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Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. Tome III

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L'arrivée du général Carleton n'apporta pas immédiatement, comme on l'espérait, de remède à la confusion extrême qui régnait, toujours, par suite du régime extraordinaire qu'on laissait toujours subsister.

Cependant, tout faibles qu'ils étaient numériquement, les Canadiens restèrent calmes et fermes devant l'oppression qui s'appesantissait sur eux. On leur avait donné les lois criminelles anglaises, ce palladium de la liberté; mais on les administrait dans une langue qu'ils ne connaissaient pas, et on persistait à leur refuser le droit d'être jurés aussi bien que celui de remplir des charges publiques, sauf quelques rares exceptions. Le peuple en masse continuait de faire une opposition négative, tandis qu'une partie des citoyens les plus notables avait déjà envoyé, avant le départ du général Murray, des représentations à Londres. 51 Au milieu des arrêts de proscription lancés contre les institutions qu'ils tenaient de leurs aveux et qui leur étaient d'autant plus chères qu'ils avaient versé de sang pour les défendre dans la guerre de la conquête, on recommanda aux habitans la modération et la patience. On espérait que dans une cause aussi sainte, ils ne resteraient pas absolument sans amis. En effet, il s'en présenta pour protester avec eux contre l'asservissement auquel on voulait les assujettir. Des Anglais éclairés qui connaissaient l'effet démoralisateur de toute violation des règles de la justice, vinrent généreusement leur offrir leur appui. Leurs plaintes communes, soumises d'abord au Bureau des Plantations, furent ensuite renvoyées aux procureur et solliciteur généraux de l'Angleterre, MM. Yorke et de Grey. Et en attendant, l'ordre fut transmis au gouverneur par le Bureau des Plantations, qui désapprouva l'ordonnance de 64, d'en promulguer une autre pour donner aux Canadiens le droit d'être jurés dans les cas qui y seraient spécifiés, et admissibles au barreau avec certaines restrictions.

Note 51:(retour) Le détail de ces luttes, de ces remontrances, de ces pétitions et contrepétitions peut paraître trop minutieux au commun des lecteurs; mais on doit se rappeler que nos pères combattaient pour nous comme pour eux-mêmes, et que leurs efforts, pour améliorer notre destinée, ne doivent point sortir de notre mémoire.

MM. Yorke et de Grey présentèrent leur rapport dans le mois d'avril 66. Ils reconnurent tous les défauts du système de 64, et attribuèrent les désordres qui en étaient résultés à deux causes principales: 1° A la tentative de conduire l'administration de la justice sans la participation des anciens habitans du pays, non seulement dans des formes nouvelles, mais encore dans une langue qui leur était entièrement inconnue: d'où il arrivait que les parties n'entendaient rien à ce qui était plaidé et jugé, n'ayant ni procureurs, ni avocats, ni jurés canadiens pour conduire leurs causes, ou pour porter la décision, ni juges au fait de la langue française pour déclarer quelle était la loi et prononcer le jugement; ce qui produisait les maux réels de l'oppression, de l'ignorance et de la corruption; ou, ce qui est presque la même chose en matière de gouvernement, le soupçon et la croyance qu'ils existent. 2° À l'alarme causée par l'interprétation donnée à la proclamation de 63, qui pouvait faire croire que l'intention était d'abolir subitement, au moyen des juges et des officiers qu'on avait nommés, toutes les lois et coutumes du pays, et d'agir ainsi en conquérant despotique bien plus qu'en souverain légitime; et cela, non pas tant pour conférer l'avantage des lois anglaises à de nouveaux sujets, et protéger d'une manière plus efficace que par le passé, leur vie, leurs biens et leur liberté, que pour leur imposer sans nécessité des règles nouvelles et arbitraires, qui pourraient tendre à confondre et renverser leurs droits au lieu de les maintenir.

Ils approuvaient aussi, avec de légères modifications, le nouveau système de judicature proposé par les lords-commissaires, sauf sur un seul point dont nous parlerons tout-à-l'heure. Ce système consistait à diviser la province en trois départemens judiciaires, et à établir «une cour de chancellerie, composée du gouverneur et du conseil qui formeraient aussi une cour d'appel, de laquelle on pourrait s'adresser en dernier ressort au roi en conseil; une cour supérieure ou suprême, composée d'un juge en chef et de trois juges puînés, sachant la langue française, et l'un d'eux les lois et coutumes du pays, et qui seraient tenus de conférer, de temps à autre, avec les avocats canadiens les plus recommandables par leur conduite, leurs lumières et leur intégrité.»

