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Le crime et la débauche à Paris

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VII
LE DIVORCE PENDANT LA PÉRIODE MONARCHIQUE

On sait quel fut le sort, en France, des dispositions du concile de Trente. La plupart des prélats français renonçant à faire prévaloir une influence que les évêques italiens absorbaient tout entière, avaient cessé de prendre part aux délibérations du concile, et quand les canons furent promulgués, ils n'obtinrent, en France, aucune autorité et soulevèrent même là, comme ailleurs, de nombreuses protestations; on craignait, en effet, l'envahissement du pouvoir civil par l'influence de l'Église, et des controverses sans nombre s'élevèrent sur chacune des dispositions du concile.

Toutefois, certains principes posés à Trente passèrent dans nos lois; on reconnut bien au mariage le caractère religieux dont l'Église voulait le revêtir, mais on y vit également un contrat civil dépendant du pouvoir temporel. On fit donc un compromis: les Parlements acceptèrent l'indissolubilité du mariage et la suppression du divorce que le concile avait proclamées, ils reconnurent à l'autorité ecclésiastique la connaissance des questions de nullité du mariage135. C'étaient les officialités qui prononçaient la séparation d'habitation, mais les effets de cette séparation étaient abandonnés à la connaissance des tribunaux civils, qui finirent même, dans le dernier état du droit, par prononcer eux-mêmes la séparation.

Occupons-nous donc de la séparation d'habitation.

«La séparation d'habitation, dit Pothier136, est la décharge qui, pour de justes causes, est accordée par le juge à l'un des conjoints par mariage, de l'obligation d'habiter avec l'autre conjoint, et de lui rendre le devoir conjugal, sans rompre néanmoins le lien de leur mariage.»

Les causes de séparation n'étaient pas déterminées limitativement. On laissait beaucoup à l'appréciation des magistrats. On disait, d'une façon générale, que les juges devaient séparer une femme «lorsqu'elle avait considérablement à souffrir de l'aversion, que son mari avait conçue pour elle, et qu'il n'y avait pas lieu de s'attendre à une réconciliation sincère.» Mais il n'était pas facile de déterminer exactement les faits, qui devaient être considérés comme rendant la vie commune insupportable. Pothier disait: «on doit laisser souvent les causes de séparation à l'arbitrage et à la prudence du juge; il ne doit pas être ni trop facile à accorder la séparation pour des causes passagères, ni trop difficile, lorsqu'il aperçoit dans les parties une antipathie et une haine invétérées, que la cohabitation ne pourrait qu'augmenter, si on les laissait ensemble137

En droit romain, l'adultère du mari, qui avait entretenu sa concubine dans la maison commune, était pour la femme une cause de divorce138. Mais l'ancien droit ne vit même pas là une cause de séparation139. Pothier faisait remarquer, pour justifier cette différence, que l'adultère, commis par la femme, est infiniment plus contraire à l'ordre public que celui du mari, puisqu'il tend à détruire la famille: «il n'appartient pas à la femme, qui est un être inférieur, d'avoir inspection sur la conduite de son mari, qui est son supérieur. Elle doit présumer qu'il lui est fidèle et la jalousie ne doit pas la porter à faire des recherches sur sa conduite.»

La femme pouvait demander la séparation pour excès, sévices ou injures graves. Les mauvais traitements que le mari exerce sur sa femme avaient été déjà reconnus par le pape Innocent III comme un juste motif de séparation140. Mais le juge devait avoir égard à la qualité des parties, prendre en considération les faits, qui avaient occasionné ces excès et leur caractère habituel ou accidentel. Du reste, ces mauvais traitements pouvaient, suivant les circonstances, résulter de simples propos outrageants.

