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La dame de Monsoreau — Tome 3

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CHAPITRE VII
OU L'ON VOIT LA REINE MÈRE ENTRER PEU TRIOMPHALEMENT DANS LA BONNE VILLE D'ANGERS

L'heure même où M. de Monsoreau tombait sous l'épée de Saint-Luc, une grande fanfare de quatre trompettes retentissait aux portes d'Angers, fermées, comme on sait, avec le plus grand soin.

Les gardes, prévenus, levèrent un étendard, et répondirent par des symphonies semblables.

C'était Catherine de Médicis qui venait faire son entrée à Angers, avec une suite assez imposante.

On prévint aussitôt Bussy, qui se leva de son lit, et Bussy alla trouver le prince, qui se mit dans le sien.

Certes, les airs joués par les trompettes angevines étaient de fort beaux airs; mais ils n'avaient pas la vertu de ceux qui firent tomber le murs de Jéricho; les portes d'Angers ne s'ouvrirent pas.

Catherine se pencha hors de sa litière pour se montrer aux gardes avancées, espérant que la majesté d'un visage royal ferait plus d'effet que le son des trompettes. Les miliciens d'Angers virent la reine, la saluèrent même avec courtoisie, mais les portes demeurèrent fermées.

Catherine envoya un gentilhomme aux barrières. On fit force politesses à ce gentilhomme; mais, comme il demandait l'entrée pour la reine mère, en insistant pour que Sa Majesté fût reçue avec honneur, on lui répondit qu'Angers, étant place de guerre, ne s'ouvrait pas sans quelques formalités indispensables.

Le gentilhomme revint très-mortifié vers sa maîtresse, et Catherine laissa échapper alors dans toute l'amertume de sa réalité, dans toute la plénitude de son acception, ce mot que Louis XIV modifia plus tard selon les proportions qu'avait prises l'autorité royale:

— J'attends! murmura-t-elle.

Et ses gentilshommes frémissaient à ses côtés.

Enfin Bussy, qui avait employé près d'une demi-heure à sermonner le duc et à lui forger cent raisons d'État, toutes plus péremptoires les unes que les autres, Bussy se décida. Il fit seller son cheval avec force caparaçons, choisit cinq gentilshommes des plus désagréables à la reine mère, et, se plaçant à leur tête, alla, d'un pas de recteur, au-devant de Sa Majesté.

Catherine commençait à se fatiguer, non pas d'attendre, mais de méditer des vengeances contre ceux qui lui jouaient ce tour.

Elle se rappelait le conte arabe dans lequel il est dit qu'un génie rebelle, prisonnier dans un vase de cuivre, promet d'enrichir quiconque le délivrerait dans les dix premiers siècles de sa captivité; puis, furieux d'attendre, jure la mort de l'imprudent qui briserait le couvercle du vase.

Catherine en était là. Elle s'était promis d'abord de gracieuser les gentilshommes qui s'empresseraient de venir à sa rencontre. Ensuite elle fit voeu d'accabler de sa colère celui qui se présenterait le premier.

Bussy parut tout empanaché à la barrière, et regarda vaguement, comme un factionnaire nocturne qui écoute plutôt qu'il ne voit.

— Qui vive? cria-t-il.

Catherine s'attendait au moins à des génuflexions; son gentilhomme la regarda pour connaître ses volontés.

— Allez, dit-elle, allez encore à la barrière; on crie: «Qui vive!»

Répondez, monsieur, c'est une formalité...

Le gentilhomme vint aux pointes de la herse.

— C'est madame la reine mère, dit-il, qui vient visiter la bonne ville d'Angers.

— Fort bien, monsieur, répliqua Bussy; veuillez tourner à gauche, à quatre-vingts pas d'ici environ, vous allez rencontrer la poterne.

— La poterne! s'écria le gentilhomme, la poterne! Une porte basse pour Sa Majesté!

