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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I

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Texte d'Hérodote.222

§ CII. «Phraortes, (roi des Mèdes) ayant attaqué les Assyriens de Ninive,.... périt dans cette expédition avec la plus grande partie de son armée..... Kyaxarès, son fils, lui succéda.»

Nous sommes d'accord avec Larcher, que ces deux événements doivent s'assigner, le premier à l'an 635, le second à l'an 634 avant notre ère.

§ CIII «On dit qu'il fut encore plus belliqueux que ses pères. Il sépara le premier les peuples d'Asie en différens corps de troupes, et assigna aux piquiers, à la cavalerie, aux archers, chacun un rang à part: avant lui tous les ordres étaient confondus. Ce fut lui qui fit la guerre aux Lydiens, et qui leur livra une bataille pendant laquelle le jour se changea en nuit.»

Voyez, dit Larcher, le § LXXIV. Nous y recourons; mais parce que le sens est la suite inséparable du § LXXIII, nous sommes obligés d'y remonter, et nous y trouvons l'occasion de cette guerre.

§ LXXII, ligne 8. «Une sédition avait obligé une troupe de Scythes nomades à se retirer secrètement sur les terres de Médie. Kyaxarès, fils de Phraortes, et petit-fils de Déïokès223, qui régnait alors sur les Mèdes, les reçut d'abord avec humanité, comme suppliants, et même il conçut tant d'estime pour eux, qu'il leur confia des enfants pour leur apprendre la langue scythe, et à tirer de l'arc. Au bout de quelque temps les Scythes, accoutumés à chasser et à rapporter tous les jours du gibier, revinrent une fois sans avoir rien pris. Revenus ainsi les mains vides, Kyaxarès, qui était d'un caractère violent, comme il le montra, les traita de la manière la plus rude. Les Scythes indignés d'un pareil traitement, qu'ils ne croyaient pas avoir mérité, résolurent entre eux de couper par morceaux un des enfants dont on leur avait confié l'éducation, de le préparer de la manière qu'ils avaient coutume d'apprêter le gibier, de le servir à Kyaxarès, comme leur chasse, et de se retirer aussitôt à Sardes, auprès d'Alyattes, fils de Sadyattes. Ce projet fut exécuté. Kyaxarès et ses convives mangèrent de ce qu'on leur avait servi; et les Scythes, après cette vengeance, se retirèrent auprès d'Alyattes, dont ils implorèrent la protection.»

§ LXXIV. «Kyaxarès les redemanda. Sur son refus, la guerre s'alluma entre ces deux princes. Pendant cinq années qu'elle dura, les Mèdes et les Lydiens eurent alternativement de fréquents avantages, et la sixième, il y eut une espèce de combat nocturne, car après une fortune égale de part et d'autre, s'étant livré bataille, le jour se changea tout à coup en nuit, pendant que les deux armées étaient aux mains. Thalès de Milet avait prédit aux Ioniens ce changement, et il en avait fixé le temps et l'année où il s'opéra. Les Lydiens et les Mèdes, voyant que la nuit avait pris la place du jour, cessèrent le combat, et n'en furent que plus empressés à faire la paix… Les rois de Babylone et de Cilicie en furent les médiateurs. Persuadés que les traités ne peuvent avoir de solidité sans un puissant lien, ils engagèrent Alyattes à donner sa fille Aryenis à Astyages, fils de Kyaxarès.

Voilà comment Astyages devint beau-frère de Crésus, ainsi qu'Hérodote le dit au commencement du § LXXXIII, avant ces mots, une sédition avait obligé, etc.

