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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Gustave-Adolphe n'avait pas encore accompli sa dix-septième année, quand le trône de Suède devint vacant par la mort de son père; mais la précoce maturité de son esprit décida les états à abréger en sa faveur la durée légale de la minorité. Il ouvrit par une glorieuse victoire sur lui-même un règne dont la victoire devait être la compagne fidèle et qui devait finir au milieu d'un triomphe. La jeune comtesse de Brahé, fille d'un de ses sujets, eut les prémices de ce grand cœur, et il était sincèrement résolu à partager avec elle le trône de Suède. Mais, contraint par les nécessités du temps et des circonstances, son penchant se soumit au devoir supérieur du monarque, et l'héroïque vertu reprit tout son empire sur un cœur qui n'était pas destiné à se renfermer dans le paisible bonheur de la vie privée.

Christian IV de Danemark, qui était déjà roi avant que Gustave vit le jour, avait attaqué les frontières suédoises et remporté sur le père de ce héros d'importants avantages. Gustave-Adolphe se hâta de mettre fin à cette guerre funeste et acheta la paix par de sages sacrifices, afin de tourner ses armes contre le czar de Moscou. Jamais, pour aspirer à la gloire équivoque des conquérants, il ne fut tenté de prodiguer le sang de ses peuples dans des guerres injustes; mais jamais il ne recula devant une guerre légitime. Ses armes furent heureuses contre la Russie, et le royaume de Suède s'accrut, vers l'orient, de provinces importantes.

Cependant Sigismond, roi de Pologne, nourrissait contre le fils les sentiments hostiles auxquels le père avait donné de justes motifs: il ne négligea aucun artifice pour ébranler la fidélité des sujets de Gustave, refroidir ses amis et rendre ses ennemis irréconciliables. Ni les grandes qualités de son adversaire, ni les témoignages multipliés de dévouement que la Suède donnait à son souverain adoré, ne purent guérir ce prince, aveuglé de la folle espérance de remonter un jour sur le trône qu'il avait perdu. Il repoussa dédaigneusement toutes les propositions de paix de Gustave, et ce héros, ami de la paix, se vit entraîné malgré lui dans une longue guerre avec la Pologne, durant laquelle, peu à peu, toute la Livonie et la Prusse polonaise furent soumises à la domination suédoise. Toujours vainqueur, Gustave-Adolphe était toujours le premier prêt à tendre la main pour la paix.

Cette lutte entre la Suède et la Pologne eut lieu au commencement de la guerre de Trente ans en Allemagne, et se trouve liée avec elle. Il suffisait que le roi Sigismond fût catholique et disputât la couronne de Suède à un prince protestant, pour qu'il pût se tenir assuré du concours le plus actif de l'Espagne et de l'Autriche. Un double lien de parenté avec l'Empereur lui donnait encore un droit plus particulier à sa protection. Aussi ce fut surtout sa confiance en un si puissant soutien qui encouragea le roi de Pologne à poursuivre la guerre, quoiqu'elle tournât si mal pour lui; et les cours de Vienne et de Madrid ne négligèrent pas de soutenir son ardeur par des promesses pleines de jactance. Tandis que Sigismond perdait une place après l'autre, en Livonie, en Courlande et en Prusse, il voyait, en Allemagne, son allié marcher de victoire en victoire à la souveraineté absolue: il n'est donc pas étonnant que son éloignement pour la paix s'accrût en proportion de ses défaites. La vivacité avec laquelle il poursuivait sa chimérique espérance l'aveuglait sur l'astucieuse politique de Ferdinand, qui n'occupait, aux dépens de son allié, le héros suédois, que pour détruire d'autant plus à son aise la liberté de l'Allemagne, et tirer ensuite à lui, comme une conquête facile, le Nord épuisé. Mais une circonstance sur laquelle seule on n'avait point compté, la grandeur héroïque de Gustave, déchira la trame de cette politique trompeuse. Cette guerre polonaise de huit ans, loin d'épuiser les forces de la Suède, n'avait servi qu'à mûrir le génie militaire de Gustave-Adolphe, à endurcir ses armées par une longue habitude des combats, et à introduire peu à peu la nouvelle tactique, par laquelle ces armées devaient faire ensuite des prodiges sur le territoire allemand.

