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Les Quarante-Cinq — Tome 2

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— Vous avez parfaitement raison, madame, dit Ernauton en s'inclinant, et maintenant, je vous le jure, j'admire autant votre esprit et votre logique que, tout à l'heure, j'admirais votre beauté.

— Grand merci, monsieur. Or, à présent que nous nous connaissons l'un et l'autre, et que voilà les choses bien expliquées entre nous, donnez-moi la lettre, puisque la lettre existe et n'est point un simple prétexte.

— Impossible, madame.

L'inconnue fit un effort pour ne pas s'irriter.

— Impossible? répéta-t-elle.

— Oui, impossible, car j'ai juré à M. le duc de Mayenne de ne remettre cette lettre qu'à madame la duchesse de Montpensier elle-même.

— Dites plutôt, s'écria la dame, commençant à s'abandonner à son irritation, dites plutôt que cette lettre n'existe pas; dites que, malgré vos prétendus scrupules, cette lettre n'a été que le prétexte de votre entrée ici; dites que vous vouliez me revoir, et voilà tout. Eh bien! monsieur, vous êtes satisfait: non-seulement vous êtes entré ici, non- seulement vous m'avez revue, mais encore vous m'avez dit que vous m'adoriez.

— En cela comme dans tout le reste, madame, je vous ai dit la vérité. — Eh bien! soit, vous m'adorez, vous m'avez voulu voir, vous m'avez vue, je vous ai procuré un plaisir en échange d'un service. Nous sommes quittes, adieu.

— Je vous obéirai, madame, dit Ernauton, et puisque vous me congédiez, je me retire.

Cette fois, la dame s'irrita tout de bon.

— Oui-dà, dit-elle, mais si vous me connaissez, moi, je ne vous connais pas, vous. Ne vous semble-t-il pas dès lors que vous avez sur moi trop d'avantages? Ah! vous croyez qu'il suffit d'entrer, sous un prétexte quelconque, chez une princesse quelconque, car vous êtes ici chez madame de Montpensier, monsieur, et de dire: J'ai réussi dans ma perfidie, je me retire. Monsieur, ce trait-là n'est pas d'un galant homme.

— Il me semble, madame, dit Ernauton, que vous qualifiez bien durement ce qui serait tout au plus une supercherie d'amour, si ce n'était, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, une affaire de la plus haute importance et de la plus pure vérité. Je néglige de relever vos dures expressions, madame, et j'oublie absolument tout ce que j'ai pu vous dire d'affectueux et de tendre, puisque vous êtes si mal disposée à mon égard. Mais je ne sortirai pas d'ici sous le poids des fâcheuses imputations que vous me faites subir. J'ai en effet une lettre de M. de Mayenne à remettre à madame de Montpensier, et cette lettre la voici, elle est écrite de sa main, comme vous pouvez le voir à l'adresse.

Ernauton tendit la lettre à la dame, mais sans la quitter.

L'inconnue y jeta les yeux et s'écria:

— Son écriture! du sang!

Sans rien répondre, Ernauton remit la lettre dans sa poche, salua une dernière fois avec sa courtoisie habituelle, et pâle, la mort dans le coeur, il retourna vers l'entrée de la salle.

Cette fois on courut après lui, et, comme Joseph, on le saisit par son manteau.

— Plaît-il, madame? dit-il.

— Par pitié, monsieur, pardonnez, s'écria la dame, pardonnez; serait-il arrivé quelque accident au duc? — Que je pardonne ou non, madame, dit Ernauton, c'est tout un; quant à cette lettre, puisque vous ne me demandez votre pardon que pour la lire, et que madame de Montpensier seule la lira...

— Eh! malheureux insensé que tu es, s'écria la duchesse avec une fureur pleine de majesté, ne me reconnais-tu pas, ou plutôt ne me devines-tu pas pour la maîtresse suprême, et vois-tu ici briller les yeux d'une servante? Je suis la duchesse de Montpensier; cette lettre, remets-la moi. — Vous êtes la duchesse! s'écria Ernauton en reculant épouvanté. — Eh! sans doute. Allons, allons, donne; ne vois-tu pas que j'ai hâte de savoir ce qui est arrivé à mon frère?

