La Cité Ravagée

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"Va te faire foutre," marmonna Dagra. Il leva les yeux pour rencontrer le regard d'Oriken et lui fit un bref signe de la tête. Puis, il tourna les talons et se dirigea vers la crypte la plus proche.

Oriken échangea un regard avec Jalis avant de s'en aller explorer la douzaine d'entrées de cryptes des environs immédiats. Devant la première, il s'étira pour inspecter les inscriptions gravées dans la pierre au-dessus de l'entrée. La pierre avait une fissure verticale qui coupait le nom Hauverydh juste en son centre. La statue qui ornait la crypte gisait couchée près de la porte, sa face de pierre effritée et usée, ses mains serrant sa poitrine, ce qu'elle avait tenu par le passé à présent érodé ou tombé depuis longtemps.

Oriken passa entre des pierres tombales pour se rendre vers la seconde crypte. Certaines des plaques avaient disparu, d'autres s'étaient enfoncées ou étaient penchées, tandis que d'autres encore étaient demeurées parfaitement droites. Plusieurs des inscriptions comportaient le nom Chiddari, ou ce qui semblait être une variante.

"Ça s'en rapproche par ici !" appela-t-il.

Arrivé à la crypte, il se tint debout devant sa statue et vérifia le nom effacé par le temps sur la plinthe. Cunaxa Tjiddarei. Les traits altérés étaient ceux d'une femme fière, tenant contre sa poitrine ce qui semblait être un marteau et un ciseau. La statue en bronze était dans une posture oblique, penchée vers l'avant, comme sur le point de faire une révérence à Oriken, le félicitant d'avoir trouvé son lieu de repos.

"Ouais," appela-t-il. "C'est ici !"

"Bien joué," dit Jalis dans son dos, ce qui le fit presque sauter hors de lui-même.

"Par les putain d'étoiles et de lunes, Jalis !" siffla Oriken. "Ne fais pas ça !"

Elle lui sourit. "Désolée."

À l'approche de Dagra, Jalis prit la lampe à huile et la poudrière de son paquetage et s’occupa à produire des étincelles pour enflammer un morceau de tissu à brûler. Une fois que le feu prit, elle plaça un bâton de soufre sur la flamme et s'en servit pour allumer la lampe.

Quand la lampe fut allumée, Dagra dit : "Donne-la moi." Il avait une expression hagarde mais il avait l'air plus déterminé que plus tôt.

Jalis le regarda. "Tu es sûr ?"

"Non. Mais donne quand même." Il prit la lampe et les guida vers l'entrée ténébreuse de la crypte Chiddari.

Chapitre Neuf

Rien Sans Peur


"Finissons-en avec cette affaire." Dagra souleva la lampe et scruta la cage d'escalier. Les flammes projetaient une lueur tremblante sur les murs rugueux et les marches en pierre. Au-delà du halo de lumière, la fosse du caveau s'ouvrait dans une sinistre invitation.

Se préparant mentalement, il pressa son pendentif Avato sur ses lèvres, puis avança dans l'obscurité d'un pas lent et délibéré. Un pas, deux... Ses bottes crissaient doucement dans la poussière de pierre usée. Sa respiration étouffée et le bruit des pas de ses compagnons le suivaient dans les profondeurs.

"Ne t'inquiète pas, Jalis," dit Oriken. "Si quelque chose passe au-dessus de Dag, je te protège."

Jalis rigola. "Tu es un bien brave compagnon de déclarer ça à une maîtresse-lame quand elle bloquée derrière toi dans un couloir."

"Que dit le dicton déjà ? Garde tes esprits plus affûtés que ta lame." Le ton d'Oriken était nettement enjoué mais Dagra savait que c'était pour masquer son propre malaise.

Quand il parvint à un virage dans les escaliers, Dagra se figea sur place. "Par la souffrance des dieux." La lumière de la lampe éclairait les murs à angle droit, ce qui projeta des ombres sur les pierres. De sa main libre, il saisit la poignée de son glaive.

"Que se passe-t-il ?" demanda Oriken.

"Rien. J'ai juste... Tout va bien."

