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Absolution Providentielle
Table des matières
Free PFH Ebooks
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
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Chapitre 1
L’Eldorado, Shreveport, Louisiane
Le 14 mars 2012
L’année dernière avait déjà été nulle, et celle-ci s’annonçait encore pire.
L’année passée, lors du décès de mes parents dans un « accident » pendant leurs vacances aux Caraïbes, j’avais été trop occupée pour écouter mon instinct, qui criait « couillonnade » si fort que j’avais failli en devenir sourde de ma troisième oreille. Je me préparais pour la plus grosse affaire de ma carrière, j’avais donc une excuse qui me convenait tant que j’étais à l’heure pour l’apéritif, mais la vérité, c’est que j’étais obsédée par le détective privé chargé de mon dossier.
Nick. Nick, le presque divorcé. Mon nouveau collègue Nick, qui m’envoyait parfois des vibrations indiquant qu’il voulait arracher mon chemisier Ann Taylor avec ses dents, quand il ne passait pas son temps à m’ignorer.
Mais les choses avaient changé.
Je venais de recevoir le verdict de mon méga-procès, l’affaire Burnside, un cas de licenciement abusif. Mon cabinet prenait rarement des affaires de plaignants, alors j’avais pris un gros risque avec celle-ci et j’avais gagné 3 millions de dollars pour M. Burnside, dont un tiers pour le cabinet. C’était tout le contraire d’une débandade.
Après mon coup d’éclat au palais de justice de Dallas, mon assistante juridique Emily et moi avions filé tout droit sur la I-20 jusqu’à l’hôtel où l’ensemble de notre cabinet avait pris un congé mérité à Shreveport, en Louisiane. Shreveport ne figurait pas dans la liste des dix meilleures escapades d’entreprise, mais notre associé principal se prenait pour un joueur de poker et aimait la cuisine cajun, le jazz et les casinos sur les bateaux à aubes. Ce congé était une excellente excuse pour que Gino s’adonne à un peu de poker « Texas Hold’Em » entre les sessions de consolidation d’équipe, tout en passant pour un bon chef d’équipe, mais cela impliquait un trajet de trois heures et demie dans chaque sens. Ce n’était pas un problème pour Emily et moi. Nous avions facilement comblé le fossé entre la parajuriste et l’avocate et entre la collègue et l’amie, en grande partie parce que ni l’une ni l’autre n’aimait vraiment Dallas. Ou même pas du tout.
Emily et moi nous précipitâmes à l’intérieur pour nous enregistrer à l’Eldorado.
La réceptionniste nous demanda :
- Voulez-vous un plan des visites guidées hantées ? avec son accent texan, cajun et sudiste polyglotte qui donnait un ton « vizites guidays » à ses mots.
- Merci beaucoup, mais non merci, répliqua Emily.
Depuis dix ans qu’elle avait émigré, elle n’avait toujours pas réussi à faire disparaître l’Amarillo de sa voix ni à renoncer aux courses de chevaux.
Je ne croyais pas non plus aux tours de sorcellerie pour touristes et je n’étais pas fan des casinos, qui empestaient la fumée de cigarette et le désespoir.
- Vous avez un karaoké ou autre chose que des casinos sur place ?
- Oui, madame, nous avons un bar sur le toit avec karaoké, billards, et ce genre de choses. La jeune fille repoussa sa frange, puis balança la tête pour la remettre exactement à la même place.
- Ça ressemble plus à ce que nous voulons, dis-je à Emily.
- Karaoké, dit-elle. Encore ! Elle roula les yeux. Seulement si on fait moitié-moitié. Je veux jouer au blackjack.
Après avoir déposé nos sacs dans nos chambres et nous être rafraîchies, tout en continuant la conversation sur nos téléphones portables d’une chambre à l’autre, nous avons rejoint notre groupe. Tous nos collègues applaudirent lorsque nous entrâmes dans la salle de conférence. La nouvelle de notre victoire nous y avait précédée. Nous fîmes la révérence, et je pointais les mains vers Emily, dans le genre présentatrice de jeu télévisé. Elle me rendit la pareille
- Où est Nick ? M’écriai-je. Viens par ici.
Nick avait quitté la salle d’audience lorsque le jury était sorti pour délibérer, il nous avait donc devancés à l’hôtel. Il se leva d’une table à l’autre bout de la salle, mais ne nous rejoignit pas. Je lui fis quand même une courbette à longue distance.
