Free

La San-Felice, Tome 05

Text
iOSAndroidWindows Phone
Where should the link to the app be sent?
Do not close this window until you have entered the code on your mobile device
RetryLink sent

At the request of the copyright holder, this book is not available to be downloaded as a file.

However, you can read it in our mobile apps (even offline) and online on the LitRes website

Mark as finished
Font:Smaller АаLarger Aa

XCII

TROISIÈME JOURNÉE

L'ordre n'eût point été donné par le général en chef de rester toute la nuit sous les armes, que le soin de leur propre conservation eût forcé les soldats de ne pas les abandonner un seul instant. Pendant toute la nuit, le tocsin sonna à toutes les églises situées dans les quartiers de Naples demeurés aux Napolitains. Sur tous les postes avancés des Français, les lazzaroni tentèrent des attaques; mais partout ils furent repoussés avec des pertes considérables.



Pendant la nuit, chacun reçut son ordre de bataille pour le lendemain. Salvato, en venant annoncer au général qu'il était maître du fort del Carmine, reçut l'ordre, pour le lendemain, de s'avancer à la baïonnette et au pas de course, par le bord de la mer, avec les deux têtes de son corps, vers le Château-Neuf et de l'enlever coûte que coûte, afin de tourner immédiatement ses canons contre les lazzaroni, tandis que Monnier et Mathieu Maurice, avec l'autre tiers, se maintiendraient dans leur position, et que Kellermann, Dufresse et le général en chef, réunis à la strada Foria, perceraient jusqu'à Toledo par le largo delle Pigne.



Vers deux heures du matin, un homme se présenta au bivac du général en chef à San-Giovanni à Carbonara. Au premier coup d'oeil, sous son costume de paysan des Abruzzes, le général reconnut Hector Caraffa.



Il avait quitté le château Saint-Elme et venait dire à Championnet que le fort, mal approvisionné et n'ayant que cinq ou six cents coups à tirer, n'avait point voulu user inutilement ses munitions, mais que, le lendemain, pour le seconder, son canon combattrait par derrière, et en plongeant sur tous les points où l'on pourrait les apercevoir, les lazzaroni, que l'armée attaquerait en face.



Las de son inaction, Hector Caraffa venait non-seulement pour annoncer cette nouvelle au général, mais encore pour prendre part au combat du lendemain.



A sept heures, les fanfares sonnèrent et les tambours battirent. Pendant la nuit, Salvato avait gagné du terrain. Avec quinze cents hommes, au signal donné il déboucha de derrière la Douane et s'élança au pas de course vers le Château-Neuf. En ce moment, un hasard providentiel vint à son aide.



Nicolino, impatient de commencer l'attaque de son côté, se promenait sur les remparts, encourageant ses artilleurs à employer utilement le peu de munitions qu'ils avaient.



Un d'eux, plus hardi que les autres, l'appela.



Nicolino vint.



–Que me veux-tu? lui demanda-t-il.



–Voyez-vous cette bannière qui flotte au Château-Neuf? reprit l'artilleur.



–Sans doute que je la vois, fit le jeune homme, et je t'avoue même qu'elle m'agace horriblement.



–Mon commandant veut-il me permettre de l'abattre?



–Avec quoi?



–Avec un boulet.



–Tu es capable d'une pareille adresse?



–Je l'espère, mon commandant.



–Combien de coups demandes-tu?



–Trois.



–Je veux bien; mais je te préviens que, si tu ne l'abats pas en trois coups, tu feras trois jours de salle de police.



–Et si je l'abats?



–Il y a dix ducats pour toi.



–Accepté, le marché.



L'artilleur pointa sa pièce, y mit le feu: le boulet passa entre le blason et la hampe, trouant la toile du drapeau.



–C'est bien, dit Nicolino; mais ce n'est point encore cela.



–Je le sais bien, répondit l'artilleur; aussi, je vais essayer de faire mieux.



