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Discours par Maximilien Robespierre — 21 octobre 1789-1er juillet 1794

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours sur la fausse marche imprimée au gouvernement révolutionnaire prononcé au Club des Jacobins le 13 messidor an II de la république française (1er juillet 1794)

(Ce fut dans cette séance que Robespierre signala pour la première fois la fausse marche imprimée au gouvernement révolutionnaire. Il réclama pour les patriotes opprimés, répondit aux calomnies auxquelles il était lui-même en butte, et qui pèsent encore sur sa mémoire. Il termina par des insinuations contre ses collègues des comités qui n'échappèrent à personne, et qui furent pour ceux-ci un avis de se tenir prêts. Son discours fit une grande sensation. En voici le texte)

Il est temps peut-être que la vérité fasse entendre dans cette enceinte des accents aussi mâles et aussi libres, que ceux dont cette salle a retenti dans toutes les circonstances où il s'est agi de sauver la patrie.

Quand le crime conspire dans l'ombre la ruine de la liberté, est-il, pour des hommes libres, des moyens plus forts que la vérité et la publicité? Irons-nous, comme les conspirateurs, concerter dans des repaires obscurs les moyens de nous défendre contre leurs efforts perfides?

Irons-nous répandre l'or et semer la corruption? En un mot, nous servirons-nous contre nos ennemis des mêmes armes qu'ils emploient pour nous combattre? Non. Les armes de la liberté et de la tyrannie sont aussi différentes que la liberté et la tyrannie sont opposées. Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis, il ne nous reste d'autre ressource que la vérité et le tribunal de l'opinion publique, et d'autre appui que les gens de bien.

On juge de la prospérité d'un état, moins par les succès de l'extérieur que par l'heureuse situation de l'intérieur. Quand les factions sont audacieuses, quand l'innocence tremble pour elle-même, la république n'est pas fondée sur des bases durables.

Je dénonce ici aux gens de bien un système odieux qui tend à soustraire l'aristocratie à la justice nationale, et à perdre la patrie en perdant les patriotes; car la cause de la patrie et celle des patriotes, c'est la même chose.

De tout temps les ennemis de la patrie ont voulu assassiner les patriotes au physique et au moral. Aujourd'hui, comme dans tous les temps, on s'efforce de jeter sur les défenseurs de la république un vernis d'injustice et de cruauté: on dénonce comme des attentats contre l'humanité la sévérité employée contre les conspirateurs. Celui qui protège et favorise ainsi les aristocrates combat par là même les patriotes: il faut que la révolution se décide par la ruine des uns ou des autres.

L'homme humain est celui qui se dévoue pour la causé de l'humanité, et qui poursuit avec rigueur et avec justice celui qui s'en montre l'ennemi; on le verra toujours tendre une main secourable à la vertu outragée et à l'innocence opprimée.

Le barbare est celui qui, sensible pour les conspirateurs, est sans entrailles pour les patriotes vertueux; les mêmes hommes qui se laissent attendrir pour l'aristocratie sont implacables pour les patriotes. La faction des indulgents, sont des termes par lesquels on a cherché à caractériser les anthropophages, dont l'humanité consiste à parer les coups portés aux ennemis de l'humanité, pour leur donner la facilité d'en porter de nouveaux aux patriotes. Ce système ne doit avoir d'autre nom que celui de contre-révolutionnaire, parce qu'il tend à égorger les défenseurs de la patrie, et à jeter sur eux une teinte affreuse de cruauté. La faction des indulgents est confondue avec les autres; elle en est l'appui et le soutien. Le premier devoir d'un bon citoyen est donc de la dénoncer en public. Je ne prendrais pas aujourd'hui la parole contre elle, si elle n'était pas devenue assez puissante pour essayer de mettre des entraves à la marche du gouvernement.

Tandis qu'un petit nombre d'hommes s'occupe avec un zèle infatigable aux travaux qui leur sont imposés par le peuple, une multitude de fripons et d'agents de l'étranger ourdit dans le silence une combinaison de calomnies et de persécutions contre les gens de bien. Déjà sans doute on s'est aperçu que tel patriote qui veut venger la liberté et l'affermir est sans cesse arrêté dans ses opérations par la calomnie, qui le présente aux yeux du .peuple comme un homme redoutable et dangereux. Elle fait donner à la vertu l'apparence du crime, et à la bassesse du crime la gloire due à la vertu.