Quant aux mauvais traitements que le mari prétendait avoir subis de la part de sa femme, l'ancien droit considérait qu'une demande en séparation, basée sur un pareil motif, était incompatible avec la dignité du mari. Le mari ne pouvait s'adresser à l'autorité que pour faire renfermer sa femme: «La justice, dit Denisart141, doit écouter les plaintes des maris, qui se trouvent dans cette malheureuse position, et doit, selon moi, ordonner la réclusion des femmes, qui se sont portées à certains excès envers leurs maris.»

Lorsque le mari avait à se plaindre de l'adultère de sa femme, il pouvait la faire enfermer, dans un couvent, et pendant deux ans, il avait le droit de la reprendre. Elle perdait son droit au douaire et à la reprise de sa dot142. Si au bout de deux ans, son mari ne l'avait pas retirée du monastère, elle avait les cheveux rasés et restait au couvent, toute sa vie. Elle n'en pouvait sortir qu'après la mort de son mari, et si elle trouvait à se remarier.

D'autres causes de séparation sont encore à citer. La femme pouvait la demander, lorsque, étant infâme, son mari lui refusait les choses les plus nécessaires à la vie; elle pouvait encore se séparer, lorsque son mari l'avait calomnieusement accusée d'un crime capital: «Peut-on, dit d'Aguesseau, refuser à une femme, accusée faussement d'un crime capital, la juste satisfaction de se séparer pour toujours du mari qui a voulu la déshonorer par une calomnie atroce? L'obligera-t-on à soutenir, pendant toute sa vie, la présence de son accusateur, et les exposera-t-on l'un et l'autre à toutes les suites funestes d'une société malheureuse qui ferait le supplice de l'innocent encore plus que du coupable143

L'hérésie, dans le dernier état du droit, n'était plus une cause de séparation, «parce qu'en France, disait Pothier, il n'y avait plus qu'une religion144

Les maladies, les difformités, les affections contagieuses, l'épilepsie, n'étaient pas des causes légitimes de séparation; la folie elle-même ne pouvait donner lieu qu'à l'interdiction. Quand la folie était furieuse et présentait de réels dangers, le malade pouvait être enfermé, mais le mariage n'était pas dissous. L'interdiction n'entraînait que la nomination d'un curateur, souvent même, la femme était chargée de la curatelle du mari malade.

La séparation ne pouvait avoir lieu par consentement mutuel; ainsi un acte notarié dans lequel la femme exposait les faits, pour lesquels elle demandait à se séparer et par lequel le mari reconnaissait la vérité de ces faits et consentait ainsi à la séparation, était un acte absolument nul et dépourvu de tout effet145.

 

Il fallait nécessairement que la séparation fût prononcée par le juge «en grande connaissance de cause, dit Pothier.» A l'origine, c'était le juge d'église; mais déjà le juge séculier connaissait de toutes les conséquences du jugement, en cas de contestation, et des demandes provisionnelles formées par la femme pendant l'instance.

Il y avait débat entre les deux juridictions. Cette lutte, commencée de bonne heure contre la juridiction ecclésiastique par la Cour des barons et continuée par les légistes, finit par le triomphe de la juridiction séculière. Dans le dernier état de la jurisprudence, les tribunaux séculiers étaient seuls compétents pour statuer sur les demandes en séparation d'habitation; la compétence du juge ecclésiastique fut restreinte à la connaissance des questions relatives à la validité du mariage de fœdere matrimonii.

Quelle était la procédure de la demande en séparation? Elle avait de nombreuses analogies avec la procédure actuelle de notre séparation de corps. La femme qui demandait la séparation adressait une requête au juge, où elle exposait les motifs qu'elle considérait comme suffisants; si ces faits paraissaient assez graves, à première vue, le juge l'autorisait à se retirer, dans une demeure séparée, pendant le procès. Il fixait la pension que le mari devait lui payer et lui faisait restituer ses linges et hardes. Quand même après l'enquête, le tribunal ne jugeait pas les faits suffisamment graves pour prononcer la séparation, il pouvait autoriser la femme à rester encore quelques mois après le procès, dans le lieu où elle avait été autorisée à résider.