Après avoir recommandé de plus de nommer quelques Canadiens magistrats, les rapporteurs voyant que l'on conservait les lois anglaises dans le nouveau plan de judicature, observèrent que c'était «une maxime reconnue du droit public, qu'un peuple conquis conserve ses anciennes lois jusqu'à ce que le vainqueur en ait proclamé de nouvelles. C'est agir, disaient-ils, d'une manière violente et oppressive que de changer soudainement les lois et les usages d'un pays établi: c'est pourquoi, les conquérans sages, après avoir pourvu à la sûreté de leur domination, procèdent lentement et laissent à leurs nouveaux sujets toutes les coutumes qui sont indifférentes de leur nature, et qui, en servant à régir la propriété, sont devenues des règles qui en garantissent l'existence. Il est d'autant plus essentiel que cette politique soit suivie au Canada, que c'est une grande et ancienne colonie, établie depuis très long-temps, et améliorée par des Français… On ne pourrait, sans une injustice manifeste et sans occasionner la plus grande confusion, y introduire tout-à-coup les lois anglaises relatives à la propriété foncière, avec le mode anglais de transport et d'aliénation, le droit de succession et la manière de faire et d'interpréter les contrats et conventions. Les sujets anglais qui achètent des biens dans cette province, peuvent et doivent se conformer aux lois qui y règlent la propriété foncière, comme ils font en certaines parties du royaume et dans d'autres possessions de la couronne. Les juges anglais envoyés d'ici peuvent, avec l'aide des gens de loi et des Canadiens éclairés, se mettre promptement au fait de ces lois, et juger d'après les coutumes du pays comme on juge d'après la coutume de Normandie les causes de Jersey et Guernesey.» Enfin ils finirent par suggérer de rétablir les lois civiles françaises en autorisant les juges à faire des règles pour la conduite des procédures dans les différens tribunaux.

