Read only on LitRes

The book cannot be downloaded as a file, but can be read in our app or online on the website.

Read the book: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11», page 24

Font:

LETTRE CCCXXIV 101

A M. MURRAY

Venise, 20 janvier 1819.

«Lorsque j'ai consulté l'opinion de M. H*** et d'autres, c'était relativement au mérite poétique, et non sur ce qu'ils croient devoir au jargon hypocrite d'un tems où on lit encore le Guide de Bath, les poèmes de Little, Prior et Chaucer, sans parler de Fielding et de Smolett. Si vous publiez, publiez l'ouvrage entier, avec les changemens que j'ai moi-même indiqués; ou bien publiez d'une manière anonyme, ou, si vous voulez, pas du tout.

»Votre, etc.

»P. S. J'ai écrit à MM. K*** et H***, pour les prier de n'effacer que ce que j'ai indiqué. Le second chant de Don Juan, est fini, il a deux cent-six stances.»

Note 101: (retour) On a supprimé ici une lettre de nul intérêt pour le lecteur.

LETTRE CCCXXV

A M. MURRAY

Venise, 25 janvier 1819.

«Vous me ferez le plaisir d'imprimer séparément (pour des distributions particulières) cinquante exemplaires de Don Juan. – Je vous enverrai plus tard la liste des personnes à qui je veux en faire présent. Il vaudra mieux joindre les deux autres poèmes à la collection des œuvres; je n'approuve pas que vous les publiiez séparément. Imprimez Don Juan tout entier en en retranchant seulement les vers sur Castlereagh, par la raison que je ne suis pas sur les lieux pour lui en donner satisfaction. J'ai un second chant tout prêt que je vous enverrai bientôt. J'écris par ce courrier à M. Hobhouse sous votre couvert.

»Votre, etc.

»P. S. J'ai cédé à la requête et aux représentations; cela étant, il est inutile d'argumenter ici en faveur de mon amour-propre et de mes vers; mais je proteste contre l'opinion de ces messieurs. Si c'est de la bonne poésie, l'ouvrage aura du succès, sinon il tombera, le reste est indifférent et n'a jamais eu d'effet sur aucune production humaine; – c'est la sottise seule qui tue en pareil cas. Quant au jargon hypocrite du jour, je le méprise comme toutes les autres modes ridicules; – si vous admettez cette pruderie de style, il faut passer la moitié de l'Arioste, de La Fontaine, de Shakspeare, de Beaumont, de Fletcher, de Massinger, de Ford, et de tous les écrivains du règne de Charles II; – enfin quelque chose de tous ceux qui ont écrit avant Pope et qui sont dignes d'être lus; – que dis-je! il faut passer beaucoup de Pope lui-même. – Lisez-le, la plupart de vous ne le lisez jamais, mais lisez-le et je vous pardonnerai, quand la conséquence inévitable de cette lecture serait de vous faire brûler tout ce que j'ai jamais écrit, ainsi que les misérables Claudiens de nos jours, excepté Scott et Crabbe. Mais je fais injure à Claudien, qui était poète, en donnant son nom à de tels rimeurs; il fut le ultimus Romanorum, la queue de la comète, et ces gens-là ne sont que la queue d'une vieille robe coupée pour en faire une veste à Jacquot; – mais comme deux queues, je les ai comparées l'une à l'autre, quoique différant beaucoup comme tous les points de comparaison. J'écris en colère pendant le sirocco et après avoir veillé jusqu'à six heures à cause du carnaval, mais je répète encore que je proteste contre vous tous.»

LETTRE CCCXXVI

A M. MURRAY

Venise, 1er février 1819.

«Je vous ai écrit plusieurs lettres, quelques-unes avec des additions, d'autres au sujet du poème lui-même, contre la publication duquel mon maudit comité puritain a protesté; mais nous viendrons à bout de le circonvenir sur ce point. Je n'ai pas encore commencé la copie du second chant, qui est fini, tant par paresse naturelle que par le découragement où m'a jeté tout ce qui s'est passé à l'égard du premier; je leur dis tout cela à eux comme à vous, c'est-à-dire que je vous le dis pour que vous le leur répétiez. S'ils eussent décidé que les vers ne valaient rien, je me serais soumis; mais ils prétendent qu'ils sont bons, et puis ils viennent me parler de morale: c'est la première fois que j'ai entendu prononcer ce mot avec un but réel par un autre qu'un fripon, et moi je soutiens que c'est le plus moral des poèmes; mais si ces gens ne veulent pas le voir ainsi, c'est leur faute et non la mienne. Je vous ai déjà prié, dans tous les cas, d'en imprimer cinquante exemplaires pour des distributions particulières.

