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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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LETTRE CCXXVIII

A M. MOORE

Piccadilly Terrace, 31 oct. 1815.

«Je n'ai pas pu m'assurer d'une manière précise du tems que dure la vente des fonds, mais je crois que c'est un bon moment pour s'en défaire, et je l'espère d'abord, parce que je vous verrai, et ensuite parce que je recevrai certaines sommes au profit de lady B., qui contribueront essentiellement à me mettre à mon aise, car (pour parler le langage des créanciers) j'ai besoin de compléter une somme.

»Hier j'ai dîné dehors avec une assez nombreuse société dans laquelle se trouvaient Shéridan et Colman, Harry Harris de C. G. et son frère, sir Gilbert Heathcote, Douglas Kinnaird et d'autres personnes de marque. Comme dans d'autres réunions de ce genre, le silence régna d'abord, puis l'on parla, puis on argumenta, puis on disputa; enfin, tout le monde voulant, parler à la fois, l'on ne s'entendit plus et l'on finit par se griser. Quand nous fûmes arrivés au dernier degré de cette glorieuse progression, ce ne fut pas chose facile que de descendre sans tomber; et pour couronner le tout, Kinnaird et moi, il nous fallut faire descendre à Shéridan un escalier en limaçon, qui a été certainement construit avant la découverte des liqueurs fermentées, et avec lequel il n'est pas de jambes, tant cagneuses qu'elles soient, qui puissent commodément s'arranger. Nous le déposâmes enfin, sain et sauf, chez lui, où son domestique, qui paraît fort habitué à ces sortes d'affaires, l'attendait dans le vestibule. Lui et Colman avaient été, selon leur coutume, très-amusans; mais j'emportais avec moi beaucoup de vin, et ce vin avait précédemment emporté ma mémoire, en sorte que tout fut hoquet et allégresse pendant la dernière heure, et il ne m'est rien resté de la conversation. Peut-être avez-vous entendu rapporter la réponse que fit dernièrement Shéridan au watchman, qui le trouva privé de cette «divine particule d'air» appelée raison.............................. .................. .......................................

»Le watchman trouva donc Sherry dans la rue, ivre mort. «Qui êtes-vous, monsieur?» Pas de réponse. «Quel est votre nom?» Un hoquet. «Quel est votre nom?» Alors il répond d'un ton grave, lent et flegmatique: «Wilberforce!!!» N'est-ce pas là tout Shéridan? A mon avis, la réponse est excellente. Il a plus d'esprit dans son ivresse, que les autres à leur première pointe de gaîté.

»Mon papier est rempli, et j'ai un terrible mal à la tête.

»P. S. Lady B. avance rapidement. Le mois prochain donnera la lumière (avec l'aide de «Junon Lucine, fer opem», ou plutôt opes, car ce dernier est plus nécessaire) à la dixième merveille du monde, – Gil Blas étant la huitième, et le père de mon fils la neuvième.»

LETTRE CCXXIX

A M. MOORE

4 novembre 1815.

«Si vous ne m'aviez pas troublé la tête avec les fonds, votre lettre aurait eu une réponse immédiate. N'a-t-il pas fallu que j'aille dans la cité? n'a-t-il pas fallu me rappeler, en arrivant là, ce que j'y venais faire, et ne l'avais-je pas oublié?

»Je serais, sans aucun doute, enchanté de vous voir; – mais je n'aime pas à employer mes goûts personnels pour combattre vos motifs. – Vous viendrez et bientôt, car rester ne vous sera pas possible. – Je vous connais depuis long-tems, vous avez trop du vieux levain de Londres, pour en pouvoir rester long-tems absent.

»Lewis va à la Jamaïque sucer ses cannes à sucre. Il s'embarque dans deux jours. Je vous envoie ci-joint son billet d'adieu. Je le vis hier au soir à D. L. T., pour la dernière fois avant son départ. Pauvre diable! – c'est réellement un brave homme, un excellent homme. – Il m'a laissé sa canne et un pot de gingembre confit; je ne mangerai jamais de ce dernier sans avoir les larmes aux yeux. – C'est si brûlant! – Nous avons un bruit de diable parmi nos ballerinas. – On a fait une injustice à miss Smith, au sujet d'un pas écossais. Le comité s'en est mêlé; mais le maudit maître de ballet n'a pas voulu en démordre. Je suis furieux, et Georges Lamb aussi. – Kinnaird est fort content, il ne sait pas trop pourquoi; et moi je suis très-fâché, à peu près pour la même raison. Aujourd'hui je dîne avec Kinnaird, nous aurons encore Shéridan et Colman; et demain encore une fois chez sir Gilbert Heathcote… .....................

