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La dame de Monsoreau — Tome 3

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— Non, madame, dit Monsoreau en retenant Diane par le bras, vous resterez.

— Monsieur, dit Diane, voici M. et madame de Saint-Luc. J'espère que vous vous contiendrez devant eux.

En effet, Saint-Luc et sa femme venaient d'apparaître au bout d'une allée, appelés par la cloche du dîner, qui venait d'entrer en branle, comme si l'on n'eût attendu que M. de Monsoreau pour se mettre à table.

Tous deux reconnurent le comte; et, devinant qu'ils allaient sans doute, par leur présence, tirer Diane d'un grand embarras, ils s'approchèrent vivement.

Madame de Saint-Luc fit une grande révérence à M. de Monsoreau; Saint-Luc lui tendit cordialement la main. Tous trois échangèrent quelques compliments; puis Saint-Luc, poussant sa femme au bras du comte, prit celui de Diane.

On s'achemina vers la maison.

On dînait à neuf heures, au manoir de Méridor: c'était une vieille coutume du temps du bon roi Louis XII, qu'avait conservée le baron dans toute son intégrité.

M. de Monsoreau se trouva placé entre Saint-Luc et sa femme; Diane, éloignée de son mari par une habile manoeuvre de son amie, était placée, elle, entre Saint-Luc et le baron.

La conversation fut générale. Elle roula tout naturellement sur l'arrivée du frère du roi à Angers et sur le mouvement que cette arrivée allait opérer dans la province.

Monsoreau eût bien voulu la conduire sur d'autres sujets; mais il avait affaire à des convives rétifs: il en fut pour ses frais.

Ce n'est pas que Saint-Luc refusât le moins du monde de lui répondre; tout au contraire. Il cajolait le mari furieux avec un charmant esprit, et Diane, qui, grâce au bavardage de Saint-Luc, pouvait garder le silence, remerciait son ami par des regards éloquents.

— Ce Saint-Luc est un sot, qui bavarde comme un geai, se dit le comte; voilà l'homme duquel j'extirperai le secret que je désire savoir, et cela par un moyen ou par un autre.

M. de Monsoreau ne connaissait pas Saint-Luc, étant entré à la cour juste comme celui-ci en sortait.

Et, sur cette conviction, il se mit à répondre au jeune homme de façon à doubler la joie de Diane et à ramener la tranquillité sur tous les points.

D'ailleurs, Saint-Luc faisait de l'oeil des signes à madame de Monsoreau, et ces signes voulaient visiblement dire:

— Soyez tranquille, madame, je mûris un projet.

Nous verrons dans le chapitre suivant quel était le projet de M. de Saint-Luc.

CHAPITRE V
LE PROJET DE M. DE SAINT-LUC

Le repas fini, Monsoreau prit son nouvel ami par le bras, et, l'emmenant hors du château:

— Savez-vous, lui dit-il, que je suis on ne peut plus heureux de vous avoir trouvé ici, moi que la solitude de Méridor effrayait d'avance!

— Bon! dit Saint-Luc, n'avez-vous pas votre femme? Quant a moi, avec une pareille compagne, il me semble que je trouverais un désert trop peuplé.

— Je ne dis pas non, répondit Monsoreau en se mordant les lèvres.

Cependant...

— Cependant quoi?

— Cependant je suis fort aise* de vous avoir rencontré ici.

— Monsieur, dit Saint-Luc en se nettoyant les dents avec une petite épée d'or, vous êtes, en vérité, fort poli; car je ne croirai jamais que vous ayez un seul instant pu craindre l'ennui avec une pareille femme et en face d'une si riche nature.

— Bah! dit Monsoreau, j'ai passé la moitié de ma vie dans les bois.

— Raison de plus pour ne pas vous y ennuyer, dit Saint-Luc; il me semble que plus on habite les bois, plus on les aime. Voyez donc quel admirable parc. Je sais bien, moi, que je serai désespéré lorsqu'il me faudra le quitter. Malheureusement j'ai peur que ce ne soit bientôt.