La pièce fut pointée une seconde fois avec plus d'attention encore que la première. L'artilleur étudia de quel côté soufflait le vent; il apprécia le faible changement de direction que ce souffle avait pu imposer au boulet, se releva, se baissa de nouveau, changea d'un centième de ligne le point de mire de sa pièce, approcha la mèche de la lumière: une détonation qui domina le tumulte se fit entendre, et la bannière, coupée par sa base, tomba.



Nicolino battit des mains et donna à l'artilleur, sans se douter de l'influence qu'allait avoir cet incident, les dix ducats qu'il lui avait promis.



En ce moment, la tête de la colonne de Salvato arrivait à l'Immacolatella. Salvato, comme toujours, marchait le premier. Il vit tomber la bannière, et, quoiqu'il eût reconnu que sa disparition était causée par un accident, il s'écria:



–On abaisse la bannière; le fort se rend. En avant, mes amis! en avant!



Et il s'élança au pas de course.



De leur côté, les défenseurs du fort, ne voyant plus le drapeau et croyant qu'on l'avait enlevé volontairement, crièrent à la trahison. Il en résulta un tumulte au milieu duquel la défense languit. Salvato profita de ce temps d'arrêt pour franchir au pas de course la strada del Piliere. Il lança ses sapeurs contre la porte du fort: un pétard la fit sauter. Il s'élança dans l'intérieur du Château-Neuf en criant:



–Suivez-moi!



Dix minutes après, le fort était pris, et son canon, balayant le largo del Castello et la descente du Géant, forçait les lazzaroni à se réfugier dans les rues qui donnent sur cette place et dans lesquelles la position des maisons les mettait à l'abri des boulets.



Immédiatement, le drapeau tricolore français fut substitué à la bannière blanche.



Une sentinelle placée au sommet du Castel-Capuano transmit au général Championnet la nouvelle de la prise du fort.



Les trois châteaux dans le triangle desquels la ville est enfermée, étaient au pouvoir des Français.



Championnet, lorsqu'il reçut la nouvelle de la prise de Castel-Nuovo, venait de faire sa jonction avec Dufresse, dans la rue de Foria. Il envoya Villeneuve, par le bord de la mer libre, féliciter Salvato et lui ordonner de laisser la garde du Château-Neuf à un officier, et lui dire de venir le rejoindre à l'instant même.



Villeneuve trouva le jeune chef de brigade appuyé aux créneaux et l'oeil fixé sur Mergellina. De là, il pouvait apercevoir cette chère maison du Palmier, que, depuis deux mois, il ne voyait plus que dans ses rêves. Toutes les fenêtres en étaient fermées; cependant, à l'aide de sa longue-vue, il lui semblait voir ouverte la porte du perron donnant sur le jardin.



L'ordre du général vint le prendre au milieu de cette contemplation.



Il céda le commandement à Villeneuve lui-même, prit son cheval et partit au galop.



Au moment où Championnet et Dufresse réunis poussaient les lazzaroni vers la rue de Tolède, et où un effroyable feu partait, non-seulement du largo delle Pigne, mais encore de toutes les fenêtres, on aperçut une légère fumée qui couronnait les remparts du château Saint-Elme; puis on entendit la détonation de plusieurs pièces de gros calibre, et l'on vit un grand trouble se produire parmi les lazzaroni.



Nicolino tenait sa parole.



En même temps, une charge de dragons descendit comme un torrent qui se précipite par la strada della Stalla, tandis qu'une vive fusillade se faisait entendre derrière le musée Borbonico.



C'était Kellermann qui, à son tour, faisait sa jonction avec les corps de Dufresse et de Championnet.



En un instant, le largo delle Pigne fut balayé, et les trois généraux purent s'y donner la main.



Les lazzaroni battaient en retraite par la strada Santa-Maria in Costantinopoli et la salita dei Studi. Mais, pour traverser le largo San-Spirito et le Mercatello, ils étaient forcés de passer sous le feu du château Saint-Elme, qui, malgré la célérité de leur passage, eut le temps d'envoyer dans leurs rangs cinq ou six messagers de mort.