Mais, au lieu d'obéir, comme s'y attendait la duchesse, le jeune homme, revenu de sa première surprise, se croisa les bras.

— Comment voulez-vous que je croie à vos paroles, dit-il, vous dont la bouche m'a déjà menti deux fois?

Ces yeux, que la duchesse avait déjà invoqués à l'appui de ses paroles, lancèrent deux éclairs mortels; mais Ernauton en soutint bravement la flamme.

— Vous doutez encore! Il vous faut des preuves quand j'affirme! s'écria la femme impérieuse en déchirant à beaux ongles ses manchettes de dentelles.

— Oui, madame, répondit froidement Ernauton.

L'inconnue se précipita vers un timbre qu'elle pensa briser, tant fut violent le coup dont elle le frappa.

La vibration retentit stridente par tous les appartements, et avant que cette vibration fût éteinte un valet parut.

— Que veut madame? demanda le valet.

L'inconnue frappa du pied avec rage.

— Mayneville, dit-elle, je veux Mayneville. N'est-il donc pas ici?

— Si fait, madame.

— Eh bien! qu'il vienne donc alors!

Le valet s'élança hors de la chambre; une minute après Mayneville entrait précipitamment.

— A vos ordres, madame, dit Mayneville.

— Madame! et depuis quand m'appelle-t-on simplement madame, monsieur de Mayneville? fit la duchesse exaspérée. — Aux ordres de Votre Altesse, reprit Mayneville incliné et surpris jusqu'à l'ébahissement.

— C'est bien! dit Ernauton, car j'ai là en face un gentilhomme, et s'il me fait un mensonge, par le ciel! au moins, je saurai à qui m'en prendre.

— Vous croyez donc enfin? dit la duchesse.

— Oui, madame, je crois, et comme preuve, voici la lettre. Et le jeune homme, en s'inclinant, remit à madame de Montpensier cette lettre si longtemps disputée.

XLII
LA LETTRE DE M. DE MAYENNE

La duchesse s'empara de la lettre, l'ouvrit et lut avidement, sans même chercher à dissimuler les impressions qui se succédaient sur sa physionomie, comme des nuages sur le fond d'un ciel d'ouragan.

Lorsqu'elle eut fini, elle tendit à Mayneville, aussi inquiet qu'elle- même, la lettre apportée par Ernauton; cette lettre était ainsi conçue:

« Ma soeur, j'ai voulu moi-même faire les affaires d'un capitaine ou d'un maître d'armes: j'ai été puni.

J'ai reçu un bon coup d'épée du drôle que vous savez, et avec lequel je suis depuis longtemps en compte. Le pis de tout cela, c'est qu'il m'a tué cinq hommes, desquels Boularon et Desnoises, c'est-à-dire deux de mes meilleurs; après quoi il s'est enfui.

Il faut dire qu'il a été fort aidé dans cette victoire par le porteur de cette présente, jeune homme charmant, comme vous pouvez voir; je vous le recommande: c'est la discrétion même.

Un mérite qu'il aura auprès de vous, je présume, ma très chère soeur, c'est d'avoir empêché que mon vainqueur ne me coupât la tête, lequel vainqueur en avait grande envie, m'ayant arraché mon masque pendant que j'étais évanoui et m'ayant reconnu.

Ce cavalier si discret, ma soeur, je vous recommande de découvrir son nom et sa profession; il m'est suspect, tout en m'intéressant. A toutes mes offres de service, il s'est contenté de répondre que le maître qu'il sert ne le laisse manquer de rien.

Je ne puis vous en dire davantage sur son compte, car je vous dis tout ce que j'en sais; il prétend ne pas me connaître. Observez ceci.

Je souffre beaucoup, mais sans danger de la vie, je crois. Envoyez-moi vite mon chirurgien; je suis, comme un cheval, sur la paille. Le porteur vous dira l'endroit.