— Pourquoi le quitteriez-vous?

— Eh! monsieur, l'homme est-il maître de sa destinée? C'est la feuille de l'arbre que le vent détache et promène par la plaine et par les vallons, sans qu'il sache lui-même où il va. Vous êtes heureux, vous.

— Heureux, de quoi?

— De demeurer sous ces magnifiques ombrages.

— Oh! dit Monsoreau, je n'y demeurerai probablement pas longtemps non plus.

— Bah! qui peut dire cela? Je crois que vous vous trompez, moi.

— Non, fit Monsoreau; non, oh! je ne suis pas si fanatique que vous de la belle nature, et je me défie, moi, de ce parc que vous trouvez si beau.

— Plaît-il? fit Saint-Luc.

— Oui, répéta Monsoreau.

— Vous vous défiez de ce parc, avez-vous dit; et à quel propos?

— Parce qu'il ne me paraît pas sûr.

— Pas sûr! en vérité! dit Saint-Luc étonné. Ah! je comprends: à cause de l'isolement, voulez-vous dire?

— Non. Ce n'est point précisément à cause de cela; car je présume que vous voyez du monde à Méridor?

— Ma foi non! dit Saint-Luc avec une naïveté parfaite, pas une âme.

— Ah! vraiment?

— C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire.

— Comment, de temps en temps, vous ne recevez pas quelque visite?

— Pas depuis que j'y suis, du moins.

— De cette belle cour qui est à Angers, pas un gentilhomme ne se détache de temps en temps?

— Pas un.

— C'est impossible!

— C'est comme cela cependant.

— Ah! fi donc, vous calomniez les gentilshommes angevins.

— Je ne sais pas si je les calomnie; mais le diable m'emporte si j'ai aperçu la plume d'un seul.

— Alors, j'ai tort sur ce point.

— Oui, parfaitement tort. Revenons donc à ce que vous disiez d'abord, que le parc n'était pas sûr. Est-ce qu'il y a des ours?

— Oh! non pas.

— Des loups?

— Non plus.

— Des voleurs?

— Peut-être. Dites-moi, mon cher monsieur, madame de Saint-Luc est fort jolie, à ce qu'il m'a paru.

— Mais oui.

— Est-ce qu'elle se promène souvent dans le parc?

— Souvent; elle est comme moi, elle adore la campagne. Mais pourquoi me faites-vous cette question?

— Pour rien; et, lorsqu'elle se promène, vous l'accompagnez?

— Toujours, dit Saint-Luc.

— Presque toujours? continua le comte.

— Mais où diable voulez-vous en venir?

— Eh mon Dieu! à rien, cher monsieur de Saint-Luc, ou presque à rien du moins.

— J'écoute.

— C'est qu'on me disait...

— Que vous disait-on? Parlez.

— Vous ne vous fâcherez pas?

— Jamais je ne me fâche.

— D'ailleurs, entre maris, ces confidences-là se font; c'est qu'on me disait que l'on avait vu rôder un homme dans le parc.

— Un homme?

— Oui.

— Qui venait pour ma femme?

— Oh! je ne dis point cela.

— Vous auriez parfaitement tort de ne pas le dire, cher monsieur de Monsoreau; c'est on ne peut plus intéressant; et qui donc a vu cela? je vous prie.

— A quoi bon?

— Dites toujours. Nous causons, n'est-ce pas? Eh bien! autant causer de cela que d'autre chose. Vous dites donc que cet homme venait pour madame de Saint-Luc. Tiens! tiens! tiens!

— Écoutez, s'il faut tout vous avouer; eh bien! non, je ne crois pas que ce soit pour madame de Saint-Luc.

— Et pour qui donc?

— Je crains, au contraire, que ce ne soit pour Diane.

