Free

Correspondance, 1812-1876. Tome 4

Text
Mark as finished
Font:Smaller АаLarger Aa

CDLXIX
A M. ET MADAME ERNEST PÉRIGOIS, A NICE

Tamaris, 20 février 1861.

Chers enfants,

Nous sommes arrivés et nous voilà même installés à une demi-heure (par mer) de Toulon, en deçà et non au delà, par conséquent loin d'Hyères, de Nice et de tout ce qui s'ensuit. Maurice, parti en fourrier, a trouvé Hyères fort prosaïque, plein de figures de malades ou d'Anglais, pas de chez soi, pas de solitude, rien aux alentours qui ne fût très cher ou très incommode. Enfin il s'est rabattu sur la rade de Toulon et il nous a trouvé, pour cinq cents francs (trois mois), les trois quarts d'une petite maison de campagne très bourgeoise, mais extrêmement propre, que le propriétaire, avoué à Toulon, n'habite pas en ce moment et ne loue jamais. C'est un homme charmant, qui est venu nous installer et qui est reparti ce matin. Nous sommes là depuis vingt-quatre heures, par un temps de chien, mais dans un site admirable, au bord de la grande mer, au pied des montagnes, et perchés nous-mêmes sur une colline couverte de pins superbes qui nous cachent entièrement, et qui encadrent les plus belles vues du monde. C'est une solitude absolue, pas de curieux: les mauvais chemins nous protègent contre les flâneurs, la vie est très bonne pourtant et très confortable, à cause du voisinage d'une petite ville qu'on appelle la Seyne. Nous avons pris, pour vingt-cinq francs par mois, une bonne cuisinière, brave fille; pour plus cher, un homme de confiance que nous connaissons, et nous voilà casés à merveille et très économiquement. Nous sommes, malgré le gâchis du quart d'heure, dans un climat superbe, à l'extrême pointe méridionale de la France, au milieu d'une flore tout africaine.

Si vous devez faire une nouvelle campagne d'hiver dans ce beau pays, nous vous adresserons à des amis qui vous aideront à trouver des conditions de ce genre. Mais j'avoue qu'il nous eût été impossible de les trouver nous-mêmes, sans le secours des dévoués de la localité; car ce n'est pas ici un endroit de mode et d'exploitation.

À présent, comment vous offrirai-je l'hospitalité? J'espérais que mon avoué-propriétaire laisserait à ma disposition le reste de la maison, qu'il n'habitera pas avant le mois de juin; mais il n'y a eu aucun moyen de l'y décider, parce qu'il veut pouvoir y venir. Voilà ce que c'est que d'avoir affaire à un homme qui ne spécule pas; cela a aussi son inconvénient. Mais, si vous revenez par ce côté-ci, nous irons vous chercher à Toulon, à l'hôtel de la Croix d'or, où l'on est très bien, ou à Hyères, que nous voulons aller voir dès qu'il fera beau. Vous viendrez passer une journée à notre ermitage et nous vous reconduirons par terre, si vous craignez un quart d'heure de houle un peu forte. Nos mauvais chemins n'offrent aucun danger; ils sont crottés, voilà tout; mais deux jours de mistral les auront balayés. Tâchez de réaliser mon espérance; ou, si vous prolongez votre séjour à Nice, c'est nous qui irons vous trouver. Donnez-nous toujours signe de vie, à l'adresse de Charles Poncy, à Toulon.

Mille tendresses de coeur à vous, et baisers à Angèle.

G. SAND.

CDLXX
A M. CHARLES DUVERNET, A NEVERS

Tamaris, 24 février 1861.

Golfe du Lazaret, à une demi-lieue de mer de Toulon. Au pied du fort

Napoléon.

C'est une colline couverte de pins-parasols, d'une beauté et d'une verdeur incomparables. Le golfe du Lazaret, séparé d'un côté de la grande mer par une plage sablonneuse, vient mourir tout doucement au bas de notre escalier rustique. Au delà de la plage, la vraie mer brise avec plus d'embarras et nous en avons, de nos lits, le magnifique spectacle. La tête sur l'oreiller, quand, au matin, on ouvre un oeil, on voit au loin le temps qu'il fait par la grosseur des lignes blanches que marquent les lames. A droite, le golfe s'ouvre sur la rade de Toulon, encadrée de ses hautes montagnes pelées, d'un gris rosé par le soleil couchant.