"Tu ferais mieux d'oublier cette légende," conseilla Jalis.

"Ce n'est pas ce qui me dérange." Non, pensa-t-il. C'est l'obscurité. Ça, et le poids écrasant de la terre au-dessus. Et le fait qu'on soit en train de descendre dans un endroit encore plus abandonné des dieux que l'ensemble des Terres Mortes.

Il scruta les ténèbres au-delà du coude avec angoisse. Pour autant qu'il sût, l'escalier était vide.

"Je me comporte comme une petite fille qui croit aux fantômes," marmonna-t-il, se forçant à poursuivre la descente. Sauf que, si les fantômes existaient, c'est bien dans cette crypte impie qu'ils se trouveraient.

Après le virage suivant, les marches débouchèrent sur un sol plat qui s'étendait en un couloir long et étroit. Des étais de bois couraient le long des murs entre des dalles de pierre carrées. Des amas de toiles d'araignée poussiéreux pendaient depuis les coins des traverses. L'obscurité, humide et pénétrante, alliée à l'odeur de moisi qui provenait de la gorge noire du couloir, envoya un frisson le long de la colonne vertébrale de Dagra.

"Foutues Dyades," dit Oriken, obligé de se pencher dans l'espace exigu.

Dagra le fusilla du regard. "S'il te plaît, ne jure pas pendant que je prie."

Oriken inclina la tête davantage, cachant son visage dans l'obscurité ainsi que son sourire narquois.

"Sérieusement, j'ai entendu la même désinvolture de ta part depuis qu'on était gosses et ça ne vaut vraiment pas la peine qu'on en discute. Ce n'est pas du tout le moment de me pousser à défendre l'existence des forces d'au-dessus, d'au-dessous et par-delà Verragos que je sais être réelles et que tu t'obstines à—"

"Tout ce que j'ai dit, c'était Foutues Dyades."

"Ha !" Dagra leva les yeux. "J'espère que tu n'es pas si occupé à jurer que t'as pas le temps de voir qu’il y a des toiles d'araignée."

Oriken s'arrêta et gémit. "Par les étoiles... Il fallait qu'il y ait des toiles d'araignée ici, n'est-ce pas ? J'aurais pu le parier."

Dagra poursuivit sa marche, Oriken le suivant de près. Peu de temps après, ils aperçurent une arcade ouvrant sur quelque horreur impie qui les attendait à l'intérieur. Tous ses sens concentrés sur l'arcade sombre, il faillit s'évanouir et manqua de laisser tomber la lampe quand le cri d'Oriken transperça le couloir. Le cœur de Dagra battit à tout rompre quand il se retourna pour voir Oriken se dandiner et battre des bras avec affolement, battant le rebord de son chapeau et reculant en plein sur Jalis, amusée.

Elle l'attrapa par la taille, sans doute plus pour se protéger de son poids que pour calmer ce balourd sans cervelle. En dépit de sa petite stature, elle parvint sans mal à arrêter leur compagnon de haute taille dans sa lancée.

Les mouvements d'Oriken avaient provoqué un nuage de poussière et un fin voile restait en suspens dans le corridor, réduisant davantage leur visibilité. Les cheveux en sueur et décoiffés, alors qu'il retirait son chapeau, Oriken fixa avec effroi les toiles d'araignée qui s'étaient accrochées au rebord et sur la couronne gondolée de son chapeau. Avec une grimace, il s'en débarrassa.

Jalis posa ses mains sur ses hanches, leva le menton et lui jeta un regard déçu.

Remarquant le reproche, Oriken haussa les épaules tout en s'excusant et remit son chapeau sur la tête. "Ah ! Ça me fout les jetons !"

Dagra soupira. "On le sait !"

Jalis ne pouvait réprimer son sourire narquois, puis elle dit, "Tu en as raté une, là." Elle tendit le bras et retira un fil de toile de sa barbe, puis l'essuya contre le mur. "Voilà. C'est fini." Elle plissa les lèvres, puis rajouta, "Vas-tu maintenant te comporter comme un brave sabreur ?"

