidente à sa femme de chambre, des allées, des venues: c'est que l'on a conté tout cela à madame; que madame a fait répéter tout cela à mon bandit, et que sur-le-champ elle lui a remis cinq cents louis. – Douze mille francs? – En or, vous dis-je, pour aller tout dégager et fournir le supplément…

Quand je sors, je retrouve mon fourbe dans mon carrosse, et nous portons le magot en triomphe chez moi. – Comment! tout cela n'était pas vrai? – Mais d'où diable viens-tu donc? C'est incroyable! tu ne te formes point; mais aiguise donc ton intelligence.

Le lendemain, à sept heures, en déshabillé leste, je cours chez la présidente; une joie douce brille dans ses yeux; j'ai son diamant au doigt… Je veux la faire parler (car vous noterez que, sous peine de la vie, mon laquais ne doit m'avoir rien avoué), elle me fait un mensonge avec toute l'adresse, toute la noblesse de la générosité; mais elle voit bien, à la vivacité de mes caresses, que la reconnaissance les enflamme et que je ne suis pas sa dupe. Un peu remis de mes transports, je parle de bienfaits; on m'impose silence, en me disant que si l'on avait été assez heureuse pour me rendre un service, j'en ôterais tout l'agrément.

Dieu! comme ma voix est touchante!

Comment, monstre! tant d'amour et de générosité ne te touche pas? Si fait pardieu! et pour lui montrer ma gratitude (un peu aussi pour m'en débarrasser), je la marie avec un homme de ma connaissance qui la rend la femme la plus heureuse de Paris. D'amants que nous étions, nous devenons amis, et je vole, non pas à de nouveaux lauriers, mais à de nouvelles bourses.

Dégoûté de l'amour parfait, de la jouissance méthodique de la dévote et de la présidente, je languissais tristement, quand mon bon ange me conduisit chez Madame Saint-Just (fameuse maquerelle pour les parties fines, rue Tiquetonne); je lui annonce que je suis vacant et surtout que le diable est dans ma bourse; elle me présente sa liste; parcourons-la:

1 Mme La Baronne de Conbâille… Foutre! voilà un beau nom. Qui est-ce que cette femme-là? – C'est une petite provinciale qui est venue à Paris dépenser cinquante ou soixante mille francs qu'elle amassait depuis dix ans. – En reste-t-il encore beaucoup? – Non. – Passons; pourquoi cette bougresse-là s'avise-t-elle de prendre un nom de cour?

2 Mme de Culsouple. – Combien donne-t-elle? – Vingt louis par séance. – Paie-t-elle d'avance? – Jamais, et puis ce n'est pas votre affaire: elle est trop large.

3 Mme de Fortendiable. – Tenez, voilà ce qu'il vous faut. C'est une américaine, riche comme Crésus; et si vous la contentez, il n'y a rien qu'elle ne fasse pour vous. – Eh bien! tu me présenteras. – Demain, si vous voulez. – Ici? – Dans son hôtel même. – Ce nom-là a quelque chose d'infernal qui me divertit. – Je rends la liste, quand, d'un air de mystère, la bonne Saint-Just m'adresse cette exhortation: "Mon cher ami, vous avez beaucoup vu de jeunesses: qu'y avez-vous gagné? la vérole. Pourquoi ne pas écouter les conseils de la sagesse? J'ai dans ma maison une vraie fortune, une vieille. – Le diable te foute! – Eh! que votre souhait s'accomplisse! Encore mieux vaut lui que rien; mais il ne s'agit pas de cela, je vous parle d'un trésor: fiez-vous à moi, et nous la plumerons. – Allons, je le veux bien: je m'en rapporte à ta prudence." En attendant, je me rends le lendemain, à sept heures du soir, chez mon américaine. Je trouve de la magnificence, un gros luxe, beaucoup d'or placé sans goût, des ballots de café, des essais de sucre, des factures, enfin un goût de mariné que je n'ai, sacredieu! que trop reconnu dans mainte occasion.

Ce qui me tourmentait était d'entendre, dans un cabinet voisin, une voix d'homme dont les gros éclats me mettaient en souci; enfin, la porte s'ouvre: qui serait-ce? ma déesse… Mais, foutre! quelle femme!

Imaginez-vous un colosse de cinq pieds six pouces; des cheveux noirs et crépus ombragent un front court, deux larges sourcils donnent plus de dureté à des yeux ardents, sa bouche est vaste; une espèce de moustache s'élève contre un nez barbouillé de tabac d'Espagne; ses bras, ses pieds, tout cela est d'une forme hommasse, et c'est sa voix que je prenais pour celle du mari.