La demande en séparation faite par la femme était donc purement civile. Il n'en était pas de même de celle que le mari formulait, en alléguant l'adultère de sa femme. Le mari devait se porter accusateur à ses risques et périls. Cette action était pénale, personnelle au mari, et intransmissible à ses héritiers. L'action n'appartenait au ministère public que quand il y avait scandale public. L'instruction se faisait, devant la juridiction criminelle.

La séparation d'habitation cessait, de plein droit, par la réconciliation des époux: la communauté revivait alors146. Cette fin de non-recevoir n'était pas la seule; Despesse cite encore la réciprocité des torts.

Quant aux effets de la séparation d'habitation, le premier et le principal était de dispenser les époux de la vie commune; la femme pouvait s'établir où bon lui semblait. De plus, la séparation de corps emportait toujours la séparation de biens; la femme pouvait répéter sa dot et administrer ses biens. Lorsqu'il y avait communauté légale, la femme pouvait poursuivre l'inventaire des biens de la communauté et devait se prononcer pour l'acceptation ou la dissolution; si elle acceptait, elle avait le droit d'en demander le partage.

Du reste, la séparation d'habitation qui ne rompait, en aucune façon, le lien matrimonial, laissait subsister l'autorité maritale, devant laquelle la femme devait encore s'incliner dans certaines circonstances. Pour tout ce qui ne concernait pas la simple administration de ses biens, la femme séparée devait obtenir l'autorisation de son mari ou de justice; ainsi pour l'aliénation des immeubles cette autorisation était nécessaire.

Bourjon, qu'il faut consulter sur cette matière, prévient une confusion entre la séparation d'habitation proprement dite et la simple séparation de fait. «La femme a droit, dit-il, aussitôt la sentence de séparation qui entraîne toujours celle de biens, de provoquer un inventaire des biens de la communauté, pour être en état de délibérer sur l'acceptation de la communauté, ou sur la renonciation. La séparation de domicile, qu'on appelle séparation bonâ gratiâ, ne produit aucun de ces effets, n'engage en rien les conjoints, et ne subsiste qu'autant qu'ils jugent à propos de la laisser subsister; elle se réduit à un simple fait, sans donner la moindre atteinte aux droits des conjoints147

Un autre effet de la séparation d'habitation est assez discuté. Quelques auteurs prétendent que le jugement de séparation entraînait la révocation des libéralités, que les conjoints s'étaient faites réciproquement. Plusieurs soutiennent que la femme adultère seule était frappée de cette déchéance148. Mais les parlements en décidaient autrement, comme le prouvent de nombreux passages de nos anciens auteurs149.

Quant aux enfants, dans le droit des assises, ils étaient, au-dessous de trois ans, confiés à la mère séparée; si l'enfant avait plus de trois ans et moins de douze, le juge choisissait celui des deux époux qui devait en avoir la garde. A douze ans, l'enfant choisissait lui-même celui avec lequel il désirait demeurer. Dans le dernier état du droit le choix du gardien des enfants était laissé au juge, il désignait généralement celui des époux qui avait eu le moins de torts.

Tels sont les caractères, la procédure et les effets de la séparation d'habitation, telle que l'ancien droit l'avait organisée. On s'était efforcé d'en restreindre l'abus par une réglementation sévère des causes légitimes, qui l'autorisaient. On voyait du reste, avec défaveur, le relâchement du lien matrimonial et tous les auteurs s'accordaient pour recommander aux juges de ne prononcer la séparation qu'au cas d'absolue nécessité et à la dernière extrémité150. «L'union du mari et de la femme qui est formée par Dieu même, dit Pothier, et le pouvoir que chacun des conjoints donne, sur son corps, par le mariage, à l'autre conjoint, ne permettent à une femme de demander la séparation d'habitation que pour de très grandes causes. Elle est obligée, dans le for de la conscience, de s'attirer, par sa douceur et par ses complaisances, les bonnes grâces de son mari; et si, en faisant tout ce qui est en son pouvoir, elle ne peut y réussir, elle ne doit opposer que la patience aux mauvaises manières de son mari et même à ses mauvais traitements. Elle doit les regarder comme une croix qu'il lui envoie, pour expier ses péchés. Cela ne doit pas l'empêcher d'aller, dans toutes les occasions, au-devant de tout ce qui peut faire plaisir à son mari, et elle ne doit pas le quitter, à moins que les choses ne soient portées aux plus grandes extrémités.» Conseils évangéliques, bien difficiles à donner et à suivre!

