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Les bijoux indiscrets

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CHAPITRE XLV.
VINGT-QUATRIÈME ET VINGT-CINQUIÈME ESSAIS DE L'ANNEAU. BAL MASQUÉ, ET SUITE DU BAL MASQUÉ

Les bijoux les plus extravagants de Banza ne manquèrent pas d'accourir où le plaisir les appelait. Il en vint en carrosse bourgeois; il en vint par les voitures publiques, et même quelques-uns à pied. Je ne finirais point, dit l'auteur africain dont j'ai l'honneur d'être le caudataire, si j'entrais dans le détail des niches que leur fit Mangogul. Il donna plus d'exercice à sa bague dans cette nuit seule, qu'elle n'en avait eu depuis qu'il la tenait du génie. Il la tournait, tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre, souvent sur une vingtaine à la fois: c'était alors qu'il se faisait un beau bruit; l'un s'écriait d'une voix aigre: Violons, le Carillon de Dunkerque, s'il vous plaît; l'autre, d'une voix rauque: Et moi je veux les Sautriots; et moi les Tricotets, disait un troisième; et une multitude à la fois: Des contredanses usées, comme la Bourrée, les Quatre Faces, la Calotine, la Chaîne, le Pistolet, la Mariée, le Pistolet, le Pistolet. Tous ces cris étaient lardés d'un million d'extravagances. L'on entendait d'un côté: Peste soit du nigaud! Il faut l'envoyer à l'école; de l'autre: Je m'en retournerai donc sans étrenner? Ici: Qui payera mon carrosse? là: Il m'est échappé; mais je chercherai tant, qu'il se retrouvera; ailleurs: A demain; mais vingt louis au moins; sans cela, rien de fait; et partout des propos qui décelaient des désirs ou des exploits.

Dans ce tumulte, une petite bourgeoise, jeune et jolie, démêla Mangogul, le poursuivit, l'agaça, et parvint à déterminer son anneau sur elle. On entendit à l'instant son bijou s'écrier: «Où courez-vous? Arrêtez, beau masque; ne soyez point insensible à l'ardeur d'un bijou qui brûle pour vous.» Le sultan, choqué de cette déclaration téméraire, résolut de punir celle qui l'avait hasardée. Il disparut, et chercha parmi ses gardes quelqu'un qui fût à peu près de sa taille, lui céda son masque et son domino, et l'abandonna aux poursuites de la petite bourgeoise, qui, toujours trompée par les apparences, continua à dire mille folies à celui qu'elle prenait pour Mangogul.

Le faux sultan ne fut pas bête; c'était un homme qui savait parler par signes; il en fit un qui attira la belle dans un endroit écarté, où elle se prit, pendant plus d'une heure, pour la sultane favorite, et Dieu sait les projets qui lui roulèrent dans la tête; mais l'enchantement dura peu. Lorsqu'elle eut accablé le prétendu sultan de caresses, elle le pria de se démasquer; il le fit, et montra une physionomie armée de deux grands crocs, qui n'appartenaient point du tout à Mangogul.

«Ah! fi, s'écria la petite bourgeoise: Fi…

– Eh! mon petit tame, lui répondit le Suisse, qu'avoir vous? Moi l'y croire vous avoir rentu d'assez bons services pour que vous l'y être pas fâchée de me connaître.»

Mais sa déesse ne s'amusa point à lui répondre, s'échappa brusquement de ses mains, et se perdit dans la foule.

Ceux d'entre les bijoux qui n'aspirèrent pas à de si grands honneurs, ne laissèrent pas que de rencontrer le plaisir, et tous reprirent la route de Banza, fort satisfaits de leur voyage.

L'on sortait du bal lorsque Mangogul entendit deux de ses principaux officiers qui se parlaient avec vivacité. «C'est ma maîtresse, disait l'un: je suis en possession depuis un an, et vous êtes le premier qui vous soyez avisé de courir sur mes brisées. A propos de quoi me troubler? Nassès, mon ami, adressez-vous ailleurs: vous trouverez cent femmes aimables qui se tiendront pour trop heureuses de vous avoir.

– J'aime Amine, répondait Nassès; je ne vois qu'elle qui me plaise. Elle m'a donné des espérances, et vous trouverez bon que je les suive.

– Des espérances! reprit Alibeg.

– Oui, des espérances…

– Morbleu! cela n'est point…

– Je vous dis, monsieur, que cela est, et que vous me ferez raison sur l'heure du démenti que vous me donnez.»