§ CIII. «Ce fut encore Kyaxarès qui, après avoir soumis toute l'Asie au-dessus du fleuve Halys, rassembla toutes les forces de son empire, et marcha contre Ninive, résolu de venger son père par la destruction de cette ville. Déja il avait vaincu les Assyriens en bataille rangée; déja il assiégeait Ninive, lorsqu'il fut assailli par une nombreuse armée de Scythes. C'était en chassant d'Europe les Kimmériens, qu'ils s'étaient jetés sur l'Asie: la poursuite des fuyards les avait conduits jusqu'au pays des Mèdes, § CIV, qui leur ayant livré bataille, la perdirent avec l'empire de l'Asie. § CV. Les Scythes, maîtres de toute l'Asie, marchèrent de là en Égypte; mais quand ils furent dans la Syrie de Palestine, Psammitichus, roi d'Égypte, vint au-devant d'eux, et à force de présens et de prières, il les détourna d'aller plus avant. § CVI. Les Scythes conservèrent vingt-huit ans l'empire d'Asie, ils ruinèrent tout par leur violence et leur négligence. Kyaxarès et les Mèdes en ayant invité chez eux la plus grande partie, les massacrèrent après les avoir enivrés. Les Mèdes recouvrèrent par ce moyen et leurs états et l'empire sur les pays qu'ils avaient auparavant possédés. Ils prirent ensuite la ville de Ninive; enfin ils subjuguèrent les Assyriens, excepté le pays de Babylone. Ces conquêtes achevées, Kyaxarès mourut: il avait régné 40 ans, y compris le temps que dura la domination des Scythes. § CVII. Astyages, son fils, lui succéda.

Tel est l'exposé d'Hérodote, où l'on voit une succession de faits tellement liés les uns aux autres, que l'on ne saurait en déplacer aucun sans les troubler tous. En les réduisant à leur plus simple expression, l'on trouve,—mort de Phraortes;—avénement de son fils Kyaxarès; soins administratifs et réorganisation militaire; arrivée d'une petite troupe de chasseurs scythes; leur séjour de peu de durée; leur fuite chez Alyattes.—Guerre de 5 ans entre Alyattes et Kyaxarès. Bataille, éclipse et traité au commencement de la sixième année.—Siége subséquent et immédiat de Ninive.—Irruption des Scythes qui font lever le siége; corps de leur armée poussé jusqu'en Palestine, où Psammitichus, roi d'Égypte, les arrêta. Domination des Scythes pendant 28 ans.—Leur expulsion par stratagème.—Deuxième siége, et ruine finale de Ninive.—Mort de Kyaxarès.

Il s'agit maintenant d'établir des dates: la méthode d'Hérodote, pour les indiquer, a cet inconvénient, qu'il ne rapporte point habituellement les dates partielles à un terme général et commun, à une ère fixe, pas même à celle des Olympiades, dont l'usage ne s'introduisit que plus d'un siècle après lui, au temps d'Alexandre; il guide sa marche, s'il est permis de le dire, en se jalonnant d'un événement sur l'autre, ce qui produit quelquefois une incertitude d'années complètes ou fractionnelles qui peuvent avoir été comptées simples ou doubles. Par exemple, lors-qu'il dit en nombres ronds:


et néanmoins il est possible qu'il n'y ait eu que 96 et même 95 années entières, parce qu'il est peu naturel que 3 règnes aient commencé et fini juste avec des années, et que la même année dans laquelle on a commencé un règne et fini un autre, peut avoir été comptée à chacun d'eux: il faut donc quelquefois accorder à ses calculs une petite latitude fondée sur ce motif; cependant comme Hérodote, en certaines occasions importantes, a comparé des événements de l'histoire des Perses à l'ère des Olympiades, qui se lie d'une manière certaine à la nôtre, l'on a profité de ces données pour coordonner tout son système. Ainsi, parce qu'il a fait remarquer d'une part, que le combat de Marathon fut livré la cinquième année avant la mort de Darius, fils d'Hystaspes; combat bien connu des Grecs, pour avoir eu lieu la troisième année de l'olympiade 72e, répondant à l'an 490 avant notre ère; et que d'autre part il a spécifié le nombre des années et la série des rois perses, en remontant depuis Darius jusqu'à Kyrus (Cyrus), l'on est parti, et nous partons nous-mêmes de ce point pour rapporter à notre ère la chronologie des rois mèdes. En conséquence, nous disons avec Larcher224, et avec tous les chronologistes, que puisque la première année du règne de Kyrus concourut avec l'an 560 avant J.-C., les règnes des rois mèdes que nous avons cités, se classent comme il suit:

 


L'on voit que ce tableau fixe d'abord, sans difficulté, les 40 années de Kyaxarès; entre les années avant notre ère 634 et 595; il s'agit de soumettre au calcul et de dater les événements divers qui remplissent son règne.

Ce règne de 40 ans se divise naturellement en 3 parties ou périodes.