Malgré les raisons de haute politique et de sage équité qui les avaient motivées, les recommandations de ces deux jurisconsultes éminens restèrent cependant, comme celles du Bureau des Plantations, sans effet pour le moment, par suite peut-être des intrigues des gens intéressés au maintien du nouveau système, et des préjugés d'une grande portion du peuple anglais contre les habitans de cette colonie à cause de leur double qualité de Français et de catholiques. Mais la métropole ne pouvant laisser les choses dans l'état où elles étaient, ordonna l'année suivante (67) au gouverneur et à son conseil de faire une investigation complète de la manière dont la justice était administrée, et d'indiquer les changemens que demandait le bien du pays. L'investigation fort longue qui eut lieu, fit reconnaître les nombreuses défectuosités du nouveau régime et la confusion où il avait jeté les cours, puisque les meilleurs jurisconsultes étaient partagés sur la question de savoir quelles lois étaient légalement existantes. Les recommandations par lesquelles il fallait conclure vinrent renouveler les embarras des investigateurs, tant la tyrannie, qui veut se voiler du manteau de la justice, a d'obstacles à surmonter même lors que sa victime est faible et qu'elle est toute-puissante. L'on revenait toujours à la division de la province en trois districts; mais, après avoir suggéré de donner à chacune de ces divisions un juge avec un assistant canadien pour expliquer la loi, mais sans voix délibérative, et un shérif et un procureur du roi, l'on proposait, pour mettre fin à l'incertitude des lois, quatre modes différens tout en déclarant que l'on était incapable d'indiquer celui qui devait avoir la préférence: 1° Faire un code nouveau et abolir les lois françaises et anglaises. 2° Rétablir purement et simplement les anciennes lois, en y ajoutant les parties du code criminel anglais les plus favorables à la liberté du sujet. Enfin 3° et 4° Etablir les lois anglaises seules avec des exceptions en faveur de quelques-unes des anciennes coutumes du pays. Le gouverneur ne voulut point approuver ce rapport, et en fit un autre plus conforme aux voeux des Canadiens dans lequel il recommanda de conserver les lois criminelles anglaises, et de rétablir toutes les lois civiles qui étaient en vigueur avant la conquête. Le juge en chef Mey et le procureur-général Mazères ne partageant pas entièrement son opinion, firent chacun un rapport à part, dans lesquels ils recommandaient de ne conserver des anciennes lois que celles qui concernaient la tenure, l'aliénation, le douaire, les successions et la distribution des effets des personnes qui mourraient sans avoir fait de testament. Ces divers rapports furent transmis en Angleterre avec tous les papiers qui y étaient relatifs et renvoyés en 70 au comité du conseil d'état, qui, après avoir délibéré sur ces trois documens ainsi que sur un autre rapport que lui avaient fait les lords-commissaires en 69, et les pétitions du Canada contre le système de gouvernement qui y était établi, recommanda de renvoyer toutes ces pièces aux officiers de la couronne, avec injonction de dresser un code civil et criminel adapté aux circonstances du pays, et de profiter de la présence de son gouverneur en Angleterre pour obtenir les renseignemens dont ils pourraient avoir besoin. MM. Marriott, Thurlow et Wedderburn remplissaient alors ces différentes charges, et passaient pour des hommes éminens dans la science du droit. Ils se mirent aussitôt à l'oeuvre difficile dont on les avait chargés. Leurs rapports, qui sont de 72 et 73; différent les uns des autres sur plusieurs points, mais les conclusions générales des deux derniers sont à-peu-près les mêmes. Marriott en adopta qui différaient essentiellement, il dit qu'il pensait que l'établissement d'une assemblée représentative était prématuré chez un peuple illettré malgré le collège des Jésuites; qu'il fallait établir un conseil législatif à la nomination de la couronne, composé exclusivement de protestans, et non de protestans et de catholiques ou Canadiens comme le recommandait le Bureau du Commerce; que le code criminel anglais devait être conservé mais que l'on devait se servir indifféremment des langues française ou anglaise dans lesquelles devraient être promulgués tous les actes publics; que par le 36e article de la capitulation de Montréal, l'Angleterre s'était engagée à respecter la propriété et les lois sous la sauve-garde desquelles elle était placée, et que par conséquent la tenure et toutes les lois qui la concernent devaient être maintenues; que le silence du traité de Versailles n'annulait point, suivant lui, la capitulation de Montréal aux yeux du droit des nations, parce que c'était un pacte national et personnel conclu avec les habitans eux-mêmes en considération de la cessation de toute résistance; et tout en reconnaissant ainsi les titres sur lesquels le Canada s'appuyait, il ajoutait que néanmoins le parlement impérial avait le droit de changer ces lois, sophisme par lequel il détruisait tout ce qu'il venait de dire; que si la coutume de Paris était maintenue, il fallait l'appeler coutume du Canada pour effacer de l'esprit des habitans les idées de vénération qu'ils pourraient conserver pour la France; et que pour cette raison il convenait peut-être d'en changer une partie pour l'assimiler aux lois anglaises, tout devant tendre vers l'anglification et le protestantisme; que s'il fallait admettre le culte ou les formes du culte catholique, on devait en bannir les doctrines; que l'exercice de ce culte ne devait pas avoir plus de privilèges en Canada qu'en Angleterre; que les Canadiens ne devaient pas avoir d'évêque; que le diocèse pouvait être gouverné par un grand-vicaire élu par un chapitre et les curés de paroisses, ou un surintendant ecclésiastique nommé par le roi, et dont le pouvoir se bornerait à l'ordination des prêtres; que toutes les communautés religieuses d'hommes et de femmes devaient être abolies après l'extinction des membres actuels, et leurs biens rendus à la couronne pour être employés au soutien des cultes et à l'éducation de la jeunesse sans distinction de croyances; que les bénéfices ou cures devaient être rendus fixes, et que contre l'opinion du Bureau du Commerce qui s'était prononcé pour l'abolition du chapitre de Québec, opinion qui n'est peut-être pas étrangère à son extinction peu d'années après, quoique, comme on l'a donné pour motif, la disette de prêtres au siège de l'évêque, la difficulté d'en appeler des campagnes pour les assemblées capitulaires, et la pénurie de la caisse épiscopale privée de ses plus grands revenus par la conquête, aient probablement contribué plus que toute autre chose à sa dissolution vers la fin de 73, Marriott pensait qu'il fallait le conserver afin que les canonicats fussent de petites douceurs entre les mains du gouvernement pour récompenser la fidélité des prêtres qui montreraient du zèle pour le roi, les motifs des actions des hommes et leurs liens étant l'intérêt et la richesse, disait-il, et la conséquence, leur dépendance; que les processions ou autres pompes religieuses devaient être défendues dans les rues, les biens du séminaire de St. – Sulpice réunis à à la couronne, et les fêtes abolies excepté celles de Noël et du Vendredi saint; que les dîmes devaient être payées au receveur-général de la province pour être distribuées en proportions égales aux membres du clergé protestant et aux membres du clergé catholique qui se conformeraient aux doctrines de l'Eglise anglicane. C'était le système révoltant de l'Irlande, car la tyrannie s'exerce aussi bien au nom de la religion que de la nécessité. Les lords-commissaires du Bureau du Commerce avaient fait la même suggestion, en y ajoutant que les églises devraient servir alternativement au culte protestant et au culte catholique, chose à laquelle Marriott était opposé, excepté pour les cures des villes à la collation desquelles le général Murray avait déjà reçu ordre dans le temps d'admettre des ministres, et entre autres, M. Montmollin, à Québec, mais ordre que la politique l'avait empêché de mettre à exécution; enfin, que les cimetières devaient être ouverts à tous les chrétiens, catholiques ou non.