— Ah bah! fit Saint-Luc, j'aimerais mieux cela.

— Comment! vous aimeriez mieux cela?

— Sans doute. Vous le savez, il n'y a pas de race plus égoïste que les maris. Chacun pour soi, Dieu pour tous! Le diable plutôt! ajouta Saint-Luc.

— Ainsi donc, vous croyez qu'un homme est entré?

— Je fais mieux que de le croire, j'ai vu.

— Vous avez vu un homme dans le parc?

— Oui, dit Saint-Luc.

— Seul?

— Avec madame de Monsoreau.

— Quand cela? demanda le comte.

— Hier.

— Où donc?

— Mais ici, à gauche, tenez.

Et, comme Monsoreau avait dirigé sa promenade et celle de Saint-Luc du côté du vieux taillis, il put, d'où il était, montrer la place à son compagnon.

— Ah! dit Saint-Luc, en effet, voici un mur en bien mauvais état; il faudra que je prévienne le baron qu'on lui dégrade ses clôtures.

— Et qui soupçonnez-vous?

— Moi! qui je soupçonne?

— Oui, dit le comte.

— De quoi?

— De franchir la muraille pour venir dans le parc causer avec ma femme.

Saint-Luc parut se plonger dans une méditation profonde dont M. de Monsoreau attendit avec anxiété le résultat.

— Eh bien! dit-il.

— Dame! fit Saint-Luc, je ne vois guère que...

— Que... qui?.. demanda vivement le comte.

— Que... vous... dit Saint-Luc en se découvrant le visage.

— Plaisantez-vous, mon cher monsieur de Saint-Luc? dit le comte pétrifié.

— Ma foi! non. Moi, dans le commencement de mon mariage, je faisais de ces choses-là; pourquoi n'en feriez-vous pas, vous?

— Allons, vous ne voulez pas me répondre; avouez cela, cher ami; mais ne craignez rien... Voyons, aidez-moi, cherchez: c'est un énorme service que j'attends de vous.

Saint-Luc se gratta l'oreille.

— Je ne vois toujours que vous, dit-il.

— Trêve de railleries; prenez la chose gravement, monsieur, car, je vous en préviens, elle est de conséquence.

— Vous croyez?

— Mais je vous dis que j'en suis sûr.

— C'est autre chose alors; et comment vient cet homme? le savez-vous?

 

— Il vient à la dérobée, parbleu.

— Souvent?

— Je le crois bien: ses pieds sont imprimés dans la pierre molle du mur, regardez plutôt.

— En effet.

— Ne vous êtes-vous donc jamais aperçu de ce que je viens de vous dire?

— Oh! fit Saint-Luc, je m'en doutais bien un peu.

— Ah! voyez-vous, fit le comte haletant; après?

— Après, je ne m'en suis pas inquiété; j'ai cru que c'était vous.

— Mais quand je vous dis que non.

— Je vous crois, mon cher monsieur.

— Vous me croyez?

— Oui.

— Eh bien! alors...

— Alors c'est quelque autre.

Le grand veneur regarda d'un oeil presque menaçant Saint-Luc, qui déployait sa plus coquette et sa plus suave nonchalance.

— Ah! fit-il d'un air si courroucé, que le jeune homme leva la tête.

— J'ai encore une idée, dit Saint-Luc.

— Allons donc!

— Si c'était...

— Si c'était?

— Non.

— Non?

— Mais si.

— Parlez.

— Si c'était M. le duc d'Anjou.

— J'y avais bien pensé, reprit Monsoreau; mais j'ai pris des renseignements: ce ne pouvait être lui.

— Eh! eh! le duc est bien fin.

— Oui, mais ce n'est pas lui.

— Vous me dites toujours que cela n'est pas, dit Saint-Luc, et vous voulez que je vous dise, moi, que cela est.

— Sans doute; vous qui habitez le château, vous devez savoir...