»Pendant toute cette quinzaine, j'ai été un peu indisposé d'un dérangement de mon estomac, qui ne voulait rien garder (cela vient du foie, je présume), soit fantaisie ou impossibilité réelle, je ne pouvais non plus rien manger avec plaisir qu'une espèce de poisson de l'Adriatique appelé scambi, et qui se trouve être le plus indigeste des poissons de mer; – cependant depuis deux jours je suis mieux.

»Croyez-moi très-sincèrement votre, etc.»

LETTRE CCCXXVII

A M. MURRAY

Venise, 6 août 1819.

«Le second chant de Don Juan est parti samedi dernier, il se compose de deux cent soixante-dix stances octaves; mais je ne veux consentir à aucun retranchement, à l'exception de ce qui a rapport à Castlereagh et à ***. Vous ne parviendrez pas à faire des cantiques de mes chants. – Le poème plaira s'il est piquant; s'il est insipide, il tombera; mais je ne veux aucune de vos maudites coupures et mutilations. Vous pouvez, si vous voulez, le publier en gardant l'anonyme, et ce n'en sera peut-être que mieux, mais je me ferai jour au milieu d'eux tous comme un porc-épic.

»Ainsi donc, vous et M. Foscolo, vous voulez que j'entreprenne ce que vous appelez un grand ouvrage, – un poème épique, je présume, ou quelque œuvre pyramidale de ce genre. Je n'en ferai rien; je déteste toute espèce de tâche, – et puis sept ou huit années de travail! – Dieu nous fasse la grâce de nous bien porter dans trois mois d'ici; ne parlons donc pas des années. – Si la vie d'un homme ne peut être mieux employée qu'à suer à grosses gouttes pour faire des vers, autant lui vaudrait de creuser la terre. – Eh! en fait d'ouvrages, n'est-ce donc rien que Childe Harold? Vous avez tant de poèmes divins, n'est-ce pas quelque chose que d'en avoir fait un qui appartienne à l'humanité, et sans employer aucun de vos ressorts usés? Comment donc, mon cher, j'aurais pu délayer les pensées de ces quatre chants de manière à en faire vingt, si j'avais couru après le volume, et composer un nombre égal de tragédies avec tout ce qui s'y trouve de passion. – Eh bien! puisqu'il vous faut de longs ouvrages, vous aurez assez de Don Juan, car je prétends qu'il ait cinquante chants. Et Foscolo, qui parle, pourquoi ne fait-il pas quelque chose de plus que les Lettres de l'Ortis, une tragédie et des brochures? Il a quinze bonnes années au moins de plus que moi, qu'a-t-il fait tout ce tems? Il a donné des preuves de talent sans doute; mais n'a pas fixé sa réputation, ni fait ce qu'il devait faire.

»D'ailleurs j'ai l'intention d'écrire mon meilleur ouvrage en italien, et il me faudra neuf ans de plus pour me rendre maître à fond de la langue; alors, si mon imagination n'est pas éteinte et que j'existe encore, j'essaierai ce dont je suis réellement capable. Quant à l'opinion des Anglais dont vous me parlez, qu'ils en calculent la valeur avant de m'insulter de leur offensante condescendance.

»Je n'ai pas écrit pour leur plaisir; s'ils en ont eu, c'est qu'ils l'ont bien voulu; je n'ai jamais flatté leurs opinions, ni leur orgueil, et ne le ferai jamais; – Je ne ferai jamais non plus de livres pour les femmes, -Al dilettare le femmine et la Plebe. J'ai écrit d'abondance, j'ai écrit par passion, par impulsion, enfin par différens motifs, mais non pour leurs doux accens.