1° Le temps qui précède la grande invasion des Scythes, portion qui réclame d'abord 6 années complètes pour la guerre de l'éclipse, plus une durée antérieure non connue depuis le commencement du règne.

2° Le temps de l'invasion et de la domination des Scythes, qui est une portion connue de 28 ans.

3° Le temps qui suivit l'expulsion des Scythes, et qui fut rempli par le deuxième siége et la ruine finale de Ninive, avec quelques faits subséquents de peu d'importance et de durée.

Dans ces 3 périodes, nous avons de connus les 28 ans des Scythes et les 5 années antérieures, ce qui fait déja 33 sur 40: il ne nous en faut plus que 7, qui peuvent se distribuer par des probabilités raisonnables. Supposons que le 2e siége de Ninive, et les faits de la période 3e jusqu'à la mort de Kyaxarès en 595, aient duré 3 ou 4 ans; que l'expulsion des Scythes ait eu lieu vers la fin de 599 ou dans le cours de 598; leur irruption (28 ans plus tôt) qui concourut avec le 1er siége de Ninive, peu de mois après l'éclipse, aura eu lieu dans l'année 626, laquelle se trouvera être celle de l'éclipse, et la 6e de la guerre contre les Lydiens. Les 5 années révolues que dura cette guerre nous mènent inclusivement à l'an 631. Les chasseurs scythes et leur anecdote appartiennent à la fin de l'année 632; et Kyaxarès aura passé les 3 premières années de son règne (depuis 634) dans les soins administratifs, et dans une réorganisation militaire dont la catastrophe de son père avait amené la nécessité, et sans doute fait connaître les moyens.

Voilà donc, par un ordre naturel et par la série nécessaire des faits, notre éclipse indiquée vers l'an 626 avant J.-C., et elle ne peut s'en écarter de plus d'une année; car au-dessous de 625, les 28 ans des Scythes ne laissent que 2 ans complets au règne de Kyaxarès; et au-dessous de 627, ils ne laissent que 2 ans entre son avénement et la guerre. Il faut donc pour l'honneur d'Hérodote, et un peu pour le nôtre, trouver en ces 3 années une éclipse totale ou presque totale de soleil, par les latitudes et longitudes du pays situé entre la Lydie et la Médie: nous ouvrons les tables que l'astronome Pingré a dressées pour les 10 siècles antérieurs à notre ère, en faveur de l'Académie des Inscriptions225, et nous trouvons ce qui suit:

Année 627 avant J.-C., 19 septembre, à minuit et demi, éclipse centrale de soleil visible seulement pour l'Asie orientale. (Ce n'est pas la nôtre.)

Année 626, 14 février, 9 heures du matin, éclipse par simple attouchement des bords du disque. (Ne peut convenir.)

Année 625, 3 février, à 5 heures et demie du matin, éclipse centrale, visible pour l'orient de l'Europe, de l'Afrique, et pour l'Asie (entière), à partir du 22e degré de longitude à l'est de Paris. Voilà sûrement notre éclipse, car cette année 625 avant J.-C.226 a de préférence à toute autre, le mérite de cadrer avec les diverses circonstances des récits d'Hérodote et de Jérémie. (Voyez partie 1re de cet ouvrage, pag. 92.)

Il est bien vrai que l'heure assignée par l'astronome français est trop matinale, puisque le soleil eût à peine été levé aux latitudes et longitudes requises; mais le modeste Pingré nous avertit, dans l'Art de vérifier les dates (tom. 1er, pag. 41), que les calculs des astronomes, à mesure qu'ils s'enfoncent dans l'antiquité, perdent de leur précision, et qu'ils peuvent être en erreur d'une portion de temps assez considérable.—Depuis Pingré, de plus hautes prétentions se sont formées, et si l'on devait souscrire à la décision d'un savant professeur, dans un livre récent227, la science aurait acquis un tel degré d'infaillibilité, que le récit d'Hérodote et de ses auteurs serait une fiction, par cela seul que l'éclipse ne tombe pas dans les calculs actuels; mais alors beaucoup d'éclipses mentionnées même par les astronomes anciens, seront aussi des fictions, puisque le calcul ne les rencontre pas à leur place.