— Attendez! s'écria Saint-Luc.

— Y êtes-vous?

— J'ai encore une idée. Si ce n'était ni vous ni le duc, c'était sans doute moi.

— Vous, Saint-Luc?

— Pourquoi pas?

— Vous, qui venez à cheval par le dehors du parc, quand vous pouvez venir par le dedans?

— Eh! mon Dieu! je suis un être si capricieux, dit Saint-Luc.

— Vous, qui eussiez pris la fuite en me voyant apparaître au haut du mur?

— Dame! on la prendrait à moins.

— Vous faisiez donc mal alors? dit le comte qui commençait à n'être plus maître de son irritation.

— Je ne dis pas non.

— Mais vous vous moquez de moi, à la fin! s'écria le comte pâlissant, et voilà un quart d'heure de cela.

— Vous vous trompez, monsieur, dit Saint-Luc en tirant sa montre et en regardant Monsoreau avec une fixité qui fit frissonner celui-ci malgré son courage féroce; il y a vingt minutes.

— Mais vous m'insultez, monsieur, dit le comte.

— Est-ce que vous croyez que vous ne m'insultez pas, vous, monsieur, avec toutes vos questions de sbire?

— Ah! j'y vois clair maintenant.

— Le beau miracle! à dix heures du matin. Et que voyez-vous? dites.

— Je vois que vous vous entendez avec le traître, avec le lâche que j'ai failli tuer hier.

— Pardieu! fit Saint-Luc, c'est mon ami.

— Alors, s'il en est ainsi, je vous tuerai à sa place.

— Bah! dans votre maison! comme cela, tout à coup! sans dire gare!

— Croyez-vous donc que je me gênerai pour punir un misérable? s'écria le comte exaspéré.

— Ah! monsieur de Monsoreau, répliqua Saint-Luc, que vous êtes donc mal élevé! et que la fréquentation des bêtes fauves a détérioré vos moeurs! Fi!..

— Mais vous ne voyez donc pas que je suis furieux! hurla le comte en se plaçant devant Saint-Luc, les bras croisés et le visage bouleversé par l'expression effrayante du désespoir qui le mordait au coeur.

— Si, mordieu! je le vois; et, vrai, la fureur ne vous va pas le moins du monde; vous êtes affreux à voir comme cela, mon cher monsieur de Monsoreau.

Le comte, hors de lui, mit la main à son épée.

— Ah! faites attention, dit Saint-Luc, c'est vous qui me provoquez...

Je vous prends vous-même à témoin que je suis parfaitement calme.

— Oui, muguet, dit Monsoreau, oui, mignon de couchette, je te provoque.

— Donnez-vous donc la peine de pauser de l'autre côté du mur, monsieur de Monsoreau; de l'autre côté du mur, nous serons sur un terrain neutre.

— Que m'importe? s'écria le comte.

— Il m'importe à moi, dit Saint-Luc; je ne veux pas vous tuer chez vous.

— A la bonne heure! dit Monsoreau en se hâtant de franchir la brèche.

— Prenez garde! allez doucement, comte! Il y a une pierre qui ne tient pas bien; il faut qu'elle ait été fort ébranlée. N'allez pas vous blesser, au moins; en vérité, je ne m'en consolerais pas.

Et Saint-Luc se mit à franchir la muraille à son tour.

— Allons! allons! hâte-toi, dit le comte en dégaînant.

— Et moi qui viens à la campagne pour mon agrément! dit Saint-Luc se parlant à lui-même; ma foi, je me serai bien amusé.

Et il sauta de l'autre côté du mur.

CHAPITRE VI
COMMENT M. DE SAINT-LUC MONTRA A M. DE MONSOREAU LE COUP QUE LE ROI LUI AVAIT MONTRÉ

Monsieur de Monsoreau attendait Saint-Luc l'épée à la main, et en faisant des appels furieux avec le pied.