– Foutre! dit-elle à la Saint-Just, où as-tu pêché ce joli enfant? Il est tout jeune; mais qu'il est petit! N'importe, petit homme, belle queue… Pour faire connaissance, elle m'embrasse à m'étouffer. – Sacredieu! il est timide! Oh! c'est un garçon tout neuf. Nous le ferons… Mais est-ce que tu es muet? – Madame, lui dis-je, le respect… (j'étais abasourdi.) – Eh! tu te fous de moi avec ton respect… Adieu, Saint-Just. Ca, ça, je garde mon fouteur: nous soupons et couchons ensemble.

 

Nous restons seuls, ma belle se plonge sur un sopha; sans m'amuser à la bagatelle, je saute dessus; dans un tour de main, la voilà au pillage. Je trouve une gorge d'un rouge-brun, mais dure comme marbre, un corps superbe, une motte en dôme, et la plus belle perruque… Pendant la visite, ma belle soupirait comme un beugle; semblable à la cavale en furie, son cul battait l'appel et son con la chamade… Sacredieu! une sainte fureur me transporte; je la saisis d'un bras vigoureux, je la fixe un moment, je me précipite… O prodige!… Ma bougresse est étroite… En deux coups de reins, j'enfonce jusqu'aux couillons… Je la mords… Elle me déchire… Le sang coule… Tantôt dessus, tantôt dessous, le sopha crie, se brise, tombe… La bête est à bas; mais je reste en selle; je la presse à coups redoublés… Va, mon ami… va… foutre!… ah!… ah!… va fort… ah!… bougre!… ah!… que tu fais bien ça! Ah! Ah! Ah!… sacredieu! ne m'abandonne pas… ho, ho, ho, encore… encore!… v'là que ça vient… à moi, à moi… enfonce… enfonce!…

Sacrée bougresse! son jeanfoutre de cul, qui va comme la grêle, m'a fait déconner… Je cours après… mon vit brûle… Je la rattrape par le chignon (ce n'est pas celui du cou), je rentre en vainqueur. – Ah! dit-elle, je me meurs. – Foutue gueuse (je grince des dents!…) si tu ne me laisses pas décharger, je t'étrangle… Enfin, haletante, ses yeux s'amollissent; elle demande grâce. – Non, foutre!… point de quartier… Je pique des deux… ventre à terre… Mes couilles en fureur font feu; elle se pâme… Je m'en fous, et je ne la quitte que quand nous déchargeons tous deux le foutre et le sang ensemble…

Il est temps, je crois, de remettre sa culotte.

Un peu rendus à nous-mêmes, ma housarde me félicite en se congratulant; elle va faire bidet, et moi je relève le sopha du mieux que je puis. – Que fais-tu là? me dit-elle en rentrant. Mon ami, mes gens sont accoutumés à cela, et j'ai un valet de chambre tapissier qui fait la revue tous les matins. – Vous pensez bien que nous ne parlons pas sentiment. Est-ce qu'elle s'embarrasse de ces foutaises-là! Nous voyons sa maison, son magasin, qui est de l'or en barre; les trésors des trois parties du monde s'y rassemblent… Enfin, nous arrivons dans un cabinet; elle ouvre un coffre… Tiens, me dit-elle, prends ce portefeuille… (Je fais des façons…) Allons, foutre! quand on bande comme toi, on a le moyen d'acquitter ces bagatelles… Je le mets dans ma poche, non sans avoir remarqué qu'il contient pour cinq cents louis de bonnes lettres de change… Voilà ce qui s'appelle des douceurs.

Nous soupons: ma foi, j'en avais besoin. C'est elle qui me sert des morilles, des truffes au coulis de jambon, des champignons à la marseillaise; au dessert, les pastilles les plus échauffantes, sans oublier les liqueurs de Mme Anfou… De la table nous nous élançons au lit, et de la vie, je crois, on n'a vu pareille scène.

Rendez-vous pris au surlendemain, j'arrive… Madame est malade. Hélas! Et c'est tout simple; elle avait excessivement chaud quelque chose que j'aie dit, elle a voulu que j'ouvrisse la fenêtre au mois de janvier. Une fluxion de poitrine l'enterre en trois jours… O douleur!… Je vais lui dire un de profundis chez la Saint-Just.

Après avoir essuyé ses larmes et ses doléances (car elle me proteste que ma princesse était une de ses meilleures pratiques), je l'assure que, très touché de cet accident funeste, j'ai fait des réflexions, et qu'ayant toujours honoré la vieillesse, je viens lui demander ses bons offices pour me consacrer au service de la douairière dont elle m'a parlé. Nous prenons jour, et j'obtiens sous huitaine l'avantage d'être introduit chez Mme In Aeternum. On m'avait prévenu qu'elle était fort riche, en sorte que la grandeur de l'hôtel, la beauté des livrées et des ameublements ne me firent pas d'effet; au contraire, j'en dévorais d'avance la substance… Eh! sacredieu! la fée ne devait-elle pas s'alimenter de la mienne?