 

Dans ce long rapport, Marriott ne laisse pas échapper une pensée, pas un mot d'adoucissement pour le sort des Canadiens: c'est un long cri de proscription contre leur religion, leurs lois et leurs usages; son hostilité profonde n'est contenue que par certains préceptes de droit et certaines lois de la nécessité qu'il ne peut s'empêcher de reconnaître pour le moment, en attendant toutefois que leur infraction devienne chose possible et dès lors chose justifiable.

Le solliciteur-général, Wedderburne, guidé par des principes d'un ordre plus élevé et plus philosophique, montra aussi plus de modération et plus de justice dans ses suggestions. Il s'étendit sur la forme du gouvernement et sur la religion des habitans, parce que l'une et l'autre devaient, suivant lui, nécessairement exercer une grande influence sur le code de lois civiles et criminelles qui devait être adopté; et tout en déclarant qu'il ne serait pas prudent de donner une constitution élective aux Canadiens, il reconnut qu'ils avaient des droits qu'il fallait respecter, ce qu'on n'avait pas fait encore, et que l'on devait leur donner un gouvernement régulier et équitable. «Le gouvernement établi en Canada après le traité de 1763, dit-il, n'est ni militaire, ni civil; et il est évident qu'il n'a pas été fait pour durer. Il devrait être créé un conseil avec le pouvoir de faire des ordonnances pour le bon gouvernement du pays, mais privé du droit de taxer, droit que le parlement impérial pourrait se réserver à lui-même. Le libre exercice de la religion catholique devrait être permis aussi; mais en abolissant dans le temporel de l'Eglise tout ce qui est incompatible avec la souveraineté du roi et le gouvernement politique du pays, de même que la juridiction ecclésiastique de Rome; il faudrait encore rendre les cures fixes, et en donner la collation au roi; séculariser les ordres monastiques des hommes, et tolérer ceux des femmes; conserver le code civil français et la loi criminelle anglaise avec des modifications; établir un plan de judicature à-peu-près semblable à celui que recommandait le conseil de cette contrée; enfin, sans négliger entièrement les préjugés des Canadiens et ceux des émigrés anglais, quoique la bonne politique imposait l'obligation de montrer plus d'attention aux premiers qu'aux seconds, non seulement parce qu'ils étaient plus nombreux, mais parce qu'il n'était pas de l'intérêt de la Grande-Bretagne que beaucoup de ses habitans allassent Rétablir en Canada, l'on devait reconnaître le droit que les Canadiens avaient de jouir de toutes celles de leurs anciennes lois qui n'étaient pas contraires aux principes du nouveau gouvernement, parce que, ajoutait-il, leurs propriétés leur étant garanties, les lois qui les définissent, les créent et les modifient doivent aussi leur être conservées, autrement leurs propriétés se réduiraient à la simple possession de ce qu'ils pourraient jouir personnellement.