»Leigh Hunt a composé un poème vraiment bon et très-original, et qui, je crois, fera sensation. Vous ne pouvez imaginer à quel point il est bien écrit, et je ne m'en serais pas fait une idée moi-même, si je ne l'avais pas lu. Quant à nous, Tom, eh bien! quand allons-nous paraître? J'aimerais beaucoup mieux, si vous pensez que les vers en valent la peine, qu'ils fussent mêlés avec les Mélodies Irlandaises, que d'être imprimés séparément. – Mais quand votre chef-d'œuvre sera-t-il publié? Quand verrons-nous votre Shah Nameh? – Jeffrey est bien bon d'aimer les Mélodies Hébraïques. Il y a des gens ici qui préfèrent Sternhold et Hopkins, et qui en conviennent. – Que le diable emporte leurs ames, pour les punir d'un tel goût!

»Il faut que j'aille m'habiller pour dîner. – Pauvre cher Murat! quelle fin! Vous savez, je pense, que son panache blanc était comme celui d'Henri IV, le point de ralliement pendant une bataille. – Il refusa un confesseur et le bandeau qu'on lui offrait, ne voulant pas souffrir qu'on aveuglât ni ses yeux, ni son ame. Vous en apprendrez davantage demain ou le jour suivant.

»À jamais, etc.»

LETTRE CCXXX

À M. MURRAY

4 novembre 1815.

«Quand vous serez en état de vous former une opinion sur le manuscrit de M. Coleridge, vous me ferez plaisir de me le rendre, parce que, dans le fait, je n'ai pas été autorisé à le laisser sortir de mes mains. J'en pense beaucoup de bien, et désirerais vivement que vous en fussiez l'éditeur; mais si vous n'y consentez pas, je ne désespère nullement de trouver quelqu'un qui s'en chargera.

»J'ai écrit à M. Leigh Hunt, pour l'informer que vous étiez disposé à traiter avec lui comme vous me l'avez fait entendre la dernière fois que je vous ai vu. Quant aux conditions et à l'époque, j'abandonne cela à sa volonté et à votre discernement. – Je dirai seulement que je regarde cette entreprise comme la plus sûre dont vous vous soyez jamais mêlé. Je vous parle comme à un spéculateur; si je devais vous parler comme lecteur et comme critique, je vous dirais que c'est une production admirable, qui n'a tout juste de défaut que pour en rendre les beautés plus remarquables.

»Et maintenant, pour en finir, parlons de mon poème, dont je suis honteux, après avoir nommé les autres. – Publiez-le ou non, comme vous voudrez, je n'y tiens pas le moins du monde. Si vous ne le publiez pas, il ne le sera jamais par aucun autre, et je n'y ai jamais songé que comme appartenant à la collection. S'il vaut la peine d'être mis dans le quatrième volume, placez-l'y, mais pas ailleurs; sinon jetez-le au feu.

»Tout à vous.»

Les embarras dont il avait craint de se voir prochainement entouré, en faisant une revue de ses affaires avant son mariage, ne tardèrent pas à réaliser ses plus sinistres présagés. L'augmentation de dépense que lui occasionnait son nouveau genre de vie, sans que ses moyens se fussent beaucoup accrus, les arriérés d'anciennes obligations pécuniaires, et des engagemens qui, depuis lors, s'étaient graduellement accumulés, se réunirent pour l'accabler de tout leur poids, et lui firent plus d'une fois connaître les plus cruelles humiliations de la pauvreté. La nécessité de satisfaire ses créanciers l'avait réduit au pénible expédient de vendre ses livres. – Cette circonstance étant venue aux oreilles de M. Murray, ce dernier se hâta de lui envoyer 1,500 livres sterling, avec l'assurance qu'une pareille somme serait à son service dans quelques semaines, et que si ce secours ne suffisait pas, M. Murray était prêt à lui remettre, pour son usage, la valeur des manuscrits de tous ses ouvrages.

C'est à cette offre généreuse que lord Byron répond dans la lettre suivante.

LETTRE CCXXXI

A M. MURRAY

14 novembre 1815.

«Je vous renvoie vos billets que je n'accepte pas, mais qui n'en sont pas moins honorés. Je recevrais de vous ce service, si je devais le recevoir de personne; mais si telle eût été mon intention, je puis vous assurer que je vous en aurais fait la demande franchement, et sans plus de réserve que vous n'en auriez mis à me le rendre, et je ne puis rien dire de plus de ma confiance et de vos procédés.