Votre affectionné frère,

MAYENNE. »

Cette lettre achevée, la duchesse et Mayneville se regardèrent, aussi étonnés l'un que l'autre.

La duchesse rompit la première ce silence, qui eût fini par être interprété d'Ernauton.

— A qui, demanda la duchesse, devons-nous le signalé service que vous nous avez rendu, monsieur?

— A un homme qui, chaque fois qu'il le peut, madame, vient au secours du plus faible contre le plus fort.

— Voulez-vous me donner quelques détails, monsieur? insista madame de Montpensier.

Ernauton raconta tout ce qu'il savait et indiqua la retraite du duc. Madame de Montpensier et Mayneville l'écoutèrent avec un intérêt facile à comprendre.

Puis lorsqu'il eut fini:

— Dois-je espérer, monsieur, demanda la duchesse, que vous continuerez la besogne si bien commencée et que vous vous attacherez à notre maison?

Ces mots, prononcés de ce ton gracieux que la duchesse savait si bien prendre dans l'occasion, renfermaient un sens bien flatteur après l'aveu qu'Ernauton avait fait à la dame d'honneur de la duchesse; mais le jeune homme, laissant de côté tout amour-propre, réduisit ces mots à leur signification de pure curiosité.

Il voyait bien que décliner son nom et ses qualités, c'était ouvrir les yeux de la duchesse sur les suites de cet événement; il devinait bien aussi que le roi, en lui faisant sa petite condition d'une révélation du séjour de la duchesse, avait autre chose en vue qu'un simple renseignement.

Deux intérêts se combattaient donc en lui: homme amoureux, il pouvait sacrifier l'un; homme d'honneur, il ne pouvait abandonner l'autre.

La tentation devait être d'autant plus forte qu'en avouant sa position près du roi, il gagnait une énorme importance dans l'esprit de la duchesse, et que ce n'était pas une mince considération pour un jeune homme venant droit de Gascogne, que d'être important pour une duchesse de Montpensier.

Sainte-Maline n'y eût pas résisté une seconde.

Toutes ces réflexions affluèrent à l'esprit de Carmainges, et n'eurent d'autre influence que de le rendre un peu plus orgueilleux, c'est-à-dire un peu plus fort.

 

C'était beaucoup que d'être en ce moment-là quelque chose, beaucoup pour lui, alors que certainement on l'avait bien un peu pris pour jouet.

La duchesse attendait donc sa réponse à cette question qu'elle lui avait faite: Êtes-vous disposé à vous attacher à notre maison?

— Madame, dit Ernauton, j'ai déjà eu l'honneur de dire à M. de Mayenne que mon maître est un bon maître, et me dispense, par la façon dont il me traite, d'en chercher un meilleur.

— Mon frère me dit dans sa lettre, monsieur, que vous avez semblé ne point le reconnaître. Comment, ne l'ayant point reconnu là-bas, vous êtes- vous servi de son nom pour pénétrer jusqu'à moi?

— M. de Mayenne paraissait désirer garder son incognito, madame; je n'ai pas cru devoir le reconnaître, et il y avait, en effet, un inconvénient à ce que là-bas les paysans chez lesquels il est logé, sachent à quel illustre blessé ils ont donné l'hospitalité. Ici, cet inconvénient n'existait plus; au contraire, le nom de M. de Mayenne pouvant m'ouvrir une voie jusqu'à vous, je l'ai invoqué: dans ce cas, comme dans l'autre, je crois avoir agi en galant homme.

Mayneville regarda la duchesse, comme pour lui dire:

— Voilà un esprit délié, madame.

La duchesse comprit à merveille.

Elle regarda Ernauton en souriant.

— Nul ne se tirerait mieux d'une mauvaise question, dit-elle, et vous êtes, je dois l'avouer, homme de beaucoup d'esprit.

— Je ne vois pas d'esprit dans ce que j'ai l'honneur de vous dire, madame, répondit Ernauton.

— Enfin, monsieur, dit la duchesse avec une sorte d'impatience, ce que je vois de plus clair dans tout cela, c'est que vous ne voulez rien dire.