A l'instant ils descendirent le grand perron; ils avaient déjà le cimeterre tiré, et ils allaient finir leur démêlé d'une façon tragique, lorsque le sultan les arrêta, et leur défendit de se battre avant que d'avoir consulté leur Hélène.

Ils obéirent et se rendirent chez Amine, où Mangogul les suivit de près. «Je suis excédée du bal, leur dit-elle; les yeux me tombent. Vous êtes de cruelles gens, de venir au moment que j'allais me mettre au lit: mais vous avez tous deux un air singulier. Pourrait-on savoir ce qui vous amène?..

– C'est une bagatelle, lui répondit Alibeg: monsieur se vante, et même assez hautement, ajouta-t-il en montrant son ami, que vous lui donnez des espérances. Madame, qu'en est-il?..»

Amine ouvrait la bouche; mais le sultan tournant sa bague dans le même instant, elle se tut, et son bijou répondit pour elle… «Il me semble que Nassès se trompe: non, ce n'est pas à lui que madame en veut. N'a-t-il pas un grand laquais qui vaut mieux que lui? Oh! que ces hommes sont sots de croire que des dignités, des honneurs, des titres, des noms, des mots vides de sens, en imposent à des bijoux! Chacun a sa philosophie, et la nôtre consiste principalement à distinguer le mérite de la personne, le vrai mérite, de celui qui n'est qu'imaginaire. N'en déplaise à M. de Claville91, il en sait là-dessus moins que nous, et vous allez en avoir la preuve.

«Vous connaissez tous deux, continua le bijou, la marquise Bibicosa. Vous savez ses amours avec Cléandor, et sa disgrâce, et la haute dévotion qu'elle professe aujourd'hui. Amine est bonne amie; elle a conservé les liaisons qu'elle avait avec Bibicosa, et n'a point cessé de fréquenter dans sa maison, où l'on rencontre des bramines de toute espèce. Un d'entre eux pressait un jour ma maîtresse de parler pour lui à Bibicosa.

«Eh! que voulez-vous que je lui demande? lui répondit Amine. C'est une femme noyée, qui ne peut rien pour elle-même. Vraiment elle vous saurait bon gré de la traiter encore comme une personne de conséquence. Allez, mon ami, le prince Cléandor et Mangogul ne feront jamais rien pour elle; et vous vous morfondriez dans les antichambres…

« – Mais, répondit le bramine, madame, il ne s'agit que d'une bagatelle, qui dépend directement de la marquise. Voici ce que c'est. Elle a fait construire un petit minaret dans son hôtel; c'est sans doute pour la Sala, ce qui suppose un iman; et c'est cette place que je demande…

« – Que dites-vous! reprit Amine. Un iman! vous n'y pensez pas; il ne faut à la marquise qu'un marabout qu'elle appellera de temps à autre lorsqu'il pleut, ou qu'on veut avoir fait la Sala, avant que de se mettre au lit: mais un iman logé, vêtu, nourri dans son hôtel, avec des appointements! cela ne va point à Bibicosa. Je connais ses affaires. La pauvre femme n'a pas six mille sequins de revenu; et vous prétendez qu'elle en donnera deux mille à un iman? Voilà-t-il pas qui est bien imaginé!..

« – De par Brama, j'en suis fâché, répliqua l'homme saint; car voyez-vous, si j'avais été son iman, je n'aurais pas tardé à lui devenir plus nécessaire: et quand on est là, il vous pleut de l'argent et des pensions. Tel que vous me voyez, je suis du Monomotapa, et je fais très-bien mon devoir…

« – Eh! mais, lui répondit Amine d'une voix entrecoupée, votre affaire n'est pourtant pas impossible. C'est dommage que le mérite dont vous parlez ne se présume pas…

« – On ne risque rien à s'employer pour les gens de mon pays, reprit l'homme du Monomotapa; voyez plutôt…»

«Il donna sur-le-champ à Amine la preuve complète d'un mérite si surprenant, que de ce moment vous perdîtes, à ses yeux, la moitié de ce qu'elle vous prisait. Ah! vivent les gens du Monomotapa!»

