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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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Cette page à la fois héroïque et politique porte l'esprit à des hauteurs où l'élèvent bien rarement les bulletins de victoire.

Le 23 octobre, Henri adressait au maréchal de Matignon une autre lettre beaucoup plus intime assurément, mais qui atteste, par quelques détails pleins de délicatesse, comme par les déclarations qui la terminent, la générosité attendrissante du vainqueur de Coutras: «Avant que de partir de Coutras, j'avais donné ordre pour faire conduire les corps de M. de Joyeuse et de son frère à Libourne… Auparavant je commandai que leurs entrailles fussent enterrées avec leurs cérémonies (catholiques), à quoi les seigneurs et gentilshommes (catholiques) qui sont ici (prisonniers) et aucuns des miens assistèrent aussi. Je suis bien marri qu'en cette journée, je ne puis faire différence des bons et naturels Français d'avec les partisans et adhérents de la Ligue; mais, pour le moins, ceux qui sont restés en mes mains témoigneront la courtoisie qu'ils ont trouvée en moi et en mes serviteurs qui les ont pris. Croyez, mon cousin, qu'il me fâche fort du sang qui se répand, et qu'il ne tiendra point à moi qu'il ne s'étanche50».

CHAPITRE V

Voyage de Henri en Gascogne et en Béarn. – Le comte de Soissons et ses vues d'avenir. – Défaite des auxiliaires allemands et suisses. – Saül et David. – Conseil de la Ligue à Nancy. – Siège de Sarlat par Turenne. – Défense victorieuse. – Expédition de Favas en Gascogne. – Petits faits de guerre racontés par Henri. – Le mal domestique. – Mort du prince de Condé à Saint-Jean-d'Angély. – Arrestation de la princesse de Condé. – Les récits du roi de Navarre. – Nouveaux projets d'attentat contre sa personne. – Perte de Marans. – Monbéqui et Dieupentale. – Les menées factieuses des Seize. – Menaces de Henri III. – Les Seize appellent le duc de Guise à leur aide. – La journée des Barricades. – Henri III en fuite. – Négociations des factieux avec le roi. – Il leur accorde l'édit d'union du 21 juillet. – Toute-puissance des Guises et de la Ligue. – Henri III reconnaît pour héritier présomptif le cardinal de Bourbon. – L'arrière-pensée royale.

Le roi de Navarre, accompagné du comte de Soissons, passa quelques semaines en Gascogne et en Béarn. Des historiens lui ont presque fait un crime d'avoir présenté à Madame de Gramont les drapeaux et enseignes conquis à la bataille de Coutras, comme si un pareil acte d'héroïque galanterie n'était pas la digne récompense d'un dévouement qui avait été pour quelque chose dans la récente victoire!

Le comte de Soissons, selon l'abréviateur des Economies royales d'accord avec les Mémoires contemporains, avait su gagner le cœur de Madame, sœur du roi, et il entretenait constamment Henri de son dessein d'épouser cette princesse; mais il avait, en agissant ainsi, des vues ambitieuses qui se découvrirent dans la suite. «Il prétendait se faire subroger par ce mariage dans tous les droits du roi de Navarre, et comme il ne voyait aucune apparence que ce prince, ayant pour ennemis déclarés le pape, l'Espagne et les catholiques de France, pût jamais venir à bout de ses entreprises, il comptait s'enrichir de ses dépouilles, et y gagner du moins les grands biens qui composaient l'apanage de la Maison d'Albret, en deçà de la Loire… Ce voyage servit au roi de Navarre à connaître plus particulièrement celui qu'il était sur le point de se donner pour beau-frère. Le comte de Soissons ne put si bien dissimuler que le roi ne devinât une partie de ses sentiments, et une lettre qu'il reçut de Paris acheva de les lui dévoiler. On lui apprenait que le comte avait juré qu'aussitôt qu'il aurait épousé Madame, il l'emmènerait à Paris et abandonnerait le parti de son bienfaiteur, et qu'on prendrait alors des mesures pour achever le reste. Cette lettre, que le roi de Navarre reçut au retour de la chasse, et prêt à tomber dans le piège qu'on lui tendait, lui donna pour le comte une aversion que rien ne put jamais effacer.»