»Je connais la valeur exacte de la faveur publique, car peu d'écrivains en ont eu davantage; et si je voulais marcher dans leurs voies, je pourrais la conserver ou la regagner 102; mais je ne vous aime ni ne vous crains; et quoique j'achète avec vous et vende avec vous, je ne mange, ni ne bois, ni ne prie avec vous. – On a fait de moi, sans que je l'eusse cherché, une espèce d'idole populaire; puis, sans raison ni jugement, autre que le caprice de leur bon plaisir, ils ont renversé la statue de son piédestal; elle ne s'est pas brisée dans sa chûte, et il paraît qu'ils voudraient l'y replacer, mais ils n'y réussiront pas.

Note 102: (retour) Allusion au passage du rôle de Shylock, dans le Marchand de Venise.

»Vous me demandez des nouvelles de ma santé. – Vers le commencement de l'année je me suis trouvé dans un état de grand épuisement, accompagné d'une telle débilité d'estomac, que rien ne pouvait passer, et j'ai été obligé de réformer mon genre de vie, qui m'aurait mené rapidement en terre. Je suis dans un meilleur état de santé et de mœurs, et très-sincèrement votre, etc.»

Ce fut vers cette époque, où nous voyons qu'il commençait à s'apercevoir des fâcheux résultats de la vie dissolue dans laquelle il s'était plongé, qu'on vit naître en lui un attachement bien différent, par sa constance et son dévoûment, de tout ce qu'il avait éprouvé depuis les rêves de sa première jeunesse, et qui prit sur lui un ascendant qui dura pendant le peu d'années qu'il vécut encore. Telle blâmable que pût être la liaison où cette nouvelle passion l'entraîna, nous devons encore la regarder comme un événement favorable à sa réputation et à son bonheur, en songeant qu'elle le retira et sut le préserver d'un genre de vie bien plus dégradant.

L'aimable objet de cet amour, le seul véritable (à une seule exception près) qu'il eût éprouvé de sa vie, était une jeune dame de la Romagne, fille du comte Gamba, de Ravenne, et mariée peu de tems avant de voir Lord Byron pour la première fois, avec un seigneur veuf, riche et âgé, de la même ville. – Le comte Guiccioli, – son mari, avait été, dans sa jeunesse, l'ami d'Alfieri, et s'était distingué par son zèle pour l'établissement d'un théâtre national, que ses richesses et les talens d'Alfieri se réunissaient pour soutenir. Malgré son âge et une réputation qui, à ce qu'il paraît, n'était nullement irréprochable, sa grande fortune le rendit un objet d'ambition parmi les mères de Ravenne, qui, suivant un usage trop commun, cherchaient à l'envi l'une de l'autre à accaparer pour leurs filles un si riche acheteur. – La jeune Térésa Gamba, à peine âgée de dix-huit ans, et qui venait de sortir du couvent, fut la victime dont il fit choix.

Ce fut pendant l'automne de 1818, et chez la comtesse Albrizzi, que Lord Byron vit pour la première fois cette jeune femme dans tout l'éclat de la parure nuptiale, et l'enchantement de passer du couvent dans le grand monde. A cette époque, cependant, ils ne firent pas connaissance, – ce ne fut qu'au printems de l'année suivante qu'ils furent présentés l'un à l'autre à une soirée de Mme Benzoni. Cette soirée vit naître en eux un amour subit et mutuel. – La jeune Italienne se sentit soudainement dominée par une passion dont jusqu'alors son imagination n'avait pu se former la moindre idée. – Elle n'avait regardé l'amour que comme un amusement, et maintenant elle en devenait l'esclave, et si, d'abord, elle y céda plus vite qu'une Anglaise, elle ne comprit pas plus tôt tout le despotisme de cette passion, que son cœur voulut la repousser comme quelque chose de funeste, et qu'elle aurait essayé de s'y soustraire, si déjà ses chaînes ne lui en eussent ôté le pouvoir.