A droite, s'élève le cap Sicier, autre montagne très haute et d'une belle découpure, toute couverte de pins. Entre la grande mer et une partie de notre vue de face, s'étend une petite plaine bien cultivée, une sorte de jardin habité. Derrière nous, le fort Napoléon sur une colline boisée plus élevée que la nôtre et qui nous fait un premier paravent contre le nord. Au bas de ce fort, la grande rade de Toulon et d'autres immenses montagnes derrière, second paravent, que dépasse en troisième ligne la chaîne des Alpines du Dauphiné.

Tout cela est d'un pittoresque, d'un déchiré, d'un doux, d'un brusque, d'un suave, d'un vaste et d'un contrasté que ton imagination peut se représenter avec ses plus heureuses couleurs. On dit que c'est plus beau que le fameux Bosphore, et je le crois de confiance; car je n'avais rien rêvé de pareil, et notre pauvre France, que l'on quitte toujours pour chercher mieux, est peut-être ce qu'il y a de mieux.

Nous sommes au milieu des amandiers en fleurs, la bourrache est dans son plus beau bleu, le thlaspi des champs blanchit toutes les haies. Ce sont à peu près les seules plantes de nos climats que j'aie encore aperçues; le reste est africain ou méridional extrême: cistes, lièges, yeuses, arbousiers, lentisques, cytises épineux, tamarins, oliviers; pins d'Alep, myrtes, bois de lauriers, romarins, lavandes, etc., etc. Il ne faut pourtant pas oublier la vigne et le blé parmi nos compatriotes; on boit ici, à bon marché, du vin excellent. Le pain est bon; il y a peu de poisson, mais le mouton et le boeuf sont passables. C'est le fond de la nourriture avec les coquillages, très variés, mais généralement détestables pour ceux qui n'aiment pas le goût de varech.

La maison que nous habitons est petite mais très propre, et nous y sommes seuls dans un désert apparent. Personne n'y vient et personne n'y passe; mais, tout près de nous, il y a un petit port de mer appelé la Seyne, qui est grand comme la Châtre et où notre factotum va s'approvisionner tous les matins. De plus, il va à Toulon tous les jours par un petit vapeur, moyennant trois sous.

En outre du factotum mâle, nous avons une cuisinière naine, qui est une excellente fille, et un âne nain, baudet d'Afrique appelé Bou-Maza, qui ne mange jamais que des fagots d'olivier sec et qui est devenu fou aujourd'hui pour avoir avalé une poignée de foin.

La maison coûte cinq cents francs pour trois mois, la cuisinière vingt-cinq francs par mois, le baudet rien. Il est au propriétaire, un charmant avoué qui met tout par écuelles pour nous recevoir. Nous avons chacun une petite chambre et, en commun, un salon, une salle à manger, un cabinet pour mettre nos herbiers, nos cailloux et nos bêtes. Le rez-de-chaussée, tu peux te le figurer: c'est la distribution du Coudray72. Devant la maison, il y a un berceau de plantes exotiques et une étroite terrasse avec des fleurs. Tout le reste est une colline inculte, rocailleuse, ombragée d'arbres superbes à travers les tiges desquels on voit le bleu de la mer, ou le bleu des montagnes lointaines. Le sol est calcaire triasique el on y trouve une partie de nos coquilles fossiles de Nohant et du Coudray. A deux pas, nous avons des granits et des laves; toute la côte est très variée, par conséquent, de formes et de couleurs.

Le pays environnant est à la fois riant et sauvage. Quant au climat, il est rude et superbe, varié et heurté comme le pays: des jours de pluie diluvienne, des vents très rudes, des coups de soleil (j'en ai un sur le nez, d'une belle couleur), des humidités suaves et chaudes; tout cela se succédant avec rapidité, et ne rendant guère malade; car, avant-hier, j'ai fait deux lieues à pied pour ma première promenade; hier, j'étais dans mon lit avec la fièvre, rhume, courbature et coup de soleil. Ce matin, j'ai fait une lieue; ce soir, je me porte on ne peut mieux; je n'ai plus que mon coup de soleil sur le nez, mais je n'en souffre plus. Maurice a passé par les mêmes crises.