Peut-être ne réfléchissez-vous point assez que la reconnaissance est un lourd fardeau pour qui porte mon nom; que je suis femme, et que vous m'avez deux fois rendu service, et que si je voulais bien savoir votre nom ou plutôt qui vous êtes...

— A merveille, madame, je sais que vous apprendrez facilement tout cela; mais vous l'apprendrez d'un autre que de moi, et moi je n'aurai rien dit.

— Il a raison toujours, dit la duchesse en arrêtant sur Ernauton un regard qui dut, s'il fut saisi dans toute son expression, faire plus de plaisir au jeune homme que jamais regard ne lui en avait fait.

Aussi n'en demanda-t-il pas davantage, et pareil au gourmet qui se lève de table quand il croit avoir bu le meilleur vin du repas, Ernauton salua et demanda son congé à la duchesse sur cette bonne manifestation.

— Ainsi, monsieur, voilà tout ce que vous ayez à me dire? demanda la duchesse.

— J'ai fait ma commission, répliqua le jeune homme; il ne me reste donc plus qu'à présenter mes très humbles hommages à Votre Altesse.

La duchesse le suivit des yeux sans lui rendre son salut; puis, lorsque la porte se fut refermée derrière lui:

— Mayneville, dit-elle en frappant du pied, faites suivre ce garçon.

— Impossible, madame, répondit celui-ci, tout notre monde est sur pied; moi-même, j'attends l'événement; c'est un mauvais jour pour faire autre chose que ce que nous avons décidé de faire.

— Vous avez raison, Mayneville; en vérité, je suis folle; mais plus tard...

— Oh! plus tard, c'est autre chose; à votre aise, madame.

— Oui, car il m'est suspect comme à mon frère.

— Suspect ou non, reprit Mayneville, c'est un brave garçon, et les braves gens sont rares. Il faut avouer que nous avons du bonheur; un étranger, un inconnu qui nous tombe du ciel pour nous rendre un service pareil.

— N'importe, n'importe, Mayneville; si nous sommes obligés de l'abandonner en ce moment, surveillez-le plus tard au moins.

— Eh! madame, plus tard, dit Mayneville, nous n'aurons plus besoin, je l'espère, de surveiller personne.

— Allons, décidément, je ne sais ce que je dis ce soir; vous avez raison, Mayneville, je perds la tête.

— Il est permis à un général comme vous, madame, d'être préoccupé à la veille d'une action décisive.

— C'est vrai. Voici la nuit, Mayneville, et le Valois revient de Vincennes à la nuit.

— Oh! nous avons du temps devant nous; il n'est pas huit heures, madame, et nos hommes ne sont point encore arrivés d'ailleurs.

— Tous ont bien le mot, n'est-ce pas?

— Tous.

— Ce sont des gens sûrs?

— Éprouvés, madame.

— Comment viennent-ils?

— Isolés, en promeneurs.

— Combien en attendez-vous?

— Cinquante; c'est plus qu'il n'en faut; comprenez donc, outre ces cinquante hommes, nous avons deux cents moines qui valent autant de soldats, si toutefois ils ne valent pas mieux.

— Aussitôt que nos hommes seront arrivés, faites ranger vos moines sur la route.

— Ils sont déjà prévenus, madame, ils intercepteront le chemin, les nôtres pousseront la voiture sur eux, la porte du couvent sera ouverte et n'aura qu'à se refermer sur la voiture.

— Allons souper alors, Mayneville, cela nous fera passer le temps. Je suis d'une telle impatience, que je voudrais pousser l'aiguille de la pendule.

— L'heure viendra, soyez tranquille.

— Mais nos hommes, nos hommes?

— Ils seront ici à l'heure; huit heures viennent de sonner à peine, il n'y a point de temps perdu.

— Mayneville, Mayneville, mon pauvre frère me demande son chirurgien; le meilleur chirurgien, le meilleur topique pour la blessure de Mayenne, ce serait une mèche des cheveux du Valois tonsuré, et l'homme qui lui porterait ce présent, Mayneville, cet homme-là serait sûr d'être le bienvenu.