Bussy n'était plus là pour entendre. Avec ses amis, qui riaient sous cape, il s'était dirigé vers l'endroit où, d'après ses instructions, devait descendre Sa Majesté la reine mère.

— Votre Majesté a-t-elle entendu? demanda le gentilhomme... La poterne!

— Eh! oui, monsieur, j'ai entendu; entrons par là, puisque c'est par là qu'on entre.

Et l'éclair de son regard fit pâlir le maladroit qui venait de s'appesantir ainsi sur l'humiliation imposée à sa souveraine.

Le cortège tourna vers la gauche, et la poterne s'ouvrit.

Bussy, à pied, l'épée nue à la main, s'avança au dehors de la petite porte, et s'inclina respectueusement devant Catherine; autour de lui les plumes des chapeaux balayaient la terre.

— Soit, Votre Majesté, la bienvenue dans Angers, dit-il.

Il avait à ses côtés des tambours qui ne battirent pas, et des hallebardiers qui ne quittèrent pas le port d'armes.

La reine descendit de litière, et, s'appuyant sur le bras d'un gentilhomme de sa suite, marcha vers la petite porte, après avoir répondu ce seul mot:

— Merci, monsieur de Bussy.

C'était toute la conclusion des méditations qu'on lui avait laissé le temps de faire.

Elle avançait, la tête haute. Bussy la prévint tout à coup et l'arrêta même par le bras.

— Ah! prenez garde, madame, la porte est bien basse; Votre Majesté se heurterait.

— Il faut donc se baisser? dit la reine; comment faire?.. C'est la première fois que j'entre ainsi dans une ville.

Ces paroles, prononcées avec un naturel parfait, avaient pour les courtisans habiles un sens, une profondeur et une portée qui firent réfléchir plus d'un assistant, et Bussy lui-même se tordit la moustache en regardant de côté.

— Tu as été trop loin, lui dit Livarot à l'oreille.

— Bah! laisse donc, répliqua Bussy, il faut qu'elle en voie bien d'autres.

On hissa la litière de Sa Majesté par-dessus le mur avec un palan, et elle put s'y installer de nouveau pour aller au palais. Bussy et ses amis remontèrent à cheval escortant des deux côtés la litière.

— Mon fils! dit tout à coup Catherine; je ne vois pas mon fils d'Anjou!

Ces mots, qu'elle voulait retenir, lui étaient arrachés par une irrésistible colère. L'absence de François en un pareil moment était le comble de l'insulte.

— Monseigneur est malade, au lit, madame; sans quoi Votre Majesté ne peut douter que Son Altesse ne se fût empressée de faire elle-même les honneurs de sa ville.

Ici Catherine fut sublime d'hypocrisie.

— Malade! mon pauvre enfant, malade! s'écria-t-elle. Ah! messieurs, hâtons-nous... est-il bien soigné, au moins?

— Nous faisons de notre mieux, dit Bussy en la regardant avec surprise comme pour savoir si réellement dans cette femme il y avait une mère.

— Sait-il que je suis ici? reprit Catherine après une pause qu'elle employa utilement à passer la revue de tous les gentilshommes.

— Oui, certes, madame, oui.

Les lèvres de Catherine se pincèrent.

— Il doit bien souffrir alors, ajouta-t-elle du ton de la compassion.

— Horriblement, dit Bussy. Son Altesse est sujette à ces indispositions subites.

— C'est une indisposition subite, monsieur de Bussy?

— Mon Dieu, oui, madame.

On arriva ainsi au palais. Une grande foule faisait la haie sur le passage de la litière.

Bussy courut devant par les montées, et, entrant tout essoufflé chez le duc:

— La voici, dit-il... Gare!

— Est-elle furieuse?

— Exaspérée.

— Elle se plaint?

— Oh! non; c'est bien pis, elle sourit.

— Qu'a dit le peuple?

— Le peuple n'a pas sourcillé; il regarde cette femme avec une muette frayeur: s'il ne la connaît pas, il la devine.