Je reprends ma lettre pour l'expliquer comme quoi nous avons renoncé à Hyères et à ses palais. Maurice y a été et a découvert que c'était une jolie ville, plantée au beau milieu d'une plaine, loin de la mer, loin des montagnes, loin des bois; une ville d'Anglais où il faut toujours être sur son trente-six, toutes choses qui ne pouvaient pas nous convenir. C'était le cas d'aller voir Saint-Pierre des Horts; mais Maurice a calculé que, lors même qu'on nous rabattrait énormément sur le prix annoncé au prospectus, nous serions encore loin de compte. Il s'est informé néanmoins. Il a su qu'il était à peu près impossible de s'y nourrir sans avoir à son service des gens du pays, comme nous les avons pris ici. Or, ici, de la main de nos amis les Poncy, nous pouvions nous assurer de bonnes gens, aux habitudes en rapport avec nos moyens. Où trouver cela à Hyères, pays de haute exploitation? et à qui demander de se charger pour nous de tous ces détails?

Le Midi n'est pas si facile à habiter qu'il s'en vante. Ici même, à deux pas de tout, ça n'a pas été tout seul, et ça ne va pas encore à souhait. Depuis deux jours, il pleut, et, quand il pleut, personne ne bouge; Bou-Maza lui-même ne veut pas sortir de son écurie. On peut donc mourir de faim chez soi, si on n'a pas pris ses précautions. Cela se conçoit quand on a vu ce que c'est que les pluies des pays chauds. Comme ils sont souvent à sec pendant six ou dix mois de suite et que pourtant il tombe dans le Var; calcul fait, autant d'eau que dans les autres départements français, tout crève à la fois, et, dans une minute, que l'on soit âne ou chrétien, on est trempé comme une éponge. Et puis ça ne s'arrête pas; il n'est pas question, comme chez nous, de laisser passer le nuage. Le nuage ne passe pas, ou plutôt il passe toujours, et douze heures d'affilée ne l'épuisent pas.

 

Donc, nous nous sommes rabattus sur le plus proche voisinage de nos amis, d'autant plus que le pays est beaucoup plus beau que tout ce qu'on va chercher ailleurs. Ça ne nous empêchera pas d'aller visiter toute la côte, par conséquent Hyères, quand il fera beau et qu'on pourra tenir la mer. Nous nous réclamerons alors de ta protection pour voir Saint-Pierre et ses beautés. Pour le moment, les navires que nous voyons passer en pleine mer font si triste figure, que nous n'avons guère envie de nous y fourrer; car, avec ce déluge, il y a un vent d'est à décorner les boeufs. Aujourd'hui, le vent couvrait si bien le bruit du tonnerre, qu'on ne pouvait pas les distinguer l'un de l'autre.—Ce soir, clair de lune et tempête. La mer est en argent, mais pas riante, comme de l'argent dans la poche d'un pauvre diable.

Voilà notre bulletin, aussi complet que possible. Il nous faut le tien et celui de la famille. Êtes-vous de retour au Coudray? Quel temps y fait-il? Es-tu sorti de tes ennuis de procédure à Nevers? Le moutard est-il toujours beau et brave homme? Et Berthe? et tout le monde? Embrasse-les tous pour moi et présente-leur mes amitiés. À toi de coeur, mon cher vieux.

G. SAND.

CDLXXI
A M. JULES BOUCOIRAN, A NÎMES

Tamaris, 25 février 1861.

Cher ami,

Nous sommes arrivés, par un temps de chien (le 18 courant), à Toulon, où Maurice, pressé de me trouver un gîte convenable aux environs, était depuis huit jours, courant d'une campagne à l'autre, et par conséquent ne pouvant songer à aller vous voir. Il a été à Hyères, il en est revenu mécontent, ne trouvant rien là de possible pour mes goûts de solitude et de vraie campagne. Il s'est rabattu sur la rade de Toulon et sur les golfes voisins. Enfin, la veille de mon arrivée, il a trouvé une maisonnette toute petite, mais bien propre, dans un pays idéalement beau. Je ne vous en dis rien: vous verrez notre site et nos environs. L'endroit s'appelle Tamaris. (Je m'y suis installée le 19.)—Mais, pour y arriver, soit par mer, soit par terre, il faut quelques renseignements locaux. Donc, quand vous viendrez nous voir, il faudra aller par le chemin de fer jusqu'à Toulon. Là, vous irez trouver Charles Poncy, notre ami, rue du Puits, n° 7. Il vous amènera ou vous fera conduire, et, en même temps, il vous remettra ou vous fera remettre une clef au moyen de laquelle vous aurez, chez nous, un gîte; car nous n'avons qu'une partie de la maison; mais notre propriétaire, homme très aimable, nous a promis une chambre d'ami dès que nous en aurions besoin. Voilà! Nous n'avons encore eu que deux jours de beau temps sur six. Ne venez pas sans que le temps soit remis; car je ne pense pas que nous différions beaucoup de température, sauf qu'ici nous avons des pluies insensées quand le ciel s'y met, et nos chemins sont laids, notre horizon triste, notre campagne maussade par conséquent. Il faut que nous puissions vous promener dans le soleil.