— Y es-tu? dit le comte.

— Tiens! fit Saint-Luc, vous n'avez pas pris la plus mauvaise place, le dos au soleil; ne vous gênez pas.

Monsoreau fit un quart de conversion.

— A la bonne heure! dit Saint-Luc, de cette façon je verrai clair à ce que je fais.

— Ne me ménages pas, dit Monsoreau, car j'irai franchement.

— Ah çà! dit Saint-Luc, vous voulez donc me tuer absolument?

— Si je le veux!.. oh! oui... je le veux!

— L'homme propose et Dieu dispose! dit Saint-Luc en tirant son épée à son tour.

— Tu dis...

— Je dis... Regardez bien cette touffe de coquelicots et de pissenlits.

— Eh bien?

— Eh bien, je dis que je vais vous coucher dessus.

Et il se mit en garde, toujours riant.

Monsoreau engagea le fer avec rage, et porta avec une incroyable agilité à Saint-Luc deux ou trois coups que celui-ci para avec une agilité égale.

— Pardieu! monsieur de Monsoreau, dit-il tout en jouant avec le fer de son ennemi, vous tirez fort agréablement l'épée, et tout autre que moi ou Bussy eût été tué par votre dernier dégagement.

Monsoreau pâlit, voyant à quel homme il avait affaire.

— Vous êtes peut-être étonné, dit Saint-Luc, de me trouver si convenablement l'épée dans la main; c'est que le roi, qui m'aime beaucoup, comme vous savez, a pris la peine de me donner des leçons, et m'a montré, entre autres choses, un coup que je vous montrerai tout à l'heure. Je vous dis cela, parce que, s'il arrive que je vous tue de ce coup, vous aurez le plaisir de savoir que vous êtes tué d'un coup enseigné par le roi, ce qui sera excessivement flatteur pour vous.

— Vous avez infiniment d'esprit, monsieur, dit Monsoreau exaspéré en se fendant à fond pour porter un coup droit qui eût traversé une muraille.

— Dame! on fait ce qu'on peut, répliqua modestement Saint-Luc en se jetant de côté, forçant, par ce mouvement, son adversaire de faire une demi-volte qui lui mit en plein le soleil dans les yeux.

— Ah! ah! dit-il, voilà où je voulais vous voir, en attendant que je vous voie où je veux vous mettre. N'est-ce pas que j'ai assez bien conduit ce coup-là, hein? Aussi, je suis content, vrai, très-content! Vous aviez tout à l'heure cinquante chances seulement sur cent d'être tué; maintenant vous en avez quatre-vingt-dix-neuf.

Et, avec une souplesse, une vigueur et une rage que Monsoreau ne lui connaissait pas, et que personne n'eût soupçonnées dans ce jeune homme efféminé, Saint-Luc porta de suite, et sans interruption, cinq coups au grand veneur, qui les para, tout étourdi de cet ouragan mêlé de sifflements et d'éclairs; le sixième fut un coup de prime composé d'une double feinte, d'une parade et d'une riposte dont le soleil l'empêcha de voir la première moitié, et dont il ne put voir la seconde, attendu que l'épée de Saint-Luc disparut tout entière dans sa poitrine.

Monsoreau resta encore un instant debout, mais comme un chêne déraciné qui n'attend qu'un souffle pour savoir de quel côté tomber.

— Là! maintenant, dit Saint-Luc, vous avez les cent chances complètes; et, remarquez ceci, monsieur, c'est que vous allez tomber juste sur la touffe que je vous ai indiquée.

Les forces manquèrent au comte; ses mains s'ouvrirent, son oeil se voila; il plia les genoux et tomba sur les coquelicots, à la pourpre desquels il mêla son sang.

Saint-Luc essuya tranquillement son épée et regarda cette dégradation de nuances qui, peu à peu, change en un masque de cadavre le visage de l'homme qui agonise.