"J'avais bien dit qu'on aurait mieux fait d'emmener plusieurs torches au lieu de cette stupide lampe," marmonna Oriken. "On aurait pu flamber tout le satané plafond en passant."

Dagra secoua la tête et tourna son attention vers l'arcade plongée dans les ténèbres. Il avança prudemment, chaque pas amenant son lot d'angoisse. Ses peurs avaient repris le dessus.

Je n'ai aucune hâte à aller trouver ce qui se cache là-bas, pensa-t-il. Personne n'est entré dans ce caveau mortuaire depuis des siècles. C'est contre nature ! Mais bon, on est arrivés jusqu'ici, à défaut on ramènera une bonne histoire. Ressaisis-toi. On y est presque.

Il atteignit l'arcade et s'immobilisa. "Pour une pièce de cuivre, pour une pièce d'argent," grommela-t-il. Prenant une profonde inspiration, il franchit le seuil et entra dans un couloir au plafond haut, beaucoup plus large que le couloir exigu. Tout était silencieux et immobile. Trop calme. Trop immobile. Il scruta dans l'obscurité pendant un long moment. Les poils sur son cuir chevelu s'étaient dressés alors qu'il fit un pas de côté pour laisser les autres passer.

Oriken se pencha pour franchir l'arcade en souriant et s'étira de toute sa hauteur. "Ah, voilà qui est bien mieux !"

"Content que tu sois heureux," dit Dagra, "mais pourrais-tu exprimer ta joie avec un peu moins de bruit ?"

"Ah, allez, Dag. L'incident de la cave, c'était il y a des années."

"Ouais, parfaitement ! Sept, pour être précis. Et je n'ai pas besoin que tu me le rappelles encore une fois, merci beaucoup."

Oriken railla. "Si tu continues à crier comme ça, tu vas finir par réveiller les morts, sans parler des plafonds qui risquent de s’effondrer et les entrées qui seront bloquées."

Dagra frissonna, serra les dents et lança à Oriken un regard furieux.

 

"Les mômes, ça suffit," Jalis les rappela à l'ordre. "Gardez vos plaisanteries pour quand on sera de retour sur la lande. Vous pourrez même plaisanter tout le long du chemin du retour mais essayons de nous comporter comme des sabreurs pendant que nous sommes ici." Elle regarda Dagra. "Je te laisse nous guider."

Il avança avec précaution dans le hall. La flamme de la lampe vacillait alors qu'il la balançait de droite et de gauche pour scruter les alcôves creusées dans les murs à intervalles réguliers. Des ombres tremblaient tout autour d'eux comme des spectres fuyant le halo de lumière. Dans les alcôves ainsi que sur des piédestaux alignés le long du centre du couloir, des assortiments de pierres précieuses captaient la lumière ; il reconnut de l'obsidienne, de la pierre d'étoile, du lapis, des cymophanes, de la pierre de tonnerre et plusieurs autres pierres, jolies mais peu précieuses. À l'arrière de l'une des alcôves, une pierre de soleil veinée de rouge attira son attention. Il s'en approcha pour la regarder de plus près. Le joyau était enchâssé à hauteur de taille au centre d'une dalle de granit allant des genoux de Dagra jusqu'à sa poitrine, deux fois plus grande en largeur, et dont les côtés étaient fermement encastrés dans des piliers d'angle. Il saisit la pierre de soleil pour la déloger mais elle était fermement incrustée dans le granit.

Il y avait des mots et des dates gravés autour de la pierre. Dagra se pencha plus près mais les lettres gravées étaient en himaerien ancien et à peine lisible. Secouant la tête, il retourna vers le couloir.

Alors qu'il passait près d'un piédestal central, la lampe illumina des éraflures dans la poussière à quelques pas d'eux. Il s'en approcha et s'accroupit pour mieux observer ces traces dans le sol poussiéreux. Oriken et Jalis le rejoignirent. "On dirait que nous ne sommes pas les premiers," dit-il.