Sur ce, à bientôt, j'espère, cher enfant. Ce sera une joie de famille, et, en attendant, on vous embrasse de coeur.

G. SAND.

CDLXXII
A M. CHARLES DUVERNET, A NEVERS

Tamaris, 15 mars 1861.

Mon cher vieux,

Je t'adresse ma lettre à Nevers, bien que je pense que tu doives être au Coudray; mais je me dis que, de Nevers, on te l'enverra exactement, tandis que, du Coudray à Nevers, ce ne serait peut-être pas la même chose.

J'ai reçu la tienne, de lettre, et je suis heureuse de voir que ton petit mioche te donne toutes les joies de la grand'paternité,—je souligne! Voici, hélas! comment tout se compense et s'équilibre dans le bien et dans le mal pour chacun de nous. Mes yeux voient des mers d'azur, des montagnes superbes, des fleurs charmantes; mais ils ne verront plus que le portrait de ma pauvre Nini, qui était la perle et la fleur par excellence de ma vieillesse. Je ne la sentirai plus sur mes genoux ni dans mes bras, je n'entendrai plus sa voix, je n'échangerai plus rien avec elle en cette vie.—Résignons-nous; notre cause et notre but nous sont, inconnus, mais ils sont l'oeuvre et le vouloir de Dieu. Ils ne peuvent donc être mauvais, et tout, après la vie, doit être dédommagement, puisque, dès cette vie, tout conduit à la notion de l'équilibre et de la rémunération.

Maurice a été à Hyères pour la seconde fois, un peu poussé par un dégoût momentané du séjour de Tamaris, où le mistral souffle de temps en temps, et plusieurs jours de suite avec une violence inouïe. J'étais assez souffrante et il disait que si le climat d'Hyères était moins brutal, il voulait m'y transporter. Mais il a trouvé que c'était la même chose, alternative de bourrasques et de séries de jours admirables.

Il a été voir M. Germain, dans son château, très pittoresque et très beau, de Saint-Pierre des Horts. Le châtelain l'a très bien reçu et lui a offert pour moi un beau logement à très bon marché, ce qui est fort aimable.

Mais je suis installée et c'est une assez grande affaire dans ce pays, où, même aux portes des villes, les ressources et les moyens de communication n'abondent pas. On va peu par terre, les chemins sont assez négligés et décrivent nécessairement des courbes immenses autour des golfes qui dentellent la côte. La mer est le seul vrai chemin, et, quand elle est mauvaise, ce qui arrive souvent ce mois-ci, on est un peu claquemuré. Nous avons surmonté tous ces petits ennuis du commencement, en nous mettant au courant des habitudes et des ressources de la localité et en nous attachant enfin un commissionnaire actif et intelligent, après en avoir essayé deux qui étaient de charmants garçons, mais peu dégourdis, moins dégourdis que des Berrichons, et craignant la pluie comme des chats. Ici, pour le caractère et le tempérament, il n'y a pas de milieu. Ils sont ou tout à fait chiffes, ou tout à fait énergiques. Nicolas-Napoléon fait très bien notre service; la cuisinière Rosine, une vraie guenon, chante et rit toujours. L'âne va à la provision sans regimber; le chien nous prend pour ses maîtres, et les poules me suivent comme à Nohant.

On nous apporte d'excellents poissons de mer tout vivants; nous savons maintenant qu'il n'en faut pas demander les jours de mistral; nous nous sommes procuré beaucoup de tables; car, bien que notre Coudray maritime soit suffisamment meublé quant au reste, les tables sont ici des meubles de luxe. On ne lit pas, on n'écrit pas, on vient à la campagne pour se promener et dormir. Nous sommes enfin bien casés, résignés aux tempêtes et très dédommagés par la possibilité de travailler et par la beauté des journées admirables qui succèdent aux ouragans. Le printemps se fait au milieu de ces tempêtes comme si de rien n'était. Les solides pins d'Alep au parasol majestueux et les lièges rugueux tendent le dos et ne rompent pas; les plantes à feuilles persistantes s'en moquent également et l'olivier n'en est ni plus ni moins pâle. Parmi ces insensibles, les vraies plantes printanières commencent à sourire. Les tamarix et les lentisques en boutons, les anémones lilas et pourpre jonchent la terre; et les orchys fleurissent à l'ombre.