— Et elle?

— Elle envoie des baisers, et se mord le bout des doigts.

— Diable!

— C'est ce que j'ai pensé, oui, monseigneur. Diable, jouez serré!

— Nous nous maintenons à la guerre, n'est-ce pas?

— Pardieu! demandez cent pour avoir dix, et, avec elle, vous n'aurez encore que cinq.

— Bah! tu me crois donc bien faible?.. Êtes-vous tous là? Pourquoi Monsoreau n'est-il pas revenu? fit le duc.

— Je le crois à Méridor... Oh! nous nous passerons bien de lui.

— Sa Majesté la reine mère! cria l'huissier au seuil de la chambre.

Et aussitôt Catherine parut, blême et vêtue de noir, selon sa coutume.

Le duc d'Anjou fit un mouvement pour se lever. Mais Catherine, avec une agilité qu'on n'aurait pas soupçonnée en ce corps usé par l'âge, Catherine se jeta dans les bras de son fils, et le couvrit de baisers.

— Elle va l'étouffer, pensa Bussy, ce sont de vrais baisers, mordieu!

Elle fit plus, elle pleura.

— Méfions-nous, dit Antraguet à Ribérac, chaque larme sera payée un muid de sang.

Catherine, ayant fini ses accolades, s'assit au chevet du duc; Bussy fit un signe, et les assistants s'éloignèrent. Lui, comme s'il était chez lui, s'adossa aux pilastres du lit, et attendit tranquillement.

— Est-ce que vous ne voudriez pas prendre soin de mes pauvres gens, mon cher monsieur de Bussy? dit tout à coup Catherine. Après mon fils, c'est vous qui êtes notre ami le plus cher, et maître du logis, n'est-ce pas? je vous demande cette grâce.

Il n'y avait pas à hésiter.

— Je suis pris, pensa Bussy.

— Madame, dit-il, trop heureux de pouvoir plaire à Votre Majesté, je m'en y vais.

— Attends, murmura-t-il. Tu ne connais pas les portes ici comme au Louvre, je vais revenir.

Et il sortit, sans avoir pu adresser même un signe au duc. Catherine s'en défiait; elle ne le perdit pas de vue une seconde.

Catherine chercha tout d'abord à savoir si son fils était malade ou feignait seulement la maladie. Ce devait être toute la base de ses opérations diplomatiques.

 

Mais François, en digne fils d'une pareille mère, joua miraculeusement son rôle. Elle avait pleuré, il eut la fièvre.

Catherine, abusée, le crût malade; elle espéra donc avoir plus d'influence sur un esprit affaibli par les souffrances du corps. Elle combla le duc de tendresse, l'embrassa de nouveau, pleura encore, et à tel point, qu'il s'en étonna et en demanda la raison.

— Vous avez couru un si grand danger, répliqua-t-elle, mon enfant!

— En me sauvant du Louvre, ma mère?

— Oh! non pas, après vous être sauvé.

— Comment cela?

— Ceux qui vous aidaient dans cette malheureuse évasion...

— Eh bien?..

— Étaient vos plus cruels ennemis...

— Elle ne sait rien, pensa-t-il, mais elle voudrait savoir.

— Le roi de Navarre! dit-elle tout brutalement, l'éternel fléau de nôtre race... Je le reconnais bien.

— Ah! ah! s'écria François, elle le sait.

— Croiriez-vous qu'il s'en vante, dit-elle, et qu'il pense avoir tout gagné?

— C'est impossible, répliqua-t-il, on vous trompe, ma mère.

— Pourquoi?

— Parce qu'il n'est pour rien dans mon évasion, et qu'y fût-il pour quelque chose, je suis sauf comme vous voyez... Il y a deux ans que je n'ai vu le roi de Navarre.

— Ce n'est pas de ce danger seulement que je vous parle, mon fils, dit Catherine sentant que le coup n'avait pas porté.