Chaque jour elle invente de nouveaux forfaits pour réussir dans ses affreux complots; ce sont les indulgents qui ne cessent de s'en servir comme d'une arme terrible. Cette faction, grossie des débris de toutes les autres, réunit par le même lien tout ce qui a conspiré depuis la révolution; elle a profité de l'expérience pour renouer ses trames avec plus de perfidie: aujourd'hui, elle met en oeuvre les mêmes moyens employés jadis par les Brissot, les Danton, les Hébert, les Chabot, et tant d'autres scélérats.

Plusieurs fois on a vu les comités de salut public et de sûreté générale attaqués eu masse; aujourd'hui, on aime mieux attaquer les membres en particulier, pour parvenir à briser le faisceau. Autrefois, on n'osait pas diriger ses coups contre la justice nationale; aujourd'hui, on se croit assez fort pour calomnier le tribunal révolutionnaire et le décret de la Convention concernant son organisation; l'on va même jusqu'à révoquer en doute sa légitimité. Vous sentez toute l'importance de cette machination; car détruisez la confiance accordée aux patriotes, et alors le gouvernement révolutionnaire est nul, ou il est la victime des ennemis du bien public, et alors l'aristocratie triomphe. Détruisez le tribunal révolutionnaire, ou composez-le de membres agréables aux factieux; comment pourrez-vous espérer de rompre les fils des conspirations, si la justice est exercée par les conjurés eux-mêmes?

Les despotes et leurs satellites savent bien que lors, qu'un patriote succombe, d'autres patriotes succombent aussi, et la cause du patriotisme éprouve le même sort. Ils croient pouvoir nous amener à nous détruire les uns les autres, par la défiance qu'ils veulent exciter parmi nous. Ils affectent de présenter aux citoyens les travaux de la Convention nationale comme ceux de quelque individu. On a osé répandre dans la Convention que le tribunal révolutionnaire n'avait été organisé que pour égorger la Convention elle-même; malheureusement, cette idée a obtenu trop de consistance. En un mot, je le répète, aujourd'hui les premières tentatives faites pour détruire la liberté sont renouvelées avec des formes plus respectables. Le plus haut degré du courage républicain est de s'élever au dessus des considérations personnelles, et de faire connaître, au péril de sa vie et même de sa réputation, les perfidies de nos ennemis. Quant à moi, quelque effort que l'on fasse pour me fermer la bouche, je crois avoir autant de droit de parler que du temps des Hébert, des Danton, etc. Si la Providence a bien voulu m'arracher des mains des assassins, c'est pour m'engager à employer utilement les moments qui me restent encore.

Les défenseurs de la patrie ont à combattre ordinairement les assassins et les calomniateurs; mais il est affreux d'avoir en même temps à répondre aux uns et aux autres. Qu'un homme arrange dans un cercle des actes d'accusation contre les patriotes, c'est un phénomène qui se réalise aujourd'hui. Les assassins et les calomniateurs sont les mêmes hommes envoyés ici par le tyran de Londres. On lit dans les papiers payés par l'Angleterre les mêmes choses que disent chaque jour des Français que je dénonce comme agents de l'Angleterre et de la tyrannie.

Qu'il me soit permis de parler de moi, dans une affaire qui n'est pas bien importante pour moi, du côté de l'intérêt personnel. A Londres, on me dénonce à l'armée française comme un dictateur; les mêmes calomnies ont été répétées à Paris: vous frémiriez si je vous disais dans quel lieu. A Londres, on a dit qu'en France la calomnie avait réussi, et que les patriotes étaient divisés; à Londres on fait des caricatures, on me dépeint comme l'assassin des honnêtes gens, des libelles imprimés dans les presses fournies par la nation elle-même me dépeignent sous les même traits. A Paris, on dit que c'est moi qui ai organisé le tribunal révolutionnaire, que ce tribunal a été organisé pour égorger les patriotes et les membres de la Convention nationale; je suis dépeint comme un tyran et un oppresseur de la représentation nationale. A Londres, on dit qu'en France on imagine de prétendus assassinats pour me faire entourer d'une garde militaire. Ici l'on me dit, en parlant de la Renault, que c'est sûrement une affaire d'amourette, et qu'il faut bien croire que j'ai fait guillotiner son amant. C'est ainsi que l'on absout les tyrans, en attaquant un patriote isolé, qui n'a pour lui que son courage et sa vertu.