Le comte de Soissons ne se sépara définitivement du roi de Navarre qu'après la journée des Barricades. «Livré à de perpétuelles chimères, il regarda cet événement comme un coup de la fortune, qui, en le délivrant de tous ses rivaux, allait le rendre tout-puissant dans le conseil et à la cour de Henri III. Changeant donc incontinent de batterie, il résolut d'aller s'offrir à ce prince, et pour donner plus de relief à son action, il voulut paraître devant le roi, suivi d'un grand nombre de créatures, qu'il chercha dans la cour du roi de Navarre et parmi ses plus affectionnés serviteurs, dont il ne se fit point de scrupule de tenter la fidélité. Le roi de Navarre sentit comme il le devait l'indignité de ce procédé…»

Pendant son séjour à Nérac ou dans les environs de cette ville, vers la mi-novembre, le roi de Navarre reçut la nouvelle des multiples échecs que les deux armées royales, celle du duc de Guise et celle de Henri III, avaient infligés aux auxiliaires allemands, à Vimory, à Auneau et sur quelques autres points. Leurs corps nombreux et redoutables, mais indisciplinés et démoralisés par l'absence du roi de Navarre, furent tour à tour écrasés. Ils avaient fait péniblement leur jonction avec les Suisses protestants, qui, s'imaginant être venus en France pour défendre Henri III contre la Ligue et trouvant le roi en personne devant eux, refusèrent de se battre et négocièrent une retraite. Les débris de l'armée allemande, commandée par le baron de Donha, reprirent le chemin de la frontière, laissant, à chaque pas, des blessés et des malades, qui périssaient sous les coups des paysans. Le 2 décembre, les Suisses protestants obtinrent du roi un traité et une gratification de quatre cent mille écus. Leur retraite ne fut pas moins désastreuse que celle des Allemands… Rentré à Paris, Henri III fit chanter un Te Deum solennel et recueillit quelques vivats populaires; mais les ligueurs réagirent contre ce triomphe de commande, en exaltant les exploits du duc de Guise: leurs prédicateurs affectèrent d'appliquer au souverain et au sujet le verset de la Bible: «Saül en a tué mille, et David, dix mille». L'Estoile a noté en quelques traits vifs cet épisode: «Ainsi la victoire d'Auneau fut le cantique de la Ligue, la réjouissance du clergé, qui aimait mieux la marmite que le clocher, la braverie de la noblesse guisarde, et la jalousie du roi, qui reconnut bien qu'on ne donnait ce laurier à la Ligue que pour flétrir le sien: en ce véritablement misérable, qu'il fallait qu'un grand roi comme lui fût jaloux de son vassal.»

Le roi, blessé dans son orgueil, se vengea en surchargeant son «archimignon», le duc d'Epernon, de nouvelles faveurs. La Maison de Lorraine, doublement irritée de voir Epernon arriver au faîte, pendant qu'elle était elle-même battue en brèche à la cour, tint à Nancy, le 8 janvier 1588, en présence du cardinal de Bourbon, un conseil où se formulèrent de nouvelles prétentions. D'abord repoussées par le roi, elles devinrent plus tard la base du fameux édit d'union, développement et consécration du traité de Nemours. En même temps, les vues et les pratiques factieuses de la Ligue s'affirmèrent de plus en plus dans Paris et dans les principaux centres de son action: on pouvait déjà prévoir le jour où Henri III dans sa capitale serait moins roi que le duc de Guise.

Le roi de Navarre, n'ayant plus rien à attendre des mouvements de cette armée étrangère dont la levée l'avait occupé si longtemps, et sur laquelle il avait fondé tant d'espérances, reprit en Gascogne son existence de petits combats et de coups de main. Ses capitaines ne restèrent pas inactifs. Après la séparation de l'armée calviniste, le lendemain de la bataille de Coutras, Turenne s'empara de toutes les places entre l'Isle et la Dordogne, et résolut d'assiéger Sarlat. La ville ayant fièrement répondu à la sommation, les opérations du siège commencèrent le 25 novembre. Sarlat, qui avait soutenu un siège, en 1562, contre Duras, et connu, en 1574, le poids des armes de Geoffroy de Vivans, était à peu près démantelé: petit à petit, les habitants avaient détruit les ouvrages rudimentaires laissés par ce capitaine. Les Sarladais ne s'en mirent pas moins courageusement à l'œuvre, exhortés par La Mothe-Fénelon, leur évêque, et par son cousin. Le siège, très meurtrier, surtout pour les assiégeants, que, pour comble de malheur, la maladie décima, fut levé le vingt-unième jour, mardi 15 décembre. Plusieurs épisodes firent grand honneur à la bravoure des habitants. En vain Turenne livra-t-il à la ville un furieux assaut, le 5 décembre; en vain fit-il venir des renforts du Limousin et de l'Agenais: les assiégés ne faillirent pas un seul instant, quoique Matignon, à qui le roi de Navarre donnait des préoccupations et des inquiétudes par le siège d'Aire, qui fut prise vers le 7 décembre, n'eût pu envoyer à Sarlat le moindre secours. Cette ville ne fut aidée dans sa vigoureuse résistance que par quelques gentilshommes du voisinage, qui s'y jetèrent, au péril de leur vie.