Alibeg et Nassès avaient la physionomie allongée, et se regardaient sans mot dire; mais, revenus de leur étonnement, ils s'embrassèrent; et jetant sur Amine un regard méprisant, ils coururent se prosterner aux pieds du sultan, et le remercier de les avoir détrompés de cette femme, et de leur avoir conservé la vie et l'amitié réciproque. Ils arrivèrent dans le moment que Mangogul, de retour chez la favorite, lui faisait l'histoire d'Amine. Mirzoza en rit, et n'en estima pas davantage les femmes de cour et les bramines.

CHAPITRE XLVI.
SÉLIM A BANZA

Mangogul alla se reposer au sortir du bal; et la favorite, qui ne se sentait aucune disposition au sommeil, fit appeler Sélim, et le pressa de lui continuer son histoire amoureuse. Sélim obéit, et reprit en ces termes:

«Madame, la galanterie ne remplissait pas tout mon temps: je dérobais au plaisir des instants que je donnais à des occupations sérieuses; et les intrigues dans lesquelles je m'embarquai, ne m'empêchèrent pas d'apprendre les fortifications, le manége, les armes, la musique et la danse; d'observer les usages et les arts des Européens, et d'étudier leur politique et leur milice. De retour dans le Congo, on me présenta à l'empereur aïeul du sultan, qui m'accorda un poste honorable dans ses troupes. Je parus à la cour, et bientôt je fus de toutes les parties du prince Erguebzed, et par conséquent intéressé dans les aventures des jolies femmes. J'en connus de toute nation, de tout âge, de toute condition; j'en trouvai peu de cruelles, soit que mon rang les éblouît, soit qu'elles aimassent mon jargon, ou que ma figure les prévînt. J'avais alors deux qualités avec lesquelles on va vite en amour, de l'audace et de la présomption.

 

«Je pratiquai d'abord les femmes de qualité. Je les prenais le soir au cercle ou au jeu chez la Manimonbanda; je passais la nuit avec elles; et nous nous méconnaissions presque le lendemain. Une des occupations de ces dames, c'est de se procurer des amants, de les enlever même à leurs meilleures amies, et l'autre de s'en défaire. Dans la crainte de se trouver au dépourvu, tandis qu'elles filent une intrigue, elles en lorgnent deux ou trois autres. Elles possèdent je ne sais combien de petites finesses pour attirer celui qu'elles ont en vue et cent tracasseries en réserve pour se débarrasser de celui qu'elles ont. Cela a toujours été et cela sera toujours. Je ne nommerai personne; mais je connus ce qu'il y avait de femmes à la cour d'Erguebzed en réputation de jeunesse et de beauté; et tous ces engagements furent formés, rompus, renoués, oubliés en moins de six mois.

«Dégoûté de ce monde, je me jetai dans ses antipodes: je vis des bourgeoises que je trouvai dissimulées, fières de leur beauté, toutes grimpées sur le ton de l'honneur et presque toujours obsédées par des maris sauvages et brutaux ou certains pieds-plats de cousins qui faisaient à jours entiers les passionnés auprès de leurs cousines et qui me déplaisaient grandement: on ne pouvait les tenir seules un moment; ces animaux survenaient perpétuellement, dérangeaient un rendez-vous et se fourraient à tout propos dans la conversation. Malgré ces obstacles, j'amenai cinq ou six de ces bégueules au point où je les voulais avant que de les planter là. Ce qui me réjouissait dans leur commerce, c'est qu'elles se piquaient de sentiments, qu'il fallait s'en piquer aussi, et qu'elles en parlaient à mourir de rire: et puis elles exigeaient des attentions, des petits soins; à les entendre, on leur manquait à tout moment; elles prêchaient un amour si correct, qu'il fallut bien y renoncer. Mais le pis, c'est qu'elles avaient incessamment votre nom à la bouche et que quelquefois on était contraint de se montrer avec elles et d'encourir tout le ridicule d'une aventure bourgeoise; je me sauvai un beau jour des magasins et de la rue Saint-Denis pour n'y revenir de ma vie.

«On avait alors la fureur des petites maisons: j'en louai une dans le faubourg oriental et j'y plaçai successivement quelques-unes de ces filles qu'on voit, qu'on ne voit plus; à qui l'on parle, à qui l'on ne dit mot, et qu'on renvoie quand on en est las: j'y rassemblais des amis et des actrices de l'Opéra; on y faisait de petits soupers, que le prince Erguebzed a quelquefois honorés de sa présence. Ah! madame, j'avais des vins délicieux, des liqueurs exquises et le meilleur cuisinier du Congo.

