Read the book: «Un Plat Qui se Mange Froid »
U N P L A T Q U I S E M A N G E F R O I D
(UNE ENQUETE de RILEY PAIGE—TOME 8)
B L A K E P I E R C E
Blake Pierce
Blake Pierce est l’auteur de la populaire série de thrillers RILEY PAIGE. Il y a huit tomes, et ce n’est pas fini ! Blake Pierce écrit également les séries de thrillers MACKENZIE WHITE (six tomes, série en cours), AVERY BLACK (quatre tomes, série en cours) et depuis peu KERI LOCKE.
SANS LAISSER DE TRACES, le premier tome de la série RILEY PAIGE, AVANT QU’IL NE TUE, le premier tome de la série MACKENZIE WHITE, et RAISON DE TUER (une enquête d’Avery Black — tome 1) et UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (une enquête de Keri Locke — tome 1) sont disponibles gratuitement sur Google Play !
Fan depuis toujours de polars et de thrillers, Blake adore recevoir de vos nouvelles. N'hésitez pas à visiter son site web www.blakepierceauthor.com pour en savoir plus et rester en contact !
Copyright © 2017 par Blake Pierce. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la Loi des États-Unis sur le droit d'auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base de données ou système de récupération, sans l'autorisation préalable de l'auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule jouissance personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d'autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire par destinataire. Si vous lisez ce livre sans l'avoir acheté ou s'il n'a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes prié de le renvoyer et d’acheter votre exemplaire personnel. Merci de respecter le difficile travail de cet auteur. Il s'agit d'une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les événements et les incidents sont le fruit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n'est que pure coïncidence. Image de couverture : Copyright GongTo, utilisée en vertu d'une licence accordée par Shutterstock.com.
DU MÊME AUTEUR
LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE
SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)
REACTION EN CHAINE (Tome 2)
LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)
LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)
QUI VA A LA CHASSE (Tome 5)
A VOTRE SANTÉ (Tome 6)
DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)
UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)
SANS COUP FERIR (Tome 9)
SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE
AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)
AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)
AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)
AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)
AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)
POLAR AVERY BLACK
RAISON DE TUER (TOME 1)
RAISON DE COURIR (TOME2)
RAISON DE SE CACHER (TOME 3)
RAISON DE CRAINDRE (TOME 4)
LES ENQUETES DE KERI LOCKE
UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (TOME 1)
DE MAUVAIS AUGURE (TOME 2)
L’OMBLRE DU MAL (TOME 3)
TABLE
PROLOGUE
CHAPITRE UN
CHAPITRE DEUX
CHAPITRE TROIS
CHAPITRE QUATRE
CHAPITRE CINQ
CHAPITRE SIX
CHAPITRE SEPT
CHAPITRE HUIT
CHAPITRE NEUF
CHAPITRE DIX
CHAPITRE ONZE
CHAPITRE DOUZE
CHAPITRE TREIZE
CHAPITRE QUATORZE
CHAPITRE QUINZE
CHAPITRE SEIZE
CHAPITRE DIX-SEPT
CHAPITRE DIX-HUIT
CHAPITRE DIX-NEUF
CHAPITRE VINGT
CHAPITRE VINGT ET UN
CHAPITRE VINGT-DEUX
CHAPITRE VINGT-TROIS
CHAPITRE VINGT-QUATRE
CHAPITRE VINGT-CINQ
CHAPITRE VINGT-SIX
CHAPITRE VINGT-SEPT
CHAPITRE VINGT-HUIT
CHAPITRE VINGT-NEUF
CHAPITRE TRENTE
CHAPITRE TRENTE ET UN
CHAPITRE TRENTE-DEUX
CHAPITRE TRENTE-TROIS
CHAPITRE TRENTE-QUATRE
CHAPITRE TRENTE-CINQ
CHAPITRE TRENTE-SIX
CHAPITRE TRENTE-SEPT
CHAPITRE TRENTE-HUIT
CHAPITRE TRENTE-NEUF
CHAPITRE QUARANTE
CHAPITRE QUARANTE ET UN
PROLOGUE
En entrant dans le Patom Lounge, l’homme fut aussitôt englouti par un nuage épais de fumée de cigarettes. Le bar n’était pas très bien éclairé et du vieux heavy metal hurlait dans les haut-parleurs. Il était déjà impatient de s’en aller.