Pendant que s'opérait la retraite des lazzaroni, on amenait à Championnet un de leurs chefs qu'on avait pris après une résistance désespérée. Couvert de sang, les habits déchirés, la figure menaçante, la voix railleuse, il était le vrai type du Napolitain porté au plus haut degré de l'exaltation.



Championnet haussa les épaules, et, lui tournant le dos:



–C'est bien, dit-il. Qu'on me fusille ce gaillard-là pour l'exemple.



–Bon! dit le lazzarone, il paraît que décidément Nanno s'est trompée. Je devais être colonel et mourir pendu: je ne suis que capitaine et je vais mourir fusillé. Cela me console pour ma petite soeur.



Championnet entendit et comprit ces paroles. Il fut sur le point d'interroger le condamné; mais, comme en ce moment il voyait un cavalier accourir à toute bride, et que, dans ce cavalier, il reconnaissait Salvato, son attention tout entière se porta du côté du nouvel arrivant.



On entraîna le lazzarone, on l'appuya contre les fondations du musée Bourbonien, et l'on voulut lui bander les yeux.



Mais lui, alors, se révolta.



–Le général a dit qu'on me fusille, cria-t-il; mais il n'a pas dit qu'on me bande les yeux.



Salvato tressaillit à cette voix, se retourna et reconnut Michele; Michele, lui aussi, reconnut le jeune officier.



Sangue di Cristo!

 cria le lazzarone, dites-leur donc, monsieur Salvato, que l'on n'a pas besoin de me bander les yeux pour me fusiller.



Et, repoussant ceux qui l'entouraient, il croisa les bras et s'appuya de lui-même à la muraille.



–Michele! s'écria Salvato. – Général, cet homme m'a sauvé la vie, je vous prie de m'accorder la sienne.



Et, sans attendre la réponse du général, bien sûr d'avoir obtenu ce qu'il demandait, Salvato sauta à bas de son cheval, écarta le cercle de soldats qui déjà apprêtaient leurs armes pour fusiller Michele, et se jeta dans les bras du lazzarone, qu'il embrassa en le serrant contre son coeur.



Championnet vit à l'instant tout le parti qu'il pouvait tirer de cet événement. Faire justice est d'un grand exemple, mais faire grâce est parfois d'un grand calcul.



Il fit aussitôt un signe à Salvato, qui lui amena Michele. Un immense cercle se forma autour des deux jeunes gens et du général.



Ce cercle se composait de Français vainqueurs, de Napolitains prisonniers, de patriotes accourus, soit pour féliciter Championnet, soit pour se mettre sous sa protection.



Championnet, qui dominait ce cercle de toute la hauteur de son buste, leva la main en signe qu'il voulait parler, et le silence se fit.

 



–Napolitains, dit-il en italien, j'allais, comme vous l'avez vu, fusiller cet homme, pris les armes à la main et combattant contre nous; mais mon ancien aide de camp, le chef de brigade Salvato, me demande la grâce de cet homme, qui, me dit-il, lui a sauvé la vie. Non-seulement je lui accorde cette grâce, mais encore je désire donner une récompense à l'homme qui a sauvé la vie à un officier français.



Puis, s'adressant à Michele tout émerveillé de ce langage:



–Quel grade occupais-tu parmi tes compagnons?



–J'étais capitaine, Excellence, lui répondit le prisonnier.



Et, avec la liberté de langage familière à ses pareils, il ajouta:



–Mais il paraît que je ne m'arrêterai pas là. Une sorcière m'a prédit que je serais nommé colonel, et puis pendu.



–Je ne puis et ne veux me charger que de la première partie de la prédiction, répondit le général; mais je m'en charge. Je te fais colonel au service de la république parthénopéenne. Organise ton régiment. Je me charge de ta paye et de ton uniforme.



Michele fit un bond de joie.



–Vive le général Championnet! cria-t-il, vivent les Français! vive la république parthénopéenne!



–Nous l'avons dit, un certain nombre de patriotes entouraient le général. Le cri de Michele trouva donc un écho plus étendu que l'on n'aurait dû s'y attendre.