D'un autre côté, Favas, de retour en Gascogne, où il avait le commandement de Casteljaloux, délogea les catholiques de quelques petits forts situés dans le voisinage de cette ville. Il alla ensuite mettre le siège devant Vic-Fezensac, comptant y surprendre Lau et une partie de la noblesse d'Armagnac qu'il avait associée à la défense de la place. Vic-Fezensac, Nogaro et plusieurs autres villes de moindre importance tombèrent au pouvoir de Favas; mais, ayant été grièvement blessé devant Jegun, sa campagne finit là, et ses troupes allèrent rallier l'armée de Turenne. Au mois de janvier, le roi de Navarre se remit aux champs; ses lettres à la comtesse de Gramont nous donnent quelques détails sur les faits de guerre auxquels il prit part:

 

Le 20 février (de Casteljaloux): «Dieu a béni mon labeur; j'ai pris Damazan sans perdre qu'un homme. Je monte à cheval pour aller reconnaître le Mas-d'Agenais. Je ne sais si je l'attaquerai.»

Le 23 février: «…J'avais bloqué le Mas-d'Agenais, mais je n'y avais mené l'artillerie, craignant que l'armée du maréchal (Matignon) ne me la fît lever de devant en diligence, le grand-prieur de Toulouse étant joint à lui avec l'armée de Languedoc. Je vais monter à cheval avec trois cents chevaux et donnerai jusqu'à la tête de leur armée.»

Le 1er mars (de Nérac): «Hier, le maréchal et le grand-prieur vinrent nous présenter la bataille, sachant bien que j'avais congédié toutes nos troupes. Ce fut au haut des vignes, du côté d'Agen. Ils étaient cinq cents chevaux et près de trois mille hommes de pied. Après avoir été cinq heures à mettre leur ordre, qui fut assez confus, ils partirent, résolus de nous jeter dans les fossés de la ville, ce qu'ils devaient véritablement faire, car toute leur infanterie vint au combat. Nous les reçûmes à la muraille de ma vigne qui est la plus loin, et nous nous retirâmes au pas, toujours escarmouchant, jusqu'à cinq cents pas de la ville, où était notre gros, qui pouvait être de trois cents arquebusiers. L'on les ramena de là jusques où ils nous avaient assaillis. C'est la plus furieuse escarmouche que j'aie jamais vue, et de moindre effet; car il n'y a eu que trois soldats blessés, tous de ma garde, dont les deux n'est rien. Il y demeura deux des leurs, dont nous eûmes la dépouille, et d'autres qu'ils retirèrent à notre vue, et force blessés que nous voyions amener.»

Ce fut vraisemblablement à cette date que les perfidies du comte de Soissons révélées au roi de Navarre, qui dut laisser paraître quelque chose de son mécontentement, donnèrent naissance aux querelles intestines auxquelles fait allusion la lettre suivante, adressée de Nérac, le 8 mars, à la comtesse de Gramont: «Le diable est déchaîné. Je suis à plaindre et est merveille que je ne succombe sous le faix. Si je n'étais huguenot, je me ferais Turc. Ha! les violentes épreuves par où l'on sonde ma cervelle! Je ne puis faillir d'être bientôt ou fol ou habile homme. Cette année sera ma pierre de touche. C'est un mal bien douloureux que le domestique! Toutes les géhennes que peut recevoir un esprit sont sans cesse exercées sur le mien. Je dis toutes ensemble. Plaignez-moi…»