»Les circonstances qui me décident à me défaire de mes livres, quoiqu'assez pressantes, ne le sont pas d'une manière immédiate: je m'y suis résigné, ainsi n'en parlons plus.

»Si j'avais été disposé à abuser de la sorte de votre obligeance, je n'aurais pas attendu jusqu'à ce moment. Néanmoins je suis bien aise que vous m'ayez donné l'occasion de la refuser, puisque cela fixe mon opinion sur vous, et même me dispose à envisager la nature humaine sous un jour différent de celui où je m'étais habitué à la regarder.

»Croyez-moi très-sincèrement, etc.»

A M. MURRAY

25 décembre 1815.

»Je vous envoie quelques vers écrits depuis longtems, et destinés à servir d'ouverture au Siége de Corinthe. – Je les avais oubliés, et ne suis pas bien sûr même à présent, s'il ne vaudrait pas mieux les laisser de coté. – Mais vous et votre conseil en décideront.

»Tout à vous.»

Voici les vers dont il est question dans ce billet. Ils sont écrits avec toute la liberté de ce genre de mesure vagabonde, que son admiration pour la Christabel de M. Coleridge lui avait fait alors adopter, et peut-être avait-il eu raison de juger qu'ils ne convenaient pas à l'ouverture de son poème. Cependant ils sont trop pleins de verve et de force pour rester inconnus. Quoiqu'il les eût composés au milieu de l'épaisse atmosphère de Piccadilly, on voit aisément que son imagination errait bien loin de là, sur les riantes collines et dans les heureuses vallées de la Grèce, et que le contraste de la vie monotone qu'il menait alors donnait à ses souvenirs un nouvel essor, une nouvelle énergie.

 

En l'an 1810 depuis que Jésus mourut pour les hommes, je faisais partie d'une brave troupe qui parcourait le pays à cheval, ou naviguait sur la mer. Oh! que nous allions d'un joyeux train, tantôt traversant la rivière à gué, tantôt gravissant la haute montagne. Jamais nos coursiers ne se reposaient pendant un jour: soit qu'une grotte et qu'une hutte nous servît d'asile, sur le lit le plus dur, nous jouissions d'un doux sommeil étendus sur notre grossière capote ou sur la planche plus grossière encore de notre léger bateau, la tête reposant sur nos selles en guise d'oreiller, nous ne nous en réveillions pas moins frais et dispos le lendemain. Nous donnions un libre essor à nos pensées, à nos paroles; nous avions en partage la santé et l'espérance, la fatigue, inséparable du voyage, mais nous ne connaissions pas le souci. Notre petite troupe était de toutes les langues, de toutes les croyances. Il y en avait qui disaient leurs chapelets, d'autres appartenaient à la mosquée, d'autres à l'église; quelques-uns, si je ne me trompe, n'appartenaient à rien. Enfin dans le monde entier on aurait cherché en vain une troupe plus joyeuse et plus bigarrée.

Mais les uns sont morts, les autres partis. Il y en a qui sont dispersés et solitaires dans ce monde, d'autres sont révoltés sur les montagnes qui dominent les vallées de l'Épire 13, où la liberté rallie encore ses forces par momens, et fait payer aux oppresseurs de leur sang les maux qu'ils lui ont faits. Quelques-uns sont dans de lointains pays, d'autres passent dans leurs foyers une vie inquiète, mais jamais plus ils ne se réuniront en troupe joyeuse pour courir le pays et se divertir.

Note 13: (retour) Les dernières nouvelles qui me sont parvenues de Dervish (un des Arnautes qui m'avaient suivi) m'ont appris qu'il s'était insurgé dans les montagnes, à la tête de quelques bandes qu'on trouve communément dans ce pays en tems de troubles.(Note de Byron.)

Ces jours de fatigue s'envolaient gaiement, et maintenant quand je les vois se succéder d'une manière si triste, mes pensées, comme de légères hirondelles, traversent en l'effleurant l'Océan, et transportent de nouveau mon esprit, semblable à l'oiseau sauvage et fugitif, au milieu des espaces de l'air. Voilà ce qui sans cesse inspire mes chants, dans lesquels souvent, oh! trop souvent peut-être, j'implore ceux qui peuvent supporter mes vers, de me suivre dans cette terre lointaine.

Étranger, veux-tu, m'accompagner maintenant et venir t'asseoir avec moi sur la montagne qui domine Corinthe?