VIII
LE DIVORCE EST UN DROIT INTERMÉDIAIRE

Les idées de rénovation universelle, dont les philosophes du dix-huitième siècle avaient été les promoteurs, devaient trouver, dès les premiers jours de la Révolution, des partisans convaincus, décidés a les faire triompher. Il ne nous appartient pas de juger ici l'œuvre des novateurs, de décider si ce fut un bien pour le pays et pour la stabilité même des réformes, de changer soudainement et d'une façon si complète les institutions de l'ancien régime, de bouleverser, tout d'un coup, les conditions sociales, de jeter la France entière dans un moule nouveau, de renier tout un passé, qui avait eu ses côtés glorieux et de substituer brusquement à l'ancien état de choses l'application irréfléchie des principes nouveaux.

La Révolution entreprit de tout transformer et voulut faire entrer, à la fois dans la législation et dans les mœurs, les idées philosophiques au nom desquelles elle ébranlait les trônes et agitait l'Europe entière. Elle ébranla le régime social, et entraînée par le seul désir d'effacer les traditions de la monarchie vaincue, elle se laissa emporter au delà des limites d'une sage réforme, appliquant, sans discernement et sans mesure, les utopies, qui avaient ébloui dans les œuvres philosophiques du dix-huitième siècle. Quelques-unes de ces réformes, dictées par un désir aveugle de la liberté, eurent bien vite des résultats désastreux; loin de répondre au but de réorganisation sociale, elles ne firent que relâcher davantage les liens d'une société troublée. La Révolution porta ainsi une grave atteinte à la dignité de la famille, en rétablissant le divorce et en le rendant étonnamment facile.

Cette législation ne fut pas de longue durée et nous aurions peu à dire sur cette période antérieure au Code civil, si les tentatives, essayées aujourd'hui pour la remettre en vigueur et le bruit renouvelé autour des propositions législatives, tendant à son rétablissement, ne rendaient nécessaire une étude des caractères, que présentait le divorce dans la législation révolutionnaire et des conséquences que son usage eut pour les mœurs. La conclusion que nous aurons à tirer, peu favorable au divorce, pourra, sans doute, être combattue; on pourra prétendre que les conditions particulières, dans lesquelles le droit révolutionnaire fut appliqué, rendent peu décisive l'expérience, qui fut faite de l'institution nouvelle, et ne lui laissent qu'un intérêt purement spéculatif. Néanmoins il peut être d'une grande utilité de connaître, par l'exemple du passé, les chances qu'aurait le divorce d'être admis ou rejeté par nos mœurs, les effets qu'il pourrait y produire, et tout au moins les modifications, que l'on devrait faire subir à la législation ancienne, si l'on tombait d'accord pour en adopter le principe.