— Dans deux heures, madame, cet homme partira pour aller trouver notre cher duc dans sa retraite; sorti de Paris en fuyard, il y rentrera en triomphateur.

— Encore un mot, Mayneville, fit la duchesse en s'arrêtant sur le seuil de la porte.

— Lequel, madame?

— Nos amis de Paris sont-ils prévenus?

— Quels amis?

— Nos ligueurs.

— Dieu m'en préserve, madame. Prévenir un bourgeois, c'est sonner le bourdon de Notre-Dame. Le coup fait, songez donc qu'avant que personne en sache rien, nous avons cinquante courriers à expédier, et alors, le prisonnier sera en sûreté dans le cloître; alors, nous pourrons nous défendre contre une armée.

S'il le faut alors, nous ne risquerons plus rien et nous pourrons crier sur les toits du couvent: Le Valois est à nous!

— Allons, allons, vous êtes un homme habile et prudent, Mayneville, et le Béarnais a bien raison de vous appeler Mèneligue. Je comptais bien faire un peu ce que vous venez de dire; mais c'était confus. Savez-vous que ma responsabilité est grande, Mayneville, et que jamais, dans aucun temps, femme n'aura entrepris et achevé oeuvre pareille à celle que je rêve?

— Je le sais bien, madame, aussi je ne vous conseille qu'en tremblant.

— Donc, je me résume, reprit la duchesse avec autorité: les moines armés sous leurs robes?

— Ils le sont.

— Les gens d'épée sur la route?

— Ils doivent y être à cette heure.

— Les bourgeois prévenus après l'événement?

— C'est l'affaire de trois courriers; en dix minutes, Lachapelle-Marteau, Brigard et Bussy-Leclerc sont prévenus; ceux-là de leur côté préviendront les autres.

— Faites d'abord tuer ces deux grands nigauds que nous avons vus passer aux portières; cela fait qu'ensuite nous raconterons l'événement selon qu'il sera plus avantageux à nos intérêts de le raconter.

— Tuer ces pauvres diables, fit Mayneville; vous croyez qu'il est nécessaire qu'on les tue, madame?

— Loignac? voilà-t-il pas une belle perte!

— C'est un brave soldat.

— Un méchant garçon de fortune; c'est comme cet autre escogriffe qui chevauchait à gauche de la voiture avec ses yeux de braise et sa peau noire.

— Ah! celui-là j'y répugnerai moins, je ne le connais pas; d'ailleurs je suis de votre avis, madame, et il possède une assez méchante mine.

— Vous me l'abandonnez alors? dit la duchesse en riant.

— Oh! de bon coeur, madame.

— Grand merci, en vérité.

— Mon Dieu, madame, je ne discute pas; ce que j'en dis, c'est toujours pour votre renommée à vous et pour la moralité du parti que nous représentons. — C'est bien, c'est bien, Mayneville, on sait que vous êtes un homme vertueux, et l'on vous en signera le certificat, si la chose est nécessaire. Vous ne serez pour rien dans toute cette affaire, ils auront défendu le Valois et auront été tués en le défendant. Vous, ce que je vous recommande, c'est ce jeune homme.

— Quel jeune homme?

— Celui qui sort d'ici; voyez s'il est bien parti, et si ce n'est pas quelque espion qui nous est dépêché par nos ennemis.

— Madame, dit Mayneville, je suis à vos ordres.

Il alla au balcon, entr'ouvrit les volets, passa sa tête et essaya de voir au dehors.

— Oh! la sombre nuit! dit-il.

— Bonne, excellente nuit, reprit la duchesse; d'autant meilleure qu'elle est plus sombre: aussi, bon courage, mon capitaine.

— Oui; mais nous ne verrons rien, madame, et pour vous cependant il est important de voir.

— Dieu, dont nous défendons les intérêts, voit pour nous, Mayneville.