La vérité est mon seul asile contre le crime; je ne veux ni de partisans ni d'éloges: ma défense est dans ma conscience. Je prie les citoyens qui m'entendant de se rappeler que les démarches les plus innocentes et les plus pures sont exposées à la calomnie, et qu'ils ne peuvent rien faire que les tyrans ne cherchent à le tourner contre eux.

Quelle doit être la conduite des amis de la liberté, lorsqu'ils se trouvent dans la misérable alternative ou de trahir la patrie, ou d'être traités de tyrans, d'oppresseurs, d'hommes injustes et avides de sang, s'ils ont le courage de remplir leurs devoirs et la tâche que leur impose la Convention, et de préférer l'innocence opprimée à la horde exécrable des scélérats qui conspirent contre la liberté? Trahissez ta patrie d'une manière adroite, bientôt les ennemis du peuple sont à votre secours. Défendez la cause de la justice, vous ne pourrez pas dire une parole sans être appelé tyran et despote; vous ne pourrez pas invoquer l'opinion publique, sans être désigné comme un dictateur. Ceux qui défendent courageusement la patrie sont exposés comme ils l'étaient du temps de Brissot; mais je préférerais encore au moment actuel celui où je fus dénoncé par Louvet, sous le rapport de ma satisfaction personnelle: les ennemis d«s patriotes étaient alors moins perfides et moins atroces qu'aujourd'hui.

 

L'accusation de Louvet est renouvelée dans un acte trouvé parmi les papiers du secrétaire de Camille Desmoulins, ami du conspirateur Danton; cet acte était près de paraître, lorsque le comité de sûreté générale l'a découvert et l'a renvoyé au comité de salut public. Les conjurés y citent tout ce qui s'est passé dans la révolution, à l'appui de leur dénonciation contre un prétendu système de dictature. A examiner l'absurdité de la dénonciation, il serait inutile d'en parler, des calomnies aussi grossières ne sont pas faites pour séduite les citoyens, mais on verra qu'elles n'étaient préparées que comme un manifeste qui devait précéder un coup de main contre les patriotes. Que direz-vous, si je vous apprends que ces atrocités n'ont pas semblé révoltantes à des hommes revêtus d'un caractère sacré, si parmi nos collègues eux-mêmes, il s'en est trouvé qui les ont colportées!

(Robespierre, après avoir fait observer que toutes les calomnies des tyrans et de leurs stipendies peuvent jeter une sorte de découragement dans l'âme des patriotes, invoque pour appui la vertu de la Convention nationale, vertu qui donne la force de résistance et l'obligation de mettre sous ses pieds les intérêts de l'amour-propre, et de ne pas se laisser ébranler par les efforts redoublés des calomniateurs; il invoque aussi le patriotisme et la fermeté des membres des comités de salut public et de sûreté générale, ainsi que la vertu des citoyens zélés pour les intérêts de la république; il représente que ce ne sont pas des applaudissements et des éloges qui sauveront la liberté, mais une vigilance infatigable; il invite donc les bons citoyens à dénoncer les actes d'oppression, à observer et à dévoiler les intrigues étrangères.)

Quand les circonstances se développeront (continue-t-il), je m'expliquerai plus au long; aujourd'hui, j'en ai dit assez pour ceux qui sentent. Il ne sera jamais au pouvoir de personne de m'empêcher de déposer la vérité dans le sein de la représentation nationale et des républicains. Il n'est pas au pouvoir des tyrans et de leurs valets de faire échouer mon courage.

Qu'on répande des libelles contre moi, je n'en serai pas moins toujours le même, et je défendrai la liberté et l'égalité avec la même ardeur. Si l'on me forçait de renoncer à une partie des fonctions dont je suis chargé, il me resterait encore ma qualité de représentant du peuple, et je ferais une guerre à mort aux tyrans et aux conspirateurs.

* * * * * * * * *

Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours de Robespierre sur les persécutions dont les patriotes étaient victimes de la part des aristocrates, Club des Jacobins, Séance du 24 messidor an II de la république française (5 juillet 1794)

Toutes les injustices particulières qui vous sont dénoncées méritent de votre part une sérieuse attention. Le premier devoir d'un patriote est de secourir les opprimés; quiconque manque à ce devoir n'a pas même le sentiment du patriotisme: de toutes les vertus qui ont servi de base à la révolution, la plus belle et la plus véritable est la plus négligée. Rien de si commun que les beaux discours insignifiants; rien de plus rare que la défense généreuse des opprimés, quand on n'en attend aucun profit; rien de si commun que le ménagement pour les aristocrates; rien de si rare qu'une humanité envers les bons citoyens dans le malheur.

