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Read the book: «Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11», page 16

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LETTRE CCLXXII

A M. MURRAY

Venise, 9 avril 1817.

«Vos lettres du 18 et du 20 sont arrivées. Dans la mienne je vous ai rendu compte de la naissance, des progrès, du déclin et de la guérison de ma dernière maladie; elle est allée au diable. Je ne ferai pas à ce dernier le mauvais compliment de dire qu'elle en était venue. Le diable tient trop du gentleman pour cela. Ce n'était qu'une fièvre lente qui a doublé le pas vers le terme de son voyage. Elle m'a persécuté pendant quelques semaines avec des chaleurs brûlantes la nuit et des transpirations le matin; mais me voilà tout-à-fait rétabli, ce que j'attribue à n'avoir pris ni médecine, ni médecin.

»Dans quelques jours je pars pour Rome, au moins tel est mon dessein. J'en changerai peut-être encore plus d'une fois avant lundi, mais continuez à m'adresser vos lettres à Venise comme auparavant. – Si je pars, mes lettres me seront envoyées; je dis si, parce que je ne sais jamais bien ce que je ferai jusqu'à ce que cela soit fait, et comme j'ai pris la ferme résolution d'aller à Rome, il ne serait pas improbable que je me trouvasse un beau matin à Saint-Pétersbourg. Vous me recommandez de me soigner; – oui, sur ma foi, je ferai en sorte. – Je n'ai pas encore envie d'être un auteur posthume, et cependant songez un peu à ce que vaudraient ma Vie et mes Aventures, pendant que je suis en plein scandale, et le contenu de mon secrétaire, seize poèmes commencés pour ne jamais être finis. Croyez-vous que je ne me serais pas brûlé la cervelle l'année dernière, si par bonheur je n'étais venu à penser que Mrs. C*** et lady N***, et toutes les vieilles femmes d'Angleterre en eussent été enchantées, et puis l'agrément d'être déclaré fou 72, d'après l'enquête du Coroner, et puis les regrets de deux ou trois personnes, d'une demi-douzaine peut-être? ........... Soyez persuadé que j'ai encore envie de vivre pour plus d'un motif. D'abord il y a un ou deux individus que je veux voir hors de ce monde, et autant que j'y veux faire entrer avant de pouvoir mourir en paix; si je m'en vais auparavant, je n'aurai pas rempli ma mission. D'ailleurs, quand je vais attraper trente ans, je deviendrai dévot; je m'y sens une grande vocation quand je suis dans une église catholique et que j'entends le son des orgues.

Note 72: (retour) Comme il existe en Angleterre une loi qui prive de la sépulture du cimetière les corps de ceux qui se sont volontairement détruits, et les condamne à être enterrés sur le grand chemin, l'officier chargé de faire une enquête sur les causes du suicide déclare presque toujours qu'il a été commis dans un moment de folie, afin d'éluder la rigueur de cette loi. Cet officier se nomme coroner, corrompu de crowner, qui signifie officier de la couronne. Nous n'avons pas en France de charge qui réponde exactement a celle-là.(Note du Trad.)

»Je m'afflige avec Drury-Lane, et me réjouis avec ***, modérément pourtant, de la fin tragique de la nouvelle tragédie.

»Ainsi donc vous êtes brouillé avec Leigh Hunt à ce qu'il paraît… Je vous l'avais présenté, ainsi que son poème, dans l'espoir qu'en dépit de la politique, votre liaison pourrait être avantageuse à tous deux, et voilà que cela finit par une inimitié éternelle, quand, moi, j'avais agi dans les meilleures intentions! Je vous avais aussi présenté ***, et il vous a emporté votre argent. – D'un autre côté, mon ami Hobhouse est en discussion avec le Quarterly, et (à l'exception de ce dernier pourtant) c'est moi qui suis innocemment le canal ou l'isthme, si vous voulez (maudit soit ce mot, je ne saurais l'écrire, quoique j'aie traversé une douzaine de fois au moins celui de Corinthe), c'est moi, dis-je, qui suis le canal ou l'isthme de toutes ces inimitiés.

»Je vais vous dire quelque chose au sujet du Château de Chillon. – Un monsieur Deluc, Suisse et âgé de quatre-vingt-dix ans, se l'est fait lire et en a été content; – du moins, c'est ce que ma sœur m'écrit. Il a dit qu'il a été avec Rousseau à Chillon, et que la description en est parfaitement exacte; mais ce n'est pas tout, j'ai cru me rappeler ce nom, et je l'ai trouvé dans le passage suivant des Confessions, vol. III, page 247, livre VIII.