Mayneville qui, on peut le croire du moins, n'était pas aussi confiant que madame de Montpensier en l'intervention de Dieu dans les affaires de ce genre, Mayneville se remit à la fenêtre, et, regardant autant qu'il était possible de le faire dans l'obscurité, demeura immobile.

— Voyez-vous passer du monde? demanda la duchesse en éteignant les lumières par précaution.

— Non, mais j'entends marcher des chevaux.

— Allons, allons, ce sont eux, Mayneville. Tout va bien.

Et la duchesse regarda si elle avait toujours à sa ceinture la fameuse paire de ciseaux d'or qui devait jouer un si grand rôle dans l'histoire.

XLII
COMMENT DOM MODESTE GORENFLOT BÉNIT LE ROI A SON PASSAGE DEVANT LE PRIEURÉ DES JACOBINS

Ernauton sortit le coeur assez gros, mais la conscience assez tranquille; il avait eu ce singulier bonheur de déclarer son amour à une princesse, et de faire, par la conversation importante qui lui avait immédiatement succédé, oublier sa déclaration, juste assez pour qu'elle ne fît pas de tort au présent et qu'elle portât fruit pour l'avenir.

Ce n'est pas le tout, il avait encore eu la chance de ne pas trahir le roi, de ne pas trahir M. de Mayenne et de ne point se trahir lui-même.

Donc il était content, mais il désirait encore beaucoup de choses, et, parmi ces choses, un prompt retour à Vincennes pour informer le roi.

Puis, le roi informé, pour se coucher et songer.

Songer, c'est le bonheur suprême des gens d'action, c'est le seul repos qu'ils se permettent.

Aussi à peine hors la porte de Bel-Esbat, Ernauton mit-il son cheval au galop; puis à peine eut-il encore fait cent pas au galop de ce compagnon si bien éprouvé depuis quelques jours, qu'il se vit tout à coup arrêté par un obstacle que ses yeux, éblouis par la lumière de Bel-Esbat et encore mal habitués à l'obscurité, n'avaient pu apercevoir et ne pouvaient mesurer.

C'était tout simplement un gros de cavaliers qui, des deux côtés de la route, se refermant sur le milieu, l'entouraient et lui mettaient sur la poitrine une demi-douzaine d'épées et autant de pistolets et de dagues.

C'était beaucoup pour un homme seul.

— Oh! oh! dit Ernauton, on vole sur le chemin à une lieue de Paris; peste soit du pays! Le roi a un mauvais prévôt; je lui donnerai le conseil de le changer.

— Silence, s'il vous plaît, dit une voix qu'Ernauton crut reconnaître; votre épée, vos armes, et faisons vite.

Un homme prit la bride du cheval, deux autres dépouillèrent Ernauton de ses armes.

— Peste! quels habiles gens! murmura Ernauton.

Puis se retournant vers ceux qui l'arrêtaient:

— Messieurs, dit-il, vous me ferez au moins la grâce de m'apprendre...

— Eh! mais, c'est M. de Carmainges, dit le détrousseur principal, celui- là même qui venait de saisir l'épée du jeune homme et qui la tenait encore.

— M. de Pincorney! s'écria Ernauton. Oh! fi! le vilain métier que vous faites là!

 

— J'ai dit silence, répéta la voix du chef retentissante à quelques pas; qu'on mène cet homme au dépôt.

— Mais monsieur de Sainte-Maline, dit Perducas de Pincorney, cet homme que nous venons d'arrêter...

— Eh bien?

— C'est notre compagnon, M. Ernauton de Carmainges.

— Ernauton ici! s'écria Sainte-Maline pâlissant de colère; lui, que fait- il là?

— Bonsoir, messieurs, dit tranquillement Carmainges: je ne croyais pas, je l'avoue, me trouver en si bonne compagnie.

Sainte-Maline resta muet.

— Il paraît qu'on m'arrête, continua Ernauton; car je ne présume point que vous me dévalisiez.

— Diable! diable! grommela Sainte-Maline, l'événement n'était pas prévu.