De tous les décrets qui ont sauvé la république, le plus sublime, le seul qui l'ait arrachée à la corruption et qui ait affranchi les peuples de la tyrannie, c'est celui qui met la probité et la vertu à l'ordre du jour. Si ce décret était exécuté, la liberté serait parfaitement établie, et nous n'aurions plus besoin de faire retentir les tribunes populaires de notre voix; mais des hommes qui n'ont que le masque de la vertu mettent les plus grandes entraves à l'exécution des lois de la vertu même; ils veulent se faire de ce masque un moyen de parvenir au pouvoir.

Il est peu d'hommes généreux qui aiment la vertu pour elle-même, et qui désirent avec ardeur le bonheur du peuple. Tous les scélérats ont abusé de la loi qui a sauvé la liberté et le peuple français. Ils ont feint d'ignorer que c'était la justice suprême que la Convention avait mise à l'ordre du jour, c'est-à-dire le devoir de confondre les hypocrites, de soulager les malheureux et les opprimés, et de combattre les tyrans; ils ont laissé à l'écart ces grands devoirs, et s'en sont fait un instrument pour tourmenter le peuple et perdre les patriotes.

Il existe un comité révolutionnaire dans la république; vous allez croire peut-être qu'il s'est imaginé qu'il fallait anéantir l'aristocratie. Point du tout, il a cru qu'il fallait arrêter tous les citoyens qui, dans un jour de fête, se seraient trouvés ivres. Grâce à cette heureuse application de la loi, tous les contre-révolutionnaires sont restés tranquilles et en pleine sécurité, tandis que les artisans et les bons citoyens, qui s'étaient par hasard livrés à un mouvement de gaîté, ont été impitoyablement incarcérés.

Sans doute nous sommes plus ennemis de toute espèce de vices que ces inquisiteurs méchants et hypocrites; nous savons que l'ivresse est une maladie dont il faut guérir les hommes, mais nous savons aussi distinguer les faux patriotes qui persécutent le peuple, tandis qu'ils sont indulgents pour les aristocrates.

La ligue de toutes les factions a partout le même système. S'il est parmi elles quelque apparence de vertu, ce n'est qu'un masque imposteur; les scélérats qui se l'adaptent n'exigent jamais une soumission réelle aux lois de la république; ils ne voient dans les nobles que des cultivateurs paisibles, de bons maris, et ils ne s'informent pas s'ils sont amis de la justice ou du peuple.

Le décret qui met la vertu à l'ordre du jour est fécond en grandes conséquences. Nous avions prévu qu'on en abuserait; mais en même temps nous avions pensé que ce décret, porté contre les oppresseurs, imposerait aux fonctionnaires publics le devoir d'exercer la vertu, et de ne jamais s'écarter des obligations qui les lient à la patrie; mais ces obligations ne les forcent point à s'appesantir, avec une inquisition sévère, sur les actions des bons citoyens, pour détourner les yeux de dessus les crimes des fripons: ces fripons, qui ont cessé d'attirer leur attention, sont ceux-là même qui oppriment l'humanité, et sont de vrais tyrans. Si les fonctionnaires publics avaient fait ces réflexions, ils auraient trouvé peu de coupables à punir, car le peuple est bon, et la classe des méchants est la plus petite.

C'est en vain que Roland me vante ses vertus et me présente le tableau de sa vie privée; sans examiner ni cette apologie fastidieuse, ni l'histoire scandaleuse de la vie privée d'un Barbaroux, je demande à un homme: Qu'as-tu fait pour la prospérité de ton pays? Quels travaux as-tu entrepris pour arracher le peuple français au joug odieux de la servitude? S'il me répond à cette question d'une manière satisfaisante, alors je le crois vertueux.

Necker fut dans le sein de sa famille un véritable tyran: n'en soyez pas étonnés; un homme qui manque des vertus publiques ne peut avoir les vertus privées. Cette vertu de Necker et de Roland, q«e des intrigants ont voulu faire résulter du décret dont je vous parlais il n'y a qu'un instant, est diamétralement opposée à l'héroïsme et à l'humanité. Si je voulais suivre le système perfide de ces hommes qui ne connaissent point la vertu, vous verriez les hommes de bien opprimés, et les intrigants relevant leur tête altière. Nos ennemis disent dans leurs assemblées secrètes:

"Faisons en sorte qu'il n'y ait que des fripons; persécutons les patriotes, et ne cessons d'appuyer ceux qui, comme Hébert, veulent détruire sourdement la liberté de la France, ainsi que ceux qui, par leur modérantisme, veulent la ramener à l'esclavage; poursuivons tous ceux qui aspirent à la liberté du genre humain."