Ce «mal domestique» dont Henri se plaignait à bon droit, allait se jeter au travers de sa vie agitée, en y apportant, par surcroît, une nouvelle complication politique. Le 5 mars 1588, Henri Ier de Bourbon, prince de Condé, mourut subitement à Saint-Jean-d'Angély. On voulut attribuer cette catastrophe aux suites du coup de lance dont il fut renversé à Coutras, non blessé; mais «les marques du poison», comme le dit le roi de Navarre, furent visibles, et, selon l'opinion la plus générale, le crime fut commis à l'instigation ou du consentement de la princesse elle-même, Charlotte de La Trémouille. Arrêtée par ordre du roi de Navarre, la veuve de Condé ne fut jamais jugée. On procéda contre elle, mais il y eut sursis jusqu'après ses couches, et le procès interrompu n'aboutit, six ans plus tard, en 1595, qu'à un arrêt du parlement de Paris déclarant la princesse innocente. Belcastel, page de sa maison, s'était enfui après la mort du prince, mais Ancelin Brillaud ou Brillant, intendant au service du prince de Condé, fut accusé de complicité, condamné et écartelé. Il n'est rien resté, que nous sachions, de la procédure dirigée, dès les premiers jours, contre la princesse, de sorte que les lettres du roi de Navarre à madame de Gramont sont doublement précieuses pour l'histoire de ce tragique épisode.

Le 10 mars: «Pour achever de me peindre, il m'est arrivé l'un des plus extrêmes malheurs que je pouvais craindre, qui est la mort subite de Monsieur le Prince. Je le plains comme ce qu'il me devait être, non comme ce qu'il m'était… – Ce pauvre prince (non de cœur), jeudi, ayant couru la bague, soupa, se portant bien. A minuit, il lui prit un vomissement très violent, qui lui dura jusques au matin. Tout le vendredi, il demeura au lit. Le soir, il soupa, et ayant bien dormi, il se leva le samedi matin, dîna debout et puis joua aux échecs. Il se lève de sa chaise, se met à promener par sa chambre, devisant avec l'un et l'autre. Tout à coup, il dit: «Baillez-moi ma chaise, je sens une grande faiblesse». Il n'y fut assis qu'il perdit la parole, et soudain après, il rendit l'âme, assis. Les marques de poison sortirent soudain. Il n'est pas croyable l'étonnement que cela a porté en ce pays-là. Je pars, dès l'aube du jour, pour y aller pourvoir en diligence. Je me vois en chemin d'avoir bien de la peine. Priez Dieu hardiment pour moi. Si j'en échappe, il faudra bien que ce soit lui qui m'ait gardé.»

Le 13 mars (d'Eymet): «Il m'arriva, l'un à midi, l'autre au soir, deux courriers de Saint-Jean. Le premier rapportait comme Belcastel, page de Madame la Princesse, et son valet de chambre, s'en étaient fuis, soudain après avoir vu mort leur maître; avaient trouvé deux chevaux, valant deux cents écus, à une hôtellerie du faubourg, que l'on y tenait il y avait quinze jours, et avaient chacun une mallette pleine d'argent. Enquis, l'hôte dit que c'était un nommé Brillant qui lui avait baillé les chevaux, et lui allait dire tous les jours qu'ils fussent bien traités. Ce Brillant est un homme que Madame la Princesse a mis en la maison, et lui faisait tout gouverner. Il fut tout soudain pris. Confesse avoir baillé mille écus au page, et lui avoir acheté ces chevaux, par le commandement de sa maîtresse, pour aller en Italie. Le second (courrier) confirme, et dit de plus que l'on avait fait écrire une lettre à ce Brillant, au valet de chambre qu'on savait être à Poitiers, par où il lui mandait être à deux cents pas de la porte, qu'il voulait parler à lui. L'autre sortit. Soudain, l'embuscade qui était là le prit, et fut mené à Saint-Jean. Il n'avait encore été ouï, mais bien disait-il à ceux qui le menaient: «Ah! que Madame est méchante! que l'on prenne son tailleur, je dirai tout sans gêne (torture)». Ce qui fut fait. Voilà ce que l'on en sait jusques à cette heure. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit d'autres fois; je ne me trompe guère en mes jugements: c'est une dangereuse bête qu'une mauvaise femme… J'ai découvert un tueur pour moi…»

Le 15 mars: «Je serai jeudi à Saint-Jean, d'où je vous manderai toutes nouvelles. L'on a trouvé sur le valet de chambre des perles et des diamants qui ont été reconnus.»