Il faisait trop chaud. Il y avait trop de monde. Des acclamations le firent sursauter : en se retournant, il vit que la clameur venait d’un groupe de cinq poivrots en train de jouer aux fléchettes. Un peu plus loin, un autre groupe jouait bruyamment au billard. Plus vite il partirait d’ici, mieux ce serait.
Il balaya la pièce du regard. Ses yeux s’arrêtèrent sur une jeune femme assise au bar.
Elle avait un joli visage et une coupe de cheveux à la garçonne. Elle était un trop bien habillée pour un endroit pareil.
Elle fera parfaitement l’affaire, pensa l’homme.
Il marcha jusqu’au bar et s’assit sur un tabouret à côté d’elle. Elle sourit.
— Comment vous vous appelez ? demanda-t-il.
Il n’entendait même pas sa propre voix dans ce vacarme.
Elle se tourna vers lui, souriant à son tour, puis montra ses oreilles en secouant la tête.
Il répéta sa question plus fort, en articulant de manière exagérée.
Elle s’approcha. En hurlant presque, elle répondit :
— Tilda. Et toi ?
— Michael, dit-il d’un ton plus bas.
Ce n’était pas son vrai nom, évidemment, mais cela n’avait pas d’importance. Elle ne l’avait probablement pas entendu. Elle avait l’air de s’en ficher.
Il baissa les yeux vers le verre de la fille. Il était presque vide. Ce devait être une margarita. Il le pointa du doigt et proposa d’une voix forte :
— Tu en veux un autre ?
Sans cesser de sourire, la femme nommée Tilda secoua la tête.
Elle n’avait pas dit ça pour le repousser. Il en était certain. Peut-être pouvait-il tenter quelque chose de plus audacieux.
Il tira vers lui une serviette en papier et sortit un stylo de sa poche.
Il écrivit…
Tu veux aller ailleurs ?
Elle baissa les yeux vers le message. Son sourire s’élargit. Elle hésita une seconde, mais il avait vu juste : elle était à la recherche de sensations fortes. Et elle était satisfaite d’avoir trouvé ce qu’elle cherchait.
Enfin, pour son plus grand plaisir, elle hocha la tête.
Avant de partir, il s’empara d’une boîte d’allumettes portant le logo du bar.
Il allait en avoir besoin.
Il l’aida à enfiler son manteau et ils sortirent. Après tout ce bruit et cette chaleur étouffante, il était déconcertant de se retrouver à l’air libre, dans le silence.
— Eh ben, dit-elle en marchant à ses côtés. J’ai failli devenir sourde…
— Tu ne dois pas venir souvent, répondit-il.
— Non.
Elle n’en dit pas plus, mais ce devait être la première fois qu’elle venait au Patom Lounge.
— Moi non plus, dit-il. C’est un trou.
— Je ne te le fais pas dire.
Ils éclatèrent de rire.
— Ma voiture est là-bas, dit-il en la montrant du doigt. Où tu veux aller ?
Elle hésita.
Puis, avec un regard pétillant de malice, elle dit :
— Surprends-moi.
Il ne s’était pas trompé. Elle était à la recherche de sensations fortes.
Lui aussi.
Il ouvrit sa portière et elle s’assit côté passager. Il s’installa au volant et démarra.
— Alors, où on va ? demanda-t-elle.
Avec un sourire et un clin d’œil, il répondit :
— Tu veux que ce soit une surprise.
Elle étouffa un rire, qui semblait à la fois nerveux et satisfait.