Mais il n'est pas de termes qui puissent rendre d'une manière plus simple et plus touchante que les siens, la profonde impression que cette entrevue fit sur son cœur. Laissons-la donc parler:

«Je fis connaissance avec Lord Byron (dit Madame Guiccioli) en avril 1819. Il me fut présenté à Venise, par la comtesse Benzoni, à une de ses soirées. Cette présentation, qui eut tant d'influence sur la vie de tous deux, avait eu lieu contre nos désirs, et nous ne nous y étions prêtés que par politesse. Quant à moi, plus fatiguée qu'à l'ordinaire, par l'habitude qu'on a de veiller à Venise, j'étais allée à cette réunion avec beaucoup de répugnance, et par pure obéissance pour le comte Guiccioli. Lord Byron, aussi, avait de l'éloignement pour les nouvelles connaissances, alléguant qu'il avait renoncé à tout attachement, et ne voulait pas s'y exposer de nouveau. La comtesse Benzoni l'ayant prié de consentir à ce qu'elle me le présentât, il avait d'abord refusé, et n'y consentit enfin que pour ne pas la désobliger.

»La beauté noble de ses traits, le son de sa voix, tous ces mille enchantemens qui l'environnaient, en faisaient un être si supérieur à tout ce que j'avais vu jusque-là, qu'il était impossible qu'il ne produisît pas sur moi la plus profonde impression. Depuis cette soirée, pendant tout le tems que je restai encore à Venise, nous nous vîmes tous les jours.»

LETTRE CCCXXVIII

A M. MURRAY

Venise, 15 mai 1819.

«J'ai votre extrait et le Vampire. – Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il n'est pas de moi. Il y a une règle dont on ne doit pas se départir. – Vous êtes mon éditeur (jusqu'à ce que nous nous brouillions), et ce qui n'est pas publié par vous, n'est pas de moi.

».......................

La semaine prochaine je pars pour la Romagne, au moins cela est probable. Je vous engage à continuer vos publications, sans attendre de mes nouvelles, car j'ai autre chose en tête. Que pensez-vous de Mazeppa, et de l'Ode, publiés séparément? et de Don Juan, en gardant l'anonyme, et sans la dédicace? car je ne veux pas agir en lâche, et attaquer Southey à la faveur des ténèbres.

»Votre, etc.»

Je trouve dans une autre lettre, au sujet du Vampire, les particularités suivantes:

A. M. ***

«L'histoire de la convention que nous fîmes d'écrire un conte de revenant, est exacte; mais les dames ne sont pas sœurs...... ..............................

»Mary Goodwin (maintenant Mrs. Shelley) composa Frankenstein, dont vous avez fait la revue, le croyant de Shelley. Il me semble que c'est un ouvrage étonnant pour une femme de dix-neuf ans, et même qui ne les avait pas alors. Je vous envoie le commencement du conte que je me proposais d'écrire, afin que vous voyiez jusqu'à quel point il ressemble à la publication de M. Colburn. Si vous voulez le publier, vous le pouvez, en disant le pourquoi, et avec une préface explicative, que vous ferez comme vous voudrez. Je ne l'ai jamais continué, comme vous le verrez par la date. Je l'avais commencé sur un vieux livre de comptes à miss Milbanke, que j'ai conservé, parce qu'il contient le mot de ménage, écrit deux fois de sa main sur le revers de la couverture, ce sont les deux seuls mots que j'aie de son écriture, à l'exception de sa signature à l'acte de séparation. – Je lui ai renvoyé toutes ses lettres, sauf celles qui composent la correspondance de nos démêlés, et celles-ci étant des documens importans, sont placées entre les mains d'un tiers, avec des copies de plusieurs des miennes; de sorte que je n'ai aucune autre trace pour la rappeler à mon souvenir, que ces deux mots et ses actions. J'ai arraché du livre les feuilles sur lesquelles j'avais commencé à écrire ce conte, et je vous les envoie sous cette enveloppe.