Ces monstres dévouent, en conséquence, à l'opprobre et aux tourments tout homme dont ils redoutent l'austérité de m½urs et la sévère probité.

Le devoir du gouvernement est de remédier à cet abus. Pour remplir cet objet, il faut qu'il ait beaucoup d'unité, de sagesse et d'action. Quiconque veut cabaler contre le gouvernement est un traître, et je dénonce ici tous ceux qui se sont rendus coupables de ce crime. On veut calomnier le gouvernement révolutionnaire pour le dissoudre; on veut flétrir le tribunal révolutionnaire, pour que les conspirateurs respirent en paix; les artifices les plus infâmes sont inventés pour persécuter les patriotes énergiques et sauver leurs mortels ennemis.

Il n'est qu'an seul remède à tant de maux, et il consiste dans l'exécution des lois de la nature, qui veulent que tout homme soit juste, et dans la vertu, qui est la base fondamentale de toute société. Autant vaudrait retourner dans les bois que de nous disputer les honneurs, la réputation, les richesses; il ne résulterait de cette lutte que des tyrans et des esclaves. Après cinquante ans d'agitations, de troubles et de carnage, le résultat serait l'établissement d'un nouveau despote.

Il est naturel de s'endormir après la victoire; nos ennemis, qui le savent bien, ne manquent pas de faire des efforts pour détourner notre attention de dessus leurs crimes. La véritable victoire est celle que les amis de la liberté remportent sur les factions: c'est cette victoire qui appelle chez les peuples la paix, la justice et le bonheur. Une nation n'est pas illustrée pour avoir abattu des tyrans ou enchaîné des peuples; ce fut le sort des Romains et de quelques autres nations: notre destinée, beaucoup plus sublime, est de fonder sur la terre l'empire de la sagesse, de la justice et de la vertu.

Nous ne pourrons atteindre ce but que par des institutions sages, qui ne peuvent être fondées que sur la ruine des ennemis incorrigibles de la liberté. Voyez ce qui arrive à chaque effort du crime contre la vertu; les factions redoublent d'artifices, à mesure que nous déployons notre énergie; et si cette même énergie vient à se ralentir, elles en profiteront pour prendre de nouvelles forces; elles disputeront le terrain, et donneront aux conspirateurs le temps de se rallier; à tout moment elles cherchent à diviser et à se faire des partisans; si l'on n'y prenait garde, il se formerait bientôt des factions en assez grand nombre pour lutter contre la liberté et égorger ses amis.

En vous présentant ces réflexions, je dénonce les efforts de nos ennemis sans prédire leurs succès; je sais que tout ce qui est criminel sur la terre doit disparaître; mais il n'est pas moins vrai que le crime fit de tout temps, jusqu'à nous, le malheur du monde.

Il faut une excessive légèreté pour s'endormir sur les conjurations, et pour perdre un instant ce courage ardent qui nous porte à dénoncer les conspirateurs: ce n'est pas pour provoquer aucune mesure sévère contre les coupables, que j'ai pris ici la parole, que m'importe leur vie ou leur mort, pourvu que le peuple et la Convention soient éclairés!

Mon but est de prémunir tous les citoyens contre les pièges qui leur sont tendus, et d'éteindre la nouvelle torche de discorde qu'on cherche à allumer dans la Convention. Ce qu'on voit tous les jours, ce qu'on ne peut se cacher, c'est qu'on veut avilir et anéantir la Convention par un système de terreur; il existe des rassemblements qui ont pour but de répandre ces funestes idées; on cherche à persuader à chaque membre que le comité de salut public l'a proscrit.

Ce complot existe; mais, puisqu'on le connaît, tous les bons citoyens doivent se rallier pour l'étouffer. C'est ici que dans tous les temps les députés patriotes se sont réunis pour faire triompher la vertu: si la tribune des Jacobins devient muette depuis quelque temps, ce n'est pas qu'il ne leur reste rien à dire; mais le profond silence qui y règne est l'effet d'un sommeil léthargique, qui ne permet pas d'ouvrir les yeux sur les dangers de la patrie. On veut donc forcer la Convention à trembler; on veut la prévenir contre le tribunal révolutionnaire, et rétablir le système des Danton, des Camille Desmoulins; on a semé partout des germes de division; on a substitué la défiance à la franchise, le calcul des âmes faibles au sentiment généreux des fondateurs de la république: il faut toujours en revenir à ces principes, la vertu publique et la justice suprême sont les deux lois souveraines sous lesquelles doivent ployer tous ceux qui sont chargés des intérêts de la patrie.