"Probablement des rats," dit Oriken envers qui Jalis leva un sourcil. "De très gros rats, alors ?" Dagra lui lança un regard désapprobateur. "Bon !" Il haussa les épaules. "Un nargut, alors. Et il y a probablement un terrier quelque part."

"Pas des rats." Il y avait une pointe d'inquiétude dans la voix de Jalis. "Pas un nargut non plus, Oriken, mais merci pour la suggestion. Et, quoi que ce soit, ça se déplace sur deux jambes. Peut-être un cravant. Mais je pense que nous sommes d'accord, c'est peu probable, puisque le cimetière est fermé."

"Moins probable qu'un nargut ?"

Jalis ferma les yeux. "Oublie ce nargut. Je t'en attraperai un plus tard, si tu y tiens. Tu pourras lui nouer une corde autour du cou et le garder comme animal de compagnie en chemin." Puis en plissant des lèvres, elle ajouta, "Ces empreintes sont loin d'être fraîches, c'est important de le remarquer."

"Tu crois que ça date de quand ?" demanda Oriken.

"Étant donné que cette crypte n'a probablement pas été entretenue depuis votre Grand Soulèvement... c'était quand déjà ? Au début du cinquième siècle ?"

"À peu près, oui," dit Dagra qui gardait un œil sur les ténèbres autour d'eux.

Jalis se releva ; Dagra et Oriken en firent de même. "Dans ce cas," dit-elle, "il doit y avoir là une couche de poussière vieille de deux ou trois siècles."

"Ouh la," dit Oriken. "Ces empreintes n'auraient pas été recouvertes de poussière depuis tout ce temps ?"

"Pas nécessairement. La couche de poussière dans la crypte n'est pas vraiment épaisse, comme celle qu'on trouverait dans une maison après le même nombre d'années. Ces empreintes pourraient ne dater que de quelques décennies." Les coins de ses lèvres se relevèrent en un sourire sans joie. "Dagra, je t'invite à prier pour que ce soi-disant joyau funéraire soit encore là. Orik, toi, tu peux invoquer les étoiles et les lunes, si ça te fait plaisir. Pour ma part, après ce long voyage sinistre au bout de nulle part, j'ai hâte de mettre la main sur notre trésor. Mais si quelqu'un nous a devancés..."

"Pas de conclusions hâtives," dit Dagra. Moi qui commençais à me faire à l'idée que peut-être on allait le trouver, ce joyau, après tout.

Les pièces d'argent de ce contrat leur assureraient des repas chauds et des chopes pleines pour une année entière et pour tous les trois. Même la part de Maros en tant qu'Officiel de la Guilde lui rapporterait un petit pactole. Aucun d'entre eux n'avait les moyens de cracher dessus.

Ils reprirent leur progression dans le couloir. Dagra ouvrit la marche, muni de la lampe, en suivant les anciennes traces de pas et vérifiant les alcôves de part et d'autre. Il examina chacune d'entre elles à la recherche du joyau mais elles ne contenaient que des dalles de granit et des pierres de peu de valeur.

"J'ai remarqué une chose à propos de cette salle," dit Oriken en se frottant la barbe. "Depuis le couloir derrière nous, je n'ai pas vu l'ombre d'une toile d'araignée. À moins que le plafond là-haut n'en soit infesté ; heureusement, on n'en voit pas grand-chose et donc nous ne saurons pas."

Dagra regarda Jalis. "Il a raison."

"C'est presque comme si..." le visage d'Oriken semblait plongé en pleine concentration.

Dagra s'impatientait. "Oui ?"

Oriken leva les bras en signe d'abandon. "Je ne sais pas c'est presque comme quoi. Quelque chose, sans doute."

"Merci pour ta perspicacité," dit Jalis. "Qui a besoin d'un oracle quand on a Oriken ?"

"Ouais, oublie ça." Il abaissa le rebord de son chapeau et ils reprirent leur progression en silence.