»De tous ces amusemens, celui qui me plut davantage, fut une promenade autour du lac, que je fis en bateau avec Deluc père, sa bru, ses deux fils et ma Thérèse. Nous mîmes sept jours à cette tournée, par le plus beau tems du monde. J'en ai gardé le vif souvenir des sites qui m'avaient frappé à l'autre extrémité du lac, et dont je fis la description, quelques années après, dans la Nouvelle Héloïse

»Ce nonagénaire Deluc, doit être un des deux fils en question. Il vit en Angleterre infirme, mais avec toutes ses facultés intellectuelles. Il est singulier que cet homme ait vécu si long-tems, il ne l'est guère moins qu'il ait fait ce voyage avec Jean-Jacques, et qu'après un tel intervalle il lui soit arrivé de lire un poème d'un Anglais, qui a fait précisément la même navigation, en s'arrêtant dans les mêmes lieux.

»Quant à Manfred, il est fort inutile d'envoyer les épreuves; rien de ce genre n'arrive ici. Je vous l'ai fait passer tout entier à différentes fois. – Les deux premiers actes sont les meilleurs: le troisième couci, couça; mais j'ai été soutenu dans les deux autres par la première chaleur de l'inspiration. – Il faut l'appeler poème, car ce n'est pas un drame, et je ne me soucie nullement de lui entendre donner un tel nom. Poème dialogué, ou pantomime, si vous voulez, tout ce qui vous plaira enfin, à l'exception d'un titre qui sentirait les coulisses. Voici votre épigraphe:

Il est, Horatio, dans le ciel et sur la terre, plus de choses que votre philosophie n'en a jamais rêvé.

»Toujours tout à vous.

»Amitiés et remerciemens à M. Gifford.»

LETTRE CCLXXIII

A M. MOORE

Venise, 11 avril 1817.

«Je continuerai de vous écrire tant que l'accès me tiendra; cela vous servira de pénitence, pour vous être plaint jadis de mon silence. Je suis sûr que vous rougiriez, si vous pouviez rougir, de ne m'avoir pas encore répondu. La semaine prochaine je pars pour Rome. Après avoir vu Constantinople, j'ai envie de voir aussi sa camarade. D'ailleurs je veux connaître le pape, et j'aurai soin de lui dire que je vote pour les catholiques, et pas de veto.

»Je n'irai pas à Naples, ce n'est que la seconde des plus belles vues de la mer, et j'ai vu la première et la troisième, c'est-à-dire Constantinople et Lisbonne. (Par parenthèse, la dernière n'est qu'une vue de rivière, quoiqu'on la mette après Stamboul et Naples, et avant Gênes.) D'ailleurs, le Vésuve est muet, et j'ai traversé l'Etna. Ainsi donc, je reviendrai à Venise en juillet; c'est pourquoi, si vous m'écrivez, je vous prie de m'adresser vos lettres à Venise, qui est mon quartier-général.

»Mon ci-devant médecin, le docteur Polidori, est ici et va retourner en Angleterre avec le lord G*** actuel, et la veuve du feu comte. Le docteur Polidori n'a plus de malades dans ce moment-ci, parce que ses malades ne sont plus. Il en avait trois dernièrement, mais ils sont tous morts. L'un d'eux est embaumé; Horner et un enfant de Thomas Hope sont enterrés à Pise et à Rome. Lord G*** est mort d'une inflammation d'entrailles: aussi les lui a-t-on ôtées (pour les punir) et les a-t-on envoyées, séparément du corps, en Angleterre. Figurez-vous un homme allant d'un côté, ses intestins de l'autre, et son ame immortelle prenant un troisième chemin. – A-t-on jamais vu une telle distribution? Assurément nous avons une ame; mais comment a-t-elle jamais pu se résoudre à s'enfermer dans un corps? c'est ce que je ne saurais comprendre! Tout ce que je sais, c'est que lorsque la mienne en sera une fois sortie, elle prendra ses ébats avant que je la laisse rentrer dans mon corps, ou dans tout autre.

»Ainsi donc, la seconde tragédie de ce pauvre cher M. Mathurin a été dédaignée par le judicieux public. *** en sera diablement content, et diablement sifflé sans être content, si jamais ses pièces sont jouées sur aucun théâtre.