— Tu vis à Greybull ? demanda-t-il.
— J’y suis même née. Je ne t’avais jamais vu avant. Tu vis dans le coin ?
— Pas très loin, répondit-il.
Elle rit à nouveau.
— Qu’est-ce qui t’amène dans cette petite ville où il ne se passe jamais rien ?
— Les affaires.
Elle le dévisagea avec curiosité, mais n’insista pas. Visiblement, elle n’avait pas envie d’apprendre à le connaître. Ça lui convenait très bien.
Il se gara sur le parking d’un petit motel défraîchi, le Maberly Inn, devant la chambre 34.
— J’ai pris une chambre, dit-il.
Elle ne répondit pas.
Puis, après un bref silence, il demanda :
— Ça te va ?
Elle hocha la tête d’un air un peu nerveux.
Ils entrèrent ensemble dans la chambre. Elle balaya la pièce du regard. Il y avait une odeur désagréable et des tableaux très laids décoraient les murs.
Elle marcha vers le lit et posa la main sur le matelas, comme pour tester sa fermeté.
La chambre ne lui plaisait pas ?
Il n’en était pas certain.
Son geste le mit en colère. Dans une colère noire.
Il n’était pas sûr de pouvoir l’expliquer.
D’habitude, il attendait que la fille soit toute nue dans le lit pour frapper. Cette fois, il ne put s’en empêcher.
Quand elle se dirigea vers la salle de bain, il lui bloqua la route.
Elle écarquilla les yeux.
Avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir, il la repoussa sur le lit.
Elle se débattit, mais il était beaucoup plus fort qu’elle.
Elle essaya de crier, mais il saisit un oreiller pour l’étouffer.
Bientôt, il le savait, ce serait terminé.
CHAPITRE UN
La lumière s’alluma brusquement dans l’amphithéâtre. L’agent Lucy Vargas battit des paupières.
Autour d’elle, les étudiants se mirent à murmurer. Lucy avait mis tellement d’effort à s’imaginer dans la tête d’un tueur qu’elle eut du mal à revenir à la réalité.
— Parlons de ce que vous avez vu, dit l’instructeur.
C’était le mentor de Lucy, l’agent spécial Riley Paige, qui faisait classe aujourd’hui.
Lucy ne faisait normalement pas partie de ses étudiants : Riley enseignait aux cadets. Elle était venue assister au cours, comme elle le faisait de temps en temps. Elle était encore débutante et Riley Paige était une source d’inspiration et d’information illimitée. Lucy profitait de toutes les opportunités pour apprendre de son expérience – et pour travailler avec elle.
L’agent Paige avait donné à sa classe des détails sur une affaire de meurtre sur lequel elle avait travaillé vingt-cinq ans plus tôt. Trois jeunes femmes avaient été assassinées en Virginie par un homme qu’on surnommait à l’époque le tueur aux boîtes d’allumettes, parce qu’il laissait des boîtes d’allumettes sur les corps de ses victimes. Ces boîtes d’allumettes venaient de bars situés dans la région de Richmond. Il laissait également parfois des blocs-notes aux noms de motels où les femmes avaient été tuées. Pourtant, visiter et fouiller ces différents endroits n’avait servi à rien.
L’agent Paige avait demandé aux étudiants d’utiliser leur imagination pour récréer un de ces meurtres.
— Ne vous mettez aucune barrière, avait-elle dit avant qu’ils ne commencent. Visualiser des détails. Ce n’est pas grave si tout n’est pas juste. Essayez d’avoir l’ambiance, l’humeur, le lieu…
Puis elle avait éteint la lumière pendant dix minutes.
A présent, l’agent Paige marchait devant sa classe. Elle dit :
— Commencez par me parler du Patom Lounge. A quoi ressemble cet endroit ?
Une main se dressa au milieu des gradins. L’agent Paige fit signe au jeune homme de parler.