Pour réfuter une doctrine si tranchante, il nous suffira d'observer, 1° que sur certaines éclipses de lune, les chefs de la science, Hipparque et Ptolomée, ne sont pas d'accord'à 50 minutes près228;

2° Que les manuscrits de leurs copistes ont des variantes quelquefois considérables sur une même éclipse;

3° Que Ptolomée offre, en certains cas, des discordances d'une telle nature, qu'on ne saurait les attribuer à l'ignorance, mais à l'intention préméditée de dissimuler les bases de la science au lecteur non initié à ses mystères, qui chez les anciens furent une véritable franc-maçonnerie229;

4° Que la théorie des écoles modernes de l'Europe ne se fonde point sur des séries suffisantes d'observations positives, faites avec la précision de temps et d'instruments convenables;

5° Qu'à défaut de cet élément important (dont furent favorisés les anciens prêtres de Chaldée et d'Égypte, à raison de leur ciel toujours clair et de leur transmission héréditaire), les astronomes modernes, pour dresser leurs tables lunaires, ont employé certaines observations citées par Ptolomée et par les Arabes, desquelles l'exactitude est hypothétique et contestable;

6° Que pour obtempérer à ces observations, l'on a supposé au nœud de la lune un mouvement d'accélération progressive, que l'on évalue à environ 1 degré et demi pour l'an 625 avant J.-C.: et de là le déplacement de notre éclipse; mais ce mouvement d'accélération n'est pas un fait à priori. Ce n'est qu'une induction tirée de faits présumés et non démontrés certains; par conséquent c'est une pure hypothèse, une fiction, à tel point que les maîtres de la science ne s'accordent point sur la marche et la quantité de ce mouvement supposé. En effet, tandis que M. Burgh veut que l'accélération aille croissant régulièrement à mesure que l'on se rapproche des temps modernes, M. de Zach veut qu'elle n'aille croissant que depuis l'an 1700, avant lequel elle aurait été en décroissant; dans cette seconde hypothèse, l'éclipse est retardée d'environ 5 heures, et retombe vers 10 heures du matin, tandis que dans l'hypothèse de M. Burgh, suivie par M. Delambre, elle anticipe jusque vers les 4 heures après minuit. Dans un tel état d'opinion, l'on n'a pas réellement le droit d'inculper de fiction ou de mensonge l'historien grec ou ses auteurs asiatiques, surtout lorsque plusieurs considérations morales viennent militer en leur faveur. D'abord on ne voit pas comment les historiens babyloniens, mèdes et lydiens, intéressés au fait, ont pu s'entendre pour imaginer une fiction sans base; encore moins comment Hérodote, voyageur étranger, impartial et d'un caractère éminemment sincère, a pu consulter les livres et converser avec les savants de ces divers peuples, sans trouver et sans noter quelque doute, s'il y en eut, sur un fait si remarquable, lui qui nous répète cette phrase de candeur: «Voilà ce que disent les uns; mais les autres prétendent que cela se passa autrement.»

Ensuite l'on doit remarquer qu'ici l'éclipse n'est pas l'accessoire, la broderie du fait, mais le fait principal lui-même, la cause occasionelle et déterminante d'un traité qui changea l'état politique de l'Asie, et cela de la manière la plus notoire, la plus remarquable, puisqu'une grande guerre fut terminée brusquement par l'un de ces prodiges célestes qui excitaient une terreur générale chez les anciens peuples. Ce fut encore une suite de l'éclipse, que le siége de Ninive par Kyaxarès, et son interruption par les Scythes, qui poussèrent jusqu'à Ascalon, où les arrêta Psammetik, roi d'Égypte. Cette dernière anecdote, Hérodote la tient des prêtres égyptiens, comme il tient des Chaldéens celle de Labinet. Conçoit-on qu'il ait lié tous ces traits en un même récit, sans avoir fait une sorte de collation avec ces divers auteurs, et sans les avoir questionnés sur une éclipse aussi remarquable?