J'ai trouvé dans un bois voisin l'épipactis céphalante, qui n'est pas de nos pays et qui, je crois, est assez rare partout.

C'est une orchidée blanc de neige, avec une tache dorée sur le labile très jolie plante, élégante. J'ai été voir à Saint-Mandrier, qui est un hospice de marine avec un beau jardin botanique, des palmiers et autres exotiques très grands, des bosquets de poivriers couverts de leurs jolies graines rouges, et des sterculies dont l'odeur, exprimée par le nom, n'est pas précisément celle de la rose.

Tout cela est en dehors de mon récit sur le docteur Germain. Pour en revenir à lui, Maurice, qui se flattait de voir ses riches collections d'histoire naturelle, a eu le désappointement d'apprendre qu'elles n'existaient que sur le prospectus; mais le personnage lui a paru tout de même un savant sérieux et un homme de grande valeur. Je compte certainement, le mois prochain, l'aller voir, lui et son château moyen âge, dont Maurice m'a apporté de sa part plusieurs photographies. Cela s'arrange d'autant mieux que ledit docteur est en ce moment en route pour la Nièvre, où il passera huit ou dix jours. Il est possible qu'une autre année, connaissant ce bon gîte de Saint-Pierre, j'aille y frapper pour la saison.

J'ai beaucoup travaillé au lessivage de Valvèdre depuis que je suis ici. Je touche à la fin de ce gros travail.

Bonsoir, cher vieux; voilà encore une longue causerie; mais je finis brusquement faute de papier. Tendresses à vous tous et grandes amitiés d'ici.

G. SAND.

CDLXXIII
A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Tamaris, 28 mars 1861.

Chère cousine,

Vous aurez reçu déjà une lettre de Lucien73 qui a, par un heureux hasard, vu tout de suite à Toulon, où il se trouvait hier avec Maurice et Boucoiran (un de mes plus anciens et meilleurs amis), l'article du Moniteur concernant son père. Ils m'ont apporté cette bonne nouvelle; le brave enfant était ravi et ç'a été fête à Tamaris. Il vous avait déjà écrit, ce matin; il est parti pour Lestac.

Maurice l'a accompagné un bon bout de chemin en wagon et l'a quitté pour aller voir une ruine romaine perdue dans les sables du rivage. Il est revenu ce soir à onze heures par des chemins bien noirs. Mais Lucien est sur une des plus belles routes du monde et il nous a fait espérer qu'il reviendrait passer encore deux jours avec nous; après quoi, il gagnera Nîmes avec notre Boucoiran, qui l'aime déjà de tout son coeur et qui lui montrera ex professo tout ce qui pourra l'intéresser dans ce pays.

Il va bien, votre cher enfant; il a couru comme un Basque avec ces messieurs, bravant la tempête au bord de la mer, afin de voir déferler les grandes lames. Il a fait, bon gré mal gré, de la botanique et de l'entomologie. Il a appris une patience qui est aussi difficile qu'un problème de mathématiques. Il a mangé beaucoup de petits gâteaux et ne s'est point passionné pour les coquillages de nos rêves qui ne valent pas le diable. Il est toujours aussi charmant et aussi sympathique, et son arrivée a été une véritable joie pour nous tous.

Ma santé se remet. Le mistral a fait place à un temps plus doux; encore quelques jours, et nous aurons, à ce qu'on nous assure, un temps délicieux. Je crois que Maurice compte accompagner Lucien et Boucoiran à Nîmes. Vous voyez qu'on n'est pas pressé de se quitter les uns les autres et qu'on se reconduit pour être plus longtemps ensemble.

Ce Boucoiran est l'ancien précepteur de Maurice; c'est un coeur d'or et un homme du plus grand mérite, sachant énormément de choses; Lucien est déjà avec lui comme avec un papa.

Combien nous sommes heureux de ce qui concerne le vrai papa! nous nous en tourmentions; nous en parlions à toute heure; mais je disais, moi: «Si le prince s'en charge, ça réussira, car je ne connais pas de meilleur ami.» J'espère que je le verrai lorsqu'il viendra à Toulon, où on travaille à son yacht Si vous savez quelques jours d'avance l'époque de son départ, vous serez bien aimable de me l'écrire pour que je ne sois pas en tournée aux environs dans ce moment-là.

Bonsoir, chère cousine; dormez sur les deux oreilles. Si votre cher enfant nous revient, nous le choierons comme de coutume.

Je vous embrasse de coeur.

G. SAND.

72Campagne de Charles Duvernet.
73Lucien Villot, fils de madame Villot.