»Que signifie ce journal de Polidori, dont vous parlez? Je le défie de rien dire contre moi, quoiqu'il ne m'importe guère qu'il le fasse. Je n'ai rien à me reprocher à son égard, quoique je sois bien trompé s'il ne pense pas le contraire. Mais pourquoi publier le nom de ces deux dames! Quelle sotte manière de se disculper! Il avait invité Pictel et, etc., à dîner, et naturellement je lui abandonnai le soin de recevoir ses hôtes. J'allai en société seulement à cause de lui, comme je le lui ai dit, afin qu'il eût une occasion de rentrer dans la bonne compagnie, s'il le voulait, ce qui me semblait la chose la plus convenable à sa jeunesse et à sa position; quant à moi, j'avais fini avec le monde, et après l'y avoir présenté, je repris mon genre de vie ordinaire. Il est vrai que je revins un soir chez moi, sans être entré chez lady Dalrymple Hamilton, parce que j'avais vu que tout était plein. Il est vrai aussi que Mrs. Hervey (qui fait des romans) s'est trouvée mal en me voyant entrer à Coppet; et puis qu'elle est revenue à elle, et qu'en voyant cet évanouissement, la duchesse de Broglie s'était écriée: «Cela est un peu trop fort, à soixante-cinq ans!» Je n'ai jamais donné aux Anglais l'occasion de m'éviter, mais je ne doute pas qu'ils ne la saisissent, si jamais cela m'arrivait.

»Ne croyez pas que je veuille vous donner de l'humeur. – J'ai beaucoup d'estime pour vos bonnes et nobles qualités, et je vous rends toute l'amitié que vous aurez pour moi; et quoique je vous croie un peu gâté par la mauvaise compagnie, les beaux esprits, les hommes d'honneur, les auteurs et les gens du beau monde, ceux qui vous disent: Je vais entrer à Carlton-House, allez-vous de ce côté? Je soutiens qu'en dépit de tout cela, vous méritez et possédez l'estime de tous ceux dont l'estime vaut quelque chose, et (quelqu'inutile que vous soit la mienne) personne n'en a plus pour vous que votre très-sincèrement dévoué, etc.

»P. S. Faites mes respects à M. Gifford. Je sens parfaitement que Don Juan va nous mettre aux prises avec tout le monde; mais c'est mon affaire et mon début. – Il y aura aussi la Revue d'Édimbourg et toutes les autres qui seront contre, de sorte que, comme Rob-Roy, je «les aurai tous sur les bras.»

LETTRE CCCXXIX

A M. MURRAY

Venise, 25 mai 1819.

«Je n'ai pas reçu d'épreuves, et j'aurai probablement quitté Venise avant l'arrivée des premières; ainsi il serait inutile d'attendre une réponse de moi, car j'ai donné des ordres pour qu'on gardât mes lettres jusqu'à mon retour, qui aura probablement lieu dans un mois. Ne vous attendez donc pas à recevoir de mes nouvelles, autant vaudrait adresser vos paroles aux vents, et encore mieux même, car ils porteraient vos accens un peu plus loin qu'ils ne peuvent aller autrement, puisque je ne veux pas céder à vos raisons par excellence: vous pouvez supprimer la note relative aux voyages de Hobhouse dans le chant second, et vous mettrez pour épigraphe, en tête de l'ouvrage:

 
Difficile est proprie communia dicere.
 
HORACE.

»Il y a quelques jours que je vous ai communiqué tout ce que je savais du Vampire de Polidori. Il peut faire et dire tout ce qui lui plaît, pourvu qu'il ne m'attribue pas ses propres compositions. S'il a quelque chose de moi entre les mains, le manuscrit le prouvera d'une manière incontestable; mais j'ai de la peine à penser que quelqu'un qui me connaît puisse croire que l'ouvrage inséré dans le Magazine soit de moi, quand il le verrait écrit de mes propres hiéroglyphes.

»Je vous écris pendant les tourmens d'un sirocco qui m'anéantit, et j'ai été assez fou pour faire depuis le dîner quatre choses dont il serait plus sage de se dispenser par un tems chaud. Premièrement…; secondement, de jouer au billard depuis dix heures jusqu'à minuit à la clarté de lampes qui doublaient la chaleur de l'atmosphère; troisièmement, d'aller dans un salon brûlant chez la comtesse Benzoni; et quatrièmement, de commencer cette lettre à trois heures du matin. – Mais une fois commencée il a fallu la finir.

»Croyez-moi très-sincèrement, etc.