Les applaudissements se turent et certains de mes partenaires me firent signe de m’asseoir avec eux à une table près de l’entrée. Je m’attablai avec eux et nous nous mirent tous au travail pour rédiger une déclaration de mission pour le cabinet pendant les quinze minutes suivantes. Emily et moi étions arrivées juste à temps pour la fin des sessions du premier jour.
À la pause, le groupe se rua de l’hôtel vers la barge amarrée qui abritait le casino. En Louisiane, les jeux d’argent ne sont légaux que « sur l’eau » ou sur les terres tribales. Sur une impulsion, je me dirigeai vers l’ascenseur plutôt que vers le casino. Juste avant que les portes ne se ferment, une main se coinça entre elles et elles se rouvrirent. Je me retrouvai à monter dans les étages des chambres de l’hôtel avec nul autre que Nick Kovacs.
- Alors, Helen, vous n’êtes pas non plus une joueuse, dit-il lorsque les portes de l’ascenseur se fermèrent.
Mon estomac se retourna. C’est ringard, oui, mais quand il était de bonne humeur, Nick m’appelait Helen, comme dans Hélène de Troie.
J’avais promis à Emily de la rejoindre au blackjack avant le karaoké, mais il n’avait pas besoin de le savoir.
- J’ai la chance des Irlandais, répondis-je. Les jeux d’argent sont dangereux pour moi.
Il répondit par un silence de mort. Chacun de nous regardait le plafond, le sol, les murs, et n’importe où pour s’éviter ce qui était difficile, puisque l’ascenseur était équipé de miroirs au-dessus d’une main courante dorée et de panneaux de bois. La tension dans l’air était palpable.
- J’ai entendu dire qu’il y avait une table de billard au bar de l’hôtel, et je serais partante pour ça, ai-je proposé, me jetant tête baissée dans le vide et retenant ma respiration pendant la descente.
Toujours un silence de mort. Un long silence de mort. Le sol allait faire mal quand j’atterrirai.
Sans établir de contact visuel, Nick répondit :
- OK, je te retrouve là-bas dans quelques minutes.
Avait-il vraiment dit qu’il me retrouverait là-bas ? Juste nous deux ? Comme un rendez-vous ? Oh mon Dieu, Katie, qu’as-tu manigancé ?
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, et nous nous dirigeâmes dans des directions opposées vers nos chambres. Il était trop tard pour faire marche arrière maintenant.
Je marchais dans un état second. Hyperventilation. Les aisselles en sueur. Le cœur battant la chamade. Ma tenue ne convenant pas du tout, j’abandonnais donc le chemisier Ann Taylor pour un jean, un haut blanc structuré et, oui, je l’admets, un sac à main Jessica Simpson multicolore et ses sandales à plateforme orange assorties. Le blanc allait bien avec mes longs cheveux roux ondulés tombant sur mes épaules, que je décoiffais et réarrangeais avec les doigts. Pas très professionnel, mais c’était le but. De plus, je n’aimais même pas mon boulot d’avocate, alors pourquoi voudrais-je en avoir l’air guindé maintenant ?
Normalement, je suis Katie l’Immaculée, mais je me contentai d’un rapide brossage de dents, d’une douche express et d’un trait de rouge à lèvres. J’avais envisagé d’appeler Emily pour lui dire que j’allais lui faire faux bond, mais je savais qu’elle comprendrait quand je lui expliquerai plus tard. Je trottinai jusqu’à l’ascenseurs et le maudissant de s’arrêter à chaque étage jusqu’au bar La Grotte, sur le toit.
Ding. Pas trop tôt. Je fis une pause pour reprendre mon souffle. Je comptai jusqu’à dix, respirai profondément pour me donner du courage, et j’arrivai sous les lumières tamisées éclairant le bar en pierre. Je me tenais près d’un homme dont je pouvais sentir la masculinité palpiter à plusieurs mètres de distance. La chaleur enflamma mes joues. Mes hormones avaient allumé un feu de camp. L’homme que j’étais venu voir était déjà là.