— Ce n’est pas un endroit très élégant, mais c’est un bar qui se donne des airs : des lumières diffuses, des fauteuils en daim…
Lucy fronça les sourcils. Elle n’avait pas du tout imaginé un bar comme ça.
L’agent Paige sourit. Elle ne dit pas si l’étudiant s’était trompé.
— Autre chose ? demanda l’agent Paige.
— Il y avait de la musique douce, dit un autre étudiant. Du jazz, peut-être.
Mais Lucy avait entendu des tubes de rock des années 70 et 80.
S’était-elle trompée sur toute la ligne ?
L’agent Paige demanda :
— Et le Maberly Inn ? A quoi ça ressemble ?
Une étudiante leva la main. L’agent Paige lui fit signe.
— Pittoresque et charmant, dit la jeune femme. Et assez vieux. Le motel d’un particulier, avant l’essor des franchises.
Un autre étudiant confirma :
— C’est ce que je pense aussi.
D’autres hochèrent bruyamment la tête.
Une fois encore, la différence avec ce qu’elle avait imaginé frappa Lucy.
L’agent Paige sourit.
— Combien d’entre vous ont eu la même impression, à propos du bar et du motel ?
De nombreux étudiants levèrent la main.
Lucy commençait à être mal à l’aise.
« Essayez d’avoir l’ambiance, l’humeur, le lieu… » avait dit l’agent Paige.
Lucy avait-elle échoué ?
Alors que tous les autres avaient réussi ?
Ce fut alors que l’agent Paige fit apparaitre des photos sur l’écran.
D’abord, quelques photographies du Patom Lounge. Sur un cliché pris la nuit et de l’extérieur, on apercevait une enseigne lumineuse à la fenêtre. Il y avait également des photos prises à l’intérieur.
— Voilà le bar, dit l’agent Paige. Du moins, c’est à ça qu’il ressemblait au moment du meurtre. Je ne sais pas à quoi ça ressemble maintenant, ni même si le bar est toujours ouvert.
Lucy était soulagée. C’était beaucoup plus proche de ce qu’elle avait imaginé : un trou miteux avec des fauteuils en similicuir. Il y avait même les tables de billard et la cible d’un jeu de fléchettes qu’elle avait imaginées. Et on devinait un nuage de fumée de cigarettes.
Les étudiants étaient bouche bée.
— Maintenant, voyons le Maberly Inn, dit l’agent Paige.
D’autres photos apparurent. Le motel était aussi sordide et miteux que Lucy l’avait imaginé – pas très vieux, mais très mal entretenu.
L’agent Paige étouffa un rire.
— Bizarre, non ? dit-elle.
Des éclats de rire nerveux se firent entendre.
— Pourquoi avez-vous imaginé autre chose ? demanda l’agent Paige.
Elle appela une jeune femme qui levait la main.
— Eh bien, vous nous avez dit que le tueur avait approché sa victime dans un bar, dit-elle. J’ai tout de suite pensé à un bar où se rendent les trentenaires célibataires. Un endroit un peu ringard mais qui se donne l’air classe. Je ne pensais pas du tout à un trou comme celui-là, fréquenté par la classe ouvrière.
Un autre renchérit :
— Même chose pour le motel. Ce serait plus logique que le tueur l’emmène dans un endroit plus sympa, ne serait-ce que pour endormir sa méfiance, non ?
Lucy ne put s’empêcher de sourire.
Je comprends mieux, pensa-t-elle.
L’agent Paige remarqua son sourire et y répondit. Elle dit :
— Agent Vargas, savez-vous pourquoi vos camarades ont commis des erreurs ?
Lucy répondit :
— Personne n’a pris en compte l’âge de la victime. Tilda Steen n’avait que vingt ans. Les femmes célibataires qui se rendent dans les bars que nous venons d’évoquer sont souvent plus âgées : des trentenaires ou des femmes d’âge mûr, parfois divorcées. C’est pour ça que nous nous sommes trompés.
L’agent Paige hocha la tête.