— Quoi encore, ma mère? répliqua-t-il en regardant souvent dans son alcôve la tapisserie qui s'agitait derrière la reine.

Catherine s'approcha de François, et d'une voix qu'elle s'efforçait de rendre épouvantée:

— La colère du roi! fit-elle, cette furieuse colère qui vous menace!

— Il en est de ce danger comme de l'autre, madame; le roi mon frère est dans une furieuse colère, je le crois; mais je suis sauf.

— Vous croyez? fit-elle avec un accent capable d'intimider les plus audacieux.

La tapisserie trembla.

— J'en suis sûr, répondit le duc; et c'est tellement vrai, ma bonne mère, que vous êtes venue vous-même me l'annoncer.

— Comment cela? dit Catherine inquiète de ce calme.

— Parce que, continua-t-il après un nouveau regard à la cloison, si vous n'aviez été chargée que de m'apporter ces menaces, vous ne fussiez pas venue, et qu'en pareil cas le roi aurait hésité à me fournir un otage tel que Votre Majesté.

Catherine effrayée leva la tête.

— Un otage, moi! dit-elle.

— Le plus saint et le plus vénérable de tous, répliqua-t-il en souriant et en baisant la main de Catherine, non sans un autre coup d'oeil triomphant adressé à la boiserie.

Catherine laissa tomber ses bras, comme écrasée; elle ne pouvait deviner que Bussy, par une porte secrète, surveillait son maître et le tenait en échec sous son regard, depuis le commencement de l'entretien, lui envoyant du courage et de l'esprit à chaque hésitation.

— Mon fils, dit-elle enfin, ce sont toutes paroles de paix que je vous apporte, vous avez parfaitement raison.

— J'écoute, ma mère, dit François, vous savez avec quel respect; je crois que nous commençons à nous entendre.

CHAPITRE VIII
LES PETITES CAUSES ET LES GRANDS EFFETS

Catherine avait eu, dans cette première partie de l'entretien, un désavantage visible. Ce genre d'échecs était si peu prévu, et surtout si inaccoutumé, qu'elle se demandait si son fils était aussi décidé dans ses refus qu'il le paraissait, quand un tout petit événement changea tout à coup la face des choses.

On a vu des batailles aux trois quarts perdues être gagnées par un changement de vent, et vice versa; Marengo et Waterloo en sont un double exemple. Un grain de sable change l'allure des plus puissantes machines.

Bussy était, comme nous l'avons vu, dans un couloir secret, aboutissant à l'alcôve de M. le duc d'Anjou, placé de façon à n'être vu que du prince; de sa cachette, il passait la tête par une fente de la tapisserie aux moments qu'il croyait les plus dangereux pour sa cause.

Sa cause, comme on le comprend, était la guerre à tout prix: il fallait se maintenir en Anjou tant que Monsoreau y serait, surveiller ainsi le mari et visiter la femme.

Cette politique, extrêmement simple, compliquait cependant au plus haut degré toute la politique de France; aux grands effets les petites causes.

Voilà pourquoi, avec force clins d'yeux, avec des mines furibondes, avec des gestes de tranche-montagne, avec des jeux de sourcils effrayants enfin, Bussy poussait son maître à la férocité. Le duc, qui avait peur de Bussy, se laissait pousser, et on l'a vu effectivement on ne peut plus féroce.

Catherine était donc battue sur tous les points et ne songeait plus qu'à faire, une retraite honorable, lorsqu'un petit événement, presque aussi inattendu que l'entêtement de M. le duc d'Anjou, vint à sa rescousse.

Tout à coup, au plus vif de la conversation de la mère et du fils, au plus fort de la résistance de M. le duc d'Anjou, Bussy se sentit tirer par le bas de son manteau. Curieux de ne rien perdre de la conversation, il porta, sans se retourner, la main à l'endroit sollicité, et trouva un poignet; en remontant le long de ce poignet, il trouva un bras, et après le bras une épaule, et après l'épaule un homme.