»J'ai écrit à Rogers l'autre jour, et l'ai chargé de quelque chose pour vous. – J'espère qu'il est toujours florissant de santé et de gloire; – c'est le Tithon de la poésie; – il est déjà parvenu à l'immortalité, tandis que vous et moi, il faut que nous attendions.

»Je n'entends parler de rien, ne sais rien de rien. Vous imaginez aisément que les Anglais ne me cherchent pas, et moi je les évite. À la vérité, il n'y en a que peu ou point ici, à l'exception de ceux qui ne font qu'y passer. Florence et Naples sont leur Margate et leur Ramsgate, et d'après ce qu'on dit, on y trouve aussi à peu près le même genre de monde; ce qui nous fait beaucoup de tort parmi les Italiens.

»Je meurs d'envie de savoir des nouvelles de Lalla Rookh. Avez-vous paru? Mort et furies! Pourquoi ne me dites-vous pas où vous êtes, ce que vous êtes, et comment vous êtes? J'irai à Bologne par Ferrare, au lieu de Mantoue, parce que j'aime mieux voir la cellule où le Tasse fut enfermé et devint fou; et ***, que son manuscrit à Modène, ou cette Mantoue, qui fut la patrie de cet harmonieux plagiaire et misérable flatteur dont on m'a fait apprendre par cœur, à Harrow, les maudits hexamètres. J'ai vu Vérone et Vicence en venant ici, ainsi que Padoue.

»Je pars seul; mais seul, parce que j'ai l'intention de revenir ici. Florence ne m'inspire pas la moindre curiosité, et cependant je ne puis me dispenser d'y aller, à cause de la Vénus, etc., etc. Je désire voir aussi la chute de Terni. J'ai le projet de reprendre la route de Venise, par Ravenne et Rimini, sur lesquels je me propose de prendre quelques notes pour Leigh Hunt, qui sera bien aise d'apprendre quelque chose des lieux où se passe son poème. On l'a diablement critiqué, il y a un an, dans le Quarterly, et il leur a répondu. Toute réponse est assurément une imprudence; mais que voulez-vous? les poètes sont de chair et de sang, et il faut toujours qu'ils aient le dernier mot; – cela est certain. J'ai eu et j'ai encore une très-haute opinion de son poème; mais je l'ai averti de tout le déchaînement qu'allait exciter contre lui ce style antique dont il est si amateur.

»Vous avez pris une maison à Hornsey; j'aimerais mieux que vous en eussiez choisi une dans les Apennins. – Si vous avez envie de prendre votre essor pour un été ou plus, prévenez-m'en afin que je me tienne sur le qui vive.

»Toujours tout à vous.»

LETTRE CCLXXIV

A M. MURRAY

Venise, 14 avril 1817.

«Le docteur Polidori étant sur le point de partir pour l'Angleterre, avec le nouveau lord G*** (le feu lord étant allé par une autre route, accompagné de ses intestins, dans un coffre séparé), je profite de cette occasion pour vous envoyer deux miniatures, que vous aurez la bonté de faire remettre à Mrs. Leigh; mais, auparavant, vous voudrez bien prier M. Love (comme un gage de paix entre lui et moi), de les faire monter sur or, avec mes armes complètes, et de faire graver ces mots sur le dos: Peint par Prepiani. Venise 1817. Je vous prie aussi de faire faire pour moi une copie de chaque, par Holmes, et de me garder lesdites copies jusqu'à mon retour. L'un de ces portraits a été peint pendant que j'étais très-malade; l'autre, tandis que je me portais bien: ce qui peut expliquer leur dissemblance. J'espère qu'ils arriveront sans accident à leur destination.

»Je recommande le docteur à vos bons offices, auprès de vos amis ministériels: et si vous pouvez lui être utile sous un point de vue littéraire, soyez-le, je vous en prie.

