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Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4

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– A mon tour, madame Lola!.. dit-il, regardez-moi bien aussi… Ma sœur est trop bonne… peut être que sa main tremblerait… mais moi, je suis à l'aise sous ces habits de garçon… et, au moindre cri désormais, je vous fais sauter la cervelle!

– Cyprienne!.. murmura la marquise d'une voix éteinte; et je ne les ai pas reconnues!

Elle était entre les deux jeunes filles, qui avaient la tête haute et dont les yeux brillaient d'une détermination exaltée.

Point de pitié à espérer.

Elle regardait, avec une épouvante sournoise, les canons des deux pistolets, qui la menaçaient toujours.

Ses genoux fléchirent sous le poids de son corps; elle tomba évanouie, cette fois, pour tout de bon.

En un tour de main ses bras et ses jambes furent liés comme ceux de Thérèse et sa bouche couverte d'un bâillon.

– Où est la chambre de mademoiselle de Penhoël? demanda Diane à la servante.

Celle-ci n'avait que les yeux de libres; elle indiqua du regard une porte que les deux jeunes filles franchirent aussitôt.

Quelques minutes après, l'équipage timbré aux chiffres B. M. partait au galop, avec ses deux grands nègres devant et derrière.

Il était dit que le sommeil des paisibles habitants de la rue Sainte-Marguerite devait être troublé plus d'une fois cette nuit-là.

A peine l'équipage s'éloignait-il, en effet, dans la direction de la Croix-Rouge, que l'on put voir, aux premiers rayons du jour naissant, un homme s'élancer sur ses traces en courant de toute sa force.

La sentinelle de la prison militaire avait fait quelques pas hors de son poste.

Elle hésita un instant et cria par trois fois:

– Prisonnier, arrêtez!..

Comme le fugitif n'en courait que mieux, le soldat mit la crosse de son fusil contre son épaule et lâcha la détente pour l'acquit de sa conscience.

En un instant, toutes les fenêtres de la rue furent garnies de coiffes de nuit et de bonnets de coton.

Madame la marquise d'Urgel, seule, avec sa servante Thérèse, resta, pour cause, à l'intérieur de ses appartements.

En même temps la patrouille fit irruption hors du corps de garde.

La cause de ce remue-ménage était simplement l'évasion du pauvre Vincent de Penhoël.

Vincent avait achevé de scier son barreau, vers cinq heures du matin, à peu près au moment où la voiture du nabab s'arrêtait devant la porte de madame la marquise d'Urgel.

Il n'avait formé aucune espèce de plan et comptait s'en remettre à l'inspiration du moment, quand l'heure de partir serait venue.

Dès qu'il put passer la tête entre les barreaux, il regarda au-dessous de lui, et distingua vaguement une grosse masse noire sur le pavé de la cour.

C'était le dogue de garde, sentinelle dont la surveillance ne se trompe jamais.

Vincent rentra dans sa cellule et fit une corde avec ses draps; car il fallait partir: Blanche était là, de l'autre côté de la rue, qui souffrait et qui l'appelait.

Il attacha ses draps, tordus en forme de câble, à deux de ses barreaux qui restaient fixés dans la pierre, puis il se laissa glisser, non pas jusqu'au sol de la cour, mais seulement jusqu'au premier étage de la prison.

Au premier bruit, la masse noire, gisant sur le pavé, avait remué; le dogue s'était dressé sur ses quatre pattes.

Mais il n'aboyait point; il se contentait de hurler en sourdine, comme s'il n'eût point voulu effrayer sa proie.

Il attendait, la gueule ouverte et la langue pendante.

Vincent voyait briller dans l'obscurité ses yeux d'un rouge sombre, comme des charbons demi-éteints.

Le jour, qui commençait à poindre, n'éclairait pas encore la cour encaissée; mais au dehors, on distinguait déjà faiblement les objets.

Vincent allait d'une fenêtre à l'autre, déchirant ses mains et ses genoux, mais se tenant ferme et ne perdant point courage.

Il fut longtemps à gagner la porte qui donne sur la rue Sainte-Marguerite.

Cette porte est située entre deux corps de bâtiments, qu'elle isole l'un de l'autre.

Vincent se coucha sur la corniche pour reprendre haleine, et pour mesurer le saut qu'il lui restait à faire.

Il jeta ses regards tout autour de lui. L'attention de la sentinelle n'était point encore éveillée.

En explorant ainsi les abords de la prison, il aperçut la voiture, arrêtée juste en face de lui.

Le jour grandissait; on y voyait assez déjà pour qu'il pût distinguer les noirs visages des deux nègres.

En un autre moment, peut-être les aurait-il reconnus tout de suite, car leurs figures l'avaient frappé autrefois sur le pont de l'Érèbe.

Mais il avait autre chose à penser. D'ailleurs, avant qu'il eût pu faire aucune réflexion, la porte de la marquise s'ouvrit pour donner passage à deux jeunes gens qui portaient dans leurs bras une femme malade ou évanouie.

L'âme de Vincent était dans son regard.

Du premier coup d'œil, il avait reconnu Blanche de Penhoël.

Quant aux deux jeunes gens, il ne les avait pas même regardés.

Un cri rauque s'échappa de sa poitrine. Sans plus prendre désormais aucune précaution, il se pendit des deux mains à la corniche et sauta sur le trottoir.

Le bruit de la voiture qui partait avait empêché le factionnaire d'entendre le cri de Vincent. Mais la chute du prisonnier éveilla enfin son attention, et du moins fit-il montre de bonne volonté en envoyant une balle à la poursuite du fugitif.

Vincent courait sur les traces de l'équipage, et tournait déjà l'angle de la rue d'Erfurt.

Il y a loin de la prison de l'Abbaye au faubourg Saint-Honoré. Les chevaux de Berry Montalt allaient comme le vent; mais la passion soutenait les forces de Vincent, qui luttait de vitesse avec le rapide équipage.

Il allait à perdre haleine, le front ruisselant de sueur, et la gorge haletante.

Il appelait sans le savoir, et poussait des cris désespérés.

Au moment où Dieu lui envoyait la liberté, allait-il perdre Blanche pour toujours?..

La voiture traversa le pont Royal et longea le quai des Tuileries. Vincent redoublait d'efforts, mais il sentait sa vigueur s'épuiser.

Il put encore suivre l'équipage tout le long de la place de la Concorde et dans l'allée Gabrielle; mais quand il arriva au coin de l'avenue Marigny, l'équipage avait disparu.

Il continua sa course durant un instant encore, sans but et sans pensée; puis il se laissa choir sur la terre froide.

FIN DU QUATRIÈME VOLUME