Voyant alors que la chose en valait la peine, il se retourna.

L'homme était Remy.

Bussy voulait parler, mais Remy posa un doigt sur sa bouche, puis il attira doucement son maître dans la chambre voisine.

— Qu'y a-t-il donc, Remy? demanda le comte très-impatient, et pourquoi me dérange-t-on dans un pareil moment?

— Une lettre, dit tout bas Remy.

— Que le diable t'emporte! pour une lettre, tu me tires d'une conversation aussi importante que celle que je faisais avec monseigneur le duc d'Anjou!

Remy ne parut aucunement désarçonné par cette boutade.

— Il y a lettre et lettre, dit-il.

— Sans doute, pensa Bussy; d'où vient cela?

— De Méridor.

— Oh! fit vivement Bussy, de Méridor! Merci, mon bon Remy, merci!

— Je n'ai donc plus tort?

— Est-ce que tu peux jamais avoir tort? Où est cette lettre?

— Ah! voilà ce qui m'a fait juger qu'elle était de la plus haute importance, c'est que le messager ne veut la remettre qu'à vous seul.

— Il a raison. Est-il là?

— Oui.

— Amène-le.

Remy ouvrit une porte et fit signe à une espèce de palefrenier de venir à lui.

— Voici M. de Bussy, dit-il en montrant le comte.

— Donne; je suis celui que tu demandes, dit Bussy.

Et il lui mit une demi-pistole dans la main.

— Oh! je vous connais bien, dit le palefrenier en lui tendant la lettre.

— Et c'est elle qui te l'a remise!

— Non, pas elle, lui.

— Qui, lui? demanda vivement Bussy en regardant l'écriture.

— M. de Saint-Luc!

— Ah! ah!

Bussy avait pâli légèrement; car, à ce mot: lui, il avait cru qu'il était question du mari et non de la femme, et M. de Monsoreau avait le privilège de faire pâlir Bussy chaque fois que Bussy pensait à lui.

Bussy se retourna pour lire, et, pour cacher en lisant cette émotion que tout individu doit craindre de manifester quand il reçoit une lettre importante, et qu'il n'est pas César Borgia, Machiavel, Catherine de Médicis ou le diable.

Il avait eu raison de se retourner, le pauvre Bussy, car à peine eût-il parcouru la lettre que nous connaissons, que le sang lui monta au cerveau et battit ses yeux en furie: de sorte que, de pâle qu'il était, il devint pourpre, resta un instant étourdi, et, sentant qu'il allait tomber, fut forcé de se laisser aller sur un fauteuil près de la fenêtre.

— Va-t'en, dit Remy au palefrenier abasourdi de l'effet qu'avait produit la lettre qu'il apportait.

Et il le poussa par les épaules.

Le palefrenier s'enfuit vivement; il croyait la nouvelle mauvaise, et il avait peur qu'on ne lui reprît sa demi-pistole.

Remy revint au comte, et le secouant par le bras:

— Mordieu! s'écria-t-il, répondez-moi à l'instant même; ou, par saint Esculape, je vous saigne des quatre membres.

Bussy se releva; il n'était plus rouge, il n'était plus étourdi, il était sombre..

— Vois, dit-il, ce que Saint-Luc a fait pour moi.

Et il tendit la lettre à Remy. Remy lut avidement.

— Eh bien, dit-il, il me semble que tout ceci est fort beau, et M. de Saint-Luc est un galant homme. Vivent les gens d'esprit pour expédier une âme en purgatoire; ils ne s'y reprennent pas à deux fois.

— C'est incroyable! balbutia Bussy.

— Certainement, c'est incroyable; mais cela n'y fait rien. Voici notre position changée du tout au tout. J'aurai, dans neuf mois, une comtesse de Bussy pour cliente. Mordieu! ne craignez rien, j'accouche comme Ambroise Paré.

— Oui, dit Bussy, elle sera ma femme.

