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Le canon du sommeil

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– Vous venez de voir le laboratoire; c’est l’asile de la création, la «pouponnière» des microorganismes. Vous allez comprendre comment nous procédons sans danger à des expériences concluantes.

Et se dirigeant vers la paroi opposée à celle que masquait l’étuve, il ouvrit une porte. Je remarquais qu’elle était garnie de bourrelets de caoutchouc assurant une fermeture hermétique.

– Approchez! Cette seconde pièce de petite dimension, est la salle d’observation. L’opérateur s’y enferme…, restant en communication avec le laboratoire par cette ouverture circulaire ménagée au milieu du panneau… Un obturateur métallique aveugle l’ouverture aussitôt que la communication n’est plus nécessaire.

Bien, maintenant, juste vis-à-vis de la porte accédant au laboratoire, une autre également percée d’un «judas» à volet automatique, permet de passer dans le hall d’expériences.

Il fit tourner sur ses gonds la seconde porte indiquée.

Celle-ci donnait accès dans une salle spacieuse, aux murs recouverts d’un émail mosaïque.

– Ici, dit-il, nous enfermons des singes, des rats, des cobayes.

Par le «judas» nous projetons les microbes que nous souhaitons expérimenter. C’est ainsi que nous avons pu nous assurer de l’effet des projectiles du Canon du Sommeil.

Des manomètres de notre invention traversent la paroi, indiquant à l’observateur placé dans la logette le degré de pression microbienne. Des pompes à triformaldéhyde permettent de neutraliser l’atmosphère, et de pénétrer sans danger dans le hall pour y ramasser les morts et étudier les effets des projectiles. La manœuvre des pompes est déterminée par le déclanchement d’une simple manette.

Puis nous parcourûmes des galeries, des ateliers de soudure, de découpage… Une dizaine d’hommes assuraient toute la besogne, secondés par des machines qu’actionnait une chute d’eau souterraine.

Et je me surprenais à m’intéresser à ces machines, merveilles d’ingéniosité mises au service de la mort la plus terrible.

Quand nous eûmes tout vu, Strezzi nous conduisit à un logement différent de celui que nous avions occupés la nuit précédente.

– J’ai fait transporter vos valises ici, dit-il. Je vous ai réunis dans un appartement: trois pièces, où vous serez chacun chez vous, et une salle commune, où il vous sera loisible de vous réunir. J’ai voulu que vos puissiez discuter d’ici à demain.

Et avec un sourire d’une indicible cruauté, il acheva:

– J’ai voulu aussi que vous puissiez vous plaindre, si vous me contraignez à vous inoculer la lèpre… Douleur exprimée est soulagée, dit le proverbe de Bosnie… Je suis bienveillant, moi; bienveillant même quand je dois punir.

Sur ce, il se retira, nous laissant déprimés, stupides, anéantis par l’épouvante de cet Institut de mort, né en des cervelles criminelles, des méthodes de Vie jaillies des purs esprits de Pasteur, de Roux, de Melchnikoff, de Michel Gohendy… Les ténèbres enfantées par la lumière, n’y a-t-il pas là de quoi sentir sa raison vaciller!

XVIII. NOUS SOMMES DES MORTS VIVANTS

Vingt-quatre heures ont passé, la sonnerie de chacune nous fouillant le cœur d’une blessure. Chacune me dit que l’instant nous séparant de l’irrémédiable s’est abrégé.

– Oh! Tanagras! Tanagras! sœurs que j’aime en une double silhouette, sur vos têtes adorées plane la lèpre hideuse.

L’infini, le sans bornes, ne se révèle-t-il donc à nous que par notre capacité incommensurable de souffrir?

On heurte à la porte du petit salon commun, où nous nous sommes réunis en quittant nos chambres respectives.

Et le contremaître Goertz paraît. Sa vue me bouleverse. On dirait que, dans mes veines, mon sang s’est soudainement glacé. Mon cœur ne met plus en circulation qu’un liquide à température polaire. Ce n’est plus un courant calorique qui parcourt mon être; c’est un ice-ring, c’est l’anneau froid qui amène la mort de ceux qu’ont séduit les Valkyries… Wagner, Schopenhauer, Nietzsche, faut-il que je grelotte pour songer à ces génies réfrigérants!

Mais Goertz est là.

Sa voix rude et sarcastique nous intime l’ordre de le suivre.

Il me semble que ses yeux brillent plus qu’à l’ordinaire sous ses lunettes rouges, découpant des disques sanglants sur sa face livide.

Je suis halluciné, hors du sens exact des choses. Est-ce que je ne me figure pas lire dans ces regards ennemis une pensée de pitié.