Thurlow, alors procureur-général et qui a été depuis l'un des chanceliers les plus éminens de l'Angleterre, et, malgré les différens reproches qu'on lui fait, l'un de ses ministres de la justice les plus indépendans, avait la réputation d'être en politique plutôt conservateur que libéral, et plutôt hostile que favorable aux libertés des colonies. Il se montra cependant l'ami le plus généreux des Canadiens, qui n'avaient personne dans la métropole pour les défendre. Sans faire de recommandations spéciales, il invoqua en leur faveur des principes plus larges et plus humains qu'aucun autre homme d'état n'avait encore fait. S'appuyant sur cette sage philosophie qui a distingué les écrivains modernes les plus célèbres, cette philosophie qui a combattu le droit de la force et défendu celui de la raison et de la justice, qui a appelé la sympathie des hommes pour les opprimés et la haine des générations pour les oppresseurs, il soutint tout ce qu'il y avait de juste, de politique et d'humain dans les suggestions qui avaient été faites depuis 64, touchant la constitution qu'il convenait de donner aux Canadiens.

Après avoir passé en revue ce qui avait été proposé pour le gouvernement, la religion et les lois de ce peuple, les changemens qu'on avait voulu introduire, et les opinions contraires qui existaient sur tous ces sujets importans, il déclara qu'ignorant de quelle manière le roi avait intention de régler ces grandes questions fondamentales et organiques, il ne pouvait faire aucune recommandation spéciale sur les points sur lesquels on demandait son opinion; mais en même temps qu'il se permettrait d'indiquer les principes qui devaient servir de guide à la métropole en faisant choix d'un code de lois pour cette colonie.

«Les Canadiens paraissent, dit-il, par le droit des gens, avoir celui de jouir de leurs propriétés comme ils en jouissaient lors de la capitulation et du traité de paix, avec tous les attributs et incidens de tenure; et aussi de leur liberté personnelle, toutes choses pour la possession desquelles ils doivent s'attendre à la protection de la couronne.

«Par une conséquence qui semble nécessaire, toutes les lois par lesquelles cette propriété a été créée, définie et doit être protégée, doivent leur être continuées. En introduire d'autres, ce serait, comme le disent très bien MM. Yorke et de Grey, tendre à confondre et renverser les droits au lieu de les maintenir.

«Là où certaines formes de justice civile ont été établies depuis long-temps, les hommes ont eu des occasions fréquentes de sentir eux-mêmes et d'observer chez les autres la puissance coercitive de la loi. La force de ces exemples va encore plus loin, elle laisse une impression sur les opinions courantes des hommes, et les arrête dans leurs actions; et ceux qui n'ont jamais vu d'exemples ou connu les lois d'où ces exemples procèdent, acquièrent encore une sorte de connaissance traditionnelle des effets et des conséquences légales de leurs actes, suffisante et en même temps absolument nécessaire pour les affaires ordinaires de la vie. Il est facile de concevoir d'après cela quel trouble infini l'introduction de mesures de justice nouvelles et inconnues doit occasionner: le doute et l'incertitude dans les transactions, le désappointement et les pertes dans le résultat.

«La même observation s'applique avec encore plus de force aux lois criminelles dans la proportion que l'exemple est plus frappant et que les conséquences sont plus importantes. La consternation générale qui résulte d'une sujétion soudaine à un nouveau système doit durer long-temps malgré le relâchement ou la douceur du code.

«De ces observations je conclus donc que de nouveaux sujets acquis par droit de conquête doivent attendre de la bonté et de la justice de leur conquérant la conservation de toutes leurs anciennes lois; et ils n'ont pas moins, ce semble, raison de l'attendre de sa sagesse. Il est de l'intérêt du conquérant de laisser ses nouveaux sujets dans le plus haut degré de tranquillité privée et de sécurité personnelle comme dans la plus grande persuasion de leur réalité, sans fournir inutilement des causes de plainte, de mécontentement et de manque de respect à la nouvelle souveraineté. Le meilleur moyen aussi de pourvoir à la paix et à l'ordre public, c'est de leur laisser leurs habitudes d'obéissance à leurs lois accoutumées, et non de les forcer à obéir à des lois dont ils n'ont jamais entendu parler; et si le vieux système se trouve être plus parfait que tout ce que l'ingénuité peut espérer d'y substituer, alors la balance l'emporte entièrement en sa faveur.