Après cette digression nécessaire sur la situation des États européens à cette époque, qu'il me soit permis de reprendre le fil de l'histoire.

Ferdinand avait recouvré ses États, mais non encore les frais que lui avait coûtés cette conquête. Une somme de quarante millions de florins, que mirent dans ses mains les confiscations de Bohême et de Moravie, aurait suffi pour l'indemniser, ainsi que ses alliés, de toutes leurs dépenses; mais cette somme énorme s'était bientôt écoulée dans les mains des jésuites et de ses favoris. Le duc Maximilien de Bavière, dont le bras victorieux avait presque seul remis Ferdinand en possession de ses domaines, qui avait sacrifié un proche parent pour défendre sa religion et son empereur: Maximilien, dis-je, avait les droits les plus fondés à sa reconnaissance. D'ailleurs, par une convention conclue avec l'Empereur, avant l'ouverture des hostilités, il s'était assuré expressément le dédommagement de toutes ses dépenses. Ferdinand sentait toute l'étendue des obligations que lui imposaient cette convention et ces services; mais il n'avait pas envie de les remplir à son propre préjudice. Il songeait à récompenser le duc de la manière la plus brillante, mais sans se dépouiller lui-même. Or, pouvait-il mieux atteindre ce but qu'aux dépens du prince contre lequel les lois de la guerre semblaient lui donner ce droit, et dont les fautes pouvaient être assez sévèrement qualifiées pour justifier, par le nom de châtiment légitime, toutes les violences? Il fallait donc poursuivre encore Frédéric, il fallait achever la ruine de Frédéric, afin de pouvoir récompenser Maximilien, et une nouvelle guerre fut entreprise pour payer la première.

Mais un motif bien plus puissant vint se joindre au premier et en augmenter le poids. Jusqu'alors, Ferdinand n'avait combattu que pour son existence et n'avait rempli d'autres devoirs que ceux de la défense personnelle; mais, maintenant que la victoire lui donnait la liberté d'agir, il songea à ce qu'il considérait comme des devoirs supérieurs, et se rappela le vœu qu'il avait fait, dans son pèlerinage de Lorette et de Rome, à sa généralissime la sainte Vierge, d'étendre son culte au péril de sa couronne et de sa vie. La destruction du protestantisme se rattachait indissolublement à ce vœu. Pour l'accomplir, Ferdinand ne pouvait trouver un concours de circonstances plus favorables que celles qui s'offraient à ce moment, au sortir de la guerre de Bohême. Il ne manquait ni de forces ni d'une apparence de droit pour mettre le Palatinat dans des mains catholiques, et les conséquences de ce changement étaient pour toute l'Allemagne orthodoxe d'une importance incalculable. En même temps qu'il récompensait le duc de Bavière avec les dépouilles de son parent, Ferdinand satisfaisait ses plus bas désirs et remplissait son devoir le plus sublime: il écrasait un ennemi qu'il détestait; il épargnait à son intérêt un sacrifice douloureux, tout en méritant la couronne céleste.