La pitié dans cette caverne de la désolation! Ah! mon brave Max Trelam, vous baissez ferme. Peut-être est-il temps que vous mouriez, cher confrère, car réellement, si vous rentriez au Times, votre succès y serait médiocre. Vous n’êtes plus en forme, roi des reporters, mais là plus du tout.

Et cependant, si j’étais seul en cause, le courage me serait facile. Dans ma chambre, au fond d’un placard, utilisant une fissure du roc, parmi des lamelles de fer-blanc, des outils brisés, j’ai découvert un Trelesvak, ainsi qu’en Albanie, on désigne par le nom du fabricant, les longs couteaux analogues aux navajas espagnoles.

Une lame d’acier de trente centimètres, un geste résolu, et la lèpre n’est plus qu’une menace vaine.

Seulement un geste résolu ne suffit pas… Il en faut trois, dont les deux premiers devraient frapper mes compagnes.

Oserai-je jamais? Un sauvage, un barbare n’hésiterait vraisemblablement pas… Mais je suis un civilisé, moi. Les moindres idées affectent en ma personne des complications inattendues.

Ainsi qu’en état de somnambulisme, je suis celles que j’aime… Je ne discerne même plus s’il existe une différence dans l’affection que j’ai vouée à chacune des deux sœurs.

– Entrez!

C’est Goertz qui ordonne. Nous sommes revenus devant le laboratoire. La porte s’ouvre, se referme sur nous, sur notre guide.

Nous faisant face, le prince Strezzi, le formidable Morisky encadrés de leurs sinistres «ouvriers», nous considèrent.

Sur une table derrière eux, un bocal de verre contient un liquide de couleur sépia. À côté, une seringue de Pravaz dans son écrin.

C’est étrange. Malgré le trouble où je suis, je distingue chaque détail avec une surprenante netteté.

Je vois Strezzi. Il est préoccupé, encore qu’il affecte l’indifférence. Évidemment, il ne tient pas absolument à nous inoculer la lèpre. Il préférerait de beaucoup nous voir lui livrer le secret de l’apparence vraie du protée multiforme qu’est X.323.

Mais nous nous taisons. Il est nécessaire qu’il parle. Ses mâchoires se serrent, il doit grincer des dents. Ce génie du mal ne conçoit pas l’héroïsme de ses victimes, l’héroïsme contre lequel se brise l’arsenal de ses combinaisons.

Et son organe sonne sèchement:

– Le temps que je vous ai accordé pour réfléchir est passé, dit-il.

Machinalement, nous inclinons la tête… Les mots prononcés ont un sens terrible qui fait tressauter follement en nous l’instinct obscur de la conservation.

Il se rend compte que notre volonté est la plus forte.

Sa voix se fait plus sifflante:

– Vous vous souvenez de mon offre. Un portrait de X. 323 ou le don de la lèpre.

Et pointant son regard mauvais dans mes yeux:

– C’est un dilemme, sir Max Trelam, ainsi que vous l’avez certainement appris à l’Université de Cambridge.

La peste étouffe le bourreau qui mêle ma pauvre université à ses malhonnêtes affaires!

Comme Tanagra, miss Ellen et moi continuons à garder le silence, il crispe ses poings et faisant un pas vers nous, il demande:

– Je veux connaître votre décision. Oh! Je n’ai que faire de longs discours. Répondez par oui ou par non.

Il y a une pause, puis son organe prononce la question qui va décider de notre sort.

– Voulez-vous me remettre la photographie réclamée?

Les deux sœurs se tendent la main. Il semble qu’elles veuillent s’assurer contre toute défaillance en unissant leurs forces. S’entre-regardant comme pour se communiquer le courage, elles murmurent:

– Non.

Oh! les douces voix appelant la mort hideuse sur les deux têtes adorées! J’oublie que je suis condamné comme elles. Je pleure sur elles seules… Il est vrai que dans ma poche, je sens mon couteau albanais… Une plaisanterie stupide me traverse.

– La lèpre est comme l’anémie; le fer y porte remède.

Je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur la faiblesse de cette intempestive manifestation cérébrale, le prince Strezzi frappe le sol d’un talon furieux. Une teinte rouge de brique envahit son visage à la peau safranée.

– Alors, gronde-t-il d’un accent rauque qui me rappelle le signal du tigre en chasse que j’entendis naguère dans les nuits du Bengale, alors que le Times m’y expédia pour l’affaire passionnante du Diamant bleu de Galkoor. Alors l’injection de la lèpre, l’agonie de plusieurs mois, où le mal rongera lentement votre chair, où votre beauté deviendra hideur…

Les Tanagra ne le laissent pas continuer… Toujours les mains unies, exaltées par le sacrifice, elles disent ensemble:

– La lèpre!