»Aujourd'hui, ou plutôt hier, car il est plus de minuit, je suis monté sur les remparts de la plus haute tour de Venise, et je l'ai vue, avec tous ses alentours, sous l'influence radieuse d'un beau ciel italien. J'ai parcouru aussi le palais Manfrini, fameux par ses tableaux. Dans le nombre, il y a un portrait de l'Arioste, par le Titien, qui surpasse tout ce que j'avais imaginé du pouvoir de la peinture, et de l'expression de la figure humaine: c'est la poésie du portrait, et le portrait de la poésie. Il y avait aussi celui d'une femme savante, qui vivait il y a quelques siècles, et dont j'ai oublié le nom, mais dont les traits ne s'effaceront jamais de ma mémoire. Je n'ai jamais vu plus de beauté, de douceur, ni de sagesse; c'est une figure à vous rendre fou, parce qu'elle ne peut sortir de son cadre. Il y a aussi un fameux Christ, mort, entouré d'apôtres vivans, dont Bonaparte a offert en vain cinq mille louis, et qui est regardé comme le chef-d'œuvre du Titien: n'étant pas connaisseur, je n'en dirai pas grand'chose, et en pense encore moins, à l'exception d'une seule figure. Il y a dix mille autres tableaux, entr'autres de très-beaux Giorgiones, etc., etc. On y trouve aussi deux portraits originaux de Laure et de Pétrarque, tous deux hideux. – Pétrarque a non-seulement le costume, mais l'air et les traits d'une vieille femme; et Laure ne nous en représente nullement une jeune et jolie. Ce qui m'a le plus frappé dans cette collection, c'est l'extrême ressemblance que présente le genre de figure des femmes qui composent cette masse de portraits, âgés de plusieurs siècles, avec celles que vous voyez et rencontrez tous les jours parmi les Italiennes vivantes. La reine de Chypre, et surtout la femme de Giorgione, sont des Vénitiennes d'aujourd'hui; ce sont les mêmes yeux, la même expression, et, à mon avis, il n'y en a point d'une plus grande beauté.

»Il faut vous rappeler, cependant, que je n'entends rien à la peinture, et que je la déteste, à moins qu'elle ne me rappelle quelque chose que j'aie vu, ou que je croie possible de voir. C'est pourquoi j'abhorre tous les saints et tous les sujets de la moitié des impostures que j'ai vues dans les églises et palais, et leur cracherais volontiers à la figure. Je n'ai jamais été aussi dégoûté de ma vie qu'en Flandre, de Rubens et de ses femmes éternelles, et de cet infernal éclat de couleur que je leur trouvais. En Espagne, je n'ai pas conçu une grande opinion de Murillo et de Velasquez. Croyez-le bien, la peinture est, de tous les arts, le plus artificiel, le moins d'accord avec la nature, et celui qui abuse le plus de la sottise du genre humain. Je n'ai pas encore vu une statue ou un portrait qui approchât d'une lieue de l'attente que j'en avais conçue, et j'ai vu des montagnes, des mers, des rivières, des sites, et deux ou trois femmes qui la surpassaient d'autant, sans parler de quelques chevaux, et d'un lion chez Veli Pacha en Morée, et du tigre d'Exeter-Change.

»Quand vous m'écrirez, continuez de m'adresser vos lettres à Venise. Où croyez-vous que soient les livres que vous m'avez envoyés? À Turin! Cela vient de cette maudite Poste Étrangère, qui m'est assez étrangère pour le bien qu'elle peut me faire à moi ou à d'autres; et qu'elle aille au diable, depuis son premier charlatan Castlereagh, jusqu'à son dernier commis.

»Cela fait au moins la centième lettre que je vous écris. Tout à vous.»

LETTRE CCLXXV

A M. MURRAY

Venise, 14 avril 1817.

«Les épreuves ci-jointes de la totalité du drame, ne commencent qu'à la dix-septième page. Mais comme j'ai corrigé, et vous ai renvoyé le premier acte, cela est indifférent.

»Le troisième acte est certainement diablement mauvais, et comme les homélies de l'archevêque de Grenade, qui sentaient un peu la paralysie, on y peut reconnaître les restes de la fièvre qui me tenait pendant que je l'écrivais. Il ne faut, sous aucun prétexte, qu'il soit publié dans son état actuel. Je tâcherai de le corriger, ou de le refaire en entier; mais la première inspiration est passée, et il n'est pas probable que je puisse jamais en faire grand'chose; toutefois, je ne voudrais pour rien au monde, qu'il parût comme il est. Le discours de Manfred au soleil est le seul morceau de cet acte que je trouve bon moi-même; le reste est certainement aussi mauvais que ce puisse, et je me demande quel diable s'était emparé de moi.

»Je suis vraiment bien aise que vous m'ayez envoyé l'opinion de M. Gifford, sans en rien rabattre; me croyez-vous assez imbécille pour ne pas lui en être très-obligé, et que, dans le fait, je ne sois pas, au fond de ma conscience, persuadé et convaincu que tout cet acte n'est qu'une absurdité?

»Je ferai une seconde tentative: en attendant, mettez-le dans un carton (je veux parler du drame); mais corrigez, je vous prie, les copies que vous avez du premier et du second acte, sur le manuscrit original.