LETTRE CCXXXII

À M. MOORE

5 janvier 1816

«J'espère que Mrs. M. est entièrement rétablie. Ma petite fille est née le 10 décembre dernier; on l'a nommée Augusta Ada (le second de ces noms est très-ancien dans la famille, et n'a pas été porté, je crois, depuis le règne du roi Jean). Elle est venue au monde, et est encore très-grasse et en très-bon état: on dit même qu'elle est très-forte pour son âge. – Elle ne fait que crier et téter: – cela vous suffit-il? Quant à la mère; elle se porte très-bien, et elle a recommencé à se lever.

»Il y a eu un an le 2 de ce mois que je suis marié-hélas! – Je n'ai vu personne depuis peu qui vaille la peine d'être cité, à l'exception de S*** et d'un autre général des Gaules, avec lesquels je me suis trouvé une ou deux fois à dîner dehors. S*** est un beau cavalier, à la tournure étrangère, à l'air scélérat et spirituel; au total, c'est un homme très-agréable. Son compatriote, qui est plus jeune que lui, tient plus du petit-maître; mais je ne lui crois pas les mêmes facultés intellectuelles qu'au Corse, car vous savez que S*** l'est, et de plus cousin de Napoléon.

»Est-ce qu'on ne vous verra plus jamais en ville? À la vérité, il n'y a pas ici un seul des quinze cents individus qui remplissent ordinairement les salons où l'on étouffe, et qu'on appelle le monde à la mode. Nous avons été retenus ici par l'approche de ma paternité, afin d'y être à portée des médecins; et quant à moi, il m'est aussi indifférent d'être ici que partout ailleurs, de ce côté du détroit de Gibraltar.

»J'aurais fait avec joie, ou plutôt avec tristesse, le chant funèbre que vous me demandez pour la pauvre fille 14 en question; mais comment me serait-il possible d'écrire sur quelqu'un que je n'ai jamais vu ni connu? D'ailleurs vous le ferez bien mieux vous-même. Moi, je ne puis composer sur rien sans en avoir quelque expérience personnelle ou en connaître les bases, à plus forte raison sur un sujet de cette nature. Pour vous, vous avez tout cela; et vous ne l'auriez pas que votre imagination y suppléerait: – ainsi, vous ne pouvez jamais manquer de réussir.

Note 14: (retour) Je lui avais fait part d'un sujet digne d'exercer tout son talent pour le pathétique; c'était un triste événement qui venait de se passer dans mon voisinage, et auquel j'ai fait allusion moi-même dans une des Mélodies Sacrées: «Ne la pleurez pas.»(Note de Moore.)

»Voilà un griffonnage bien insipide, et je suis moi-même un insipide personnage. Je suis absorbé par cinq cents réflexions contradictoires, quoique n'ayant en vue qu'un seul objet. – Mais n'importe, comme on dit quelque part, «l'azur du ciel s'étend sur tout le monde.» Je voudrais seulement que celui qui s'étend sur moi fût un peu plus bleu, un peu plus semblable «au ciel azuré avec lequel se confond le sommet bleuâtre de l'Olympe,» qui, par parenthèse, était tout blanc la dernière fois que je le vis.

»Toujours tout à vous.»

En lisant cette lettre, je fus frappé du ton de mélancolie qui y régnait; et sachant bien que celui qui l'écrivait avait coutume, lorsqu'il était tourmenté par quelque chagrin ou quelque dégoût, de chercher du soulagement dans ce sentiment de liberté qui lui disait qu'il existait pour lui au monde d'autres asiles, je crus apercevoir dans ses souvenirs du sommet bleuâtre de l'Olympe quelque retour de cet esprit inquiet et errant que le malheur ou l'irritation évoquait toujours en lui. Déjà, au moment où il m'envoya les vers mélancoliques: Il n'y a point de plaisir que le monde puisse donner, etc., etc., j'avais éprouvé quelque crainte vague sur cet accès d'abattement auquel je le voyais se livrer; et lui accusant réception de ses vers, j'avais cherché à l'en distraire par des plaisanteries. «Mais pourquoi donc retombez-vous ainsi dans l'ornière de la mélancolie, maître Stéphen? cela ne vaut rien du tout. – Il y aurait de quoi envoyer en diable tous les devoirs positifs de la vie, et il faut que vous lui disiez adieu. La jeunesse est le seul tems où l'on puisse être triste impunément; à mesure que la vie elle-même devient sérieuse et sombre, la seule ressource qui nous reste est d'être, autant que possible, tout le contraire.» Mon absence de Londres, pendant tout le cours de cette année, m'avait privé de pouvoir juger par moi-même du degré de bonheur que lui promettait sa situation domestique. Je n'avais rien appris non plus qui pût me porter à croire que le cours de sa vie conjugale fût moins paisible que ne le sont ordinairement de pareilles unions, du moins en apparence. Les expressions vives et affectueuses dont il s'était servi dans quelques-unes des lettres que j'ai données, pour m'assurer de son bonheur (assurance que sa franchise ne pouvait me rendre douteuse), avaient aussi puissamment contribué à calmer les craintes que le sort qu'il s'était choisi avait excitées en moi à la première vue. Je ne pus cependant m'empêcher de remarquer que ces indices d'un cœur content ne tardèrent pas à cesser. Il ne parla plus que rarement et avec réserve de la compagne de son existence, et quelques-unes de ses lettres me parurent empreintes d'un esprit d'inquiétude et d'ennui qui réveilla en moi toutes les sombres appréhensions avec lesquelles j'avais d'abord envisagé son sort. Cette dernière lettre surtout me frappa comme remplie des plus tristes présages; et dans le courant de ma réponse, je lui exprimai ainsi l'impression qu'elle avait faite sur moi. «Ainsi donc, il y a une année entière que vous êtes marie!