–Maintenant, dit le général s'adressant aux Napolitains qui l'entouraient, on vous a dit que les Français étaient des impies, ne croyant ni à Dieu, ni à la Madone, ni aux saints: on vous a trompés. Les Français ont une dévotion très-grande en Dieu, à la Madone, et particulièrement à saint Janvier. Et la preuve, c'est que ma seule préoccupation en ce moment est de faire respecter l'église et les reliques du bienheureux évêque de Naples, à qui je veux donner une garde d'honneur, si Michele se charge de la conduire.



–Je m'en charge! s'écria Michele en agitant son bonnet de laine rouge, je m'en charge! et il y a plus: je réponds d'elle!



–Surtout, lui dit Championnet à voix basse, si je lui donne pour chef ton ami Salvato.



–Ah! pour lui et ma petite soeur, je me ferai tuer, général.



–Tu entends, Salvato, dit Championnet au jeune officier: la mission est des plus importantes; il s'agit d'enrôler saint Janvier parmi les républicains.



–Et c'est moi que vous chargez de lui mettre une cocarde tricolore à l'oreille? répondit en riant le jeune homme. Je ne me croyais pas tant de vocation pour la diplomatie; mais n'importe: on fera ce que l'on pourra.



–Une plume, de l'encre et du papier, demanda Championnet.



On se précipita, et, au bout d'un instant, Championnet avait pu choisir entre dix feuilles de papier et autant de plumes.



Le général, sans descendre de cheval, écrivit, sur l'arçon de sa selle, cette lettre, adressée au cardinal-archevêque:



«Éminence,



»J'ai suspendu un instant la fureur de mes soldats et la vengeance des crimes qui ont été commis. Profitez de cette trêve pour faire ouvrir toutes les églises; exposez le saint sacrement et prêchez la paix, le bon ordre et l'obéissance aux lois. A ces conditions, je jetterai un voile sur le passé et m'appliquerai à faire respecter la religion, les personnes et la propriété.



»Déclarez au peuple que, quels que soient ceux contre lesquels je devrai sévir, j'arrêterai le pillage, et que le calme et la tranquillité renaîtront dans cette malheureuse ville, trahie et trompée. Mais, en même temps, je déclare qu'un seul coup de fusil tiré d'une fenêtre fera brûler la maison et fusiller les habitants qu'elle renfermera. Remplissez donc les devoirs de votre ministère, et votre zèle religieux sera, je l'espère, utile au bien public.



»Je vous envoie une garde d'honneur pour l'église de saint Janvier.



»CHAMPIONNET.



»Naples, 4 pluviôse, an VII de la République (23 janvier 1790.)»



Michele, ayant entendu comme tout le monde la lecture de cette lettre, chercha des yeux dans la foule son ami Pagliuccella; mais, ne le trouvant pas, il choisit quatre lazzaroni sur lesquels il savait pouvoir compter comme sur lui-même, et marcha devant Salvato, derrière lequel marchait une compagnie de grenadiers.



Le petit cortége se rendit du largo delle Pigne à l'archevêché, assez voisin de cette place, par la strada dell'Orticello, le vico di San-Giacomo dei Ruffi et la strada de l'Arcivescovado, c'est-à-dire par quelques-unes des rues les plus étroites et les plus populeuses du vieux Naples. Les Français n'avaient point encore pénétré sur ce point de la ville, où pétillaient de temps en temps quelques coups de fusil tirés par la populace en manière d'encouragement, et où, en passant, les républicains pouvaient lire sur les visages trois impressions seulement: la terreur, la haine et la stupéfaction.



Par bonheur, Michele, sauvé par Palmieri, gracié par Championnet, se voyant déjà caracolant sur un beau cheval, dans son uniforme de colonel, s'était franchement, et avec toute l'ardeur de sa loyale nature, rallié aux Français, et marchait devant eux en criant de toute la force de ses poumons: «Vivent les Français! vive le général Championnet! vive saint Janvier!» Puis, quand les visages lui paraissaient par trop renfrognés, Salvato lui mettait dans la main une poignée de carlini, qu'il jetait en l'air, en expliquant à ses compatriotes la mission que Salvato était chargé d'accomplir et qui avait généralement cette bienheureuse influence de donner aux physionomies une expression plus douce et plus bienveillante.