»P. S. Je vous présente une pétition pour des brosses à dent, de la poudre, de la magnésie, de l'huile de Macassar (ou de Russie), des ceintures, et les mémoires de sir Nl. Wraxall sur son tems. Je désire en outre un boule-dogue, un terrier et deux chiens de Terre-Neuve; puis une vie de Richard III (est-ce celle de Buck?) qui a été annoncée par Longman, il y a long-tems, long-tems. – Je l'ai demandée, il y a trois ans au moins. Voyez les annonces de Longman.»

Vers le milieu d'avril Mme Guiccioli avait été obligée de quitter Venise avec son mari, qui, possédant plusieurs maisons entre cette ville et Ravenne, était dans l'usage de s'y arrêter dans les voyages qu'il faisait d'une ville à l'autre. La jeune comtesse, tout entière à son amour, écrivit à son amant de chacune de ces habitations, et lui exprima dans les termes les plus passionnés et les plus touchans, son désespoir d'en être séparée. Ce sentiment s'était effectivement si complètement emparé d'elle, qu'elle s'évanouit trois fois le premier jour de leur voyage. Dans une de ses lettres, que j'ai vue pendant mon séjour à Venise, et qui était datée, si je ne me trompe, de Cà Zen, Cavanelle di Po, elle lui dit que la solitude de ce lieu qu'elle trouvait autrefois insupportable, lui était devenue chère et agréable depuis qu'un seul objet absorbait sa pensée; et elle lui promettait, à son arrivée à Ravenne, de se conformer à ses désirs en évitant la grande société, et en se consacrant à la lecture, à la musique, aux occupations intérieures, à la promenade à cheval, enfin à tout ce qu'elle savait lui plaire le plus. Quel changement dans une jeune femme ignorante, qui, quelques semaines auparavant, ne songeait qu'au monde et à la société, et qui maintenant ne voyait de bonheur que dans l'espoir de se rendre digne, par la retraite et l'étude, de l'illustre objet de son amour.

En quittant cette maison, elle fut atteinte en route d'une dangereuse maladie et arriva mourante à Ravenne. Là rien ne put apporter de soulagement à son mal qu'une lettre de Lord Byron, où il l'assurait avec toute l'ardeur d'une passion véritable, qu'il viendrait la voir dans le cours du mois suivant. Des symptômes de consomption, causés par l'état de son ame, s'étaient déjà manifestés; et outre le chagrin que cette séparation lui causait, elle fut accablée d'une vive douleur par la perte de sa mère, qui mourut à cette époque en donnant le jour à son vingtième enfant. Vers la fin de mai, elle écrivit à Lord Byron qu'elle avait préparé ses parens et ses amis à sa présence, et qu'il pouvait maintenant paraître à Ravenne. Quoiqu'il craignît tout ce qu'une telle démarche pouvait avoir d'imprudent pour la femme qu'il aimait, cependant, conformément à ses désirs, il partit le 2 juin de la Mira, et prit la route de la Romagne.

Il adressa de Padoue une lettre à M. Hoppner, qui roule principalement sur des affaires de ménage que ce dernier s'était chargé de diriger pour lui pendant son absence. Il y parle aussi du but direct de son voyage, d'un ton si léger et si moqueur, qu'il est difficile à ceux qui ne connaissent pas parfaitement son caractère, de comprendre qu'il ait pu écrire ainsi sous l'influence d'une passion aussi sincère. Mais telle est la légèreté de cet esprit de moquerie pour qui rien n'est sacré, pas même l'amour, et qui, faute d'aliment, se tourne à la fin contre lui-même. Cette horreur de l'hypocrisie qui portait Lord Byron à exagérer ses propres erreurs, lui faisait cacher sous un froid persifflage les qualités aimables par lesquelles elles étaient rachetées.

Cette lettre de Padoue se termine ainsi:

«Voyager au mois de juin en Italie est une pénible corvée. – Si je n'étais pas le plus constant des hommes, je nagerais maintenant sur les bords du Lido, au lieu d'étouffer au milieu de la poussière de Padoue. S'il m'arrive des lettres d'Angleterre, qu'on les garde jusqu'à mon retour. Veuillez surveiller ma maison, et je ne dirai pas mes terres, mais mes eaux. Ayez soin de ne donner de l'argent à Edgecombe qu'avec un air d'humeur et un branlement de tête dubitatif. – Faites lui des questions embarrassantes et haussez les épaules quand il vous répondra.