«Mais rien ne m'a tant amusé qu'une entreprise que j'exécutai dans une province éloignée de la capitale, où mon régiment était en quartier: je partis de Banza pour en faire la revue; c'était la seule affaire qui m'éloignait de la ville; et mon voyage eût été court, sans le projet extravagant auquel je me livrai. Il y avait à Baruthi un monastère peuplé des plus rares beautés; j'étais jeune et sans barbe, et je méditais de m'y introduire à titre de veuve qui cherchait un asile contre les dangers du siècle. On me fait un habit de femme; je m'en ajuste et je vais me présenter à la grille de nos recluses; on m'accueillit affectueusement; on me consola de la perte de mon époux; on convint de ma pension, et j'entrai.

«L'appartement qu'on me donna communiquait au dortoir des novices; elles étaient en grand nombre, jeunes pour la plupart et d'une fraîcheur surprenante: je les prévins de politesses et je fus bientôt leur amie. En moins de huit jours, on me mit au fait de tous les intérêts de la petite république; on me peignit les caractères, on m'instruisit des anecdotes; je reçus des confidences de toutes couleurs, et je m'aperçus que nous ne manions pas mieux la médisance et la calomnie, nous autres profanes. J'observai la règle avec sévérité; j'attrapai les airs patelins et les tons doucereux; et l'on se disait à l'oreille que la communauté serait bien heureuse si j'y prenais l'habit.

«Je ne crus pas plus tôt ma réputation faite dans la maison, que je m'attachai à une jeune vierge qui venait de prendre le premier voile: c'était une brune adorable; elle m'appelait sa maman, je l'appelais mon petit ange; elle me donnait des baisers innocents, et je lui en rendais de fort tendres. Jeunesse est curieuse; Zirziphile me mettait à tout propos sur le mariage et sur les plaisirs des époux; elle m'en demandait des nouvelles; j'aiguisais habilement sa curiosité; et de questions en questions, je la conduisis jusqu'à la pratique des leçons que je lui donnais. Ce ne fut pas la seule novice que j'instruisis; et quelques jeunes nonnains vinrent aussi s'édifier dans ma cellule. Je ménageais les moments, les rendez-vous, les heures, si à propos que personne ne se croisait: enfin, madame, que vous dirai-je? la pieuse veuve se fit une postérité nombreuse; mais lorsque le scandale dont on avait gémi tout bas eut éclaté et que le conseil des discrètes, assemblé, eut appelé le médecin de la maison, je méditai ma retraite. Une nuit donc, que toute la maison dormait, j'escaladai les murs du jardin et je disparus: je me rendis aux eaux de Piombino, où le médecin avait envoyé la moitié du couvent et où j'achevai, sous l'habit de cavalier, l'ouvrage que j'avais commencé sous celui de veuve. Voilà, madame, un fait dont tout l'empire a mémoire et dont vous seule connaissez l'auteur.

«Le reste de ma jeunesse, ajouta Sélim, s'est consumé à de pareils amusements, toujours de femmes, et de toute espèce, rarement du mystère, beaucoup de serments et point de sincérité.

– Mais, à ce compte, lui dit la favorite, vous n'avez donc jamais aimé?

– Bon! répondit Sélim, je pensais bien alors à l'amour! je n'en voulais qu'au plaisir et qu'à celles qui m'en promettaient.

– Mais a-t-on du plaisir sans aimer? interrompit la favorite. Qu'est-ce que cela, quand le cœur ne dit rien?

– Eh! madame, répliqua Sélim, est-ce le cœur qui parle, à dix-huit ou vingt ans?

– Mais enfin, de toutes ces expériences, quel est le résultat? qu'avez-vous prononcé sur les femmes?

– Qu'elles sont la plupart sans caractère, dit Sélim; que trois choses les meuvent puissamment: l'intérêt, le plaisir et la vanité; qu'il n'y en a peut-être aucune qui ne soit dominée par une de ces passions, et que celles qui les réunissent toutes trois sont des monstres.

– Passe encore pour le plaisir, dit Mangogul, qui entrait à l'instant; quoiqu'on ne puisse guère compter sur ces femmes, il faut les excuser: quand le tempérament est monté à un certain degré, c'est un cheval fougueux qui emporte son cavalier à travers champs; et presque toutes les femmes sont à califourchon sur cet animal-là.

– C'est peut-être par cette raison, dit Sélim, que la duchesse Ménéga appelle le chevalier Kaidar son grand écuyer.