En outre, Salvato, qui était des provinces napolitaines et qui parlait le patois de Naples comme un homme de Porto-Basso, adressait de temps en temps à ses compatriotes des allocutions qui, corroborées des poignées de carlins de Michele, avaient aussi leur influence.



On parvint ainsi à l'archevêché: les grenadiers s'établirent sous le portique. Michele fit un long discours pour expliquer leur présence à tous ses compatriotes; il ajouta que l'officier qui les commandait lui avait sauvé la vie au moment où il allait être fusillé, et demanda, au nom de l'amitié que l'on avait pour lui, Michele, qu'il ne fût fait aucune insulte ni à lui, ni à ses soldats, devenus les protecteurs de saint Janvier.



XCIII

SAINT JANVIER ET VIRGILE

A peine Championnet eut-il vu disparaître Michele, Salvato et la compagnie française, au coin de la strada dell'Orticello, qu'il lui vint à l'esprit une de ces idées que l'on peut appeler une illumination. Il pensa que le meilleur moyen de rompre les rangs des lazzaroni qui s'obstinaient à combattre encore, et de faire cesser le pillage individuel, était de livrer le palais du roi à un pillage général.



Il s'empressa de communiquer cette idée à quelques-uns des lazzaroni prisonniers, auxquels on rendit la liberté, à la condition qu'ils retourneraient vers les leurs et leur feraient part du projet comme venant d'eux. C'était une manière de s'indemniser eux-mêmes de la fatigue qu'ils avaient prise et du sang qu'ils avaient perdu.



La communication eut tout le succès qu'en attendait le général en chef. Les plus acharnés, voyant la ville aux trois quarts prise, avaient perdu l'espoir de vaincre, et trouvaient, par conséquent, plus avantageux de se mettre à piller que de continuer à combattre.



En effet, à peine cette espèce d'autorisation de piller le château fut-elle connue des lazzaroni, auxquels on ne laissa point ignorer qu'elle venait du général français, que toute cette multitude se débanda, se ruant à travers la rue de Tolède et à travers la rue des Tribunaux vers le palais royal, entraînant avec elle les femmes et les enfants, renversant les sentinelles, brisant les portes et inondant comme un flot les trois étages du palais.



En moins de trois heures, tout fut emporté, jusqu'au plomb des fenêtres.



Pagliuccella, que Michele avait vainement cherché sur le largo delle Pigne pour lui faire partager sa bonne fortune, s'était, un des premiers, empressé de se précipiter vers le château et de le visiter, avec une curiosité qui n'avait pas été sans fruit, de la cave au grenier, et de la façade qui donne sur l'église San-Ferdinand à celle qui donne sur la Darsena.



Fra Pacifico, au contraire, voyant tout perdu, avait méprisé l'indemnité offerte à son courage humilié; et, avec un désintéressement qui faisait honneur aux anciennes leçons de discipline reçues sur la frégate de son amiral, il avait, pas à pas et à la manière du lion, c'est-à-dire en faisant face à l'ennemi, battu en retraite dans son couvent par l'Infrascata et la salita dei Capuccini; puis, la porte de son couvent refermée, il avait mis son âne à l'écurie, son bâton dans le bûcher, et s'était mêlé aux autres frères qui chantaient dans l'église le

Dies irae, dies illa

.



Eût été bien malin celui qui eût été chercher là et qui y eût reconnu, sous son froc, un des chefs des lazzaroni qui avaient combattu pendant trois jours.



Nicolino Caracciolo, du haut des remparts du château Saint-Elme, avait suivi toutes les phases du combat du 21, du 22 et du 23, et nous avons vu qu'au moment où il avait pu venir en aide aux Français, il n'avait pas manqué à ses engagements vis-à-vis d'eux.