Nick était d’origine hongroise, et c’est à ses ancêtres gitans qu’il devait son teint sombre, yeux, cheveux et peau, et ses pommettes saillantes. Il avait une prestance musculaire que j’aimais, mais il n’était pas beau au sens artistique du terme. Son nez était large et tordu, car il avait été cassé trop souvent. Il m’avait dit une fois qu’une de ses dents de devant déviée venait d’une planche de surf qu’il avait pris dans la tronche. Mais il était magnifique d’une manière indéfinie, et je voyais souvent dans les regards rapides des autres femmes que je n’étais pas la seule dans la pièce à le remarquer.
Il remarqua ma présence.
- Salut, Helen.
- Salut, Paris, répondis-je.
Il renifla.
- Oh, je ne suis absolument pas ton Paris. Paris était une mauviette.
- Hmmmmm. Ménélas, alors ?
- Um, bière.
- Je suis presque sûre qu’il n’y avait pas de Bière dans l’histoire d’Hélène de Troie, dis-je en reniflant d’un faux-air supérieur.
Nick s’adressa au barman.
- Une St. Pauli Girl.
Il m’adressa finalement le « sourire Nick », et la tension de notre dernier trajet en ascenseur disparut.
- Qu’est-ce que tu prends ?
J’avais besoin d’avaler un peu plus que de l’air pour avoir du courage.
- Une Amstel Light.
Nick passa la commande. Le barman tendit deux verres de bières perlés de condensation à Nick, puis secoua l’eau de ses mains. Nick me tendit le mien que j’enroulai dans une serviette en papier, alignant les bords avec la précision militaire que j’adorais. Nick fredonnait « Honky-tonk Women », sa tête oscillant d’un côté à l’autre.
- Je crois que je te préfère à Shreveport qu’à Dallas, lui dis-je.
- Merci pour le compliment. Et j’aime te voir heureuse. Je suppose que ça a été une année difficile pour toi, la perte de tes parents et tout ça. À ton sourire, dit-il en brandissant sa bière vers moi.
Le toast me pris par surprise. Il avait raison pour la partie difficile, surtout au sujet de mes parent. Je trinquai avec lui mais sans pouvoir soutenir son regard.
- Merci, Nick, vraiment.
- Tu veux faire un billard ? demanda-t-il.
- Pourquoi pas.
J’étais étourdie, comme une fille de seconde sortant avec le gars populaire de terminale. Nous aimions tous les deux la musique, alors nous discutâmes des genres, des groupes (son ancien groupe, Stingray, et les « vrais » groupes), mon sujet d’étude en classe de musique à Baylor et du LSD, alias la maladie du chanteur. Autour d’un tonneau de bières, nous échangeâmes des histoires sur le lycée, et il me raconta qu’il avait une fois sauvé un fou blessé.
- Un fou blessé ? Demandais-je. Sociopathe ou psychopathe ? Boule de huit dans le coin. Je la coulai.
Il récupéra les boules et les plaça dans le triangle pendant que j’enfonçais le bout de ma queue dans la craie bleue et que je soufflais l’excédent.
- Tu es tellement terre à terre. Un fou est un oiseau, Katie.
Je fis tourner son utilisation de mon vrai nom dans mon cerveau, en appréciant la sensation.
- Je surfais, et j’ai trouvé un fou de bassan qui ne pouvait pas voler. Je l’ai ramené à la maison et j’en ai pris soin jusqu’à ce que je puisse le relâcher.
- Oh, mon Dieu ! Est-ce qu’il sentait mauvais ? Il t’a donné des coups de bec ? Je parie que ta mère était ravie ! Je parlais vite, avec des points d’exclamation interminables. Embarrassant. J’étais une fille de la vallée sous acide, comme Oh Mon Dieu.
- Il était en état de choc, donc il était calme, mais il devenait plus énergique chaque jour. J’avais quatorze ans, et ma mère était contente que je ne sois pas dans ma chambre à feuilleter des magazines porno, donc ça ne la dérangeait pas. C’est vrai qu’après quelques jours, il sentait vraiment mauvais.
Je cassai. Les boules claquèrent et ricochèrent dans toutes les directions, et une boule rayée tomba dans un trou latéral.
- Rayées, annonçais-je. Alors, ta mère t’a déjà surpris avec des revues porno, hein ?
- Hum, je n’ai pas dit ça... dit-il, et il s’arrêta en bégayant.
J’étais plus amoureuse que jamais.