– Mais serait-il possible, dit la sultane à Sélim, que vous n'ayez pas eu la moindre aventure de cœur? Ne serez-vous sincère que pour déshonorer un sexe qui faisait vos plaisirs, si vous en faisiez les délices? Quoi! dans un si grand nombre de femmes, pas une qui voulût être aimée, qui méritât de l'être! Cela ne se comprend pas.

– Ah! madame, répondit Sélim, je sens, à la facilité avec laquelle je vous obéis, que les années n'ont point affaibli sur mon cœur l'empire d'une femme aimable: oui, madame, j'ai aimé comme un autre. Vous voulez tout savoir, je vais tout dire; et vous jugerez si je me suis acquitté du rôle d'amant dans les formes.

– Y a-t-il des voyages dans cette partie de votre histoire? demanda le sultan.

– Non, prince, répondit Sélim.

– Tant mieux, reprit Mangogul; car je ne me sens aucune envie de dormir.

– Pour moi, reprit la favorite, Sélim me permettra bien de reposer un moment.

– Qu'il aille se coucher aussi, dit le sultan; et pendant que vous dormirez je questionnerai Cypria.

– Mais, prince, lui répondit Mirzoza, Votre Hautesse n'y pense pas; ce bijou vous enfilera dans des voyages qui ne finiront point.»

L'auteur africain nous apprend ici que le sultan, frappé de l'observation de Mirzoza, se précautionna d'un anti-somnifère des plus violents: il ajoute que le médecin de Mangogul, qui était bien son ami, lui en avait communiqué la recette et qu'il en avait fait la préface de son ouvrage; mais il ne nous reste de cette préface que les trois dernières lignes que je vais rapporter ici.

Prenez de............

De.............

De.............

De Marianne et du Paysan, par… quatre pages92.

Des Égarements du cœur93, une feuille.

Des Confessions94, vingt-cinq lignes et demie.

CHAPITRE XLVII.
VINGT-SIXIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. LE BIJOU VOYAGEUR

Tandis que la favorite et Sélim se reposaient des fatigues de la veille, Mangogul parcourait avec étonnement les magnifiques appartements de Cypria. Cette femme avait fait, avec son bijou, une fortune à comparer à celle d'un fermier général. Après avoir traversé une longue enfilade de pièces plus richement décorées les unes que les autres, il arriva dans la salle de compagnie, où, au centre d'un cercle nombreux, il reconnut la maîtresse du logis à une énorme quantité de pierreries qui la défiguraient; et son époux, à la bonhomie peinte sur son visage. Deux abbés, un bel esprit, trois académiciens de Banza occupaient les côtés du fauteuil de Cypria; et sur le fond de la salle voltigeaient deux petits-maîtres avec un jeune magistrat rempli d'airs, soufflant sur ses manchettes, sans cesse rajustant sa perruque, visitant sa bouche et se félicitant dans les glaces de ce que son rouge allait bien: excepté ces trois papillons, le reste de la compagnie était dans une vénération profonde pour la respectable momie qui, indécemment étalée, bâillait, parlait en bâillant, jugeait tout, jugeait mal de tout, et n'était jamais contredite.

«Comment, disait en soi-même Mangogul qui n'avait parlé seul depuis longtemps, et qui s'en mourait, comment est-elle parvenue à déshonorer un homme de bonne maison avec un esprit si gauche et une figure comme celle-là?»

Cypria voulait qu'on la prît pour blonde; sa peau petit jaune, bigarrée de rouge, imitait assez bien une tulipe panachée; elle avait les yeux gros, la vue basse, la taille courte, le nez effilé, la bouche plate, le tour du visage coupé, les joues creuses, le front étroit, point de gorge, la main sèche et le bras décharné: c'était avec ces attraits qu'elle avait ensorcelé son mari. Le sultan tourna sa bague sur elle, et l'on entendit glapir aussitôt. L'assemblée s'y trompa, et crut que Cypria parlait par la bouche, et qu'elle allait juger. Mais son bijou débuta par ces mots:

«Histoire de mes voyages.