Le 17 mars: «… Les soupçons croissent du côté où les avez pu juger. Je verrai tout demain. J'appréhende fort la vue des fidèles serviteurs de la maison, car c'est, à la vérité, le plus extrême deuil qui se soit jamais vu. Les prêcheurs romains prêchent tout haut, par les villes d'ici autour, qu'il n'y en a plus qu'un à avoir, canonisent ce bel acte et celui qui l'a fait, admonestent tous bons catholiques de prendre exemple à une si chrétienne entreprise…»

Le 21 mars: «Pour le fait de la procédure de la mort de Monsieur le Prince, de plus en plus, l'on découvre la méchanceté, et tout du côté que vous pûtes juger par ma dernière…»

Cette procédure occupa longtemps le roi de Navarre. Il croyait évidemment à la culpabilité de la princesse de Condé; mais quoiqu'il eût sollicité les bons offices de la reine-mère pour faciliter l'arrestation de Belcastel, le page échappa à toutes les recherches.

La correspondance dont on vient de lire des extraits fait allusion aux nouveaux attentats dirigés contre le roi de Navarre. Dans une lettre adressée, le 20 mars, de Saint-Jean-d'Angély au maréchal de Matignon, il revient sur le fait indiqué en ces termes: «J'ai découvert un tueur pour moi». Il raconte que, pendant son dernier séjour à Nérac, un homme dépêché pour le tuer fut soupçonné et pris, et il ajoute: «Lequel, depuis mon partement, a confessé le fait et déposé pareillement comme et par qui il avait été employé pour ce faire. J'ai bien voulu vous faire la présente pour vous prier affectueusement me faire ce plaisir d'envoyer deux ou trois personnes qualifiées pour voir le personnage, sa déposition et comme tout s'est passé, afin que vous soyez mieux éclairé de la vérité du fait. J'envoie un passe-port pour ceux qui iront de votre part et une lettre adressante aux consuls de Nérac.» Le même jour, annonçant à La Roche-Chandieu, ministre calviniste, qu'il s'occupe du procès des assassins du prince de Condé, il l'entretient également du projet d'attentat de Nérac, et donne d'autres détails: «En même temps, il y avait vingt quatre hommes dépêchés pour me tuer; il y en a un qui est Lorrain et se disait Frison, à qui le cœur faiblit en me présentant une requête à Nérac.» L'histoire ne donne pas le dernier mot de cette affaire.

Tout en surveillant l'action de la justice, le roi de Navarre guerroyait çà et là. Vers la fin de mars, Lavardin ayant occupé Marans, Henri reprit sur-le-champ un des forts de cette place et se donna beaucoup de peine pour la ressaisir; mais elle ne retomba en son pouvoir qu'au mois de juillet. Dans une de ses expéditions antérieures en Languedoc, il avait pris deux bourgs fortifiés, Monbéqui et Dieupentale. Pendant qu'il investissait Marans, il apprit que les garnisons laissées dans ces deux places les avaient abandonnées après les avoir pillées. «J'entends, écrivait-il à M. de Scorbiac, gouverneur de Castres, que punition exemplaire soit faite de ceux qui ont quitté et pillé Monbéqui et Dieupentale, que j'avais conquis au danger de ma vie.»