Les théories libérales du dix-huitième siècle sur le mariage eurent un premier écho, en 1790, dans un ouvrage de Bouchotte, député de l'Aube, intitulé: Observations sur le divorce. Bouchotte se montre partisan de la dissolution facile du mariage; il admet même jusqu'à un certain point la répudiation, car il soutient que, dans certains cas, les époux pourront être désunis, sans que le conjoint offensé puisse être forcé de dévoiler les motifs, qui le poussent à cette rupture, par exemple, s'il a été témoin de son déshonneur et que personne autre que lui n'en ait été témoin, il ne peut être forcé de raconter les faits qui l'ont déshonoré. Bouchotte accordait à l'époux outragé une pension que devait lui payer l'époux coupable et qui devait prendre fin, s'il survenait un second mariage. Dans ce cas l'époux divorcé ne pouvait faire aucun avantage matrimonial. Quant aux enfants, le député de l'Aube les laissait tous à leur mère, jusqu'à sept ans; à partir de cet âge, la garde des fils passait au père.

Telle fut la première proposition législative qui ouvrit à la Révolution la voie des réformes, dans la législation du mariage. On songea tout d'abord à séculariser le mariage: la constitution du 3 septembre 1791 déclara dans son article 7: «La loi ne considère le mariage que comme contrat civil» (tit. II).

Mais le législateur ne comprit pas exactement le principe qu'il venait de poser151. Fortement imbu des doctrines philosophiques, qui se prononçaient énergiquement contre l'indissolubilité du mariage, il considéra le mariage comme un contrat ordinaire et le soumit à toutes les règles, qui régissaient l'échange des consentements. Le rapporteur du projet de loi sur le divorce à l'Assemblée législative se faisait l'interprète de ce sentiment, lorsqu'il disait dans son rapport: «Le comité a cru devoir accorder ou conserver la plus grande latitude à la faculté du divorce, à cause de la nature du contrat de mariage, qui a pour base principale le consentement des époux, parce que la liberté individuelle ne peut jamais être aliénée d'une manière indissoluble par aucune convention152

 

L'Assemblée législative adopta cette manière de voir et la loi des 20-25 septembre 1792 fut votée, dans un esprit de concession aux doctrines d'une philosophie aussi libre dans ses idées que la société l'était dans ses mœurs, philosophie qui voyait, dans le mariage «la tyrannie de l'homme qui a converti en propriété la possession de sa femme,» philosophie qui nous donnait pour modèle les mœurs d'Otaïti «où les mariages ne durent souvent qu'un quart d'heure,» et qui regardait le lien conjugal comme «une convention et un préjugé153

On comprend que la loi de 1792, subissant cette influence, se montre étonnamment large pour l'admission du divorce, son excessive tolérance ressort déjà du premier considérant: «Considérant, dit la loi, combien il importe de faire jouir les Français de la faculté du divorce, qui résulte de la liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte.»

Du reste, pour montrer quelles étaient les facultés laissées au divorce, il suffit de citer les articles mêmes de la loi:

Art. 1. – Le mariage se dissout par le divorce.

Art. 2. – Le divorce a lieu par le consentement mutuel des époux.

Art. 3. – L'un des époux peut faire prononcer le divorce sur la simple allégation d'incompatibilité d'humeur ou de caractère.

Art. 4. – Chacun des époux peut également faire prononcer le divorce sur les motifs déterminés, savoir: 1º sur la démence, la folie ou la fureur de l'un des époux; 2º sur la condamnation de l'un d'eux à des peines afflictives ou infamantes; 3º sur les crimes, sévices ou injures graves de l'un envers l'autre; 4º sur le dérèglement de mœurs notoire; 5º sur l'abandon de la femme par le mari ou du mari par la femme, pendant deux ans au moins; 6º sur l'absence de l'un d'eux sans nouvelles, au moins pendant cinq ans; 7º sur l'émigration, dans les cas prévus par les lois.