Le tête-à-tête était ménagé, l'on m'attendait, j'avais relevé mes appas: à force de vouloir réparer les siens, ma vieille était encore à sa toilette, asile impénétrable; je suis introduit, en attendant, dans un boudoir lilas et blanc; des panneaux placés avec art réfléchissaient en mille manières tous les objets, et des amours dont les torches étaient enflammées éclairaient ce lieu charmant. Un sopha large et bas exprimait l'espérance par les coussins vert anglais dont il était couvert; la vue se perdait dans les lointains formés par les glaces et n'était arrêtée que par des peintures lascives que mille attitudes variées rendaient plus intéressantes; des parfums doux faisaient respirer à longs traits la volupté; déjà mon imagination s'échauffe, mon coeur palpite, il désire; le feu qui coule dans mes veines rend mes sens plus actifs… La porte s'ouvre, une jeune personne s'offre à mes yeux; un négligé modeste, une simplicité naïve, des charmes qui n'attendent pour éclore que les hommages de l'amour, des détails délicieux… Telle se montre la jolie nièce de ma douairière, la belle Julie; elle m'offre les excuses de sa tante, qu'une affaire arrête, et me prie d'agréer qu'elle me tienne compagnie. Je réponds à ce compliment par les politesses d'usage, et nous nous asseyons sur des fauteuils dans un coin de la chambre; Julie s'éloignait du sopha (hélas! qu'il était bien plus à craindre pour moi! ), mes yeux erraient sur elle; je sentais toute la timidité d'un amour naissant, tous les combats de ma raison contre mon coeur; le feu de mes regards en imposait à Julie, notre conversation languissait en apparence, mais déjà nos âmes s'entendaient.

– Mademoiselle fait sûrement le bonheur de sa tante, puisqu'elle est sa compagne? – Monsieur, ma tante a de l'amitié pour moi. – La foule qui abonde chez elle a sans doute de quoi vous plaire, et vos plaisirs (Julie soupire)… mille adorateurs… (le feu me monte au visage). – Ah! Monsieur! combien de ces adorateurs méritent d'être évalués ce qu'ils sont en effet! – Quoi! vous n'en auriez pas trouvé dont l'hommage eût su vous intéresser? (elle se trouble…) Pardon… bon dieu! j'allais commettre une indiscrétion… Mais, mademoiselle, me condamnerez-vous à le désirer?

Nous entendons du bruit; un regard assez expressif est toute la réponse de Julie.

La tante avait fini sa toilette; elle s'avance… Peignez-vous, mon ami, un vilain enfant de soixante ans. Sa figure est un ovale renversé; une perruque artistement mêlée, avec un reste de cheveux, reteints en noir, en ombrage la pointe; des yeux rouges et qui louchent pour se donner un regard en coulisse; une bouche énorme, mais que Bourdet a fort bien meublée; du blanc, du rouge, du vermillon, du bleu, du noir, arrangés avec un art, une symétrie que des yeux connaisseurs et un odorat exercé peuvent seuls découvrir.

Une robe à l'anglaise puce et blanche se rattache par des noeuds de gaze, d'où s'échappent des coulants de perles, qui, retombant en ondes, se terminent par des glands d'un goût exquis; un coutil couvre la place où pouvait être une gorge il y a quarante ans; voilà ce que je démêlai au premier coup d'oeil… Heureux si je n'en eusse vu ni senti davantage!

– Mon dieu, mon cher coeur, me dit-elle en minaudant et se laissant aller sur le sopha où elle m'entraîne, je suis désolée de vous avoir laissé ennuyer avec une petite fille (Julie s'est éclipsée); c'est ma nièce, et cela connaît si peu le monde! – Comment, madame, votre nièce? Mais on ne le croirait pas à l'âge dont elle paraît. – Cela est vrai; mais sa mère est infiniment mon aînée… Puis saisissant une de mes mains… La Saint-Just, mon cher, m'a parlé de vous, mais d'une manière extraordinaire, elle raconte des choses!… Oh! pour cela, incroyables. – Ces sortes de femmes nous vantent quelquefois; mais si je lui eus jamais une obligation, c'est de m'avoir mis à portée de vous offrir mes hommages. – Tiens, mon coeur, bannissons la cérémonie; ton air me prévient; tu es joli, sois sage, et sûrement tu ne t'en repentiras pas. Il est temps de passer dans mon salon: j'ai du monde, tu souperas… Une révérence est ma réponse; un baiser me ferme la bouche… (Ah! sacredieu! c'est du vernis tout pur.) Ne joue pas, continua-t-elle; cause avec ma nièce, tu sembleras être son amant… (ah! charmante vieille, l'aurore de l'amour vient me luire! que je t'embrasse de bon coeur!… Mais, foutre! la peinture!)… et nous nous rejoindrons quand ces importuns seront bannis.