Pour Dagra, l'obscurité devenait de plus en plus oppressante et étouffante au fur et à mesure qu'ils avançaient. Il essuya la sueur de son front du dos de la main et tira sur le col de sa chemise déjà desserré. D'ici, le plafond était à peine visible ; quelques lignes grisâtres et des contours que dessinaient la pierre brute et les traverses, mais ce qui l'écrasait plus que ce couloir étroit, c'était cet espace ouvert. La dernière chose qu'il voulait était de se retrouver enfermé du mauvais côté d'une chute de pierres, nulle part où s'enfuir, pendant que les fantômes de personnes mortes depuis longtemps s'échappaient des murs, leurs lueurs fantomatiques s’approchant de plus en plus près...

"Lieu impie," marmonna-t-il en réprimant un frisson.

Il était bien content d'être celui qui tenait la lampe. Puis il pensa à Jalis qui fermait la marche et, en silence, il admira sa bravoure. De lui faire confiance, à lui, pour voir à sa place, voilà qui était culotté de sa part.

Tu as plus de cran que moi, copine. Je te le concède.

Il avait les yeux baissés sur les dalles de pierre poussiéreuses quand quelque chose bougea en bordure de son champ de vision. Il se figea, un hoquet se formant dans sa gorge. La lumière éclairait un amas de formes sombres et tremblantes qui glissaient sur le sol depuis une alcôve sur la gauche. Il se précipita sur son épée, ses doigts oubliant ses années d'entraînement, et son glaive était déjà à moitié dégainé quand il réalisa ce que ces formes étaient ; il poussa un cri de soulagement.

Par les dieux, je n'avais pas besoin de ça. Ce n'était que des débris, des morceaux de dalle de granit tombés de leur niche, rien qui ne soit accroupi ni à l'affût. Juste une illusion provoquée par les ombres et la lumière. Et par ton imagination, se reprocha-t-il. Les formes n'avaient pas bougé d'un pouce.

Comme il s'approchait de l'éboulis, il remarqua avec inquiétude que les traces qu'ils avaient suivies menaient tout droit à cet amas de dalle fracassée. Il jeta un coup d’œil vers Jalis. Elle hocha la tête en réponse à la question muette. Encouragé par son assurance, Dagra avança dans l'alcôve, les fragments épars de granit craquant sous ses bottes. Ses yeux scrutaient l'endroit exigu, attirés par la niche tout au fond, d'où la dalle était tombée. Le vide qu'elle avait laissé révélait un épais tapis de toiles d'araignées. Il se trouvait peut-être des araignées tout au fond, mais il n'y avait aucun moyen de le savoir ; les fils densément tissés semblaient complètement absorber la lumière de la lampe, l'aspirant au-dedans, gardant ses secrets.

Son attention fut attirée par le coin supérieur droit de la cavité oblongue. Une tâche de moisissure sombre, d'aspect friable, collait au mur, ressemblant à la substance qui recouvrait les arbres dans le cimetière. Au-dessus de la tâche de moisissure trônait un amas de petites poches de couleur claire striés de lignes rouges sombre. Dagra se pencha de plus près pour inspecter ces curieuses excroissances. D'un doigt, il toucha légèrement la plus grande d'entre elles. Avec un léger pop, la membrane desséchée se désintégra dans un petit nuage de poussière. Il tressaillit en reculant ; une odeur piquante envahit ses narines. Mais le nuage s'était déjà dissipé. Il éternua et se frotta le nez avec frénésie. Il recula, jetant un regard sombre sur le nid de toiles d'araignée, les excroissances de moisissure, les débris dispersés et la poussière qui avait été déplacée.

Quelle manière de vivre dans l'au-delà, pensa-t-il, écœuré à l'idée d'être abandonné à pourrir dans un trou plutôt que d'être décemment brûlé jusqu'aux os. C'était des sauvages, du temps des Rois, vraiment. Les corps devraient être brûlés pour que l'esprit soit libéré et puisse voyager vers Kambesh.

Les esprits...

Une légère odeur de moisi dériva de la cavité tapissée de toile. Il frissonna et rejoignit ses compagnons.

"Quelque chose d'intéressant ?" demanda Oriken.

Dagra lui lança un regard sombre. "Rien que tu n'aies envie de savoir."