 

Il n'y a qu'un moyen pour un peuple qui ne peut pénétrer par lui-même à chaque instant dans les replis de l'intrigue; c'est de conserver ses droits et de faire en sorte que son courage ne puisse échouer contre la perfidie; c'est de comparer avec la justice tout ce qui n'en a que l'apparence; tout ce qui tend à un résultat dangereux est dicté par la perfidie.

Il est un sentiment gravé dans le c½ur de tous les patriotes, et qui est la pierre de touche pour reconnaître leurs amis; quand un homme se tait au moment où il faut parler, il est suspect; quand il s'enveloppe de ténèbres, ou qu'il montre pendant quelques instants une énergie qui disparaît aussitôt; quand il se borne à de vaines tirades contre les tyrans, sans s'occuper des m½urs publiques et du bonheur de tous ses concitoyens, il est suspect.

Quand ont voit des hommes ne sacrifier des aristocrates que pour la forme, il faut porter un examen sévère sur leurs personnes.

Quand on entend citer des lieux communs contre Pitt et les ennemis du genre humain, et que l'on voit les mêmes hommes attaquer sourdement le gouvernement révolutionnaire; quand on voit des hommes, tantôt modérés, tantôt hors de toute mesure, déclamant toujours, et toujours s'opposant aux moyens utiles qu'on propose, il est temps de se mettre en garde contre les complots.

La révolution se terminerait d'une manière bien simple, et sans être inquiétée par les factieux, si tous les hommes étaient également amis de la patrie et des lois.

Mais nous sommes bien éloignés d'en être arrivés à ce point; j'en atteste les hommes probes, qu'ils déclarent si, lorsqu'ils veulent défendre un patriote tout criblé des blessures de l'aristocratie, et qu'un aristocrate doucereux se présente, il ne se groupe pas aussitôt autour de ce dernier beaucoup d'hommes qui cherchent à le soutenir.

Mais les gémissements d'un patriote opprimé ont-ils donc plus de peine à se faire entendre dans de certaines âmes, que les plaintes hypocrites de l'aristocratie?

Concluons de là que le gouvernement républicain n'est pas encore bien assis, et qu'il y a des factions qui contrarient ses effets. Le gouvernement révolutionnaire a deux objets, la protection du patriotisme, et l'anéantissement de l'aristocratie. Jamais il ne pourra parvenir à ce but, tant qu'il sera combattu par les factions. Assurer la liberté sur des bases inébranlables sera pour lui une chose impossible, tant que chaque individu pourra se dire: Si aujourd'hui l'aristocratie triomphe,, je suis perdu. Il y aura toujours dans le sein du peuple une grande réaction contre les intrigues, et il en résultera peut-être beaucoup de déchirements.

Mais les scélérats ne triompheront pas, car il est impossible que les hommes qui ont épousé le système profond de la justice et de la liberté consentent jamais à laisser à de si vils ennemis un triomphe qui serait à la fois la honte et la perte de l'humanité entière. Il faut que ces lâches conspirateurs, ou renoncent à leurs complots infâmes, ou qu'ils nous arrachent la vie. Je sais qu'ils le tenteront, ils le tentent même tous les jours, niais le génie de la patrie veille sur les patriotes.

J'aurais voulu donner plus d'ordre et de précision à ces réflexions, mais j'ai suivi le sentiment de mon âme. Je cherche à étouffer les germes de division et à empêcher qu'il ne se forme deux partis dans la Convention: j'invite tous les membres à se mettre en garde contre les insinuations perfides de certains personnages qui, craignant pour eux-mêmes, veulent faire partager leurs craintes. Tant que la terreur durera parmi les représentants, ils seront incapables de remplir leur mission glorieuse. Qu'ils se rallient à la justice éternelle, qu'ils déjouent les complots par leur surveillance; que le bruit de nos victoires soit la liberté, la paix, le bonheur et la vertu, et que nos frères, après avoir versé leur sang pour nous assurer tant d'avantages, soient eux-mêmes assurés que leurs familles jouiront du fait immortel que doit leur garantir leur généreux dévoûment!