— De mon côté non plus, je vous jure, dit en riant Carmainges.

— C'est embarrassant; voyons, que faites-vous sur la route?

— Si je vous faisais cette question, monsieur de Sainte-Maline, me répondriez-vous?

— Non.

— Trouvez bon alors que j'agisse comme vous agiriez.

— Alors vous ne voulez pas dire ce que vous faisiez sur la route?

Ernauton sourit, mais ne répondit pas.

— Ni où vous alliez?

Même silence.

— Alors, monsieur, dit Sainte-Maline, puisque vous ne vous expliquez point, je suis forcé de vous traiter en homme ordinaire.

— Faites, monsieur; seulement je vous préviens que vous répondrez de ce que vous aurez fait.

— A M. de Loignac?

— A plus haut que cela.

— A M. d'Épernon?

— A plus haut encore.

— Eh bien! soit, j'ai ma consigne, et je vais vous envoyer à Vincennes.

— A Vincennes! à merveille! c'est là que j'allais, monsieur.

— Je suis heureux, monsieur, dit Sainte-Maline, que ce petit voyage cadre si bien avec vos intentions.

Deux hommes, le pistolet au poing, s'emparèrent aussitôt du prisonnier, qu'ils conduisirent à deux autres hommes placés à cinq cents pas des premiers. Ces deux autres en firent autant, et de cette sorte Ernauton eut, jusque dans la cour même du donjon, la société de ses camarades.

Dans cette cour, Carmainges aperçut cinquante cavaliers désarmés, qui, l'oreille basse et la pâleur au front, entourés de cent cinquante chevau- légers venus de Nogent et de Brie, déploraient leur mauvaise fortune et s'attendaient à un vilain dénoûment d'une entreprise si bien commencée.

C'étaient nos quarante-cinq qui, pour leur entrée en fonctions, avaient pris tous ces hommes, les uns par ruse, les autres de vive force; tantôt en s'unissant dix contre deux ou trois, tantôt en accostant gracieusement les cavaliers qu'ils devinaient être redoutables, et en leur présentant à brûle-pourpoint le pistolet, quand les autres croyaient tout simplement rencontrer des camarades et recevoir une politesse.

Il en résultait que pas un combat n'avait été livré, pas un cri proféré, et qu'en une rencontre de huit contre vingt, un chef de ligueurs qui avait porté la main à son poignard pour se défendre et ouvert la bouche pour crier, avait été bâillonné, presque étouffé et escamoté par les quarante- cinq avec l'agilité que met un équipage de navire à faire filer un câble entre les doigts d'une chaîne d'hommes.

Or, pareille chose eût bien réjoui Ernauton s'il l'eût connue; mais le jeune homme voyait, mais ne comprenait pas, ce qui rembrunit un peu son existence pendant dix minutes.

Cependant lorsqu'il eut reconnu tous les prisonniers auxquels on l'agrégeait:

— Monsieur, dit-il à Sainte-Maline, je vois que vous étiez prévenu de l'importance de ma mission, et, qu'en galant compagnon, vous avez eu peur pour moi d'une mauvaise rencontre, ce qui vous a déterminé à prendre la peine de me faire escorter; maintenant, je puis vous le dire, vous aviez grande raison; le roi m'attend et j'ai d'importantes choses à lui dire. J'ajouterai même que comme, sans vous, je ne fusse probablement point arrivé, j'aurai l'honneur de dire au roi ce que vous avez fait pour le bien de son service.

Sainte-Maline rougit comme il avait pâli; mais il comprit, en homme d'esprit qu'il était quand quelque passion ne l'aveuglait point, qu'Ernauton disait vrai et qu'il était attendu. On ne plaisantait pas avec MM. de Loignac et d'Épernon; il se contenta donc de répondre:

— Vous êtes libre, monsieur Ernauton; enchanté d'avoir pu vous être agréable.

Ernauton s'élança hors des rangs et monta les degrés qui conduisaient à la chambre du roi.

Sainte-Maline l'avait suivi des yeux, et, à moitié de l'escalier, il put voir Loignac qui accueillait M. de Carmainges et lui faisait signe de continuer sa route.

Loignac de son côté descendit; il venait procéder au dépouillement de la prise.

Il se trouva, et ce fut Loignac qui constata ce fait, que la route, devenue libre, grâce à l'arrestation des cinquante hommes, serait libre jusqu'au lendemain, puisque l'heure où ces cinquante hommes devaient se trouver réunis à Bel-Esbat était passée.

Il n'y avait donc plus péril pour le roi à revenir à Paris.

Loignac comptait sans le couvent des Jacobins et sans l'artillerie et la mousqueterie des bons pères.

Ce dont d'Épernon était parfaitement informé, lui, par Nicolas Poulain.

Aussi, quand Loignac vint dire à son chef: — Monsieur, les chemins sont libres, d'Épernon lui répliqua-il:

— C'est bien. L'ordre du roi est que les quarante-cinq fassent trois pelotons; un devant et un de chaque côté des portières; peloton assez serré pour que le feu, s'il y a feu par hasard, n'atteigne pas le carrosse.

— Très bien, répondit Loignac avec l'impassibilité du soldat; mais, quant à dire feu, comme je ne vois pas de mousquets, je ne prévois pas de mousquetades.

— Aux Jacobins, monsieur, vous ferez serrer les rangs, dit d'Épernon.

Ce dialogue fut interrompu par le mouvement qui s'opérait sur l'escalier.

C'était le roi qui descendait, prêt à partir: il était suivi de quelques gentilshommes parmi lesquels, avec un serrement de coeur facile à comprendre, Sainte-Maline reconnut Ernauton.

— Messieurs, demanda le roi, mes braves quarante-cinq sont-ils réunis?

— Oui, sire, dit d'Épernon en lui montrant un groupe de cavaliers qui se dessinait sous les voûtes.

— Les ordres ont été donnés?

— Et seront suivis, sire.

— Alors partons, dit Sa Majesté.

Loignac fit sonner le boute-selle.

L'appel fait à voix basse, il se trouva que les quarante-cinq étaient réunis, pas un ne manquait.

On confia aux chevau-légers le soin d'emprisonner les gens de Mayneville et de la duchesse, avec défense, sous peine de mort, de leur adresser une seule parole.

Le roi monta dans son carrosse et plaça son épée nue à côté de lui.

M. d'Épernon jura parfandious! et essaya galamment si la sienne jouait bien au fourreau.

Neuf heures sonnaient au donjon: l'on partit.

Une heure après le départ d'Ernauton, M. de Mayneville était encore à la fenêtre, d'où nous l'avons vu essayer, mais vainement, de suivre la route du jeune homme dans la nuit; seulement, cette heure écoulée, il était beaucoup moins tranquille, et surtout un peu plus enclin à espérer le secours de Dieu, car il commençait à croire que le secours des hommes lui manquait.

Pas un de ses soldats n'avait paru: la route, silencieuse et noire, ne retentissait, à des intervalles éloignés, que du bruit de quelques chevaux dirigés à toute bride sur Vincennes.

A ce bruit, M. Mayneville et la duchesse essayaient de plonger leurs regards dans les ténèbres pour reconnaître leurs gens, pour deviner une partie de ce qui se passait, ou savoir la cause de leur retard.

Mais, ces bruits éteints, tout rentrait dans le silence.

Ce va-et-vient perpétuel, sans aucun résultat, avait fini par inspirer à Mayneville une telle inquiétude, qu'il avait fait monter à cheval un des gens de la duchesse, avec ordre d'aller s'informer auprès du premier peloton de cavaliers qu'il rencontrerait.

Le messager n'était point revenu.

Ce que voyant l'impatiente duchesse, elle en avait envoyé un second, qui n'était pas plus revenu que le premier.

— Notre officier, dit alors la duchesse, toujours disposée à voir les choses en beau, notre officier aura craint de n'avoir pas assez de monde, et il garde comme renfort les gens que nous lui envoyons; c'est prudent, mais inquiétant.