C’est par un cri qui n’a rien d’humain que Strezzi souligne cela:

– Vous l’aurez voulu. Tant pis pour vous. Allez, vous autres.

Les derniers mots sont un ordre qui s’adresse aux ouvriers présents. Je m’en rends compte, en me sentant saisir, immobiliser par des mains brutales.

Les hommes se sont emparés de moi, de mes compagnes. Ils nous maintiennent. Des cordelettes fixent nos mains, entravent nos chevilles.

– Je vous les remets, Morisky, gronde le prince.

Et le savant, arraché au bagne russe de Sakhaline, exulte, une gaieté farouche contorsionne son visage apocalyptique.

– Goertz, appelle-t-il de sa voix grinçante.

Le contremaître s’avance. Ses yeux brillent derrière ses verres rouges. On croirait que ses orbites contiennent des charbons ardents.

– Herr professor, prononce-t-il avec un respect réel.

Ce criminel respecte le savant qui a mis sa science au service de la destruction.

 

Celui-ci reprend:

– La seringue de Pravaz… Trente centimètres cubes de sérum; cela suffira pour les trois.

– Bien, Herr professor!

Et Goertz s’approche de la table où j’ai remarqué le récipient au liquide brunâtre et la seringue dans sa gaine.

Il nous tourne le dos, masquant ces ustensiles, inoffensifs d’apparence et qui vont pourtant jeter dans nos veines, dans nos cellules, le germe de la plus hideuse des morts.

Un petit clapotis de liquide agité parvient à mes oreilles.

Goertz se retourne. Il tend au docteur Morisky la seringue de Pravaz, dont l’ampoule est aux deux tiers emplie de la substance brune.

Il ricane, ce damné contremaître.

– Voyez, Herr professor; ma promenade de cette nuit n’a pas altéré mes qualités de précision… Je suis rentré depuis vingt minutes et cependant les trente centimètres cubes y sont exactement. On pourrait comparer au microscope la graduation et le niveau du sérum, je réponds de la coïncidence!

Morisky a un sourire amical à son aide… Il le considère ainsi qu’un élève favori, puis il darde le rayon de ses yeux pâles sur le prince Strezzi, qui répond à la muette interrogation par ce seul mot.

– Allez!

Allez…; cela veut dire: injectez le sérum venimeux à ceux qui sont là, ceux dont la seule faute est d’avoir osé se placer entre l’assassin et ses victimes.

La lèpre! La lèpre! À elles, à mes bien-aimées!

Mes muscles se contractent, il me semble que mes forces n’ont plus de limite, que je vais briser mes liens, bondir sur les misérables qui m’entourent, les pulvériser, délivrer les chères petites choses si effroyablement menacées.

Rêve! Exaltation nerveuse qui se brise à la résistance des cordelettes et qui me laisse anéanti, une sueur froide aux tempes, un brouillard devant les yeux.

Un silence, des bruits de pas, un nouveau silence. Je crois que l’étreinte de mes gardiens se fait plus énergique. Une piqûre au cou… J’ai un cri étranglé… La piqûre, c’est l’aiguille de la seringue de Pravaz qui l’a causée… Mon tour est venu. Instinctivement je cherche à me débattre, à fuir l’instrument empoisonneur.

Effort inutile. On me maintient immobile… Je sens le liquide mortel pénétrer sous ma peau, la gonfler, la tendre.

Et puis, je ne sais plus. Je suis devenu inconscient. Je flotte dans un monde irréel… Tout cela ne peut pas être vrai. La lèpre! donner la lèpre mathématiquement, de façon raisonnée… À moi, cela passerait encore, mais à miss Tanagra, à miss Ellen.

Je suis à cette limite où la Veille et le Cauchemar se confondent.

On nous délivre de nos liens. Nous reprenons la liberté de nos mouvements. Ce soin démontre, hélas, que le sacrifice est consommé.

XIX. LA LETTRE MYSTÉRIEUSE

Tout à coup, par une soudaine projection, ma pensée est ramenée des sphères nuageuses où elle se débat. Le crime qui vient de s’accomplir est brusquement reculé au second plan.

Un grand gaillard effaré, ahuri, a fait irruption dans le laboratoire. Ses cheveux blonds, sa barbe épaisse sont hérissés.

– Quoi, Hermann? murmure Strezzi.