Ainsi la loi de 1792 rendait le divorce si facile à obtenir que le mariage pouvait désormais n'être plus considéré comme un lien, et qu'on revenait tout simplement à la législation de la fin de la république Romaine, qui amena tant de scandales et tant de dépravation dans les mœurs. Mais non contente de proclamer hautement la liberté du divorce, la Convention, inspirée par sa haine profonde du clergé et de toute religion, voulut retirer aux catholiques le seul moyen admissible, pour leur conscience, de remédier aux malheurs de la vie conjugale. L'article 7 de la loi de 1792 décida en effet l'abolition de la séparation de corps. «A l'avenir, dit l'article, aucune séparation de corps ne pourra être prononcée; les époux ne pourront être désunis que par le divorce.» L'exagération de cette mesure a soulevé les critiques de tous les jurisconsultes et ne peut s'expliquer que par le désir insatiable qu'avaient les hommes de la Convention de rompre absolument, avec toutes les traditions, surtout religieuses, du passé, au risque d'aboutir au despotisme et à l'intolérance, en poussant jusqu'aux limites extrêmes des doctrines soi-disant libérales, mais éminemment contraires au principe de liberté. «Là encore, dit M. Léon Renault, dans son rapport à la Chambre des députés154, la mesure était dépassée. En abolissant absolument la séparation de corps, la loi nouvelle s'exposait au reproche de priver les citoyens catholiques, dont la foi repoussait le divorce, de tout remède légal contre les souffrances matérielles et morales d'un état de mariage, devenu intolérable. Fille de la liberté de conscience, elle ne se contentait pas d'établir l'indépendance nécessaire de la législation civile vis-à-vis des idées religieuses: elle donnait prétexte à des accusations d'hostilité et d'agression contre la foi des catholiques.»

Le § 2 de la loi de 1792 avait réglé la procédure du divorce ainsi qu'il suit: Le mari et la femme qui demandaient conjointement le divorce convoquaient une assemblée de six au moins des plus proches parents, ou d'amis, à défaut de parents; trois d'entre eux étaient choisis par le mari, les trois autres par la femme. Les deux époux se présentaient en personne, devant cette assemblée de famille, et exposaient leur demande de divorce; les parents faisaient les observations et représentations qu'ils jugeaient convenables. Si les époux persistaient dans leur dessein, l'officier municipal, convoqué à cet effet, dressait un simple procès-verbal de non-conciliation. Cet acte signé par les époux, les parents et l'officier municipal était déposé au greffe de la municipalité. Un mois au moins ou six mois au plus tard après la date de cet acte, les époux pouvaient se présenter devant l'officier public, chargé de recevoir les actes de mariage, dans la municipalité du dernier domicile du mari, et, sur leur demande, l'officier public prononçait leur divorce sans entrer en connaissance de cause. Après le délai de six mois, une nouvelle tentative de conciliation, devant l'assemblée des parents, était nécessaire pour poursuivre la demande du divorce.

Cette intervention de la famille, que nous trouvons établie dans la loi de 1792, ne se retrouve pas dans les dispositions du Code civil sur le divorce. C'était pourtant une idée juste et pratique, qui a servi de texte à quelques modifications, que propose d'introduire dans le titre VI du Code civil, la commission législative chargée actuellement d'étudier le rétablissement du divorce.

Lorsque le divorce était demandé par l'un des époux pour incompatibilité d'humeur, la procédure était encore analogue à celle du divorce par consentement mutuel. L'époux demandeur convoquait encore une assemblée de parents ou d'amis et après les observations de la famille, si l'époux persistait dans sa demande, on faisait dresser procès-verbal par l'officier municipal appelé à cet effet et l'assemblée se prorogeait à deux mois. Les époux comparaissaient encore en personne; si la conciliation échouait de nouveau, il y avait procès-verbal et seconde prorogation à trois mois. Enfin, si après toutes ces tentatives de rapprochement l'époux demandeur continuait à demander le divorce, on dressait acte de sa détermination et on le signifiait à l'époux défendeur. Huit jours au moins et six mois au plus après cette signification, l'époux demandeur pouvait se présenter pour faire prononcer le divorce devant l'officier de l'état civil. Après les six mois il ne pouvait y être admis qu'en observant de nouveau les mêmes formalités et les mêmes délais155.