L'on se récrie contre la circonstance de l'obscurité semblable à la nuit, que l'on dit n'arriver pas même dans les éclipses totales; mais que répondra-t-on si, dans nos temps modernes, quelques éclipses ont offert des incidents de ce genre, incompréhensibles même pour les astronomes qui en font le récit? Par exemple, Mœstlin, de qui fut élève Kepler, en cite un exemple frappant dans l'éclipse de soleil observée à Tubingen le 12 octobre 1605. Commencement à 1h 40´ après midi. Fin à 3h 6´ temps vrai. Grandeur, 10 doigts 1/3 ou 2/5. «Vers le milieu de cette éclipse, dit Mœstlin, le ciel étant parfaitement pur, il survint tout à coup une obscurité semblable au crépuscule du soir, à tel point que l'on put voir Vénus, quoique rapprochée du soleil à 21 degrés; que les vignerons occuper à vendanger eurent peine à discerner les grappes, et que les maisons disparurent dans l'ombre.»

 

Voilà l'effet que produirait une éclipse totale, et néanmoins il s'en fallait 4 minutes que dans celle-ci le disque du soleil fût masqué: concluons que le récit d'Hérodote mérite une attention particulière, et qu'il doit devenir un point de mire utile à nos astronomes. Revenons à notre sujet.

Dira-t-on que le 3 février est une saison improbable pour les événements militaires? cette objection ne peut avoir de poids relativement au climat de l'Asie mineure, qui, par sa température en général moins froide que la nôtre, permet la guerre en toute saison. Mais de plus, nous remarquons que cette circonstance du mois de février vient à l'appui du fait lui-même, par certaines expressions du texte que l'on ne doit pas négliger. Cette espèce de combat nocturne, dit Hérodote, eut lieu au commencement de la sixième année de la guerre: or, l'époque de ce commencement peut se deviner, si l'on observe que ce fut pendant la saison des chasses que la petite troupe des Scythes employés à ce service par Kyaxarès, se retira chez Alyattes. La saison des chasses, en Médie comme en France, n'a lieu que dans les mois d'automne et d'hiver, surtout pour le gros gibier, tel que les fauves. L'on sent que les Scythes, avec leurs grands arcs et leurs longues flèches, ne chassaient pas aux petits oiseaux; et lorsque Hérodote peint la colère de Kyaxarès de se voir frustré de provisions, lors surtout qu'il cite l'horrible fraude des Scythes qui, pour gibier, apprêtent les membres d'un jeune homme de 18 ou 20 ans (puisqu'il maniait l'arc), l'on sent qu'il s'agit de la chasse aux grands fauves, daims, gazelles, cerfs et bœufs sauvages, dont la Médie et le Caucase voisin abondent. Nous le répétons, la saison de cette chasse étant surtout depuis septembre jusqu'en janvier, la fuite des Scythes a dû avoir lieu en octobre ou novembre, et la guerre s'ensuivre immédiatement dès le mois de décembre; et alors on voit que le mois de février se trouve en effet au commencement des années de cette guerre. La paix et le traité d'alliance ayant eu lieu dans ce même mois, Kyaxarès eut le temps de tourner ses armes contre les Assyriens de Ninive, et d'entreprendre le siége de cette grande ville, que l'irruption des Scythes le força de quitter pour s'occuper de sa propre sûreté. Tous ces événements datent donc de l'an 625, et cette année ayant dû être comptée pour l'une des 28 de la domination des Scythes, leur expulsion a eu lieu dans le cours de l'an 598 qui leur a été pareillement compté: Kyaxarès, toujours en armes, et qui avait préparé ce coup, recommença de suite ses attaques contre les Assyriens, assiégea Ninive, la prit, la ruina, et les 3 ans qui s'écoulèrent depuis 598 jusqu'à la fin de 595, ont suffi à ces événements.

Tout concourt donc à prouver que nous possédons réellement enfin la date de la plus célèbre et de la plus ancienne des éclipses solaires citées par les Grecs.

Maintenant rappelons à l'examen et à la comparaison les dates proposées par les savants que Larcher cite dans sa note 204.