Hermann? Je me rappelle. C’est le nom, je l’ai entendu hier, du gardien de l’entrée de l’usine souterraine. C’est lui qui habite dans la logette vitrée et dans la soupente où l’on accède par une échelle. Oui, oui, j’ai remarqué ces détails à notre arrivée.

C’est lui aussi qui surveille la boîte aux lettres, dont la présence m’a paru si bizarre au seuil d’une cahute misérable.

Il brandit un papier:

– Une lettre, une lettre pour son altesse, prince Strezzi.

– Eh bien donne-là, fait rudement ce dernier. Une lettre n’a rien qui puisse justifier l’agitation où je te vois.

– Si, si, altesse, balbutie Hermann… Cela justifie… Votre altesse ne sait pas…

– Ne sait pas quoi, butor?

– Je parle, je parle, que votre altesse ne s’irrite pas… La boîte aux lettres, vous vous souvenez; on ne peut y glisser une correspondance, sans établir un contact électrique, cela actionne une sonnerie… Je suis prévenu ainsi, et de l’intérieur, grâce au jeu de glaces, je puis voir celui ou celle qui a déposé le papier.

– Oui, eh bien?

– Eh bien, la sonnerie n’a pas résonné depuis que Herr Goertz est rentré de permission… Il a sonné, puisque je lui ai ouvert, n’est-ce pas?… Je l’affirme sur ma tête… Et je viens de trouver cela dans la boîte.

Strezzi hausse violemment les épaules. Évidemment il doute de la vigilance d’Hermann; pourtant il ne dit rien.

À quoi bon! Il prend la lettre, l’ouvre; mais à peine y a-t-il jeté les yeux qu’il a un cri.

– X. 323 !

Tous, nous sursautons. Ce nom, jeté dans le silence, a bouleversé tout le monde.

Mes compagnes et moi avons l’impression que nous serons vengés!

Strezzi et ses acolytes ont peur. Je le reconnais à leurs regards effarés, à leurs attitudes inquiètes de fauves à l’approche de la meute.

Et lui, comme poussé par une force dominant sa volonté, lit les lignes suivantes:

«Tous les atouts semblent dans votre jeu. Ils semblent seulement.

«Comme preuve, je vous préviens, conformément à mes habitudes de loyauté que, ce soir, à minuit, j’entrerai dans votre laboratoire.

«J’espère que vous m’y attendrez avec votre complice Morisky, pour entendre à quelles conditions je consens à traiter avec vous.

«Je vous laisse libre de prendre toutes les précautions que votre terreur vous suggérera. Je vous avertis pourtant que rien ne m’empêchera de faire ce que j’ai résolu.

«Signé: X. 323 ».

Tous courbaient la tête, jetant à la dérobée des regards apeurés autour d’eux. Cela était tragique de constater ainsi la puissance de l’homme remarquable dont le hasard ou la providence m’avait fait l’ami.

Un chiffon de papier, sur lequel sa main avait tracé quelques lignes, et les criminels exceptionnels qui nous tenaient en leur pouvoir frissonnaient d’épouvante.

Enfin Morisky, qui seul a conservé quelque sang-froid, émet cette supposition:

– Pour annoncer aussi affirmativement son entrée à minuit dans le laboratoire, X. 323 doit être assuré qu’aucune précaution ne saurait l’empêcher d’y pénétrer.

– Que voulez-vous dire, Morisky?

À la question de Strezzi, le savant réplique:

– Je veux dire que, dès maintenant, il est caché, quelque part, dans le méandre des couloirs souterrains.

Et un murmure terrifié accueillant l’hypothèse, le féroce microbiologiste ajoute d’un ton dédaigneux:

– Haut les revolvers, mes enfants. X. 323 est bien habile, mais je n’ai jamais ouï dire que son épiderme fut à l’épreuve de la balle.

Atroce bonhomme. Il souffle sur mes espérances qui s’écroulent comme un château de cartes.

C’est vrai, ils sont… Combien sont-ils? Neuf ouvriers, le concierge Hermann, Goertz, Morisky, Strezzi… Tiens, ils sont treize exactement… Cela porte malheur, disent les gens superstitieux… Malheur, à qui? Je tremble que ce soit à mon… beau-frère, seul en face de treize revolvers que les bandits tiennent à présent à la main.

Cela leur a rendu du ton de sentir sous leurs doigts des armes fidèles, incapables de trahir leur maître.

Chacun a foi dans les cinq ou six cartouches qu’il a à sa disposition. Chacun se dit que, sa main ne tremblant pas, il tient cinq ou six fois la vie de X. 323 à sa merci.

Malheureusement, moi aussi, je me dis cela… Sur le visage de miss Tanagra, je lis la même impression décourageante.