— Il me semble, répondit Remy, qu'il n'y aura pas grand'chose à faire pour cela, et qu'elle l'était déjà plus qu'elle n'était celle de son mari.

— Monsoreau mort!

— Mort! répéta le Baudoin, c'est écrit.

— Oh! il me semble que je fais un rêve, Remy. Quoi! je ne verrai plus cette espèce de spectre, toujours prêt à se dresser entre moi et le bonheur? Remy, nous nous trompons,

— Nous ne nous trompons pas le moins du monde. Relisez, mordieu! tombé sur des coquelicots, voyez, et cela si rudement, qu'il en est mort! J'avais déjà remarqué qu'il était très-dangereux de tomber sur des coquelicots; mais j'avais cru que le danger n'existait que pour les femmes.

— Mais alors, dit Bussy, sans écouter toutes les facéties de Remy, et suivant seulement les détours de sa pensée, qui se tordait en tous sens dans son esprit; mais Diane ne va pas pouvoir\PG{33} rester à Méridor. Je ne le veux pas... Il faut qu'elle aille autre part, quelque part où elle puisse oublier.

— Je crois que Paris serait assez bon pour cela, dit le Haudoin; on oublie assez bien à Paris.

— Tu as raison, elle reprendra sa petite maison de la rue des Tournelles, et les dix mois de veuvage, nous les passerons obscurément, si toutefois le bonheur peut rester obscur, et le mariage pour nous ne sera que le lendemain des félicités de la veille.

— C'est vrai, dit Remy; mais pour aller à Paris...

— Eh bien!

— Il nous faut quelque chose.

— Quoi?

— Il nous faut la paix en Anjou.

— C'est vrai, dit Bussy; c'est vrai. Oh! mon Dieu! que de temps perdu et perdu inutilement!

— Cela veut dire que vous allez monter à cheval et courir à Méridor.

— Non pas moi, non pas moi, du moins, mais toi; moi, je suis invinciblement retenu ici; d'ailleurs, en un pareil moment, ma présence serait presque inconvenante.

— Comment la verrai-je? me présenterai-je au château?

— Non; va d'abord au vieux taillis, peut-être se promènera-t-elle là en attendant que je vienne; puis, si tu ne l'aperçois pas, va au château.

— Que lui dirai-je?

— Que je suis à moitié fou.

Et, serrant la main du jeune homme sur lequel l'expérience lui avait appris à compter comme sur un autre lui-même, il courut reprendre sa place dans le corridor à l'entrée de l'alcôve derrière la tapisserie.

Catherine, en l'absence de Bussy, essayait de regagner le terrain que sa présence lui avait fait perdre.

— Mon fils, avait-elle dit, il me semblait cependant que jamais une mère ne pouvait manquer de s'entendre avec son enfant.

— Vous voyez pourtant, ma mère, répondit le duc d'Anjou, que cela arrive quelquefois.

— Jamais quand elle le veut.

— Madame, vous voulez dire quand ils le veulent, reprit le duc qui, satisfait de cette fière parole, chercha Bussy pour en être récompensé par un coup d'oeil approbateur.

— Mais je le veux! s'écria Catherine; entendez-vous bien, François? je le veux.

Et l'expression de la voix contrastait avec les paroles, car les paroles étaient impératives et la voix était presque suppliante.

— Vous le voulez? reprit le duc d'Anjou en souriant.

— Oui, dit Catherine, je le veux, et tous les sacrifices me seront aisés pour arriver à ce but.

 

— Ah! ah! fit François. Diable!

— Oui, oui, cher enfant; dites, qu'exigez-vous, que voulez-vous? parlez! commandez!

— Oh! ma mère! dit François presque embarrassé d'une si complète victoire, qui ne lui laissait pas la faculté d'être un vainqueur rigoureux.

— Écoutez, mon fils, dit Catherine de sa voix la plus caressante; vous ne cherchez pas à noyer un royaume dans le sang, n'est-ce pas? Ce n'est pas possible. Vous n'êtes ni un mauvais Français ni un mauvais frère.