D'abord l'opinion de Cicéron et de Pline, qui ont supposé notre éclipse arrivée en l'an 585, est une erreur d'autant plus insoutenable que le principal acteur, Kyaxarès, était mort depuis 10 ans: en considérant que cette erreur est précisément de 40 ans ou X olympiades, nous avions d'abord pensé que les manuscrits de ces deux écrivains célèbres pouvaient avoir été altérés dans cet endroit, comme dans tant d'autres, par les copistes qui, au lieu de l'an 4 de la XXXVIIIe olympiade (notre date véritable, 625), auraient mis un X de trop, et auraient écrit de la XXXXVIIIe olympiade, faisant 685: mais la comparaison que Pline fait de cette année à l'an de Rome 170, qui en effet y correspond; la presque identité du calcul de Solin, le plagiaire habituel de Pline, et qui désigne l'olympiade 49, commençante à l'an 584; enfin le nom d'Astyages, que Cicéron substitue à celui de Kyaxarès, parce qu'il a reconnu que ce dernier ne régnait plus, tous ces motifs rendent l'erreur inexcusable; et malheureusement lorsqu'on a lu les anciens avec un esprit dégagé de ce respect servile et superstitieux que commandent ceux qui ne les connaissent point, l'on sait qu'ils ont presque généralement traité l'histoire et fait leurs citations avec une légèreté, une négligence et quelquefois une ignorance inconcevables. La seule conjecture que nous puissions faire sur cette singulière erreur de X olympiades, est que quelque chronologiste antérieur à Cicéron même, aurait véritablement marqué XXXVIII, et que son manuscrit, surchargé d'un X, aurait induit en erreur Cicéron et Pline, qui n'y ont pas regardé de si près que nous autres modernes230.

Le calcul le moins erroné est celui de Calvisius, qui suppose l'éclipse en 607. L'évêque irlandais Usher, qui, sous le nom d'Usserius, est le guide de la plupart de nos compilateurs, et qui, de l'aveu de Larcher, comme de Fréret, a réellement troublé toute la chronologie ancienne, Usher, en assignant l'éclipse à l'an 601, s'est trompé de 24 années; quant aux RR. PP. jésuites Petau et Hardouin, dont Larcher suit ici et presque partout le sentiment, il est difficile de comprendre comment des hommes de ce savoir ont persiflé l'opinion de Pline et de ses partisans, sans remarquer que la leur tombait par leur propre et même argument. «L'éclipse, disent-ils, n'a pu avoir lieu en 585, parce que le roi mède Kyaxarès, acteur principal, était mort depuis 10 ans.» Nous leur rétorquons: «L'éclipse n'a pu avoir lieu en 597, comme vous le dites, parce que le roi d'Égypte, Psammitichus, acteur cité, postérieur pour le moins d'une année, était mort 20 ans auparavant (en 617).» Comment se fait-il que tant de savants hommes aient si peu ou si mal lu et médité le texte fondamental? Mais ce qui est plus incompréhensible, c'est que le traducteur lui-même, le grand helléniste Larcher, qui plus qu'un autre a dû se pénétrer de toutes les idées d'Hérodote, qui a dû les posséder comme sa propre composition, n'a cependant rien compris au plan de son auteur, n'y a vu au contraire que nuages et chaos, comme le démontre tout ce qu'il en dit.

D'abord, sa première édition, tome VII, p. 546, lig. 27, présente ce passage vraiment étrange: «Une troupe (de Scythes) obligée par une sédition de se retirer en Médie, gagne l'estime de Crésus; on leur confie des enfans pour les élever; maltraités par la suite, ils en tuent un qu'ils apprêtent en guise de gibier; quittent Sardes, et se retirent auprès d'Alyattes. Sujet d'une guerre entre Kyaxarès et Alyattes.»

L'on ne peut pas dire que Crésus soit ici une faute d'impression, car ils quittent Sardes. La cause de cette bizarre méprise, est que Larcher ayant lu dans le § LXXIII, que Crésus partit avec son armée pour la Cappadoce, afin de venger son beau-frère Astyages; et de suite Hérodote racontant à quelle occasion il était devenu son beau-frère, et récitant l'anecdote des Scythes chasseurs, que nous avons rapportée page 305, Larcher a fait de tout cela un seul et même faisceau d'idées, et a joint pêle-mêle les Scythes, Crésus, Alyattes et Kyaxarès; ce quiproquo a disparu de la seconde édition, mais tous les autres y restent.

«Selon Larcher, l'éclipse a lieu en 597, et par suite le mariage d'Astyages avec Aryenis, fille d'Alyattes; Mandane, fille d'Astyages, naît l'année suivante (596); elle se marie en 576, et l'année suivante elle donne le jour à Cyrus qui, à ce moyen, détrône, à l'âge de 15 ans, son grand-père Astyages (en 560).»