La perte de Frédéric était résolue dans le cabinet impérial bien longtemps avant que le sort se fut déclaré contre lui; mais ce fut seulement après ses revers que le pouvoir arbitraire osa le frapper de sa foudre. Un décret de l'empereur, dépourvu de toutes les formalités présentes en pareil cas par les constitutions, mit au ban de l'Empire et déclara déchus de toutes leurs dignités et possessions, comme coupables de lèse-majesté impériale et perturbateurs de la paix publique, l'électeur et trois autres princes qui avaient pris les armes pour lui en Silésie et en Bohême. L'accomplissement de cette sentence contre Frédéric, c'est-à-dire la conquête de ses États, fut confiée, avec un égal mépris des lois de l'Empire, au roi d'Espagne, comme possesseur du cercle de Bourgogne, au duc de Bavière et à la Ligue. Si l'Union évangélique eût été digne de son nom et de la cause qu'elle défendait, on aurait trouvé dans l'exécution du ban de l'Empire des obstacles insurmontables; mais une force si méprisable, qui pouvait à peine tenir tête aux troupes espagnoles dans le bas Palatinat, dut renoncer à combattre contre les armées réunies de l'empereur, de la Bavière et de la Ligue. L'arrêt de proscription prononcé contre l'électeur effraya aussitôt toutes les villes impériales qui se retirèrent sans délai de l'alliance, et les princes ne tardèrent pas à suivre leur exemple. Heureux de sauver leurs propres domaines, ils laissèrent à la merci de Ferdinand l'électeur, qui avait été leur chef; ils abjurèrent l'Union et promirent de ne jamais la renouveler.

Les princes allemands avaient abandonné honteusement le malheureux Frédéric; la Bohême, la Silésie et la Moravie avaient rendu hommage à la redoutable puissance de l'empereur: un seul homme, un chevalier de fortune, qui n'avait que son épée, le comte Ernest de Mansfeld, osa braver toute cette puissance dans les murs de Pilsen. Laissé sans secours, après la bataille de Prague, par l'électeur, à qui il avait voué ses services, ignorant même si Frédéric lui savait gré de sa fermeté, il tint seul, quelque temps encore, contre les Impériaux, jusqu'au moment où ses troupes, pressées par le besoin d'argent, vendirent enfin la ville à l'empereur. Mansfeld ne fut point ébranlé d'un coup si rude; on le vit bientôt après établir dans le haut Palatinat de nouvelles places de recrutement, pour attirer à lui les troupes que l'Union avait licenciées. En peu de temps, il eut rassemblé sous ses drapeaux une armée de vingt mille hommes, d'autant plus redoutable pour toutes les provinces sur lesquelles elle se jetterait, que le pillage seul pouvait la faire vivre. Ignorant où cet essaim allait se précipiter, tous les évêchés voisins, dont la richesse pouvait le tenter, tremblaient déjà devant lui; mais, pressé par le duc de Bavière, qui envahit le haut Palatinat, comme exécuteur du décret de proscription, Mansfeld dut évacuer le pays. Il se déroba par un heureux stratagème à la vive poursuite du général bavarois Tilly, et parut tout à coup dans le bas Palatinat. Il y fit éprouver aux évêchés du Rhin les mauvais traitements qu'il avait médités contre ceux de Franconie. Tandis que l'armée impériale et bavaroise inondait la Bohême, le général espagnol Ambroise Spinola s'était jeté des Pays-Bas, avec une armée considérable, dans le bas Palatinat, que le traité d'Ulm permettait à l'Union de défendre. Mais les mesures étaient si mal prises, que les places tombèrent l'une après l'autre dans les mains des Espagnols et qu'enfin, quand l'Union se fut dissoute, la plus grande partie du pays demeura occupée par leurs troupes. Leur général Corduba, qui prit le commandement de ces troupes après la retraite de Spinola, leva précipitamment le siége de Frankenthal, à l'arrivée de Mansfeld dans le bas Palatinat; mais, sans s'arrêter à chasser les Espagnols de cette province, Mansfeld se hâta de franchir le Rhin pour refaire en Alsace ses bandes affamées. Toutes les campagnes ouvertes sur lesquelles se répandit cette troupe de brigands furent changées en affreux déserts, et les villes ne se rachetèrent du pillage que par d'énormes rançons. Fortifié par cette expédition, Mansfeld reparut sur le Rhin, afin de couvrir le bas Palatinat.

 

Tant qu'un tel bras combattait pour lui, l'électeur Frédéric n'était pas perdu sans ressource. De nouvelles perspectives commencèrent à s'ouvrir à lui, et son infortune lui suscita des amis, qui ne lui avaient pas donné signe de vie pendant sa prospérité. Le roi Jacques d'Angleterre, qui avait vu avec indifférence son gendre perdre la couronne de Bohême, s'éveilla de son insensibilité quand il vit menacée l'existence tout entière de sa fille et de ses petits-fils, et l'ennemi victorieux tenter une attaque sur l'électorat. Alors enfin, quoique bien tard, il ouvrit ses trésors; alors il s'empressa de soutenir avec de l'argent et des soldats, d'abord l'Union, qui défendait encore le bas Palatinat, et ensuite le comte de Mansfeld, quand l'Union se fut évanouie. Par lui, le roi Christian de Danemark, son proche parent, fut aussi engagé à une active assistance. L'expiration de la trêve entre l'Espagne et la Hollande priva en même temps l'empereur de tout l'appui qu'il aurait pu attendre du côté des Pays-Bas. Mais ce fut de Transylvanie et de Hongrie que vinrent au comte palatin les plus importants secours. La trêve de Gabor avec l'empereur était à peine expirée que ce vieil et redoutable ennemi de l'Autriche inonda de nouveau la Hongrie, et se fit couronner roi à Presbourg. Ses progrès furent si rapides que Bucquoi dut quitter la Bohême pour défendre contre lui la Hongrie et l'Autriche. Ce vaillant général trouva la mort au siége de Neuhæusel; non moins brave que lui, Dampierre avait déjà succombé devant Presbourg. Gabor s'avança sans obstacles jusqu'aux frontières de l'Autriche. Le vieux comte de Thurn et plusieurs proscrits bohêmes avaient apporté à cet ennemi de leur ennemi leur haine et leur épée. Une attaque vigoureuse du côté de l'Allemagne, tandis que Gabor pressait l'empereur du côté de la Hongrie, aurait pu rétablir promptement la fortune de Frédéric; mais toujours les Bohêmes et les Allemands avaient posé les armes, lorsque Gabor entrait en campagne; toujours ce dernier s'était épuisé, quand les autres commençaient à reprendre des forces.

Cependant Frédéric n'avait pas hésité à se jeter dans les bras de Mansfeld, son nouveau défenseur. Il parut, déguisé, dans le bas Palatinat, que Mansfeld et le général bavarois Tilly se disputaient; le haut Palatinat était soumis depuis longtemps. Frédéric eut un rayon d'espérance, quand il vit, sur les ruines de l'Union, de nouveaux amis se lever pour lui. Le margrave Georges-Frédéric de Bade, qui en avait été membre, commençait depuis quelque temps à rassembler des troupes, qui formèrent bientôt une armée considérable. Nul n'en savait la destination, quand le margrave entra soudain en campagne et se joignit au comte de Mansfeld. Avant de faire ce pas décisif, il avait résigné ses États à son fils, afin de les soustraire par ce moyen à la vengeance de l'empereur, si la fortune lui était contraire. Le duc de Wurtemberg, son voisin, se mit aussi à augmenter ses forces militaires. Le comte palatin reprit courage et travailla de toutes ses forces à faire revivre l'Union. C'était maintenant à Tilly de songer à sa sûreté. Il se hâta d'appeler à lui les troupes du général espagnol Corduba. Mais, tandis que l'ennemi concentrait ses forces, Mansfeld et le margrave se séparèrent, et celui-ci fut battu près de Wimpfen par le général bavarois (1622).

Un aventurier sans argent, auquel on contestait même une naissance légitime, s'était déclaré le défenseur d'un roi, accablé par un de ses plus proches parents et abandonné par le père de son épouse. Un prince régnant s'était dessaisi de ses États, qu'il gouvernait paisiblement, pour tenter, en faveur d'un autre prince, qui lui était étranger, les hasards de la guerre; et lorsqu'il désespérait de faire triompher cette cause, un nouveau chevalier de fortune, pauvre en domaines, mais riche en glorieux ancêtres, entreprit, après lui, de la défendre. Le duc Christian de Brunswick, administrateur de Halberstadt, crut avoir appris du comte de Mansfeld le secret de tenir sur pied, sans argent, une armée de vingt mille hommes. Poussé par la présomption de la jeunesse, et plein d'un violent désir de recueillir gloire et butin aux dépens du clergé catholique, qu'il haïssait en franc chevalier, il rassembla dans la basse Saxe une forte armée, pour la défense de Frédéric, disait-il, et au nom de la liberté allemande. Il se proclamait ami de Dieu et ennemi des prêtres: ce fut la devise qu'il fit graver sur sa monnaie, fabriquée avec l'argenterie des églises, et ses actions furent loin d'y faire honte.

La route que suivit cette bande de brigands fut marquée, comme de coutume, par les plus effroyables dévastations. En pillant les bénéfices de la basse Saxe et de la Westphalie, elle recueillit des forces pour aller piller les évêchés du Rhin. Là, repoussé par les amis et les ennemis, l'administrateur s'approcha du Mein, dans le voisinage de la ville mayençaise de Hœchst, et franchit cette rivière, après un combat meurtrier avec Tilly, qui lui disputait le passage. Il n'atteignit l'autre bord qu'après avoir perdu la moitié de ses troupes; il en rassembla promptement le reste et se joignit au comte de Mansfeld. Poursuivies par Tilly, ces bandes réunies se jetèrent une seconde fois sur l'Alsace, pour dévaster ce qui avait échappé à la première invasion. Tandis que l'électeur Frédéric, réduit au rôle d'un mendiant fugitif, errait avec l'armée qui le reconnaissait pour maître et qui se parait de son nom, ses amis s'occupaient de le réconcilier avec l'empereur. Ferdinand ne voulait pas encore leur ôter toute espérance de voir rétablir le comte palatin. Plein de ruse et de dissimulation, il se montra disposé à négocier, afin de refroidir leur ardeur en campagne et de prévenir les résolutions extrêmes. Le roi Jacques, jouet, comme toujours, des intrigues de l'Autriche, ne contribua pas peu, par son fol empressement, à soutenir les mesures de l'empereur. Ferdinand exigeait avant tout que Frédéric, s'il en appelait à sa clémence, mit bas les armes, et Jacques trouva cette demande parfaitement juste. Sur son invitation, le comte palatin congédia ses seuls vrais défenseurs, le comte de Mansfeld et l'administrateur, et il attendit son sort, en Hollande, de la pitié de l'empereur.

Mansfeld et le duc Christian ne furent embarrassés que de trouver un nouveau nom. Ce n'était point la cause du comte palatin qui les avait armés: son congé ne pouvait donc les désarmer. La guerre était leur but; peu importait la cause qu'ils avaient à défendre. Après une tentative inutile de Mansfeld pour passer au service de l'empereur, ils se dirigèrent tous deux vers la Lorraine, où leurs troupes commirent des brigandages qui répandirent l'effroi jusqu'au cœur de la France. Ils attendaient en vain, depuis quelque temps, un maître qui les voulût payer, quand les Hollandais, pressés par le général espagnol Spinola, leur offrirent du service. Après avoir livré, près de Fleurus, un combat meurtrier aux Espagnols, qui voulaient leur fermer le passage, ils atteignirent la Hollande, où leur apparition obligea sur-le-champ Spinola de lever le siége de Berg-op-Zoom. Mais bientôt la Hollande, fatiguée à son tour de ces hôtes malfaisants, saisit le premier moment de calme pour se délivrer de leur dangereux secours. Mansfeld fit prendre à ses troupes, dans la fertile province d'Ost-Frise, des forces pour de nouveaux exploits. Le duc Christian, ardemment épris de la comtesse palatine, dont il avait fait la connaissance en Hollande, et plus belliqueux que jamais, reconduisit les siennes dans la basse Saxe, portant le gant de cette princesse à son chapeau, et sur ses drapeaux cette devise: Tout pour Dieu et pour elle! Ces deux hommes étaient loin d'avoir fini leur rôle dans cette guerre.

Tous les États de l'Empire étaient enfin délivrés d'ennemis; l'Union était dissoute; le margrave de Bade, Mansfeld et le duc Christian étaient battus et ne tenaient plus la campagne. L'armée d'exécution inondait les pays palatins au nom de l'empereur. Les Bavarois occupaient Mannheim et Heidelberg, et bientôt aussi Frankenthal fut abandonné aux Espagnols. Le comte palatin attendait dans un coin de la Hollande l'autorisation d'apaiser la colère de l'empereur par une génuflexion, et une prétendue diète électorale, à Ratisbonne, devait enfin prononcer sur son sort. Ce sort était depuis longtemps décidé à la cour de l'empereur; mais, jusque-là, on n'avait pas jugé les circonstances assez favorables pour déclarer ouvertement tout ce qu'on avait résolu. L'empereur, après tout ce qu'il s'était permis contre l'électeur, ne croyait plus pouvoir espérer une réconciliation sincère. Il fallait être violent jusqu'au bout pour l'être impunément. Ce qui était perdu devait donc l'être sans retour; il importait que Frédéric ne revit jamais ses États, et un prince sans sujets et sans territoire ne pouvait plus porter le chapeau d'électeur. Autant le comte palatin s'était rendu coupable envers la maison d'Autriche, autant le duc de Bavière s'était signalé par les services qu'il avait rendus. Autant la maison d'Autriche et l'Église catholique avaient à redouter la vengeance et la haine religieuse de la maison palatine, autant elles pouvaient compter sur la reconnaissance et le zèle religieux de celle de Bavière. Enfin, en transférant à la Bavière la dignité électorale palatine, on assurait à la religion catholique la prépondérance la plus décisive dans le collége des électeurs et, en Allemagne, un triomphe permanent.

Ce dernier motif était suffisant pour rendre favorables à cette innovation les trois électeurs ecclésiastiques. Du côté protestant, la voix de l'électeur de Saxe, était seule importante. Mais Jean-Georges pouvait-il contester à l'empereur un droit sans lequel devenait incertain celui qu'il avait lui-même à la couronne électorale? A la vérité, un prince que ses ancêtres, sa dignité et sa puissance plaçaient à la tête de l'Église protestante en Allemagne n'eût dû avoir, à ce qu'il semblait, rien de plus sacré que de soutenir les droits de cette Église contre toutes les attaques de sa rivale; mais la question était moins alors de savoir comment on devait protéger les intérêts de la religion protestante contre les catholiques, que de résoudre auquel de deux cultes également détestés, du calvinisme ou de la religion romaine, on laisserait prendre l'avantage sur l'autre; auquel de deux ennemis également funestes on adjugerait l'électorat palatin; et, pressé entre deux obligations opposées, il était bien naturel qu'on remît la décision à la haine privée et à l'intérêt privé. Le défenseur-né de la liberté allemande et de la religion protestante encouragea l'empereur à procéder, en vertu de la toute-puissance impériale, contre le Palatinat, et à ne s'inquiéter, en aucune manière, si l'électeur de Saxe faisait, pour la forme, quelque opposition à ses mesures. Si, dans la suite, Jean-Georges retira son consentement, c'est que Ferdinand lui-même avait donné lieu à ce changement d'avis en chassant de Bohême les ministres évangéliques; et l'investiture de l'électorat palatin, donnée à la Bavière, cessa d'être un acte illégal aussitôt que l'empereur eût consenti à céder à l'électeur de Saxe la Lusace, en payement de six millions d'écus pour frais de guerre.