Quand la demande était faite pour cause déterminée par un des époux, il fallait distinguer suivant les motifs invoqués. Si ces motifs étaient déterminés soit par un jugement portant condamnation à une peine afflictive ou infamante, soit par un acte de notoriété, constatant l'état d'absence pendant cinq années, l'époux demandeur n'avait qu'à présenter ces actes à l'officier civil, qui prononçait alors le divorce sans aucun délai. Lorsque le demandeur invoquait une des autres causes déterminées, la demande était portée devant les arbitres de famille, dans les formes prescrites pour les contestations entre mari et femme: et si ce tribunal jugeait la demande bien fondée, le demandeur était renvoyé devant l'officier civil du domicile du mari, pour faire prononcer son divorce. L'appel du jugement arbitral en suspendait l'exécution: cet appel était, du reste, instruit sommairement et jugé dans le mois156.

Quand aux effets du divorce, la loi de 1792 s'en occupait dans son § 3. «Les effets du divorce par rapport à la personne des époux, dit l'article 1er, sont de rendre au mari et à la femme leur entière indépendance, avec la faculté de contracter un nouveau mariage.» Si le divorce avait été prononcé pour consentement mutuel ou incompatibilité d'humeur, les époux devaient observer un délai d'un an. Quand il l'avait été pour cause déterminée, la femme seule était obligée d'observer ce délai, à moins que la demande n'eût été fondée, sur l'absence du mari durant depuis cinq ans.

En ce qui concerne les biens, les droits et intérêts des époux étaient réglés, par rapport à la communauté de biens ou à la société d'acquêts, soit par la loi, soit par la convention157. Cependant si le divorce avait été obtenu par le mari contre la femme, pour une des causes déterminées imputable à la femme, celle-ci était privé de tous droits et bénéfices dans la communauté de biens ou société d'acquêts, mais elle reprenait les biens qu'elle avait apportés. Quant aux droits matrimoniaux emportant gain de survie, «tels que douaire, augment de dot ou agencement, droit de viduité, droit de part dans les biens meubles ou immeubles du prédécédé,» ils étaient tous, en cas de divorce, éteints et sans effet. Il en était de même de tous les dons ou avantages, constitués en vue du mariage par les époux eux-mêmes ou par leurs parents, et des dons mutuels faits depuis le mariage et avant le divorce158. Mais pour compenser la perte de ces avantages éprouvée par l'époux qui obtenait le divorce, on l'indemnisait au moyen d'une pension viagère sur les biens de l'autre époux, pension qui était réglée par les arbitres de famille, et qui courait du jour de la prononciation du jugement. Les arbitres de famille pouvaient aussi accorder une pension alimentaire au divorcé nécessiteux: cette pension était payée par son conjoint, dans la mesure de ses moyens et déduction faite de ses propres besoins. L'indigence de l'époux, survenant après la dissolution du mariage, n'autorisait pas cet époux à faire une demande d'aliments. C'est au moins ce qui résulte d'un arrêt de cassation rendu le 8 janvier 1806.

Du reste, ces pensions viagères ou alimentaires s'éteignaient, dès que l'époux bénéficiaire contractait un nouveau mariage159.

Le dernier paragraphe de la loi réglait les effets du divorce, quant aux enfants. Lorsque le divorce avait lieu par consentement mutuel, ou sur la demande de l'un des époux pour simple incompatibilité d'humeur ou de caractère, les enfants étaient confiés, les filles à la mère ainsi que les garçons âgés de moins de sept ans; au-dessus de cet âge les fils étaient remis au père. Le père et la mère pouvaient faire à ce sujet tel autre arrangement que bon leur semblait. Si le divorce avait lieu pour toute autre cause, le tribunal de famille était seul juge et confiait les enfants à celui des époux qu'il croyait le plus digne de la mission d'éducation.