Cependant, contre le ridicule de ces 15 ans, Hérodote dit positivement que Cyrus, lorsqu'il souleva les Perses, avait atteint l'âge viril, ce qui indique au moins 25 ans: toutes ces invraisemblances disparaissent dans le système d'Hérodote. D'abord en mariant Astyages, l'an 625, il laisse tout le temps nécessaire à la naissance et à l'âge mûr de sa fille et de son petit-fils. Mais de plus, il ne dit ni ne laisse entendre, en aucun passage, que Mandane fût fille d'Aryenis; si cela eût été, il est presqu'impossible que cet historien, très-attentif à citer les généalogies, n'en eût pas fait la remarque, et qu'il eût négligé d'ajouter au caractère de Cyrus le trait vraiment piquant d'avoir eu la double fortune de détrôner aussi son grand-oncle, après avoir détrône son grand-père. Son silence à cet égard est confirmé par l'arménien Moïse de Chorène, qui cite sur la vie et le caractère d'Astyages des détails très-circonstanciés, tirés d'une ancienne histoire dont nous parlerons. Cet écrivain observe, entre autres, que ce prince rusé avait épousé plusieurs femmes prises dans les familles des princes ses voisins, afin de soutirer par leur canal les secrets de ses amis et de ses ennemis. Ainsi Larcher, non content des difficultés de son texte, y a encore ajouté des invraisemblances gratuites de son fonds231.

En plaçant l'éclipse en l'an 597, il n'a plus de place pour le premier siége de Ninive, qui la suivit, ni pour l'irruption de l'armée des Scythes qui força Kyaxarès de lever ce siége, et il intervertit tous ces faits de la manière la plus bizarre: il fait arriver l'armée des Scythes en 633, seconde année du règne de Kyaxarès, tandis que le texte porte expressément que ce fut après l'éclipse, et à la 6e année de la guerre contre Alyattes.—Il les fait expulser en 605, prendre Ninive en 603, puis arriver les chasseurs Scythes, portant un nom abhorré des Mèdes et de Kyaxarès, que, par une autre invraisemblance, il suppose les avoir reçus à bras ouverts à cette époque, et leur avoir confié des jeunes gens de sa cour.

«Mais, dit Larcher, je ne puis faire autrement, parce que dans mes calculs le règne d'Alyattes ne commence qu'en l'an 516.»

Donc, lui répliquons-nous, vos calculs sont en erreur. «Mais le prophète Jérémie232, en l'an 13 de Josias, prédisait l'arrivée des Scythes, d'accord en cela avec Hérodote, qui parle de leur irruption en Syrie jusqu'à Ascalon.»

Donc Jérémie prononce contre vous; car, selon vous, l'an 13 du roi Josias fut l'an 629, et il est ridicule de dire que Jérémie prédisait en 629 l'arrivée des Scythes que vous placez en l'an 633: il est bien plus convenable, même pour le sens prophétique, de la placer, comme le fait Hérodote, en l'an 625, parce que, dès un mois après, leur cavalerie, rapide comme celle des Tartares, qui sont leurs représentants et leurs successeurs, dut être en Judée et à Ascalon, où Psammitik l'arrêta à force de présents. Mais c'en est assez sur cet article; terminons-le en revenant à l'anecdote qui nous a servi de point de départ, c'est-à-dire à l'éclipse prédite par Thalès. Ce philosophe étant né en 647 ou 646, avait 23 ou 24 ans à l'époque du phénomène, et cet âge est compatible avec l'instruction nécessaire, surtout si, comme on le soupçonne, il dut la connaissance de cette éclipse aux savants d'Égypte et de Phénicie, dont il fut le disciple. Il ne nous reste plus à résoudre que quelques difficultés de détail.