— Mon frère m'a insulté, madame, et je ne lui dois plus rien; non, rien comme à mon frère, rien comme à mon roi.

— Mais moi, François, moi! vous n'avez pas à vous en plaindre, de moi?

— Si fait, madame, car vous m'avez abandonné, vous! reprit le duc en pensant que Bussy était toujours là et pouvait l'entendre comme par le passé.

— Ah! vous voulez ma mort? dit Catherine d'une voix sombre. Eh bien! soit, je mourrai comme doit mourir une femme qui voit s'entre-égorger ses enfants.

Il va sans dire que Catherine n'avait pas le moins du monde envie de mourir.

— Oh! ne dites point cela, madame, vous me navrez le coeur! s'écria François qui n'avait pas le coeur navré du tout.

Catherine fondit en larmes.

Le duc lui prit les mains et essaya de la rassurer, jetant toujours des regards inquiets du côté de l'alcôve.

— Mais que voulez-vous? dit-elle, articulez vos prétentions au moins, que nous sachions à quoi nous en tenir.

— Que voulez-vous vous-même? voyons, ma mère, dit François; parlez, je vous écoute.

— Je désire que vous reveniez à Paris, cher enfant, je désire que vous rentriez à la cour du roi votre frère, qui vous tend les bras.

— Et, mordieu! madame, j'y vois clair; ce n'est pas lui qui me tend les bras, c'est le pont-levis de la Bastille.

— Non, revenez, revenez, et, sur mon honneur, sur mon amour de mère, sur le sang de notre Seigneur Jésus-Christ (Catherine se signa), vous serez reçu par le roi, comme si c'était vous qui fussiez le roi, et lui le duc d'Anjou.

Le duc regardait obstinément du côté de l'alcôve.

— Acceptez, continua Catherine, acceptez, mon fils; voulez-vous d'autres apanages, dites, voulez-vous des gardes?

— Eh! madame, votre fils m'en a donné, et des gardes d'honneur même, puisqu'il avait choisi ses quatre mignons.

— Voyons, ne me répondez pas ainsi: les gardes qu'il vous donnera, vous les choisirez vous-même; vous aurez un capitaine, s'il le faut, et, s'il le faut encore, ce capitaine sera M. de Bussy.

Le duc, ébranlé par cette dernière offre, à laquelle il devait penser que Bussy serait sensible, jeta un regard vers l'alcôve, tremblant de rencontrer un oeil flamboyant et des dents blanches, grinçant dans l'ombre. Mais, ô surprise! il vit, au contraire, Bussy riant, joyeux, et applaudissant par de nombreuses approbations de tête.

— Qu'est-ce que cela signifie? se demandât-il; Bussy ne voulait-il donc la guerre que pour devenir capitaine de mes gardes? — Alors, dit-il tout haut, et s'interrogeant lui-même, je dois donc accepter?

— Oui! oui! oui! fit Bussy, des mains, des épaules et de la tête.

— Il faudrait donc, continua le duc, quitter l'Anjou pour revenir à Paris?

— Oui! oui! oui! continua Bussy avec une fureur approbative, qui allait toujours en croissant.

— Sans doute, cher enfant, dit Catherine; mais est-ce donc si difficile de revenir à Paris?

— Ma foi, se dit le duc, je n'y comprends plus rien. Nous étions convenus que je refuserais tout, et voici que maintenant il me conseille la paix et les embrassades.

— Eh bien! demanda Catherine avec anxiété, que répondez-vous?

— Ma mère, je réfléchirai, dit le duc, qui voulait s'entendre avec Bussy de cette contradiction, et demain...

— Il se rend, pensa Catherine. Allons, j'ai gagné la bataille.

— Au fait, se dit le duc, Bussy a peut-être raison.

Et tous deux se séparèrent après s'être embrassés.