Mais on touchait au moment où les violences de la Ligue allaient bouleverser la scène politique, et rejeter à l'arrière-plan tous les petits faits de guerre semblables à ceux dont nous venons de parler. Les Seize, enhardis par l'impunité que leur assuraient l'ascendant des Guises et la faiblesse de Henri III, formaient, chaque jour, quelque nouveau complot contre l'autorité royale, et dépassaient même dans leur zèle les vues des chefs supérieurs de la Ligue. Ils avaient provoqué, vers la fin de l'année 1587, une déclaration des docteurs de Sorbonne portant qu'on peut ôter le gouvernement aux princes qu'on ne trouve pas tels qu'il faut, comme l'administration au tuteur qu'on tient pour suspect. Le roi s'était borné à leur adresser des réprimandes et des menaces. Deux fois, un projet d'enlèvement de Henri III fut déjoué, grâce aux avis secrets que lui fit tenir Nicolas Poulain, lieutenant de la prévôté. Au mois d'avril 1588, cependant, le roi perdit patience. Il fit venir en sa présence quelques-uns des Seize, entre autres le président de Neuilly, leur parla sur un ton très irrité, leur dit qu'il connaissait leurs menées factieuses, et leur déclara qu'il en ferait, au besoin, prompte et sévère justice. Aussitôt les Seize mandèrent au duc de Guise de venir à leur aide. Prévenu de cette démarche, le roi interdit au duc l'accès de Paris; mais Guise, n'ayant pas reçu ou feignant de n'avoir pas reçu à temps les ordres du roi, passa outre, et le 9 mai, il entrait dans Paris, où il descendait au palais de la reine-mère. Henri III fut obligé de recevoir ce sujet révolté et triomphant, et n'osa pas châtier son insolence; mais comme il ne voulut pas lui accorder tout ce qu'il demandait, la Ligue organisa une insurrection, et, le 12 avril, à la suite de la célèbre journée des Barricades, Henri III quitta Paris en fugitif, pendant que, pour comble d'humiliation, la reine-mère affectait de négocier avec le duc de Guise pour lui dissimuler le projet de fuite du roi. Le duc et la Ligue furent bientôt effrayés de leur victoire: elle arrivait trop tôt, et faisait d'eux manifestement des rebelles. Henri III, retiré à Chartres, sembla d'abord résolu à traiter Guise et les ligueurs en criminels de lèse-majesté; mais peu à peu, effrayé, à son tour, de la puissance de ces ennemis, il consentit à traiter avec eux, et signa à Rouen l'édit d'union, qui fut enregistré à Paris, le 21 juillet. Les prétentions formulées, l'année précédente, par l'assemblée de Nancy, formèrent les articles du nouvel édit. Le roi promettait de combattre les huguenots jusqu'à leur entière destruction, et de ne laisser le trône qu'à un prince catholique. Il était stipulé que nul ne pourrait être nommé à un office public, sans prêter un serment «de catholicité». Des articles secrets amnistiaient tous les actes de la Ligue, maintenaient ses troupes, lui accordaient de nouvelles places de sûreté. Quinze jours après, le duc de Guise était nommé généralissime des armées royales, et les autres chefs ligueurs recevaient des commandements. Mayenne était mis à la tête d'une armée qui devait aller combattre Lesdiguières dans le Dauphiné, et le duc de Nevers en devait mener une autre contre les huguenots du Poitou. Enfin Henri III reconnut pour héritier présomptif de la couronne ce cardinal de Bourbon dont il avait raillé, quelques années auparavant, les ridicules prétentions. A la nouvelle de ces victoires inespérées, la Ligue poussa des cris de joie dans la France entière, et, à Paris, elle fit chanter un Te Deum pour célébrer la forclusion du roi de Navarre.

 

Quand on étudie ce traité d'union, où l'abdication s'étale en articles, il est bien difficile de conserver le moindre doute sur l'existence d'une arrière-pensée dans l'esprit de Henri III. Un roi qui met tant d'armes dans les mains de son ennemi rêve le suicide ou la vengeance, et Henri III montra bientôt, par de tragiques résolutions, qu'il n'avait pas entendu se précipiter lui-même du trône. Ce qu'il cédait au duc de Guise fait revenir à la mémoire ce qu'autrefois Charles IX avait cédé à Coligny. Il faut nécessairement résoudre ce dilemme: ou Henri III n'avait ni intelligence, ni amour-propre, et alors on conçoit qu'il ait tout livré à la Maison de Lorraine; ou, profondément irrité, mais dissimulant pour mieux préparer sa revanche, il était capable de dresser le piège solennel des Etats de Blois, pour y détruire politiquement, par la sentence de ces assises, ou y supprimer par la force un homme qui en était arrivé à chasser le roi de sa capitale. Si les Etats de Blois n'eussent pas été, en majorité, sous le joug de la Ligue, Henri III eût obtenu d'eux la condamnation de la Ligue et des Guises, et les poignards des Quarante-Cinq fussent restés au fourreau. Mais les Etats et le duc, mis face à face, ne firent qu'un, et ce fut alors que Henri III, malgré ses pauvres finesses, qui consistaient à débaptiser la Ligue et à faire la part de ses excès et celle de ses actes légitimes, fut amené à choisir entre l'abdication réelle et le pouvoir conservé par un crime.

50Appendice: