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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Mais les Impériaux, sous les ordres de Gallas, pénètrent, près de Ribses, dans ce duché, et l'inondent de leurs troupes, supérieures en nombre. Usedom et Wolgast sont pris d'assaut, Demmin par capitulation, et les Suédois sont refoulés jusqu'au fond de la Poméranie postérieure. Alors pourtant il s'agissait plus que jamais de se maintenir dans ce pays, car le duc Bogisla XIV était mort cette année même, et il importait au royaume de Suède de faire valoir ses prétentions sur le duché. Pour empêcher l'électeur de Brandebourg de soutenir ses droits, fondés sur un pacte de succession réciproque et sur le traité de Prague, la Suède fait les derniers efforts et appuie ses généraux, de la manière la plus énergique, avec de l'argent et des soldats. Les affaires des Suédois prennent aussi un aspect plus favorable dans d'autres parties de l'Empire, et ils commencent à se relever du profond abaissement où ils étaient tombés par l'inaction de la France et la défection de leurs alliés. En effet, après leur retraite précipitée en Poméranie, ils avaient perdu dans la haute Saxe une place après l'autre; les princes de Mecklembourg, pressés par les armes impériales, commençaient à se tourner du côté de l'Autriche, et même le duc Georges de Lunebourg se déclara contre les Suédois. Ehrenbreitstein, vaincu par la famine, ouvrait ses portes au général bavarois Jean de Werth, et les Autrichiens s'emparaient de tous les retranchements élevés sur le Rhin. La France avait éprouvé des pertes dans sa lutte contre l'Espagne, et le succès ne répondait pas aux fastueux préparatifs avec lesquels on avait ouvert la guerre contre cette couronne. Tout ce que les Suédois avaient possédé dans l'intérieur de l'Allemagne était perdu, et ils ne se maintenaient plus que dans les principales places de la Poméranie. Une seule campagne suffit pour les relever de cette chute profonde, et la puissante diversion que le victorieux Bernard fait aux armes impériales sur les bords du Rhin amène une prompte révolution dans toute la situation de la guerre.

Les différends entre la France et la Suède étaient enfin apaisés, et l'ancien traité entre les deux couronnes avait été confirmé à Hambourg, avec de nouveaux avantages pour les Suédois. Dans la Hesse, la prudente landgrave Amélie, après la mort de Guillaume, son époux, se chargea du gouvernement avec l'approbation des états, et maintint ses droits avec beaucoup de résolution, malgré l'opposition de l'empereur et de la ligne de Darmstadt. Déjà dévouée avec zèle, par principe religieux, au parti suédois-protestant, elle n'attendait qu'une occasion propice pour se déclarer hautement et activement en sa faveur. Cependant, par une sage réserve et des négociations adroitement conduites, elle réussit à tenir l'empereur dans l'inaction jusqu'au moment où elle eut conclu un traité secret avec la France, et où les victoires de Bernard eurent donné aux affaires des protestants un tour favorable. Alors elle jeta tout à coup le masque et renouvela l'ancienne amitié de la Hesse avec la couronne suédoise. Les triomphes du duc Bernard excitèrent aussi le prince-électeur du Palatinat à tenter la fortune contre l'ennemi commun. Avec l'argent de l'Angleterre, il leva des troupes en Hollande, établit un magasin à Meppen, et se réunit en Westphalie avec les troupes suédoises. A la vérité, son magasin fut perdu et son armée battue, près de Flotha, par le comte Hatzfeld; cependant, son entreprise avait occupé quelque temps l'ennemi et facilité les opérations des Suédois en d'autres pays. Plusieurs encore de leurs anciens amis reparurent dès que la fortune se déclara en leur faveur, et ce fut déjà pour eux un assez grand bénéfice de voir les états de la basse Saxe embrasser la neutralité.

Favorisé par ces avantages importants, et renforcé par quatorze mille hommes de troupes fraîches, venues de Suède et de Livonie, Banner ouvrit, plein de bonnes espérances, la campagne de 1638. Les Impériaux, qui occupaient la Poméranie antérieure et le Mecklembourg, abandonnèrent la plupart leurs postes ou accoururent par bandes sous les drapeaux suédois pour échapper à la famine, leur plus cruel ennemi dans ces contrées saccagées et appauvries. Les marches et les cantonnements avaient si affreusement dévasté tout le pays entre l'Elbe et l'Oder, que Banner, afin de pouvoir pénétrer en Saxe et en Bohême, et de ne pas mourir de faim sur la route avec toute son armée, prit, de la Poméranie postérieure, un détour vers la basse Saxe, et n'entra dans la Saxe électorale que par le territoire d'Halberstadt. Les États de la basse Saxe, impatients d'être délivrés d'un hôte si famélique, le fournirent des vivres nécessaires, en sorte qu'il eut à Magdebourg du pain pour son armée, dans un pays où la famine avait déjà surmonté l'horreur pour la chair humaine. Il effraya la Saxe par sa venue dévastatrice; mais ce n'était pas sur cette province épuisée, c'était sur les États héréditaires de l'empereur que ses vues étaient dirigées. Les victoires de Bernard élevaient son courage, et les riches provinces de la maison d'Autriche excitaient son avidité. Après avoir battu près d'Elsterberg le général impérial de Salis, écrasé près de Chemnitz l'armée saxonne, et emporté la ville de Pirna, il pénétra en Bohême avec une force irrésistible, passa l'Elbe, menaça Prague, prit Brandeis et Leutmeritz, battit le général de Hofkirchen, qui commandait dix régiments, et répandit la terreur et le ravage dans tout le royaume sans défense. On faisait sa proie de tout ce qu'on pouvait prendre avec soi, et ce qui ne pouvait être consommé ou pillé était détruit. Pour emporter d'autant plus de blé, on séparait les épis de leurs tiges, et l'on gâtait ce qu'on laissait. Plus de mille châteaux, bourgs et villages furent réduits en cendres, et l'on en vit souvent jusqu'à cent livrés aux flammes en une seule nuit. De la Bohême, Banner fit des courses en Silésie, et même la Moravie et l'Autriche étaient sur le point d'éprouver sa rapacité. Pour s'y opposer, il fallut qu'Hatzfeld accourût de Westphalie et Piccolomini des Pays-Bas.

L'archiduc Léopold, frère de l'empereur, reçut le bâton du commandement pour réparer les fautes de Gallas, son prédécesseur, et relever l'armée de sa profonde décadence. Le succès justifia ce changement, et la campagne de 1640 parut prendre une très-fâcheuse tournure pour les Suédois. En Bohême, ils sont chassés de quartier en quartier, et, occupés uniquement de mettre leur butin en sûreté, ils se retirent à la hâte par les montagnes de Misnie. Mais, poursuivis même à travers la Saxe par l'ennemi qui les presse, et battus près de Plauen, ils sont forcés de chercher un asile en Thuringe. Devenus en un seul été maîtres de la campagne, ils retombent aussi promptement dans la plus profonde faiblesse, pour reprendre encore l'avantage, et passer ainsi continuellement d'une extrémité à l'autre par de rapides révolutions. L'armée de Banner, affaiblie, et menacée, dans son camp près d'Erfurt, d'une ruine totale, se relève tout à coup. Les ducs de Lunebourg renoncent à la paix de Prague, et amènent à Banner les mêmes troupes qu'ils avaient fait combattre contre lui peu d'années auparavant. La Hesse lui envoie des secours, et le duc de Longueville se joint à ses drapeaux avec l'armée laissée par le duc Bernard. De nouveau supérieur en forces aux Impériaux, Banner leur offre la bataille près de Saalfeld; mais leur chef Piccolomini l'évite prudemment, et il a choisi une trop bonne position pour pouvoir être forcé de combattre. Lorsqu'enfin les Bavarois se séparent des Impériaux et dirigent leur marche vers la Franconie, Banner tente une attaque sur ce corps isolé; mais l'habileté du général bavarois de Mercy et l'approche rapide du gros des forces autrichiennes font échouer l'entreprise. Les deux armées se rendent alors dans la Hesse, épuisée, où elles s'enferment, à peu de distance l'une de l'autre, dans un camp fortifié, jusqu'à ce que la disette et la rigueur de la saison les chassent enfin de cette contrée appauvrie. Piccolomini choisit pour ses quartiers d'hiver les bords fertiles du Wéser; mais, devancé par Banner, il est contraint de les abandonner aux Suédois et d'imposer sa visite aux évêchés de Franconie.

Vers ce même temps, une diète était rassemblée à Ratisbonne, où l'on devait entendre les plaintes des états, travailler à la tranquillité de l'Empire et prononcer sur la guerre et la paix. La présence de l'empereur, qui présidait le collége des princes, la pluralité des voix catholiques dans le conseil des électeurs, le nombre supérieur des évêques et l'absence de plusieurs voix évangéliques firent tourner les délibérations à l'avantage de l'empereur, et il s'en fallut beaucoup que dans cette diète l'Empire fût représenté. Les protestants la considérèrent, avec assez de raison, comme une conjuration de l'Autriche et de ses créatures contre le parti protestant, et, à leurs yeux, il pouvait sembler méritoire de troubler cette diète ou de la disperser.

Banner forma ce projet téméraire. La gloire de ses armes avait souffert dans la dernière retraite de Bohême, et il fallait une action hardie pour lui rendre son premier éclat. Sans confier son dessein à personne, il quitta, au plus fort de l'hiver de 1641, ses quartiers de Lunebourg, aussitôt que les routes et les rivières furent gelées. Accompagné par le maréchal de Guébriant, qui commandait les troupes de France et de Weimar, il dirigea sa marche vers le Danube par la Thuringe et le Voigtland, et parut devant Ratisbonne, avant que la diète pût être avertie de sa funeste arrivée. La consternation des membres de l'assemblée ne peut se décrire: dans la première frayeur, tous les députés se disposaient à la fuite. L'empereur seul déclara qu'il ne quitterait pas la ville, et il fortifia les autres par son exemple. Malheureusement pour les Suédois, le temps se radoucit, en sorte que le Danube dégela et qu'il fut impossible de le passer, soit à pied sec, soit en bateaux, à cause des énormes glaçons qu'il charriait. Cependant, pour avoir fait quelque chose, et pour humilier l'orgueil de l'empereur d'Allemagne, Banner commit l'impolitesse de saluer la ville de cinq cents coups de canon, qui, du reste, firent peu de mal. Déçu dans cette entreprise, il résolut de s'enfoncer dans la Bavière et dans la Moravie sans défense, où un riche butin et des cantonnements plus commodes attendaient ses troupes dépourvues. Mais rien ne put décider le général français à le suivre jusque-là. Guébriant craignait que l'intention des Suédois ne fût d'éloigner toujours plus du Rhin l'armée de Weimar et de lui couper toute communication avec la France, jusqu'à ce qu'ils l'eussent entièrement gagnée, ou du moins mise hors d'état de rien entreprendre par elle-même. Il se sépara donc de Banner pour retourner vers le Mein, et le général suédois se vit tout à coup menacé par toutes les forces impériales, qui, rassemblées sans bruit entre Ingolstadt et Ratisbonne, s'avançaient contre lui. Il s'agissait alors de penser à une prompte retraite, qui, à la vue d'une armée supérieure en cavalerie, à travers des fleuves et des forêts, dans un pays qui, au long et au large, était ennemi, ne semblait guère possible que par un miracle. Il se retira précipitamment vers le Wald pour se sauver en Saxe par la Bohême; mais il fut contraint d'abandonner près de Neubourg trois régiments, qui, postés derrière un mauvais mur, arrêtèrent pendant quatre jours, par une résistance spartiate, les forces de l'ennemi, en sorte que Banner put gagner les devants. Il s'échappa par Égra vers Annaberg. Piccolomini le poursuivit, en prenant un chemin plus court, par Schlackenwald, et il s'en fallut seulement d'une petite demi-heure que le général impérial ne le devançât au passage de Priesnitz et ne détruisit toutes les forces suédoises. Guébriant se réunit de nouveau à Zwickau avec l'armée de Banner, et ils dirigèrent ensemble leur marche sur Halberstadt, après avoir essayé inutilement de défendre la Saale et d'empêcher le passage des Autrichiens.

 

C'est à Halberstadt que Banner trouva enfin, au mois de mai 1641, le terme de ses exploits: le seul poison qui le tua fut celui de l'intempérance et du chagrin. Il avait maintenu avec beaucoup de gloire, bien qu'avec des succès divers, l'honneur des armes suédoises en Allemagne, et, par une suite de victoires, il s'était montré digne de son grand maître dans l'art de la guerre. Il était fécond en projets, sur lesquels il gardait un secret profond, et qu'il exécutait rapidement: plein de sang-froid dans le danger, plus grand dans l'adversité que dans le bonheur, et jamais plus redoutable que lorsqu'on le croyait sur le penchant de sa ruine. Mais les vertus du héros s'associaient chez lui à tous les défauts, à tous les vices que la carrière des armes enfante ou du moins favorise. Aussi impérieux dans le commerce de la vie qu'à la tête de son armée, rude comme son métier, orgueilleux comme un conquérant, il n'opprimait pas moins les princes allemands par son arrogance que leurs provinces par ses exactions. Il se dédommageait des fatigues de la guerre dans les plaisirs de la table et dans les bras de la volupté, aux délices de laquelle il se livra avec excès jusqu'à ce qu'enfin il les expia par une mort prématurée. Mais, voluptueux comme un Alexandre et un Mahomet II, il se jetait avec la même facilité des bras de la volupté dans les plus durs travaux de la guerre, et le général se montrait soudain dans toute sa grandeur, au moment où l'armée murmurait contre le débauché. Environ quatre-vingt mille hommes tombèrent dans les nombreuses batailles qu'il livra, et près de six cents étendards et drapeaux ennemis, qu'il envoya à Stockholm, attestèrent ses victoires. La perte de ce grand chef ne tarda pas à être vivement sentie par les Suédois, et l'on craignit de ne pouvoir le remplacer. L'esprit de révolte et de licence, contenu par l'autorité prépondérante de ce général redouté, s'éveilla aussitôt qu'il ne fut plus. Les officiers réclament avec une effrayante unanimité l'arriéré de leur solde, et aucun des quatre généraux qui se partagent le commandement après Banner ne possède l'autorité nécessaire pour satisfaire ces impatients solliciteurs ou leur imposer silence. La discipline se relâche; la disette croissante, et les lettres de rappel écrites par l'empereur, diminuent l'armée chaque jour; les troupes de France et de Weimar montrent peu de zèle; celles de Lunebourg abandonnent les drapeaux des Suédois, parce que les princes de la maison de Brunswick, après la mort du duc Georges, font leur accommodement avec l'empereur; et enfin les Hessois se séparent d'eux aussi pour chercher en Westphalie de meilleurs cantonnements. L'ennemi profite de ce fâcheux interrègne, et, quoique battu complétement dans deux actions, il réussit à faire dans la basse Saxe des progrès considérables.

Enfin parut, avec de l'argent et des troupes fraîches, le nouveau généralissime suédois. C'était Bernard Torstensohn, élève de Gustave-Adolphe, et le plus heureux successeur de ce héros, aux côtés duquel il se trouvait déjà, en qualité de page, pendant la guerre de Pologne. Perclus de goutte et cloué sur sa litière, il surpassa tous ses adversaires par la célérité, et ses entreprises avaient des ailes, tandis que son corps portait la plus affreuse des chaînes. Sous lui, le théâtre de la guerre change, et de nouvelles maximes règnent, que la nécessité impose et que le succès justifie. Tous les pays pour lesquels on s'est battu jusqu'alors sont épuisés, et, tranquille dans ses provinces les plus reculées, l'Autriche ne sent pas les calamités de la guerre, sous laquelle gémit et saigne toute l'Allemagne. Torstensohn lui fait subir le premier cette amère expérience; il rassasie ses Suédois à la riche table de l'Autriche, et jette la torche incendiaire jusqu'au trône de l'empereur.

L'ennemi avait remporté en Silésie des avantages considérables sur le général suédois Stalhantsch, et l'avait repoussé vers la Nouvelle-Marche. Torstensohn, qui s'était réuni dans le pays de Lunebourg avec la principale armée suédoise, appela à lui ce général, et, en 1642, traversant le Brandebourg qui avait commencé, sous le grand électeur, à observer une neutralité armée, il envahit tout à coup la Silésie. Glogau est emporté, l'épée à la main, sans approches et sans brèche; le duc François-Albert de Lauenbourg est battu et tué d'un coup de feu près de Schweidnitz; cette ville est conquise, comme presque toute la Silésie en deçà de l'Oder. Alors Torstensohn pénétra, avec une force irrésistible, jusqu'au fond de la Moravie, où nul ennemi de l'Autriche n'était encore parvenu; il s'empara d'Olmütz et fit trembler même la capitale de l'Empire. Cependant, Piccolomini et l'archiduc Léopold avaient rassemblé des forces supérieures, qui repoussèrent le conquérant suédois de la Moravie et bientôt même de la Silésie, après qu'il eut fait une tentative infructueuse sur Brieg. Renforcé par Wrangel, Torstensohn osa, il est vrai, marcher de nouveau contre un ennemi plus nombreux, et débloqua Grossglogau; mais il ne put ni amener l'ennemi à une bataille, ni exécuter ses plans sur la Bohême. Il envahit alors la Lusace, où il prit Zittau à la vue de l'ennemi, et, après une courte halte, il dirigea par la Misnie sa marche sur l'Elbe, qu'il passa près de Torgau. Puis il menaça Leipzig d'un siége et se flatta de recueillir dans cette ville opulente, épargnée depuis dix ans, une ample provision de vivres, et de fortes contributions.

Aussitôt les Impériaux, sous Léopold et Piccolomini, accourent par Dresde pour faire lever le siége, et Torstensohn, pour n'être pas enfermé entre l'armée et la ville, marche hardiment à leur rencontre en ordre de bataille. Par un retour surprenant des choses, on se rencontrait alors de nouveau sur le même terrain que Gustave-Adolphe avait illustré par une victoire décisive, onze années auparavant, et, sur ce sol sacré, l'héroïsme des devanciers excitait à une noble lutte leurs successeurs. Les généraux suédois Stalhantsch et Willenberg se jettent avec une telle impétuosité sur l'aile gauche des Autrichiens, qui n'a pas encore achevé de se former, que toute la cavalerie qui la couvre est culbutée et mise hors d'état de combattre. Mais un sort pareil menaçait déjà l'aile gauche des Suédois, quand la droite, victorieuse, vint à son secours, prit l'ennemi à dos et en flanc, et rompit ses lignes. De part et d'autre, l'infanterie demeura ferme comme une muraille, et, lorsqu'elle eut épuisé toute sa poudre, elle combattit à coups de crosse, jusqu'à ce qu'enfin les Impériaux, enveloppés de toutes parts, furent contraints d'abandonner le champ de bataille, après un combat de trois heures. Les chefs des deux armées impériales avaient fait les plus grands efforts pour arrêter leurs fuyards, et l'archiduc Léopold fut, avec son régiment, le premier à l'attaque et le dernier à la retraite. Cette sanglante victoire coûta aux Suédois plus de trois mille hommes, et deux de leurs meilleurs généraux, Schlangen et Lilienhoek. Du côté des Impériaux, cinq mille hommes restèrent sur la place, et presque autant furent faits prisonniers. Toute leur artillerie, qui était de quarante-six canons, la vaisselle d'argent et la chancellerie de l'archiduc, tous les bagages de l'armée, tombèrent dans les mains des vainqueurs. Torstensohn, trop affaibli par sa victoire pour être en état de poursuivre l'ennemi, se porta devant Leipzig; et l'armée vaincue en Bohême, où les régiments fugitifs se rallièrent. L'archiduc Léopold ne put maîtriser le chagrin que lui causait cette défaite, et le régiment de cavalerie qui l'avait occasionnée par sa prompte fuite éprouva les effets de sa colère. A Rackonitz, en Bohême, il le déclara infâme en présence des autres troupes, lui ôta tous ses chevaux, ses armes et ses insignes, fit déchirer ses étendards, condamner à mort plusieurs officiers et décimer les soldats.

Leipzig, qui fut conquis trois semaines après la bataille, fut la plus belle proie du vainqueur. Il fallut que la ville habillât de neuf toute l'armée suédoise, et se rachetât du pillage par une rançon de trois tonnes d'or, à laquelle on fit contribuer aussi, en leur imposant des taxes, les commerçants étrangers qui avaient à Leipzig leurs magasins. Durant l'hiver, Torstensohn se porta encore sur Freiberg, et brava pendant plusieurs semaines devant cette ville la rigueur de la température, se flattant de lasser par sa constance le courage des assiégés. Mais il ne fit que sacrifier ses troupes, et l'approche de Piccolomini le contraignit enfin de se retirer avec son armée affaiblie. Toutefois c'était déjà un gain à ses yeux d'avoir forcé l'ennemi de renoncer ainsi au repos des quartiers d'hiver, dont il se privait lui-même volontairement, et de lui avoir fait perdre plus de trois mille chevaux dans cette pénible campagne d'hiver. Il fit alors un mouvement sur l'Oder, pour se renforcer des garnisons de Poméranie et de Silésie; mais il reparut, avec la rapidité de l'éclair, aux frontières de Bohême, parcourut ce royaume, et débloqua Olmütz, en Moravie, qui était vivement pressé par les Impériaux. De son camp près de Dobitschau, à deux milles d'Olmütz, il dominait toute la Moravie; il l'accabla par de pesantes exactions et fit courir ses bandes jusqu'aux ponts de Vienne. Vainement l'empereur s'efforça d'armer pour la défense de cette province la noblesse hongroise: elle allégua ses priviléges et refusa de servir hors de sa patrie. Pendant cette infructueuse négociation, on perdit le temps d'opposer à l'ennemi une active résistance, et on laissa toute la Moravie en proie aux Suédois.

Tandis que Bernard Torstensohn étonnait amis et ennemis par ses marches et ses victoires, les armées alliées n'étaient pas restées oisives dans les autres parties de l'Empire. Les Hessois et l'armée de Weimar, sous le comte d'Eberstein et le maréchal de Guébriant, avaient fait irruption dans l'archevêché de Cologne, pour y prendre leurs quartiers d'hiver. L'électeur, pour se défendre de ces hôtes pillards, appela le général impérial de Hatzfeld, et rassembla ses propres troupes sous le général Lamboy. Les alliés attaquèrent ce dernier près de Kempen, au mois de janvier 1642, et le défirent dans une grande bataille, où ils lui tuèrent deux mille hommes et firent quatre mille prisonniers. Cette victoire importante leur ouvrit tout l'électorat et les pays voisins, en sorte que non-seulement ils y établirent et y maintinrent leurs quartiers, mais qu'ils en tirèrent aussi des renforts considérables en hommes et en chevaux.

Guébriant laissa les Hessois défendre contre le comte de Hatzfeld leurs conquêtes sur le bas Rhin, et s'approcha de la Thuringe pour soutenir les entreprises de Torstensohn en Saxe. Mais, au lieu de réunir ses forces à celles des Suédois, il revint précipitamment sur le Mein et le Rhin, dont il s'était déjà éloigné plus qu'il ne devait. Les Bavarois, sous Mercy et Jean de Werth, l'ayant devancé dans le margraviat de Bade, il erra, pendant plusieurs semaines, en proie aux rigueurs de la saison, sans abri, réduit à camper le plus souvent sur la neige, jusqu'à ce qu'il trouva enfin dans le Brisgau un misérable refuge. Il reparut, il est vrai, en campagne l'été suivant, et occupa en Souabe l'armée bavaroise, de sorte qu'elle ne put débloquer Thionville, assiégée par Condé; mais il fut bientôt refoulé par l'ennemi, supérieur en nombre, jusqu'en Alsace, où il attendit des renforts.

 

La mort du cardinal de Richelieu, qui était arrivée au mois de novembre 1642, et le changement de souverain et de ministre qu'avait entraîné la mort de Louis XIII, au mois de mai 1643, avaient détourné quelque temps de la guerre d'Allemagne l'attention de la France et ralenti les opérations militaires. Mais Mazarin, héritier du pouvoir de Richelieu, de ses maximes et de ses projets, suivit, avec une ardeur nouvelle, le plan de son prédécesseur, si cher que coûtât aux Français cette grandeur politique de la France. Richelieu avait employé contre l'Espagne la principale force des armées: Mazarin la tourna contre l'empereur, et, par les soins qu'il consacra à la guerre d'Allemagne, il vérifia sa maxime: que l'armée d'Allemagne était le bras droit de son roi et le boulevard de la France. Aussitôt après la prise de Thionville, il envoya au maréchal de Guébriant en Alsace un renfort considérable, et, afin que ces troupes se soumissent plus volontiers aux fatigues de la guerre d'Allemagne, il fallut que le célèbre vainqueur de Rocroi, le duc d'Enghien, depuis prince de Condé, les y conduisit en personne. Alors Guébriant se sentit assez fort pour reparaître avec honneur en Allemagne. Il se hâta de repasser le Rhin, pour chercher en Souabe de meilleurs quartiers d'hiver, et se rendit en effet maître de Rottweil, où un magasin bavarois tomba dans ses mains. Mais cette place fut payée plus cher qu'elle ne valait et perdue plus promptement qu'elle n'avait été conquise. Guébriant reçut au bras une blessure, que la main inhabile de son chirurgien rendit mortelle, et la grandeur de sa perte fut manifestée le jour même de sa mort.

L'armée française, sensiblement réduite par cette expédition, entreprise dans une saison si rigoureuse, s'était retirée, après la prise de Rottweil, dans le canton de Tuttlingen, où elle se reposait, dans la plus profonde sécurité, sans prévoir le moins du monde une visite de l'ennemi. Celui-ci cependant rassembla de grandes forces, pour empêcher le dangereux établissement des Français sur la rive droite du Rhin et si près de la Bavière, et pour délivrer ce pays de leurs exactions. Les Impériaux, conduits par Hatzfeld, se réunissent avec les forces bavaroises, commandées par Mercy, et le duc de Lorraine lui-même, que, durant cette guerre, on trouve partout, excepté dans son duché, se joint avec ses troupes à leurs drapeaux réunis. Le projet est formé de surprendre à l'improviste les cantonnements des Français à Tuttlingen et dans les villages voisins: sorte d'expédition très-goûtée dans cette guerre, et qui, étant toujours et nécessairement mêlée de confusion, coûtait d'ordinaire plus de sang que les batailles rangées. Ce genre d'attaque était ici d'autant mieux à sa place, que le soldat français, qui n'avait pas l'expérience de pareilles entreprises, se faisait de tout autres idées qu'il n'eût fallu d'un hiver en Allemagne, et se tenait pour suffisamment garanti contre toute surprise par la rigueur de la saison. Jean de Werth, passé maître dans cette espèce de guerre, et qui avait été, depuis quelque temps, échangé contre Gustave Horn, conduisit l'entreprise, et l'exécuta avec un bonheur au-dessus de toute espérance.

L'attaque se fit du côté où, à cause des bois et des nombreux défilés, on pouvait le moins s'y attendre, et une forte neige, qui tombait ce jour-là (24 novembre 1643), cacha l'approche de l'avant-garde, jusqu'au moment où elle fit halte, en vue de Tuttlingen. Toute l'artillerie, laissée hors de la ville, et le château de Honbourg, situé dans le voisinage, sont pris sans résistance. Tuttlingen est investi tout entier par l'armée, qui arrive peu à peu, et toute communication avec les cantonnements ennemis, dispersés dans les villages d'alentour, est sans bruit et subitement interceptée. Ainsi les Français étaient déjà vaincus avant qu'on eût tiré un seul coup de canon. La cavalerie dut son salut à la vitesse de ses chevaux et à quelques minutes d'avance qu'elle eut sur l'ennemi qui la poursuivait. L'infanterie fut taillée en pièces ou mit bas les armes volontairement. Environ deux mille hommes restèrent sur la place; sept mille se rendirent prisonniers avec vingt-cinq officiers de l'état-major et quatre-vingt-dix capitaines. Ce fut dans toute cette guerre la seule bataille qui produisit à peu près la même impression sur le parti perdant et le parti gagnant: l'un et l'autre étaient Allemands, et les Français s'étaient couverts de honte. Le souvenir de cette malheureuse journée, laquelle se renouvela à Rossbach un siècle plus tard, fut, il est vrai, effacé dans la suite par les exploits héroïques d'un Turenne et d'un Condé; mais on ne pouvait en vouloir aux Allemands de se dédommager, par une chanson populaire sur la valeur française, des malheurs que la politique française accumulait sur eux.

Cette défaite des Français aurait pu cependant devenir très-funeste aux Suédois, toutes les forces de l'empereur s'étant dès lors portées contre eux, et un nouvel ennemi s'étant ajouté en ce temps-là même à ceux qu'ils avaient déjà. Au mois de septembre 1643, Torstensohn avait quitté subitement la Moravie et avait marché sur la Silésie. Personne ne savait la cause de son départ, et la direction, souvent changée, de sa marche, contribuait à augmenter l'incertitude. De la Silésie, il s'avança vers l'Elbe, en faisant divers détours, et les Impériaux le suivirent jusqu'en Lusace. Il jeta un pont sur l'Elbe près de Torgau, et fit courir le bruit qu'il allait entrer par la Misnie dans le haut Palatinat et la Bavière. Près de Barby, il feignit encore de vouloir passer le fleuve, mais il descendit toujours plus bas le long de l'Elbe, jusqu'à Havelberg, où il fit savoir à son armée surprise qu'il la menait dans le Holstein contre les Danois.

Dès longtemps, la partialité que le roi Christian IV laissait paraître contre les Suédois, dans l'office de médiateur dont il s'était chargé, la jalousie avec laquelle il travaillait contre le progrès de leurs armes, les obstacles qu'il opposait dans le Sund à leur navigation, et les charges qu'il faisait peser sur leur commerce naissant, avaient excité le mécontentement de la couronne de Suède, et enfin les injures, devenant toujours plus nombreuses, avaient provoqué sa vengeance. Si hasardeux qu'il parût être de s'engager dans une nouvelle guerre, tandis qu'on était presque écrasé sous le poids de l'ancienne au milieu des victoires mêmes qu'on remportait, la soif de la vengeance et la vieille haine nationale élevèrent cependant le courage des Suédois au-dessus de toutes les difficultés, et les embarras mêmes dans lesquels on se voyait jeté par la guerre en Allemagne furent un motif de plus pour tenter la fortune contre le Danemark. On avait fini par en venir à une telle extrémité, qu'on ne poursuivait la guerre que pour procurer aux troupes du travail et du pain; que l'on se battait presque uniquement pour avoir les meilleurs quartiers d'hiver, et qu'on estimait plus que le gain d'une grande bataille d'avoir bien cantonné son armée. Mais presque toutes les provinces de l'Empire d'Allemagne étaient désolées et épuisées; on manquait de vivres, de chevaux et d'hommes, et le Holstein avait de tout cela en abondance. Quand on n'eût gagné rien de plus que de recruter l'armée dans cette province, de rassasier les chevaux et les soldats, et de mieux monter la cavalerie, pour un pareil résultat il valait déjà la peine de risquer l'entreprise. D'ailleurs, au moment de l'ouverture des conférences de paix, il était avant tout essentiel d'arrêter la funeste influence du Danemark sur les négociations; de retarder le plus possible, par la confusion des intérêts, la paix elle-même, qui ne semblait pas devoir être fort avantageuse pour la couronne de Suède; et, comme son plus grand intérêt à elle était la fixation du dédommagement auquel elle croyait avoir droit, il lui importait d'augmenter le nombre de ses conquêtes, pour obtenir d'autant plus sûrement la seule qu'elle désirât conserver. Le mauvais état où se trouvait le Danemark justifiait encore de plus grandes espérances, pourvu qu'on exécutât l'entreprise promptement et sans bruit. Or, le secret fut si bien gardé à Stockholm, que les ministres danois n'en eurent aucun soupçon; ni la France ni la Hollande n'en reçurent la confidence. La guerre même fut la déclaration de guerre, et Torstensohn était dans le Holstein avant qu'on pressentit une hostilité. Sans être arrêtées par aucune résistance, les troupes suédoises inondent ce duché et s'emparent de toutes les places fortes, excepté Rensbourg et Glückstadt. Une autre armée pénètre dans la Scanie, qui ne se défend pas avec plus de succès, et la saison orageuse empêche seule les chefs de passer le petit Belt et de porter la guerre jusqu'en Fionie et en Seeland. La flotte danoise est battue près de Femern, et Christian lui-même, qui s'y trouvait, perd l'œil droit, frappé d'un éclat de bois. Séparé par une grande distance des forces de l'empereur, son allié, ce monarque est sur le point de voir son royaume entier envahi par les forces suédoises. Tout semblait très-sérieusement annoncer l'accomplissement de la prédiction que l'on se racontait du fameux Tycho Brahé: qu'en 1644, Christian IV serait forcé de s'exiler de son royaume un bâton à la main.