«Je naquis à Maroc en 17,000,000,012, et je dansais sur le théâtre de l'Opéra, lorsque Méhémet Tripathoud, qui m'entretenait, fut nommé chef de l'ambassade que notre puissant empereur envoya au monarque de la France; je le suivis dans ce voyage: les charmes des femmes françaises m'enlevèrent bientôt mon amant; et sans délai j'usai de représailles. Les courtisans, avides de nouveautés, voulurent essayer de la Maroquine; car c'est ainsi qu'on nommait ma maîtresse; elle les traita fort humainement; et son affabilité lui valut, en six mois de temps, vingt mille écus en bijoux, autant en argent, avec un petit hôtel tout meublé. Mais le Français est volage, et je cessai bientôt d'être à la mode: je ne m'amusai point à courir les provinces; il faut aux grands talents de vastes théâtres; je laissai partir Tripathoud, et je me destinai pour la capitale d'un autre royaume.

 

«A wealthy lord, travelling through France, dragg'd me to London. Ay, that was a man indeed! He water'd me six times a day, and as often o'nights. His prick like a comet's tail shot flaming darts: I never felt such quick and thrilling thrusts. It was not possible fort mortal prowess to hold out long, at this rate; so he drooped by degrees, and I received his soul distilled through his Tarse. He gave me fifty thousand guineas. This noble lord was succeeded by a couple of privateer-commanders lately return'd from cruising: being intimate friends, they fuck'd me, as they had sail'd, in company, endeavouring who should show most vigour and serve the readiest fire. Whilst the one was riding at anchor, I towed the other by his Tarse and prepared him for a fresh tire. Upon a modest computation, I reckon'd in about eight days time I received a hundred and eighty shot. But I soon grew tired with keeping so strict an account, for there was no end of their broad-sides. I got twelve thousand pounds from them for my share of the prizes they had taken. The winter quarter being over, they were forced to put to sea again, and would fain have engaged me as a tender, but I had made a prior contract with a German count.

«Duxit me Viennam in Austriâ patriam suam, ubi venereâ voluptate, quantâ maximâ poteram, ingurgitatus sum, per menses tres integros ejus splendidè nimis epulatus hospes. Illi, rugosi et contracti Lotharingo more colei, et eo usquè longa, crassaque mentula, ut dimidiam nondùm acciperem, quamvis iterato coïtu fractus rictus mihi miserè pateret. Immanem ast usu frequenti vagina tandem admisit laxè gladium, novasque excogitavimus artes, quibus fututionum quotidianarum vinceremus fastidium. Modò me resupinum agitabat; modò ipsum, eques adhærescens inguinibus, motu quasi tolutario versabam. Sæpè turgentem spumantemque admovit ori priapum, simulque appressis ad labia labiis, fellatrice me linguâ perfricuit. Etsi Veneri nunquam indulgebat posticæ, à tergo me tamen adorsus, cruribus altero sublato, altero depresso, inter femora subibat, voluptaria quærens per impedimenta transire. Amatoria Sanchesii præcepta calluit ad unguem, et festivas Aretini tabulas sic expressit, ut nemo meliùs. His à me laudibus acceptis, multis florenorum millibus mea solvit obsequia, et Romam secessi.

«Quella città è il tempio di Venere, ed il soggiorno delle delizie. Tutta via mi dispiaceva, che le natiche leggiadre fossero là ancora più festeggiate delle più belle potte; quello che provai il terzo giorno del mio arrivo in quel paese. Una cortigiana illustre si offerisce à farmi guadagnare mila scudi, s'io voleva passar la sera con esso lei in una vigna. Accettai l'invito; salimmo in una carozza, e giungemmo in un luogo da lei ben conosciuto nel quale due cavalieri colle braghesse rosse si fecero incontro à noi, e ci condussero in un boschetto spesso e folto, dove cavatosi subito le vesti, vedemmo i più furiosi cazzi che risaltaro mai. Ognuno chiavo la sua. Il trastullo poi si prese a quadrille, dopo per farsi guattare in bocca, poscia nelle tette; alla perfine, uno de chiavatori impadronissi del mio rivale, mentre l'altro mi lavorava. L'istesso fu fatto alla conduttrice mia; e cio tutto dolcemente condito di bacci alla fiorentina. E quando i campioni nostri ebbero posto fine alla battaglia, facemmo la fricarella per risvegliar il gusto à quei benedetti signori i quali ci paganoro con generosità. In più volte simili guadagnai con loro sessanta mila scudi; e due altre volte tanto, con coloro che mi procurava la cortigiana. Mi ricordo di uno che visitava mi spesso e che sborrava sempre due volte senza cavarlo; e d'un altro il quale usciva da me pian piano, per entrare soltimente nel mio vicino; e per questo bastava fare sù è giù le natiche. Ecco una uzanza curiosa che si pratica in Italia.»