Si le mari ou la femme divorcés contractaient un nouveau mariage, il était également décidé, en assemblée de famille, si les enfants qui leur étaient confiés leur seraient retirés et à qui ils seraient remis. Le divorce ne privait jamais les enfants nés du mariage des avantages, qui leur étaient assurés par les lois ou les conventions matrimoniales; mais le droit n'en était ouvert à leur profit que comme il l'eût été si leurs père et mère n'eussent pas divorcé. Ils conservaient leur droit de successibilité, mais ne venaient qu'en concurrence et par égale portion avec les enfants nés d'autres lits. Enfin défense était faite aux époux divorcés, qui se remariaient ayant des enfants issus du mariage dissous, de faire de plus grands avantages à leur nouveau conjoint, que ne le peuvent les époux veufs, dans le même cas.

Telle est la loi de 1792. Si nous nous sommes étendu un peu longuement sur les dispositions de cette loi, c'est que nous allons avoir à en apprécier les conséquences immédiates et l'influence sur l'état de la famille, dans la période révolutionnaire. Un autre intérêt s'y rattache encore.

Dans le rapport de la commission chargée d'étudier le projet de rétablissement du divorce, nous voyons que la commission a pris pour point de départ de ses travaux, la loi du 20 septembre 1792 «aux termes de laquelle, l'établissement du divorce semblait être une conséquence forcée de la déclaration des droits de l'article de la constitution de 1791 qui avait imprimé au mariage le caractère d'un contrat purement civil160

Cette loi de 1792 dépassait la mesure d'une liberté bien comprise. Ce n'était plus seulement réglementer le mariage comme contrat civil, mais détruire la famille, que les mœurs corrompues du dix-huitième siècle avaient déjà si fortement ébranlée. C'était aussi une loi éminemment antireligieuse, puisque la suppression de la séparation de corps ne laissait aux catholiques qu'un remède légal qui répugnait à leur conscience.

Et cependant cette loi destructive du lien conjugal ne fut pas jugée encore assez libérale; des dispositions législatives postérieures introduisirent de nouvelles facilités, dans l'organisation du divorce.

Nous allons signaler les nombreux décrets qui vinrent compléter la législation du divorce, sous la Révolution:

135Le concile de Trente avait affirmé la compétence des tribunaux ecclésiastiques en disant dans son canon 12 (cass. XXIV): «Si quelqu'un prétend que les causes matrimoniales ne sont pas du ressort ecclésiastique, qu'il soit anathème.»
136Contrat de mariage, nº 506.
137Cont. de mar. nº 508.
138Nov. 117, c. 9, § 5.
139Ferrière, sur l'art. 324 de la Coutume de Paris, tit. X.
140Ch. XIII, ext., de rest. spol.
141Vº Sép. d'habitation.
142Bourjon. De la communauté, cinq. partie, ch. III, sect. 2.
143Tome III, 34e plaidoyer.
144Contr. de mar., nº 513.
145Pothier, Cont. de mar., nº 517.
146Ferrière, Vº Séparation.
147De la communauté, cinq. part., ch. III, sect. 2.
148Duranton, t. II, nº 629.
149Parlement de Paris. (Marchal, éditeur.)
150V. Pothier, Contrat de mariage, nº 507.
151M. Glasson, Le mariage civil et le divorce, p. 42, 1879.
152Rapport de Léonard Robin à la séance du 9 sept. 1792.
153V. Diderot. Supplément au voyage de Bougainville, Henri Taine. Origines de la France contemporaine. M. Glasson, op. cit.– Rivière, capitaine de vaisseau, La Nouvelle-Calédonie (1880).
154Séance du 15 janvier 1880. Rapport sur la proposition de M. Naquet.
155Art. 8 à 14 de la loi, § 2.
156Art. 15 à 20 de la loi, § 2.
157Art. 4, § 3.
158Art. 6, § 3.
159Art. 9, § 3.
160Rapport nº 2177, p. 3. – Annexe à la séance du 15 janv. 1880.