Son étonnement fut grand lorsqu'il vit, sans que personne songeât à les poursuivre, les lazzaroni abandonner leurs postes, et, sans quitter leurs armes, avec les apparences d'une déroute, non point rétrograder vers le palais royal, mais au contraire se ruer dessus.



Au bout d'un instant, tout lui fut expliqué. A la manière dont ils culbutaient les sentinelles, dont ils envahissaient les portes, dont ils reparaissaient aux fenêtres de tous les étages, dont ils dégorgeaient sur les balcons, il comprit que les combattants, dans un moment de trêve, pour ne pas perdre leur temps, s'étaient faits pillards; et, comme il ignorait que ce fût à l'instigation du général français que le pillage était organisé, il envoya à toute cette canaille trois coups de canon à boulet, qui tuèrent dix-sept personnes, parmi lesquelles un prêtre, et qui cassèrent la jambe au géant de marbre, ancienne statue de Jupiter Stator, qui décorait la place du Palais.



Veut-on savoir à quel point l'amour du pillage s'était emparé de la multitude, et s'était substitué chez elle à tout autre sentiment? Nous citerons deux faits pris entre mille; ils donneront une idée de la mobilité d'esprit de ce peuple, qui venait de faire des prodiges de valeur pour défendre son roi.



Au milieu de toute cette foule, acharnée au pillage, l'aide de camp Villeneuve, qui continuait de tenir le Château-Neuf, envoya un lieutenant à la tête d'une patrouille d'une cinquantaine d'hommes, avec ordre de remonter Tolède jusqu'à ce qu'il eût pris langue avec les avant-postes français. Le lieutenant eut soin de se faire précéder par quelques lazzaroni patriotes, criant: «Vivent les Français! vive la liberté!» A ces cris, un marinier de Sainte-Lucie, bourbonien enragé, – les mariniers de Sainte-Lucie sont encore bourboniens aujourd'hui, – un marinier de Sainte-Lucie, disons-nous, se mit à crier, lui: «Vive le roi!» Comme ce cri pouvait avoir un écho et servir de signal à l'égorgement de toute la patrouille, le lieutenant saisit le marinier au collet, et, le maintenant au bout de son bras, cria: «Feu!»



Le marinier tomba fusillé au milieu de la foule, sans que la foule, préoccupée maintenant d'autres intérêts, songeât à le défendre et à le venger.



Le second exemple fut celui d'un domestique du palais qui, ayant eu l'imprudence de sortir avec une livrée galonnée d'or, vit le peuple mettre sa livrée en morceaux pour en arracher l'or, quoique cette livrée fût celle du roi.



Au même moment où on laissait le serviteur du roi Ferdinand en chemise pour lui arracher les galons de sa livrée, Kellermann, qui était descendu avec un détachement de deux ou trois cents hommes, du côté de Mergellina, remontait, par Sainte-Lucie, sur la place du château.



Mais, avant d'arriver là, il avait fait une halte à l'église de Santa Maria di Porto-Salvo, et avait fait demander don Michelangelo Ciccone.



C'était, on se le rappelle, ce même prêtre patriote que Cirillo avait envoyé chercher pour conférer les derniers sacrements au sbire blessé par Salvato dans la nuit du 22 au 23 septembre, sbire qui, le 23 septembre, au matin, expira dans la maison où il avait été transporté, à l'angle de la fontaine du Lion.



Kellermann était porteur d'un billet de Cirillo qui faisait appel au patriotisme du digne prêtre et l'invitait à se rallier aux Français.



Don Michelangelo Ciccone n'avait pas hésité un instant: il avait suivi Kellermann.



A midi, les lazzaroni avaient déposé les armes, et Championnet, vainqueur, parcourait la ville. Les négociants, les bourgeois, toute la partie tranquille de la population qui n'avait pas pris part à la lutte, n'entendant plus ni coups de fusil, ni cris de mort, commencèrent alors d'ouvrir timidement les portes et les fenêtres des magasins et des maisons. La première vue au général était déjà une promesse de sécurité; car il était entouré d'hommes que leur talent, leur science et leur courage avaient faits la vénération de Naples. C'étaient les Baffi, les Poerio, les Pagano, les Cuoco, les Logoteta, les Carlo Lambert, les Bassal, les Fasulo, les Maliterno, les Rocca-Romana, les Ettore Caraffa, les Cirillo, les Manthonnet, les Schipani. Le jour de la rémunération était enfin arrivé pour tous ces hommes qui avaient passé du despotisme à la persécution, et qui passaient de la persécution à la liberté. Le général, alors, au fur et à mesure qu'il voyait une porte s'ouvrir, s'approchait de cette porte, et, dans leur propre langue, essayait de rassurer ceux qui se hasardaient sur le seuil, leur disant que tout était fini, qu'il venait leur apporter la paix et non la guerre, et substituer la liberté à la tyrannie. Alors, en jetant les yeux sur la route que le général avait suivie, en voyant le calme régner là où, un instant auparavant, Français et lazzaroni s'égorgeaient, les Napolitains se rassuraient en effet, et toute cette population

di mezzo ceto

, c'est-à-dire de la bourgeoisie, qui fait la force et la richesse de Naples, la cocarde tricolore à l'oreille, criant: «Vivent les Français! vive la liberté! vive la République!» commença de se répandre gaiement dans les rues, agitant des mouchoirs, et, au fur et à mesure qu'elle se tranquillisait, se laissant emporter à cette joie ardente qui s'empare de ceux qui, déjà plongés dans l'abîme ténébreux de la mort, se retrouvent tout à coup et comme par miracle rendus au jour, à la lumière et à la vie.

 



Et, en effet, si les Français eussent tardé de vingt-quatre heures encore à entrer à Naples, qui peut dire ce qu'il fût resté de maisons debout et de patriotes vivants?



A deux heures de l'après-midi, Rocca-Romana et Maliterno, confirmés dans leur grade de chefs du peuple, rendirent un édit pour l'ouverture des boutiques.



Cet édit portait la date de l'an Ier et du deuxième jour de la république parthénopéenne.



Championnet avait vu avec inquiétude que la bourgeoisie et la noblesse seules s'étaient réunies à lui et que le peuple se tenait à l'écart. Alors, il résolut de frapper le lendemain un grand coup.



Il savait parfaitement que, s'il pouvait faire passer saint Janvier dans son camp, le peuple suivrait saint Janvier partout où il irait.



Il envoya un message à Salvato. Salvato, qui gardait la cathédrale, c'est-à-dire le point le plus important de Naples, avait reçu la consigne de ne point quitter son poste sans être réclamé par un ordre émané directement du général.



Le message envoyé à Salvato ordonnait à celui-ci de s'aboucher avec les chanoines, et de les inviter à exposer, le lendemain, la sainte ampoule à la vénération publique, dans l'espérance que saint Janvier, auquel les Français avaient la plus grande dévotion, daignerait faire son miracle en leur faveur.



Les chanoines se trouvaient entre deux feux.



Si saint Janvier faisait son miracle, ils étaient compromis vis-à-vis de la cour.



S'il ne le faisait pas, ils s'exposaient à la colère du général français.



Ils trouvèrent un biais et répondirent que ce n'était point l'époque où saint Janvier avait l'habitude de faire son miracle, et qu'ils doutaient fort que l'illustre bienheureux consentît, même pour les Français, à changer sa date habituelle.



Salvato transmit, par Michele, la réponse des chanoines à Championnet.



Mais, à son tour, Championnet répondit que c'était l'affaire du saint et non la leur; qu'ils n'avaient point à préjuger des bonnes ou des mauvaises intentions de saint Janvier, et qu'il connaissait, lui, une certaine prière à laquelle il espérait que saint Janvier ne demeurerait pas insensible.



Les chanoines répondirent que, puisque Championnet le voulait absolument, ils exposeraient les ampoules, mais que, de leur côté, ils ne répondaient de rien.



A peine Championnet eut-il cette certitude, qu'il fit annoncer par toute la ville la nouvelle que les saintes ampoules seraient exposées le lendemain, et qu'à dix h