« Damn, I Wish I Was Your Lover » passait en fond sonore. Je n’avais pas entendu cette chanson depuis des années. Ça me fit réfléchir. Pendant des mois, j’avais lutté contre l’envie de passer mes bras autour du cou de Nick et de mordiller sa nuque, mais je savais que la plupart des gens considéreraient cela comme inapproprié au travail. Plutôt étroit d’esprit de leur part, si vous voulez mon avis. Je regardais le grand balcon à l’extérieur du bar et je pensai que si je pouvais juste manœuvrer Nick dans cette direction, peut-être que je pourrais faire en sorte que ça arrive.
Mes chances semblaient bonnes jusqu’à ce qu’un de nos collègues n’entre dans le bar. Tim était un conseiller juridique de la société. « Conseiller » signifiait qu’il était trop vieux pour être appelé un associé, mais il n’était pas un faiseur de pluie. En plus, il portait son pantalon remonté à la taille et trop court de cinq centimètres. Le cabinet n’en ferait jamais un associé. Nick accrocha son regard au mien. Jusqu’à présent, nous avions été deux radios à ondes courtes sur le même canal, le signal crépitant entre nous. Mais maintenant, le cadran était devenu statique et ses yeux s’assombrirent. Il se raidit et s’éloigna subtilement de moi.
Il appela Tim.
- Hé, Tim, par ici.
Tim nous fit un signe de la main et traversa le bar enfumé. Tout bougeait au ralenti alors qu’il s’approchait, un pas après l’autre. Ses pieds résonnaient dans ma tête en touchant le sol, non… non… non… Ou peut-être que je le disais à haute voix. Je n’aurai pu l’affirmer, mais ça ne faisait aucune différence.
- Hé, Tim, c’est génial. Prends une bière, viens faire un billard.
Oh, s’il te plaît, dis-moi que Nick ne vient pas juste d’inviter Tim à se joindre à nous.
Il aurait pu lui donner un petit « Hé, comment ça va, passe une bonne nuit, j’allais partir », ou n’importe quoi d’autre d’ailleurs, mais non, il avait demandé à Tim de jouer avec nous.
Tim et Nick me regardèrent pour confirmation.
J’eus une pensée fugace dans laquelle j’envoyais un coup de pied latéral parfait dans l’intestin de Tim et qu’il se roulait par terre avec des haut-le-cœur. À quoi servaient les treize années de cours de karaté que mon père m’avait forcé à prendre si je ne pouvais pas les utiliser dans des moments comme celui-ci ? « Chaque femme devrait être capable de se défendre, Katie », disait papa en me déposant au dojo.
Ce n’était peut-être pas techniquement un moment d’autodéfense physique, mais l’arrivée de Tim avait anéanti mes espoirs de morsure de cou, et de tout ce qui aurait pu suivre. N’était-ce pas une raison suffisante ?
Je rejetai cette pensée.
- En fait, Tim, pourquoi tu ne me remplaces pas ? J’ai passé toute la semaine au tribunal, et je suis épuisée. Nous commençons tôt demain. C’est le dernier jour de notre congé, la grande finale pour l’équipe de Hailey & Hart. Je tendis ma queue de billard à Tim.
Tim pensa que c’était une bonne idée. Il était clair que les femmes lui faisaient peur. Si j’avais espéré un argument de la part de Nick, rien ne vint. Il était retourné à son numéro de « Katie qui ? » en dehors du travail.
Tout ce qu’il me dit fut un « Bonne nuit », sans Helen ni Katie.
J’attrapai une autre Amstel Light au bar avant de retourner dans ma chambre.
Chapitre 2
L’Eldorado, Shreveport, Louisiane
Le 14 mars 2012
Quinze minutes plus tard, j’avais extirpé une bouteille de vin du mini-bar. Je m’accrochai à mon iPhone avec l’intention d’envoyer un message. Envoyer des textos en état d’ébriété n’est jamais une bonne idée. J’aurais aimé qu’un flic soit là pour me menotter, ça m’aurait évité la suite.
A Nick :
- Tu m’as largué pour Tim. Je suis toute seule. J’aurai aussi bien pu ajouter, « Avec amour, une fille folle de toi. »
Pas de réponse. J’attendis cinq minutes en finissant un verre de vin. Je remplis à nouveau mon verre. Je fis défiler les trois cents textos d’Emily demandant où j’étais et je lui répondis par
- Nick !!! Vraiment désolée. On se parle plus tard.
J’en envoyais un autre à Nick.