»Je ne vais pas en Angleterre, mais je pars pour Rome dans quelques jours. Je serai de retour à Venise en juin; ainsi, adressez-moi mes lettres ici comme à l'ordinaire, c'est-à-dire à Venise. Le docteur Polidori quitte aujourd'hui cette ville avec lord G***, pour l'Angleterre. Il est chargé de quelques livres qui vous sont adressés de ma part, et de deux miniatures, que je vous prie de faire remettre toutes deux à ma sœur.

»Rappelez-vous de ne pas publier, sous peine de je ne sais quel châtiment, avant que je n'aie essayé de refaire le troisième acte. Il n'est pourtant pas bien sûr que j'essaie, et encore bien moins que je réussisse, si je m'y mets; mais, ce dont je suis certain, c'est que, tel qu'il est, il n'est digne ni de la publication, ni de la lecture: et à moins que je n'en vienne à bout à ma satisfaction, je ne veux pas qu'il y ait rien de publié.

»Je vous écris à la hâte, et après vous avoir écrit très-souvent depuis peu.

»Tout à vous.»

LETTRE CCLXXVI

A M. MURRAY

Foligno, 26 avril 1817.

«Je vous ai écrit l'autre jour de Florence, en vous envoyant un manuscrit intitulé: Les Lamentations du Tasse. C'est le résultat du voyage que je viens de faire à Ferrare.

»Je ne suis resté qu'un jour à Florence, étant pressé de voir Rome dont me voici tout près. Cependant j'ai été voir les deux galeries, dont on revient ivre de toutes les beautés qu'on y voit. La Vénus inspire plus d'admiration que d'amour; mais il y a des peintures et des sculptures qui, pour la première fois, me donnèrent une idée de ce que pouvait signifier le jargon des enthousiastes de ces deux arts, les plus artificiels de tous. Ce qui m'a le plus frappé, c'est un portrait de la maîtresse de Raphaël, un portrait de la maîtresse du Titien; une Vénus du Titien dans la galerie de Médicis; – la Vénus de Canova, dans l'autre galerie, c'est-à-dire celle du palais Pitti; le Parcœ de Michel-Ange, portrait; l'Antinoüs, l'Alexandre, et un ou deux groupes de marbre très-peu décens; le Génie de la Mort et une figure endormie, etc., etc.

»Je suis allé aussi à la chapelle Médicis. – On y voit un bel étalage de grandes plaques de marbres variés et précieux, pour éterniser la mémoire de cinquante vieilles carcasses pourries et oubliées: elle n'est pas terminée et ne le sera pas. L'église de Santa-Croce contient beaucoup de néant illustre; les tombeaux de Machiavel, de Michel-Ange, de Galilée et d'Alfieri en font l'abbaye de Westminster de l'Italie. Je n'ai rien admiré dans ces tombes, excepté leur contenu; – celle d'Alfieri est lourde, et toutes me semblent surchargées. Que fallait-il de plus qu'un buste et qu'un nom? et peut-être une date pour ceux qui, comme moi, ne sont pas forts en chronologie? mais toutes ces allégories louangeuses sont détestables, et pires encore que ces statues des règnes de Charles II, de Guillaume et d'Anne, dont les crânes anglais sont affublés d'énormes perruques, tandis que tout le reste du costume est à la romaine.

»Quand vous écrirez, adressez à Venise comme à l'ordinaire: mon intention est d'y être de retour dans une quinzaine; je n'irai pas de long-tems en Angleterre. Cet après-midi, j'ai rencontré lord et lady Jersey, et leur ai parlé pendant quelque tems. Ils sont tous en bonne santé; – les enfans ont grandi et se portent bien. Elle est toujours très-jolie, mais brunie par le soleil; – quant à lui, il est très-dégoûté des voyages: ils se dirigent sur Paris. Il n'y a pas beaucoup d'Anglais en route, et la plupart de ceux qui y sont retournent chez eux. Pour moi, je n'irai que lorsque les affaires m'y obligeront, étant beaucoup mieux où je suis en santé, etc., etc.

»Pour ma commodité personnelle, je vous prie de m'envoyer immédiatement à Venise, faites bien attention, à Venise, – la poudre à dents rouge de Waite, en provision, et de la magnésie calcinée, de la meilleure qualité, en provision aussi, tout cela par une occasion prompte et sûre; et, de par le ciel, n'y manquez pas.

»Je n'ai rien fait au troisième acte de Manfred. Il faut attendre: je m'y mettrai dans une semaine ou deux.

»Toujours tout à vous.»