"Des araignées." Oriken fit une grimace. "Si c'est des araignées, tu n'as qu'à le dire, il y a des araignées. Je préfère savoir plutôt que de ne pas savoir."

"Je n'ai pas vu d'araignées."

Oriken eut l'air sur ses gardes. "D'accord."

"Mais..."

"Mais quoi ?"

"Tu as remarqué qu'il n'y a pas une toile ici ?"

Oriken plissa les yeux en anticipant les prochaines paroles de Dagra.

"Je crois les avoir trouvées." Dagra pointa de son pouce par-dessus son épaule. "Elles sont toutes réunies dans ce trou. Du moins, ça en a tout l'air." Oriken grimaça ; Dagra haussa innocemment les épaules. "Eh, c'est toi qui as demandé à savoir."

"Oui, mais il y a une différence entre information et trop d'information. Tu ne pouvais pas résister, hein ?" Oriken pointa un doigt accusateur. "Je te revaudrai ça."

Dagra eut un sourire en coin. Les plaisanteries allégeaient quelque peu l'état d'esprit dans lequel il se trouvait.

Dans les décombres, une petite pierre de sang attira son attention. Il se pencha, la ramassa et l'essuya sur son pantalon. C'était une pierre lisse de forme ovale, d'un vert profond parsemé de taches écarlates.

Pas de grande valeur mais une jolie babiole. Ça ne fait plus partie d'un tombeau, rationalisa Dagra, balayant ainsi le problème moral que son geste occasionnait. Je pourrais demander au forgeron de me l'incruster dans le pommeau de mon glaive. Un souvenir de ce voyage, pensa-t-il sournoisement tout en fourrant la pierre de sang dans sa poche.

"Ces babioles ne valent presque rien," dit-il tranquillement, "mais quel genre de voleur ordinaire laisserait ça derrière ? Est-ce que l'un de vous a vu d'autres traces de vandalisme mis à part cette dalle cassée ?"

Oriken fronça les sourcils. "Maintenant que tu en parles, eh bien non. Mais si quelqu'un est venu ici, il cherchait probablement ce que nous sommes venus chercher. Peut-être même des sabreurs, d'ailleurs. Tout est possible."

Jalis secoua la tête. "Sauf que personne n'a traversé les Terres Mortes depuis des siècles."

"Prétendument," dit Dagra.

Oriken haussa les épaules. "Peut-être que notre cliente a embauché quelqu'un avant nous et c'est dans ce tombeau qu'ils ont trouvé le joyau."

Jalis donna un léger coup de pied dans les décombres. "Cette dalle enchâssait une pierre de la même taille que les autres." Elle lança à Dagra un long regard entendu. "Aucune de celles que nous avons vues jusqu'ici n'est aussi grande que celle que nous cherchons."

Oriken jeta un regard en direction de l'alcôve. "Peut-être que c'est enterré avec le corps et non pas incrusté dans une dalle de granit."

Jalis sembla en douter. "Ces gens ont fait tout leur possible pour décorer cet endroit de pierres précieuses. Pourquoi iraient-ils enfermer ce bijou là ou personne ne le verrait ?"

Dagra secoua la tête et dit à Oriken. Même si le joyau était à l'intérieur, toi tu n'as pas vu ce nid de toiles d'araignée. Personne n'y a touché. Et c'est très épais. Celui qui a délogé la dalle n'a pas pris la peine d'explorer plus loin. Ou, si il l'a fait, alors ça s'est passé il y a vraiment longtemps comme l'a souligné Jalis."

 

Les yeux emplis d'effroi sous le rebord de son chapeau, Oriken se risqua à aller regarder l'alcôve de plus près. "Je ne peux pas lui en vouloir de ne pas être allé plus loin. Pour cette toile, moi, je romprais le contrat. Essaie de me faire ramper dans un trou plein de toiles d'araignée. C'en est fini. Pas même pour un sac rempli de dari d'or." Il passa un pouce dans son ceinturon. "Pas pour tout le dari en Himaera. Pas une chance."