222Traduction de Larcher, tome I, liv. I, § CII. Nous observons au lecteur que presque toutes nos remarques vont porter sur ce tome et sur ce livre premier; que tous nos renvois y seront relatifs; et parce que les pages des deux éditions diffèrent de chiffres arabes, nous ne citerons le texte que par les §§ dont les chiffres romains ne diffèrent pas.
223Larcher traduisant immédiatement du grec, aurait dû conserver l'orthographe grecque, sans faire passer les noms par l'orthographe latine qui en défigure pour nous la prononciation: nous les rétablirons partout.
224Mais nous ne nous servirons point avec lui de la période julienne, dont il embarrasse tous ses calculs d'autant plus mal à propos, que cette période inventée par Jules Scaliger, en l'an 1582 de notre ère, et composée de 7980 années, de 365 jours 6 heures précises, selon le calendrier de Jules-César, est un système aussi idéal en chronologie, que celui de Fahrenheit en barométrie, et de plus, compliqué, inutile et inexact en astronomie, ne se liant à aucun événement, comme l'a démontré un savant académicien, Louis Boivin, dans sa dissertation de 1703. Le choix seul d'une mesure aussi vicieuse est d'un fâcheux augure pour le goût et le genre d'esprit d'un chronologiste. On supprimerait 30 pages entières de Larcher, si l'on en retirait toutes les citations: nous n'emploîrons que l'échelle ascendante avant notre ère, dont le seul inconvénient est de calculer en sens inverse; mais l'on y est bien vite accoutumé, et l'on a des idées toujours nettes du temps.
225Voyez Mémoires de l'Académ. des Inscript., tome 42, page 115 de la partie de l'Histoire.
226625 selon les astronomes, et 626 selon le vulgaire des chronologistes.
227Voyez Abrégé d'Astronomie, in-8°, 1813, par M. Delambre, qui dit, page 335: «Hérodote en indique l'année d'une manière si vague, que l'on doute si elle est arrivée en l'an 581, 585, 597 ou 607 avant J.-C.; encore aucune de ces éclipses n'a-t-elle dû être totale et ramener cette obscurité qui n'est peut-être qu'une fiction d'Hérodote ou de ceux qui lui en parlèrent.» Nous répondons qu'Hérodote ne paraît vague qu'à ceux qui ne l'ont pas lu attentivement. Notre analyse démontre sa précision; mais M. Delambre, à qui nous l'avions soumise, n'en a tenu compte.
228Voyez, à ce sujet, la critique des Observations astronomiques de Ptolomée, faite par Riccioli, dans son Astronomia reformata, in-fol., livre III, chap. 4, pages 108 et suivantes; chap. 5, pages 115 et suivantes; et plus particulièrement celle des 19 éclipses de lune rapportées dans l'Almageste, livre III, chapitre 9, pages 133 et 134; et chapitre 7, page 129, article Eclipses ex mera conjectura.
229On sait à quel point les Brahmanes chez les Indiens modernes sont jaloux de leurs notions astronomiques. Ils sont en cela, comme en bien d'autres choses, l'image des anciens savants, c'est-à-dire, des prêtres dont la puissance était fondée sur la possession exclusive des sciences parmi lesquelles la prédiction des phénomènes célestes tenait le premier rang. Aussi Julius Firmicus nous apprend-il que même les adeptes prêtaient serment de ne point communiquer les principes; et Albaténius se fait un mérite de dire clairement ce que les anciens n'ont dit que par énigmes, quæ ab antiquis per involucrum dicta sunt explicavi. Nous connaissons un savant critique qui par des compensations de 3 ou de 5 ou de 7 minutes, tantôt en plus, tantôt en moins, ramène toutes les anomalies de Ptolomée à l'état vrai, à commencer par la mesure de l'année solaire qu'il a évidemment altérée.
230Il faut d'ailleurs convenir que les anciens avec leurs manuscrits non collationnés et difficiles à lire, ont eu bien moins de commodités que nous avec nos imprimés.
231D'après les indications d'Hérodote, Kyaxarès en 625 n'ayant encore que 9 ans de règne, son fils Astyages dut être âgé d'environ 20 ans; par conséquent il dut en avoir 85 environ, lorsqu'il fut détrôné par son petit-fils. Ce grand âge explique très-bien la clémence du vainqueur qui lui laissa la vie, et qui voulut brûler vif Crésus, âgé de 50 ans, et jouissant d'un grand crédit en Asie. Grâce aux Juifs, Cyrus est devenu un héros de roman; mais lorsque l'on connaît les mœurs de l'Asie et de l'antiquité, l'on sent qu'Hérodote qui nous le représente avec le caractère et le génie de Tamerlan, a peint le véritable chef insurgé des Perses sauvages vêtus des peaux crues de leurs troupeaux et de leurs chasses.
232Voyez le tome VII contenant la chronologie, page 152: Jérémie cité chap. 4—6, et chap. 6—22—24.