Ainsi donc, malgré l'opposition de toute l'Allemagne protestante, et au mépris des lois fondamentales de l'Empire, qu'il avait jurées à son élection, Ferdinand donna solennellement, dans Ratisbonne, l'investiture de l'électorat palatin au duc de Bavière; «sans préjudice toutefois, disait-on dans l'acte, des droits que pourraient faire valoir les agnats et les descendants de Frédéric.» Ce prince infortuné se vit alors irrévocablement dépouillé de ses États, sans avoir été entendu d'abord par le tribunal qui le condamnait, justice que les lois accordent même au plus humble sujet et au plus affreux malfaiteur.

 

Cette violence ouvrit enfin les yeux au roi d'Angleterre, et les négociations entamées pour le mariage de son fils avec une infante d'Espagne ayant été rompues dans le même temps, Jacques prit avec vivacité le parti de son gendre. En France, une révolution dans le ministère avait mis le cardinal Richelieu à la tête du gouvernement, et ce royaume, tombé si bas, commença bientôt à sentir qu'une main vigoureuse tenait le timon de l'État. Les mouvements du gouverneur espagnol à Milan, pour s'emparer de la Valteline et se mettre ainsi en communication avec les domaines héréditaires de l'Autriche, firent revivre et les anciennes alarmes qu'inspirait cette puissance et, avec elles, les maximes politiques de Henri le Grand. Le mariage du prince de Galles avec Henriette de France amena entre les deux couronnes une alliance plus étroite, à laquelle accédèrent la Hollande, le Danemark et quelques États d'Italie. On forma le plan de forcer, à main armée, l'Espagne à restituer la Valteline, et l'Autriche à rétablir Frédéric; mais le premier objet fut seul poursuivi avec quelque activité. Jacques Ier mourut, et Charles Ier, en lutte avec son parlement, ne put plus donner aucune attention aux affaires d'Allemagne. La Savoie et Venise retinrent les secours promis, et le ministre français crut qu'il fallait soumettre les huguenots dans sa patrie, avant de se hasarder à défendre contre l'empereur les protestants d'Allemagne. Ainsi le succès fut loin de répondre aux grandes espérances qu'on avait conçues de cette alliance.

Le comte de Mansfeld, dépourvu de tout secours, restait inactif sur le bas Rhin, et le duc Christian de Brunswick se vit de nouveau rejeté, après une campagne malheureuse, hors du territoire allemand. Une nouvelle irruption de Bethlen Gabor dans la Moravie s'était terminée infructueusement, comme toutes les précédentes, par une paix formelle avec l'empereur, parce quelle n'avait pas été secondée du côté de l'Allemagne. L'Union n'existait plus: aucun prince protestant n'était plus sous les armes, et le général Tilly se tenait aux frontières de la basse Allemagne, sur le territoire protestant, avec une armée accoutumée à vaincre. Les mouvements du duc Christian de Brunswick l'avaient attiré dans ce pays et une fois déjà dans le cercle de basse Saxe, où il avait pris Lippstadt, place d'armes de l'administrateur. La nécessité d'observer cet ennemi et de l'empêcher de faire de nouvelles irruptions aurait pu justifier alors encore la présence de Tilly dans cette contrée. Mais Mansfeld et Christian avaient licencié leurs troupes faute d'argent et l'armée du comte Tilly ne voyait plus tout autour d'elle aucun ennemi: pourquoi encore occuper et accabler ce pays?