«L'on doit d'ailleurs se rappeler que le projet du gouvernement et des lois du Canada a été conçu par une cour sage, à une époque paisible et libre de passions particulières ou de préjugés publics. Des principes d'humanité et des vues d'état ont influé sur le choix du plan le plus propre au développement d'une colonie florissante. Ce plan a été amélioré de temps à autre par la sagesse et l'expérience des jours qui ont succédé; on ne l'a pas laissé tomber en décrépitude ou devenir impropre à l'état progressif de la province.» Cet homme d'état terminait en ajoutant que, quoique les observations qui précèdent pussent être considérées comme justes en général, l'on pouvait supposer néanmoins des circonstances qui exigeassent des exceptions et des restrictions; mais les changemens imposés par ces circonstances ne devaient se faire que pour des raisons de nécessité positive et insurmontable, que la véritable sagesse ne peut ni négliger ni passer sous silence; et non pas de cette nécessité idéale que des spéculateurs ingénieux peuvent toujours créer par des suppositions possibles, des inférences incertaines et des argumens forcés; non pas de la nécessité d'assimiler un pays conquis, en fait de lois et de gouvernement, à la métropole ou à de plus anciennes provinces que d'autres accidens ont attachées à l'empire, pour le plaisir de créer une harmonie, une uniformité dans ses différentes parties qu'il est, suivant moi, disait-il, impossible d'atteindre, et qui, d'ailleurs, serait inutile si l'on y réussissait; non pas de la nécessité d'ôter à l'argumentation d'un avocat la faculté d'invoquer les savantes décisions du parlement de Paris, de peur d'entretenir chez les Canadiens le souvenir historique de l'origine de leurs lois; non pas de la nécessité de satisfaire les espérances impossibles de cette poignée de sujets anglais dépourvus de tout principe, qui peuvent aller accidentellement en Canada et s'attendre à y trouver les différentes lois des différens pays d'où ils viennent; non pas, enfin, d'aucune de ces espèces de nécessité que j'ai entendu alléguer pour abolir les lois et le gouvernement de cette colonie. La logique pressante et sarcastique de Thurlow aida puissamment la cause des Canadiens.

 

Le conseil d'état fut en possession de tous ces rapports en 73. Depuis neuf ans l'Angleterre cherchait partout des motifs propres à justifier aux yeux des nations et de la conscience publique l'abolition des lois et peut-être de la religion d'un peuple auquel elle les avait garanties; et l'on ne hasarde rien de trop en disant que la justice et la générosité de l'éloquent plaidoyer de lord Thurlow auraient été perdues, et que le Canada serait passé sous la domination d'une poignée d'aventuriers, ayant une religion, une langue, des lois et des usages différens de ceux de ses anciens habitans, sans l'attitude hostile des autres colonies anglaises, qui commençaient à faire craindre à la Grande-Bretagne la perte de toute l'Amérique. 52 Cette métropole différa de donner son dernier mot jusqu'en 74, alors que la solution pacifique de ses difficultés avec ces dernières provinces parut plus éloignée que jamais. La révolution qui sauva les libertés américaines, força l'Angleterre à conserver la langue, les institutions et les lois des Canadiens, en un mot à leur rendre justice, afin d'avoir au moins une province pour elle dans le Nouveau-Monde.

Note 52:(retour) Le pamphlétaire Flemming dit: «The government consulted governor Carleton as to the means of exciting the zealous cooperation of the leaders of the French Canadians, when he suggested the restoration of french laws.»