Je reporte mes yeux sur sa sœur. Étrange! Miss Ellen sourit.

Elle a confiance, elle… Elle ne doute pas de la victoire de son frère…

– S’il est dans les grottes, il faut forcer X. 323 à se montrer avant l’heure fixée.

Hein? Qui parle? Ah! ma foi, c’est le prince Strezzi. Ses aides le considèrent. On devine que la parole de leur chef a éveillé en eux une espérance.

Il a un ricanement sinistre, en vérité. Est-ce qu’il aurait trouvé le moyen de faire pièce à X. 323 ?

– Eh! Eh! plaisante-t-il, X. 323 est stoïque lorsqu’il s’agit de lui-même, mais sa tendresse fraternelle me l’avait déjà livré une fois… Voyons donc si elle a diminué depuis qu’un mariage a uni nos deux familles.

Le revolver au poing, il va vers la porte du laboratoire, l’ouvre brusquement et il clame au dehors, de toute la force de ses poumons:

– Je convie X. 323 au drame qui va s’accomplir.

Sa voix, enflée par les résonnances des salles souterraines, a roulé de crevasse en crevasse. Les ondes sonores s’entrechoquent avec un bruit de torrent bondissant sur un lit rocheux.

Tous les revolvers sont maintenant braqués sur la porte dont le rectangle se découpe sur le noir de la caverne.

Mais rien ne répond à l’appel du prince.

Alors, celui-ci, toujours forçant sa voix, clame:

– Goertz, prenez une pipette d’acide sulfurique. Nous en verserons quelques gouttes dans les beaux yeux de miss Ellen. Voyons un peu si X. 323 laissera aveugler sa sœur.

Un silence de mort accueille cet ordre.

Les bandits peut-être sentent que leur férocité est faible en regard de celle à qui ils sont inféodés.

Je crois bien que le contremaître Goertz, lui-même, a un vague mouvement de recul.

Je n’affirme pas. Je ne suis pas en état d’observer.

Aveugler miss Ellen, éteindre les algues marines de ses yeux… Ah! mon cœur, mon cerveau, sont emportés dans un tourbillon de haine contre le bourreau, de désir éperdu de sauver la victime.

À cette heure, révélation subite, irrésistible, étoile lumineuse jaillissant d’un chaos, je sens, je crois, je sais que c’est elle que j’aime. Le crime a chassé mes indécisions sentimentales…

Entre les deux épreuves identiques de la fiancée bien-aimée, l’imminence du péril m’a fait choisir.

Et je fouille dans ma poche; j’en extrais mon couteau albanais. D’un élan furieux, je me rue sur le prince. Je frappe de toute ma puissance musculaire…

Tout cela est rapide comme la foudre, et… je me trouve stupéfait, déconcerté, étreignant le manche de mon arme dont la lame s’est brisée net.

Tandis que Strezzi, lequel a chancelé sous le choc, arrête d’un geste ses complices prêts à se jeter sur moi, il me lance, suprême ironie, cette explication qui m’accable.

– Pensiez-vous donc que je me promenais en votre compagnie sans prendre, les plus élémentaires précautions. J’ai une cotte de mailles, sir Max Trelam, et voyez le bouffon de l’aventure; cette cotte qui me protégea contre le couteau d’un Anglais, est de fabrication anglaise, made in England, sir Max Trelam.

Qu’allais-je répondre, poussé au paroxysme de l’exaltation par la raillerie de cet exécrable individu… Je ne saurais avoir une idée précise à cet égard.

Il est vraisemblable, toutefois, que j’aurais été ridicule.

On l’est toujours quand on menace l’ennemi que l’on est incapable d’atteindre.

Ce fut le nommé Goertz qui m’évita cette nouvelle humiliation.

– M’est avis, prononça-t-il, que le sieur X. 323 ne se présentera pas avant l’heure indiquée par lui… Remettons donc l’application du collyre au vitriol à ce soir. Cela donnera du mouvement à la conversation… Et puis, si mes chers seigneurs Strezzi et Morisky veulent bien prêter l’oreille à une proposition, je crois que nous serons en mesure de déclarer à ce digne X. 323 que nous lui accorderons notre absolution s’il consent à absorber la lèpre de bonne volonté.

Il riait affreusement, ce répugnant Goertz.

Sans doute ses chefs avaient confiance dans ses facultés nocives, car Morisky approuva du geste, et Strezzi commanda:

– Reconduisez les prisonniers à leur appartement et revenez tous ici.

On nous entraîna au dehors, ainsi qu’il l’ordonnait.