Parmi les clameurs passionnées des partis, il est difficile de distinguer la voix de la vérité; mais on pouvait s'inquiéter que la Ligne restât sous les armes. Les cris de joie prématurés des catholiques devaient augmenter la consternation. L'empereur et la Ligue, armés et vainqueurs en Allemagne, ne voyaient nulle part de forces qui pussent leur résister, s'ils tentaient d'assaillir les protestants ou même d'anéantir la paix de religion. A supposer que Ferdinand fût loin du dessein d'abuser de ses forces, la faiblesse des protestants devait lui en suggérer la pensée. Des pactes surannés ne pouvaient être un frein pour un prince qui se croyait obligé à tout envers sa religion, et à qui toute violence semblait justifiée par une pieuse intention. La Haute Allemagne était domptée, la basse pouvait seule encore faire obstacle à sa toute-puissance. Là, les protestants dominaient, là on avait enlevé à l'Église romaine la plupart des bénéfices ecclésiastiques, et le moment semblait venu de lui rendre ses possessions. Ces biens confisqués par les princes de la basse Allemagne composaient d'ailleurs une partie notable de leur puissance, et c'était un excellent prétexte pour les affaiblir que d'aider l'Église à recouvrer son bien.

Rester oisif dans une situation si dangereuse eût été une impardonnable négligence. Le souvenir des excès que l'armée de Tilly avait commis dans la basse Saxe était encore trop récent pour que les membres protestants de l'Empire ne dussent pas songer à leur défense. Le cercle de basse Saxe s'arma en toute hâte. On leva des impôts extraordinaires; on recruta des troupes; on remplit les magasins. On négocia pour des subsides avec Venise, avec la Hollande, avec l'Angleterre. On délibéra sur le choix de la puissance qui serait placée à la tête de la confédération. Les rois du Sund et de la mer Baltique, alliés naturels de ce cercle, ne pouvaient voir avec indifférence l'empereur y mettre le pied comme conquérant et devenir leur voisin sur les côtes de la mer du Nord. Le double intérêt de la religion et de la politique les pressait d'arrêter les progrès de ce monarque dans la basse Allemagne. Christian IV, roi de Danemark, se comptait lui-même, comme duc de Holstein, parmi les membres de ce cercle. Des motifs non moins forts déterminèrent Gustave-Adolphe à prendre part à cette alliance.

Les deux rois se disputaient l'honneur de défendre le cercle de basse Saxe et de combattre la formidable puissance de l'Autriche. L'un et l'autre offrirent de mettre sur pied une armée bien équipée et de la commander en personne. De glorieuses campagnes contre les Moscovites et les Polonais appuyaient les propositions du roi de Suède; toutes les côtes de la Baltique étaient remplies du nom de Gustave-Adolphe. Mais la gloire de ce rival rongeait le cœur du monarque danois, et plus il se promettait lui-même de lauriers dans cette campagne, moins Christian IV pouvait se résoudre à les céder à son voisin, dont il était jaloux. Ils portèrent tous deux leurs offres et leurs conditions devant le cabinet anglais, et là Christian IV réussit enfin à l'emporter sur son concurrent. Gustave-Adolphe demandait pour sa sûreté, afin de garantir à ses troupes un refuge nécessaire en cas de malheur, l'abandon de quelques places fortes en Allemagne, où il ne possédait pas un pouce de terrain. Christian IV avait le Holstein et le Jutland, par lesquels il pouvait se retirer en sûreté après une bataille perdue.

Afin de prendre l'avantage sur son rival, le roi de Danemark se hâta de paraître en campagne. Nommé chef du cercle de basse Saxe, il eut bientôt sur pied une armée de soixante mille hommes; l'administrateur de Magdebourg, les ducs de Brunswick, les ducs de Mecklembourg, se joignirent à lui. L'appui que l'Angleterre lui avait fait espérer élevait son courage, et, à la tête de forces si considérables, il se flattait de terminer cette guerre en une seule campagne.

On fit savoir à Vienne que cet armement avait uniquement pour but la défense du cercle et le maintien de la tranquillité dans cette contrée. Mais les négociations avec la Hollande, avec l'Angleterre et même avec la France, les efforts extraordinaires du cercle et l'armée formidable qu'on mettait sur pied, semblaient tendre à quelque chose de plus que la simple défense: au rétablissement complet de l'électeur palatin et à l'abaissement de l'empereur, devenu trop puissant.