Le ministère ne tarda pas à faire connaître ses vues. Mazères, revenu du Canada depuis trois ou quatre ans, et qui résidait alors à Londres, était l'agent ou l'homme de confiance du parti hostile aux Canadiens. Cet homme dont la famille avait tant souffert du fanatisme religieux dans son ancienne patrie, consentait à devenir lui-même l'avocat de leurs proscripteurs dans sa patrie adoptive, et pour cela il marchait dans deux voies que l'histoire n'a pas bien éclaircies. Dans un rapport, adressé au gouvernement de la métropole, sur les lois de la colonie, il en fait une revue assez favorable; et dans ses tête-à-tête avec les agens canadiens, il embrasse également leur cause avec chaleur, selon Du Calvet. Tandis que d'un autre côté, des papiers imprimés sous sa direction et qui forment plusieurs volumes, nous le montrent sinon entièrement hostile à la religion, aux lois et aux institutions de leur pays, du moins le représentent comme peu zélé pour la conservation de ces conditions essentielles à leur bonheur, quoique des personnes instruites pensent, après avoir lu ses volumineux écrits, et surtout le Canadian Freeholder, qu'il cherchait plutôt à amener les fanatiques qu'il servait, par une chaîne de raisonnemens dont ils ne voyaient pas bien la conséquence, mais dont ils ne pourraient ensuite se dégager, à un but souvent opposé à celui qu'ils voulaient atteindre. Si c'était là le motif de sa conduite, il faut avouer qu'il savait déguiser sa pensée avec un grand art; mais il est à craindre que de pareils moyens soient plus utiles à l'oppression et à la mauvaise foi qu'à la justice et à la liberté des hommes. Quoi qu'il en soit, Mazères informa ceux qu'il représentait de la décision probable du gouvernement touchant le Canada. A ces nouvelles et voyant la tournure que prenaient les affaires, et le désir du roi de s'attacher les Canadiens pour la lutte qui se préparait en Amérique, les protestans crurent qu'il était temps de faire des démonstrations plus vigoureuses, et de demander enfin formellement l'accomplissement des promesses de la proclamation de 63 d'octroyer une constitution au Canada dès que les circonstances le permettraient. Ils tinrent diverses assemblées pour pétitionner le roi, à la première desquelles assistèrent une quarantaine de personnes; ils nommèrent deux comités, l'un pour Québec et l'autre pour Montréal, et invitèrent les Canadiens à se joindre à eux, ce que ceux-ci déclinèrent de faire pour de bonnes raisons. En effet, dans tous leurs procédés, les protestans avaient tâché de dissimuler un point capital, la religion. La chambre que le général Murray avait convoquée en 64, n'avait pu s'organiser parce que les membres canadiens avaient refusé de prêter le serment du test. Ils croyaient que si le parlement impérial accordait une chambre représentative, les protestans seuls auraient droit d'y siéger, attendu que l'inéligibilité des catholiques était une des maximes fondamentales de la constitution de l'empire; et dans cette idée la conclusion de leur requête n'exposait rien de leurs prétentions, et pouvait donner le change aux catholiques. Mais ceux-ci, qui connaissaient parfaitement leur pensée secrète, exigèrent, avant toute chose, que le roi fût formellement prié d'admettre sans distinction de religion les protestans et les catholiques dans la nouvelle chambre; sommés ainsi de se prononcer formellement, ils refusèrent d'agréer cette condition, et c'est ce relus qui fut la véritable cause pour laquelle les Canadiens, qui auraient désiré avoir un gouvernement représentatif, ne voulurent pas se joindre aux premiers auteurs de la pétition. Quelques-uns se seraient rendus cependant à leur demande; mais les autres s'y refusèrent absolument, parce qu'ils savaient que le but des pétitionnaires était de soutenir le principe de l'exclusion des catholiques tout en se prévalant de leurs signatures pour obtenir un gouvernement libre, prévision que l'événement justifia, puisque Mazères, parlant en leur nom, s'opposa ensuite à ce qu'il y eut des catholiques dans le conseil législatif établi par l'acte de 74. Après ce refus des Canadiens et avoir inutilement demandé à la fin de 73 à M. Cramahe, lieutenant-gouverneur, la convocation des représentans du peuple, les protestans, réduits à agir seuls, envoyèrent leur pétition à leur agent à Londres, élevé depuis son retour du Canada à l'office de Cursitor, baron de l'échiquier, afin de la présenter au roi. Par cette pétition signée de 148 personnes seulement, dont 3 Canadiens protestans, ils demandèrent en termes généraux la convocation d'une assemblée de telle forme et manière que le roi le jugerait convenable; mais en même temps ils en adressaient une autre au comte de Darmouth, l'un des secrétaires d'état, pour le prier de s'intéresser en leur faveur, et lui exposer que le conseil et le gouverneur passaient des ordonnances contraires aux lois anglaises; que le pays manquait de ministres protestans, et que le séminaire de Québec ouvrait des classes pour l'éducation de la jeunesse, ce qui était d'autant plus alarmant que les professeurs protestans en étaient exclus. Ils écrivirent aussi aux principaux marchands de Londres pour les prier de seconder leur démarche. Ils tenaient tant à leur système d'anglification que, même encore plusieurs années après (1782), le conseiller Finlay suggérait d'établir des écoles anglaises dans les paroisses et de défendre l'usage, du français dans les cours de justice après un certain nombre d'années.