»L'an dernier je te protestais encore cette douce impossibilité.

»Savez-vous, mon cher B., qu'il y a quelque chose dans votre dernière lettre, une espèce d'inquiétude mystérieuse qui, jointe à l'absence totale de votre vivacité ordinaire, n'a cessé depuis de me tourmenter l'esprit de la manière la plus pénible? Il me tarde d'être près de vous pour connaître réellement ce que vous éprouvez, car ces lettres ne disent rien du tout, et un mot, a quattr'occhi, vaut mieux que des rames entières de correspondance. En attendant, dites-moi seulement que vous êtes plus heureux que votre lettre ne m'a porté à le croire, et je serai satisfait.»

Ce fut quelques semaines après cette lettre que lady Byron prit le parti de se séparer de lui. Elle avait quitté Londres à la fin de janvier pour aller voir son père dans le Leicestershire, et Lord Byron devait la suivre peu de tems après. Ils s'étaient séparés pleins de tendresse: – elle lui écrivit en route une lettre pleine d'enjouement et d'affection; et aussitôt qu'elle fut arrivée à Kirkby Mallory, son père écrivit à Lord Byron pour lui apprendre qu'elle ne retournerait plus vivre avec lui. Au moment où il reçut ce coup inattendu, ses embarras pécuniaires, qui s'étaient rapidement augmentés pendant le cours de la dernière année (puisqu'il n'y avait pas eu moins de huit à neuf saisies dans sa maison durant cette époque), étaient parvenus à leur comble; et au moment où, pour me servir de ses énergiques expressions, il était «seul dans ses foyers avec ses dieux pénates brisés et dispersés autour de lui,» il dut aussi recevoir la nouvelle foudroyante que la femme qui venait de le quitter en parfaite harmonie se séparait de lui-pour jamais.

Ce fut à peu près vers cette époque que le billet suivant fut écrit.

A M. ROGERS

8 février 1816.

«Ne vous y méprenez pas; – je vous ai réellement rendu votre livre, par la raison que je vous ai dite, et pas autre chose: il a trop de valeur pour un individu aussi insouciant. – Je me suis défait de tous mes livres, et très-positivement je ne veux pas vous priver de la moindre «particule de cet homme immortel.»

»Je serai bien aise de vous voir, si vous voulez venir, quoique je lutte maintenant contre les traits et les flèches de la fortune cruelle, dont quelques-uns m'ont atteint d'un côté d'où assurément je ne les attendais pas. Mais n'importe, «il y a un monde ailleurs,» et je ferai de mon mieux pour m'ouvrir un chemin dans celui-là.

»Si vous écrivez à Moore, dites-lui que je répondrai à sa lettre quand je pourrai en trouver le tems et la force.

»Toujours tout à vous.»Bn.

Ce ne fut que plus d'une semaine après que le bruit de la séparation arriva jusqu'à moi, et je me hâtai de lui écrire en ces termes: «Je suis extrêmement anxieux d'avoir de vos nouvelles, quoique je ne sache pas trop si je dois parler du sujet qui cause toutes mes inquiétudes. Si cependant ce que j'ai appris hier par une lettre de Londres est vrai, vous comprendrez immédiatement ce que je veux dire, et vous m'en communiquerez autant ou aussi peu que vous croirez convenable; seulement je voudrais en savoir quelque chose de vous-même, aussitôt que possible, afin de pouvoir me fixer sur la vérité ou l'imposture du rapport qui m'a été fait.» Voici la réponse qu'il me fit.