- T’es là ? Tjrs avec Tim ?
- Yop, fut sa réponse.
Un autre texte de Nick sonna quelques secondes plus tard.
- Il faut qu’on parle.
Bonne ou mauvaise conversation ? me demandais-je. Parler, comme un euphémisme pour ne pas parler ?
Je répondais à Nick :
- oki, où, quand ?
- Lundi, au bureau.
Coup de poing dans l’estomac. Reste calme, Katie, reste calme. Ne laisse pas ce moment t’échapper. Il y a encore une chance.
- Pas juste. Maintenant ? Choisis un endroit.
- Mauvaise idée. J’ai picolé.
- Je m’en fiche. Chbre 632.
Pas de réponse. Réfléchis, réfléchis, réfléchis, réfléchis, réfléchis. Il n’a pas dit non. Il n’a pas dit oui. Je pourrai renvoyer un texto et demander une réponse claire, mais ça pourrait être une mauvaise idée. Suppose que c’est oui et ressaisis-toi, ma fille.
J’inspectai la chambre d’hôtel spartiate, l’affreuse couette marron grisonnante, trop souvent passée dans des lave-linge industriels, les rideaux marron décolorés par les années « fumeur » de la chambre, une reproduction encadrée en série d’un bateau à aubes accrochée sur un mur couvert de papier peint métallisé. Ce n’était pas très prometteur pour un interlude romantique. Je nettoyai la pièce, et moi, du mieux possible, et j’essayai de me stabiliser sur une pensée et un comportement sobres.
Pas de Nick. Je fis les cent pas. Je me racontai des histoires. Je revérifiai mes textos. Et puis, soudain, je su qu’il était là, je le sentis avec ma perception Nick extrasensorielle.
Je regardai par le judas. Oui, il était là, faisant la même chose que moi de l’autre côté de l’épaisse plaque de bois. Mais je ne pouvais pas ouvrir la porte, sinon il aurait su que j’étais là à le regarder.
Il leva la main pour frapper. Il la baissa. Il se retourna pour s’éloigner ; il revint à la porte. Il passa sa main dans ses cheveux en se massant le crâne et ferma les yeux.
Il frappa à la porte. Je retins ma respiration en formulant une prière rapide. « S’il vous plaît, mon Dieu, aidez-moi à ne pas tout faire foirer ». Ce n’était pas la prière la mieux conçue ou la plus élaborée que j’aie jamais prononcée. J’ouvris la porte.
Aucun de nous ne dit un mot. Je fis un pas en arrière et il entra, serrant une serviette de bar dans sa main gauche. Sa main droite ratissant à nouveau ses cheveux en un tic nerveux que je n’avais jamais remarqué avant ce soir.
Je m’assis sur le lit. Il s’assit dans un fauteuil près de la fenêtre.
- Tu as dit que nous devions parler, commençais-je.
Il se concentra sur sa serviette froissée pendant un long moment. Quand il leva les yeux, il fit un mouvement de va-et-vient entre nous deux et dit :
- Ma vie est bien trop compliquée en ce moment. Je suis désolé, mais ça ne peut pas arriver.
Ces mots n’étaient pas ceux que j’avais espéré entendre. Peut-être n’étaient-ils pas ceux que je m’attendais à entendre, mais j’avais gardé espoir jusqu’à ce qu’il les prononce. Mon visage brûlait. Compte à rebours avant l’effondrement.
- Par « ça », je suppose que tu fais référence à une sorte de « truc » entre toi et moi ? Bien sûr que ça ne peut pas se produire. Je suis une associée du cabinet. J’entendis ma voix en écho. Supérieure. Dédaigneuse.
- Je sais que je peux passer pour une dragueuse, mais je suis comme ça avec tout le monde, Nick. Ne t’inquiète pas. Je ne te cours pas après.
Je pouvais presque voir l’empreinte virtuelle d’une main sur son visage laissée par la gifle de mes mots.
- Je t’ai entendu parler à Emily sur ton portable quand tu es arrivée cet après-midi.
Cela semblait de mauvais augure.
- De quoi tu parles ?
- Je passais devant ta chambre. La porte était grande ouverte. Je t’ai vue. Je t’ai entendue.
Je protestais,
- Comment savais-tu que c’était moi ?
- Je connais ta voix. Vous parliez de moi. J’ai entendu mon nom. Je suis désolé d’avoir écouté aux portes, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Je me suis arrêté et j’ai écouté.
Je tentais de le couper à nouveau, mais il continua.
- Tu as dit, (et, oh, j’aurai voulu ne pas entendre la suite) que tu ne pouvais pas croire à quel point je t’attirais. Que tu te sentais coupable parce que tu pensais à moi plus qu’au travail ou à ce qui était arrivé à tes parents...
Nick trébuchait sur ses mots, luttant pour faire sortir quelque chose.
- Tu as dit à Emily que tu ne pouvais pas t’empêcher d’être amoureuse de moi.
Oh, mon Dieu. Oh, mon Dieu. Tout ce sang brûlant qui se vidait de mon visage. J’avais dit ça au téléphone à Emily. Elle avait appelé pour s’assurer que je venais directement à la séance, et j’avais détourné la conversation vers Nick. C’était une chose tellement normale que je l’avais oubliée. Bon sang, c’était tellement normal qu’elle avait probablement fait abstraction de tout ça. Soudain, je sus à quel point j’étais ivre, et la pièce se mit à tourner.
Je forçai un rire à briser du cristal.
- Oui, j’ai mentionné ton nom, mais ce n’est pas ce que j’ai dit.
- Non, c’était bien ça, interrompit-il. Je ne suis pas un crétin. Je sais ce que j’ai entendu.
- Eh bien, tu l’as mal interprété, insistais-je. Je ne cours pas après toi, Nick. Pour ce que j’en sais, tu es toujours marié. Et nous travaillons ensemble. Je suis désolée si je t’ai mis mal à l’aise. Je vais essayer de ne pas le refaire.
- Tu ne m’as pas mis mal à l’aise.
Il s’arrêta et passé la main dans les cheveux une troisième fois, fixant à nouveau la serviette. Il y avait quelque chose d’écrit sur cette foutue chose.
- C’est juste que... Il soupira et n’alla pas plus loin.
- Juste quoi ?
Pas de réponse. J’aurai aimé que ce soit seulement l’alcool qui me fasse sortir des sarcasmes, mais ce n’était pas le cas.
- Pourquoi ne pas consulter ta serviette magique pour savoir ce que tu dois dire ?
Son visage s’assombrit.
- C’est pas sympa.
J’étais en train d’accumuler de la pression.
- Eh bien, il semble que tu sois venu me voir avec ton discours tout préparé. Remettre la pauvre Katie en mal d’amour à sa place.
Je pris une inspiration et je crachai :
- Je n’arrive pas à croire que tu aies dû prendre des notes sur une serviette de bar.
- Je ne suis pas aussi bon que toi avec les mots, Madame l’avocate. Je voulais faire ça correctement. Ne te moque pas de moi parce que je te prends au sérieux.
- Désolée de t’avoir causé tant de problèmes.
Je n’étais pas désolée sur le moment, et je pense que mon ton le lui fit comprendre.
- Mais je t’en prie, finis de lire ta serviette.
Il se leva.
- Il n’y a rien d’autre qui vaille la peine de discuter.
Trop tard, j’avais vu à quel point j’étais nulle.
- Nick, je suis désolée. Oublie ce que j’ai dit. J’ai trop bu. Merde, je bois trop ces derniers temps, et je vais vraiment réduire ma consommation. J’espère que cela ne fera pas reculer notre amitié, et que nous pourrons continuer à travailler normalement. Tu sais comment je suis. Je suis bien trop excessive, et j’ai une grande gueule.
J’interrompis mon bavardage inutile et luttai pour garder le contact visuel avec lui.
Mes pensées étaient devenues confuses. Comment avais-je pu me tromper autant sur lui ? J’ai toujours cru qu’au fond, il était aussi attiré par moi - et pas seulement sur le plan physique - que je l’étais par lui. Que si je lui donnais la bonne ouverture et le bon coup de pouce, il m’emporterait dans son carrosse magique et me conduirait au bonheur.
Comme c’était ridicule. Je n’étais pas Cendrillon. J’étais Glenn Close avec le lapin bouilli dans Liaison fatale. Et il était Michael Douglas cherchant un moyen de s’échapper.
Je ne savais pas comment récupérer les choses. Ses yeux devenaient plus hostiles à chaque seconde. Sans m’adresser un mot de plus, il s’en alla avec sa fichue serviette à la main.