— Ah! vous m'avez tué, monsieur, dit Monsoreau.

— J'y tâchais, dit Saint-Luc; mais maintenant que je vous vois couché là, près de mourir, le diable m'emporte si je ne suis pas fâché de ce que j'ai fait! Vous m'êtes sacré à présent, monsieur; vous êtes horriblement jaloux, c'est vrai, mais vous étiez brave.

Et, tout satisfait de cette oraison funèbre, Saint-Luc mit un genou en terre près de Monsoreau, et lui dit:

— Avez-vous quelque volonté dernière à déclarer, monsieur? et, foi de gentilhomme, elle sera exécutée. Ordinairement, je sais cela, moi, quand on est blessé, on a soif: avez-vous soif? J'irai vous chercher à boire.

Monsoreau ne répondit pas. Il s'était retourné la face contre terre, mordant le gazon et se débattant dans son sang.

— Pauvre diable! fit Saint-Luc en se relevant. Oh! amitié, amitié, tu es une divinité bien exigeante!

Monsoreau ouvrit un oeil alourdi, essaya de lever la tête et retomba avec un lugubre gémissement.

— Allons! il est mort! dit Saint-Luc; ne pensons plus à lui... C'est bien aisé à dire: ne pensons plus à lui... Voilà que j'ai tué un homme, moi, avec tout cela! On ne dira pas que j'ai perdu mon temps à la campagne.

Et aussitôt, enjambant le mur, il prit sa course à travers le parc et arriva au château.

La première personne qu'il aperçut fut Diane; elle causait avec son amie.

— Comme le noir lui ira bien! dit Saint-Luc.

Puis, s'approchant du groupe charmant formé par les deux femmes:

— Pardon, chère dame, fit-il à Diane; mais j'aurais vraiment bien besoin de dire deux mots à madame de Saint-Luc.

— Faites, cher hôte, faîtes, répliqua madame de Monsoreau; je vais retrouver mon père à la bibliothèque. Quand tu auras fini avec M. de Saint-Luc, ajouta-t-elle en s'adressant à son amie, tu viendras me reprendre, je serai là.

— Oui, sans faute, dit Jeanne.

Et Diane s'éloigna en les saluant de la main et du sourire.

Les deux époux demeurèrent seuls.

— Qu'y a-t-il donc? demanda Jeanne avec la plus riante figure; vous paraissez sinistre, cher époux.

— Mais oui, mais oui, répondit Saint-Luc.

— Qu'est-il donc arrivé?

— Eh! mon Dieu! un accident!

— A vous? dit Jeanne effrayée.

— Pas précisément à moi, mais à une personne qui était près de moi.

— A quelle personne donc?

— A celle avec laquelle je me promenais.

— A monsieur de Monsoreau?

— Hélas! oui. Pauvre cher homme!

— Que lui est-il donc arrivé?

— Je crois qu'il est mort!..

— Mort! s'écria Jeanne avec une agitation bien naturelle à concevoir, mort!

— C'est comme cela.

— Lui qui, tout à l'heure, était là, parlant, regardant!..

— Eh! justement, voilà la cause de sa mort; il a trop regardé et surtout trop parlé.

— Saint-Luc, mon ami! dit la jeune femme en saisissant les deux bras de son mari.

— Quoi?

— Vous me cachez quelque chose.

— Moi! absolument rien, je vous jure, pas même l'endroit où il est mort.

— Et où est-il mort?

— Là-bas, derrière le mur, à l'endroit même où notre ami Bussy avait l'habitude d'attacher son cheval.

— C'est vous qui l'avez tué, Saint-Luc?

— Parbleu! qui voulez-vous que ce soit? Nous n'étions que nous deux, je reviens vivant, et je vous dis qu'il est mort: il n'est pas difficile de deviner lequel des deux a tué l'autre.

— Malheureux que vous êtes!

— Ah! chère amie, dit Saint-Luc, il m'a provoqué, insulté; il a tiré l'épée du fourreau.