"Dieux !" Dagra pâlit. "J'espère que le joyau n'est pas caché au fond de l'un de ces trous, avec un pauvre cadavre dont le corps a été abandonné à la putréfaction et l'âme vouée à l'errance dans les limbes et que nous, nous ayons à grimper et fourrager dedans..."

Jalis claqua des doigts sous le nez de Dagra. "Arrête ça tout de suite. Tu continues sur ta lancée et je t'aiderai à trouver un remède expéditif contre ta phobie."

"Hein ?" Confus, Dagra fronça les sourcils, puis il suivit le regard de Jalis en direction de l'alcôve tapissée de toile d'araignée. Il la regarda de travers et elle hocha de la tête alors qu'il reculait d'un pas. "Tu ne ferais pas ça."

Elle posa un doigt sur ses lèvres. "Alors chut, Dag. Tous les deux." Regardant tour à tour Dagra et Oriken, elle abaissa les yeux vers les traces de pas dans la poussière. "Je n'aime pas ça mais, je viens de réaliser un truc à propos de ces empreintes."

Dagra soupira, "De bonnes nouvelles, pour changer ?"

Jalis lui fit un coup d'œil sarcastique.

"Vas-y, crache le morceau."

"Tu avais vu juste quand tu disais que tu n'avais vu aucune trace de vandalisme. Ça m'a fait réfléchir. Si quelqu'un était entré ici, il aurait du y avoir deux séries de traces de pas. Une qui y entre, et une autre qui en sort. Mais, à part nos propres traces, je n'en ai vu qu'une."

Un doute envahit Oriken. "Tu penses que celui qui est entré n'en est jamais ressorti ? Qu'il est... mort ici ? Oh ! Tu penses qu'il y a une autre sortie !"

"C'était ma première idée. Mais s'il y a un autre accès, la carte n'en dit rien. Mais là n'est pas la question. Regardez." Elle pointa en direction des décombres et Dagra suivit le mouvement de sa lampe pour éclairer l'endroit. "Les traces s'arrêtent là," dit Jalis, l'air assombri.

Ce que Dagra avait vu était juste. Au-delà, la poussière n'avait pas été dérangée. Alors qu'un scénario lugubre se faisait jour dans son esprit, il se frotta le menton de son pouce. Il regarda Jalis avec prudence et secoua la tête. "Ne le dis pas."

"Il ne s'agit pas de quelqu'un qui est venu," dit-elle. "Mais de quelqu'un qui en est sorti."

"Il fallait que tu le dises, vraiment ?"

Oriken croisa les bras. "De mieux en mieux."

Jalis haussa les épaules, comme à regret.

"Pour l'amour des dieux," grommela Dagra. "C'est à mourir de trouille avant même d'avoir trouvé ce maudit bijou. Allez, on continue à chercher." Il pinça les lèvres et sortit son glaive de son fourreau tout en regardant ses compagnons dans les yeux.

Oriken inclina la tête et dégaina son sabre.

Bien qu'elle les gardât dans leurs fourreaux, Jalis vérifia ses poignards qu'elle gardait accrochés à sa cuisse et à sa taille. "D'accord," dit-elle. "Mais savoir à quoi nous faisons face ne peut que nous donner un avantage."

Dagra bougonna. "Tu ne diras pas ça quand le seul avantage qu’on aura est que j’ai chié dans mon froc."

Ils poursuivirent leur progression dans la chambre funéraire, inspectant rapidement chaque alcôve en passant, jusqu'à ce qu'ils parvinrent finalement au fond de la crypte. Devant eux, une grande dalle rectangulaire en granit était ancrée dans le sol et dont la hauteur atteignait le haut du chapeau d'Oriken. Une rangée de piédestaux à hauteur de taille courait le long de chaque mur et sur chacun d'eux reposait une collection de pierres précieuses recouvertes de poussière.

Il fut bouche bée quand il découvrit sa particularité principale. Serti dans le granit à hauteur des yeux de Dagra se trouvait un joyau magnifiquement ciselé et dont la taille faisait deux fois son poing. Par les Dyades, la vieille Cela ne plaisantait pas. Elle n'a pas exagéré non plus.