Le bijou de Cypria continua son histoire sur un ton moitié congeois et moitié espagnol. Il ne savait pas apparemment assez cette dernière langue pour l'employer seule: on n'apprend une langue, dit l'auteur africain, qui se pendrait plutôt que de manquer une réflexion commune, qu'en la parlant beaucoup; et le bijou de Cypria n'eut presque pas le temps de parler à Madrid.

«Je me sauvai d'Italie, dit-il, malgré quelques désirs secrets qui me rappelaient en arrière, influxo malo del clima! y tuve luego la resolucion de ir me a una tierra, donde pudiesse gozar mis fueros, sin partir los con un usurpador. Je fis le voyage de Castille la Vieille, où l'on sut le réduire à ses simples fonctions: mais cela ne suffit pas à ma vengeance. Le impuse la tarea de batter el compas en los bayles che celebrava de dia y de noche; et il s'en acquitta si bien, que nous nous réconciliâmes. Nous parûmes à la cour de Madrid en bonne intelligence. Al entrar de la ciudad, je liai con un papo venerabile por sus canas: heureusement pour moi; car il eut compassion de ma jeunesse, et me communiqua un secret, le fruit de soixante années d'expérience, para guardar me del mal de que merecieron los Franceses ser padrinos, por haver sido sus primeros pregodes. Avec cette recette, et le goût de la propreté que je tentai vainement d'introduire en Espagne, je me préservai de tout accident à Madrid, où ma vanité seule fut mortifiée. Ma maîtresse a, comme vous voyez, le pied fort petit. Esta prenda es el incentivo mas poderoso de una imaginacion castellana. Un petit pied sert de passe-port à Madrid à la fille que tiene la mas dilatada sima entre las piernas. Je me déterminai à quitter une contrée où je devais la plupart de mes triomphes à un mérite étranger; y me arrime a un definidor muy virtuoso que passava a las Indias. Je vis, sous les ailes de sa révérence, la terre de promission, ce pays où l'heureux Frayle porte, sans scandale, de l'or dans sa bourse, un poignard à sa ceinture, et sa maîtresse en croupe. Que la vie que j'y passai fut délicieuse! quelles nuits! dieux, quelles nuits! Hay de mi! al recordarme de tantos gustos me meo… Algo mas… Ya, ya… Pierdo el sentido… Me muero…

«Après un an de séjour à Madrid et aux Indes, je m'embarquai pour Constantinople. Je ne goûtais point les usages d'un peuple chez qui les bijoux sont barricadés; et je sortis promptement d'une contrée où je risquais ma liberté. Je pratiquai pourtant assez les musulmans, pour m'apercevoir qu'ils se sont bien policés par le commerce des Européens; et je leur trouvai la légèreté du Français, l'ardeur de l'Anglais, la force de l'Allemand, la longanimité de l'Espagnol, et d'assez fortes teintures des raffinements italiens: en un mot, un aga vaut, à lui seul, un cardinal, quatre ducs, un lord, trois grands d'Espagne, et deux princes allemands.

«De Constantinople, j'ai passé, messieurs, comme vous savez, à la cour du grand Erguebzed, où j'ai formé nos seigneurs les plus aimables; et quand je n'ai plus été bon à rien, je me suis jeté sur cette figure-là, dit le bijou, en indiquant, par un geste qui lui était familier, l'époux de Cypria. La belle chute!»

L'auteur africain finit ce chapitre par un avertissement aux dames qui pourraient être tentées de se faire traduire les endroits où le bijou de Cypria s'est exprimé dans des langues étrangères.

«J'aurais manqué, dit-il, au devoir de l'historien, en les supprimant; et au respect que j'ai pour le sexe, en les conservant dans mon ouvrage, sans prévenir les dames vertueuses, que le bijou de Cypria s'était excessivement gâté le ton dans ses voyages; et que ses récits sont infiniment plus libres qu'aucune des lectures clandestines qu'elles aient jamais faites.»

91Auteur d'un Traité du vrai mérite de l'homme, considéré dans tous les âges et dans toutes les conditions. Plusieurs fois réimprimé.
92La Vie de Marianne et le Paysan parvenu, romans de Marivaux. (Br.)
93Les Égarements du cœur et de l'esprit, par Crébillon fils. (Br.)
94Les Confessions du Comte de ***, par Duclos. (Br.)