— C'est affreux!.. c'est affreux!.. ce pauvre homme!

 

— Bon! dit Saint-Luc, j'en étais sûr! Vous verrez qu'avant huit jours on dira saint Monsoreau.

— Mais vous ne pouvez rester ici! s'écria Jeanne; vous ne pouvez habiter plus longtemps sous le toit de l'homme que vous avez tué.

— C'est ce que je me suis dit tout de suite; et voilà pourquoi je suis accouru pour vous prier, chère amie, de faire vos apprêts de départ.

— Il ne vous a pas blessé, au moins?

— A la bonne heure! quoiqu'elle vienne un peu tard, voilà une question qui me raccommode avec vous. Non, je suis parfaitement intact.

— Alors nous partirons.

— Le plus vite possible, car vous comprenez que, d'un moment à l'autre, on peut découvrir l'accident.

— Quel accident? s'écria madame de Saint-Luc en revenant sur sa pensée comme quelquefois on revient sur ses pas.

— Ah! fit Saint-Luc.

— Mais, j'y pense, dit Jeanne, voilà madame de Monsoreau veuve.

— Voilà justement ce que je me disais tout à l'heure.

— Après l'avoir tué?

— Non, auparavant.

— Allons, tandis que je vais la prévenir...

— Prenez bien des ménagements, chère amie!

— Mauvaise nature! pendant que je vais la prévenir, sellez les chevaux vous-même, comme pour une promenade.

— Excellente idée. Vous ferez bien d'en avoir comme cela plusieurs, chère amie; car, pour moi, je l'avoue, ma tête commence un peu à s'embarrasser.

— Mais où allons-nous?

— A Paris.

— A Paris! Et le roi?

— Le roi aura tout oublié; il s'est passé tant de choses depuis que nous ne nous sommes vus; puis, s'il y a la guerre, ce qui est probable, ma place est à ses côtés.

— C'est bien; nous partons pour Paris alors.

— Oui, seulement je voudrais une plume et de l'encre.

— Pour écrire à qui?

— A Bussy; vous comprenez que je ne puis pas quitter comme cela l'Anjou sans lui dire pourquoi je le quitte.

— C'est juste, vous trouverez tout ce qu'il vous faut pour écrire dans ma chambre.

Saint-Luc y monta aussitôt, et, d'une main qui, quoi qu'il en eût, tremblait quelque peu, il traça à la hâte les lignes suivantes:

«Cher ami,

«Vous apprendrez, par la voie de la Renommée, l'accident arrivé à M. de Monsoreau; nous avons eu ensemble, du côté du vieux taillis, une discussion sur les effets et les causes de la dégradation des murs et l'inconvénient des chevaux qui vont tout seuls. Dans le fort de cette discussion, M. de Monsoreau est tombé sur une touffe de coquelicots et de pissenlits, et cela si malheureusement, qu'il s'est tué roide.

«Votre ami pour la vie, «SAINT-LUC.

«P.S. Comme cela pourrait, au premier moment, vous paraître un peu invraisemblable, j'ajouterai que, lorsque cet accident lui est arrivé, nous avions tous deux l'épée à la main.

«Je pars à l'instant même pour Paris, dans l'intention de faire ma cour au roi, l'Anjou ne me paraissant pas très-sûr après ce qui vient de se passer.»

Dix minutes après, un serviteur du baron courait à Angers porter cette lettre, tandis que, par une porte basse donnant sur un chemin de traverse, M. et madame de Saint-Luc partaient seuls, laissant Diane éplorée, et surtout fort embarrassée pour raconter au baron la triste histoire de cette rencontre.

Elle avait détourné les yeux quand Saint-Luc avait passé.

— Servez donc vos amis! avait dit celui-ci à sa femme; décidément tous les hommes sont ingrats, il n'y a que moi qui suis reconnaissant.