Une bande d'argent encerclait le bijou, le maintenant fermement dans son châssis de pierre. Les reflets de la lampe à huile scintillaient sur la surface du joyau aux multiples facettes, lançant des reflets roses et verts.

"Douce Khariali," murmura-t-il, invoquant le nom de la déesse primitive des pierres et des métaux.

"Douce Khariali, comme tu dis," lui fit Oriken en écho. "Le voilà donc !"

"Il est magnifique," murmura Jalis.

Dagra posa la lampe sur le piédestal le plus proche, repoussant les pierres qui s'y trouvaient pour faire de la place, et fit un pas en arrière. C'était peut-être son imagination, ou la façon dont la lumière se reflétait sur les nombreuses facettes du joyau, mais il semblait en émaner une chaleur, non pas physique, mais plutôt comme une quiétude qui touchait l'âme. Cette pierre avait été placée dans une chambre funéraire mais sa place devrait être ailleurs, tout comme Dagra souhaitait être ailleurs. Il serait heureux de l'emmener avec lui.

"Je m'attendais à quelque chose comme un diamant," dit Jalis avec humilité. Elle avança d'un pas pour toucher la surface anguleuse du doigt. "Mais ceci n'est pas qu'un simple diamant, ou bien je suis une poissonnière."

Elle en a bien le droit, pensa Dagra. Comparés à celui-ci, les quelques diamants qu'il avait vu jusque là n'étaient que morceaux de verre.

Les mots Ladjie Cunaxa Tjiddarei ainsi que les dates 152 et 225 étaient gravés en lettres ornementales au-dessus du bijou. D'anciens symboles étaient mêlés à de l'himaerien ancien et du sosarran ancien et les lettres formaient des cercles concentriques autour du joyau. Dagra supposait que ces mots représentaient soit une prière, soit un résumé de la vie de la dame.

"Elle est morte bien avant le fléau," remarque Oriken.

"Elle était probablement la première de sa lignée," dit Jalis. "Ou la première qui soit devenue importante, en tout cas. Sa place tout au fond de la crypte suggère qu'elle a été la première enterrée ici."

"Comment les bâtisseurs ont su combien de Chiddari il y aurait ?" demanda Oriken. "On dirait que toutes ces alcôves abritent des tombes. Leur hypothèse a été bien menée."

"Je pense que seules les personnes importantes ont leur place dans le caveau familial. Les autres sont probablement enterrés au dehors. Et si on prenait le temps d'inspecter chacune des alcôves, on découvrirait peut-être qu'elles ne sont pas toutes occupées, mais simplement réservées."

Dagra bougonna. "C'est dommage que la vieille Cunaxa n'ait pas été la dernière a être enterrée ici. Ça nous aurait évité de traverser toute la longueur de ce maudit endroit."

"Mais je suppose que si elle avait vraiment été enterrée tout proche de l'entrée," dit Oriken, "elle ne serait pas celle qui veille sur le joyau, non ?"

Dagra lui lança un regard glacial avant de reporter son attention sur le joyau. Il montra du doigt un groupe de symboles sculptés dans l'inscription qui entourait le joyau. "Voilà quelques unes des runes qui t'intéressent, Jalis. Comme celles sur mon épée." Il porta la grande lame de son glaive sous la lumière de la lampe, montrant les inscriptions obscures qui couraient sur sa longueur. "Attik quelque chose, non ?"

"Antik rukhir." L'accent sardayen de Jalis donnaient à ces mots un ton mystique, accentuant le k à la fin d'antik d'un claquement sec de la langue et roulant le r à la fin de rukhir. Elle se pencha pour observer les runes de plus près. "Le langage de l'Ère Ombrale ne cessera jamais de m'étonner. Il y a eu tant de variations régionales qui semblent avoir évolué complètement séparément l'une de l'autre et pourtant elles ont toutes maintenu des éléments communs reconnaissables. On parle là d'il y a des milliers d'années, avant que les premières chaloupes n'aient traversé le Détroit de Feu, pourtant antik rukhir était aussi répandu en Himaera que sur le continent de Sosarran. Et ça date d'avant toutes les anciennes tribus."