»Présentez mes respects à madame, au chevalier et à Scott, – enfin à tous les comtes et comtesses de notre connaissance.

»Et croyez-moi toujours votre désolé et affectueux serviteur, etc., etc.»

Pour faire contraste avec la singulière légèreté de cette lettre, et prouver en même tems la réalité et l'ardeur de la passion qui l'occupait, je transcrirai ici quelques stances écrites pendant son voyage dans la Romagne, et qui, quoique publiées déjà, ne sont pas comprises dans la collection de ses œuvres.

Rivière 103 qui coules au pied des anciennes murailles qu'habite la dame de mes amours, tu la vois se promener sur tes bords, et là, peut-être, un souvenir de moi, souvenir faible et fugitif, vient-il s'offrir à sa mémoire.

Note 103: (retour) Le Pô.

Ah! si, alors, sur ton sein vaste et profond, mon cœur pouvait se réfléchir comme dans une glace, et qu'elle y pût lire les mille pensées que je te confie, aussi vagabondes que des vagues, aussi impétueuses que ton cours.

Mais que dis-je? n'es-tu pas, en effet, le miroir de mon cœur? Tes ondes ne sont-elles pas sombres, fougueuses, indomptables, semblables à mes sensations passées et présentes? N'es-tu pas l'image de ce que je suis, et des passions qui m'ont long-tems agité?

Le tems peut les avoir un peu calmées, mais non pour toujours; et lorsque ton sein bouillonne et que tu inondes tes bords, ce n'est aussi que pour un moment, fleuve sympathique, bientôt tes eaux s'abaissent et diminuent, et de même les passions s'éteignent.

Elles s'éteignent, mais non sans laisser après elles de profonds ravages. Et nous voilà de nouveau emportés l'un et l'autre par une destinée inflexible, toi courant follement à la mer, et moi adorant celle que je ne devrais pas aimer.

Tes ondes que je contemple vont baigner ses murs natals et murmurer à ses pieds. Ses yeux se fixeront sur toi quand elle viendra respirer l'air du crépuscule dégagé de la chaleur brûlante du jour.

Elle te contemplera; moi aussi je t'ai contemplé, plein de cette pensée, et, depuis ce moment, je ne puis songer à tes eaux, les nommer ou les voir, sans qu'un soupir s'échappe vers elle de mon cœur oppressé.

Ses yeux brillans se réfléchiront sur ton sein; oui, ils s'arrêteront sur la vague où j'attache en ce moment les miens, et moi je ne pourrai donc pas revoir, même en rêve, cette bienheureuse vague repasser devant moi dans son cours.

Cette vague, à laquelle j'ai mêlé mes larmes, ne reviendra plus? reviendra-t-elle, celle aux pieds de qui elle va se briser. Tous deux nous foulons tes bords, tous deux nous errons sur ton rivage; moi près de ta source, elle où ton cours élargi présente une vaste surface d'un bleu sombre.

Mais ce n'est ni la distance, ni les vagues, ni l'espace qui nous séparent; c'est, hélas! la fatalité d'une destinée différente, aussi différente que les climats qui nous ont vu naître.

Un étranger aime une dame de ces contrées, lui qui naquit bien loin de l'autre côté des Alpes; mais son sang est tout méridional, comme s'il n'eût jamais été rafraîchi par le vent noir qui glace les mers polaires.

Mon sang est tout méridional. S'il n'en eût été ainsi, je n'aurais pas quitté mon climat natal, et malgré des tortures impossibles à oublier, je ne serais pas encore une fois l'esclave de l'amour, ou plutôt le tien.

Vainement on lutte contre son sort. Que je meure jeune, mais que je vive comme j'ai vécu, que j'aime comme j'ai aimé. Si je retourne à la poussière, c'est de la poussière que je suis sorti, et, après tout, il ne peut manquer d'arriver le moment où rien ne pourra plus émouvoir mon cœur.

N'ayant pas reçu d'autres nouvelles de la comtesse à son arrivée à Bologne, il commença à penser, comme nous le verrons dans les lettres suivantes, qu'il ferait prudemment pour l'un et pour l'autre de retourner à Venise.