— Continuez, dit-elle.
Lucy réfléchit.
— Vous nous avez dit qu’elle était issue de la classe moyenne et qu’elle venait d’une petite ville très ordinaire. D’après les photos, elle était assez jolie et je pense qu’elle ne devait pas avoir de mal à trouver des petits copains. Alors pourquoi irait-il dans un trou paumé comme le Patom Lounge ? Je pense qu’elle s’ennuyait. Je pense qu’elle est allée délibérément dans un endroit qui avait la réputation d’être un peu dangereux.
Et elle a trouvé ce qu’elle cherchait, pensa Lucy sans le dire à voir haute.
— Y a-t-il des leçons à tirer de cet exercice ? demanda l’agent Paige à toute la classe.
Un étudiant leva la main et dit :
— Quand on essaye de reconstruire un crime, il faut prendre en compte toutes les informations. Ne jamais rien laisser de côté.
L’agent Paige eut l’air satisfait.
— C’est exact, dit-elle. Quand on enquête, on doit faire preuve d’une imagination débordante, on doit pouvoir se glisser dans la tête du tueur, mais ça peut être délicat. Si on oublie de prendre en compte le moindre détail, on tombe facilement à côté. Parfois, c’est ce qui fait toute la différence entre une affaire classée et une affaire résolue.
L’agent Paige se tut et ajouta :
— Et cette affaire a été classée. Je ne sais pas si elle sera un jour résolue. J’en doute. Au bout de vingt-cinq ans, la piste n’est plus de la première fraîcheur. Un homme a tué trois jeunes femmes et il doit être encore en liberté.
L’agent Paige laisse ces derniers mots faire leur petit effet.
— C’est tout pour aujourd’hui, dit-elle enfin. Vous savez ce que vous devez lire pour la prochaine fois.
Les étudiants quittèrent l’amphithéâtre. Lucy décida de rester quelques instants pour discuter avec son mentor.
L’agent Paige lui sourit et dit :
— Très bon travail.
— Merci, répondit Lucy.
Elle était très contente. Même le plus petit compliment de Riley Paige valait de l’or.
Puis l’agent Paige dit :
— J’aimerais que tu essayes quelque chose de plus difficile. Ferme les yeux.
Lucy s’exécuta. D’une voix grave, l’agent Paige lui donna plus de détails.
— Après avoir tué Tilda Steen, le meurtrier l’a enterrée dans une tombe peu profonde. Peux-tu me décrire comment ça s’est passé ?
Lucy essaya de se glisser dans l’esprit du tueur.
— Il a laissé le corps sur le lit, puis il est sorti de la chambre, dit Lucy à voix haute, dit Lucy. Il a regardé aux alentours pour être sûr qu’il n’y avait personne. Il n’y avait personne. Il a emporté le corps vers la voiture et l’a jeté dans le coffre. Il a roulé jusqu’à une région boisée. Un endroit qu’il connaissait, assez loin de la scène de crime.
— Continue, dit l’agent Paige.
Les yeux fermés, Lucy sentait que le tueur était froid et méthodique.
— Il s’est garé à un endroit où on ne le verrait pas depuis la route. Puis il a sorti une pelle de son coffre.
Lucy hésita quelques instants.
C’était la nuit. Comment le tueur avait-il fait pour s’orienter dans la forêt ?
Ce n’était pas facile de porter à la fois une lampe électrique, une pelle et un corps.
— C’était la pleine lune ?
— Oui, confirma l’agent Paige.
Lucy se sentit rassérénée.
— Il a ramassé la pelle d’une main et il a jeté le corps sur son épaule de l’autre. Il s’est avancé dans les bois, puis il s’est arrêté à un endroit où il était sûr que personne ne le verrait.
— Un endroit éloigné de la route ? demanda l’agent Paige, interrompant la rêverie de Lucy.
— J’en suis certaine.
— Ouvre les yeux.
Lucy s’exécuta. L’agent Paige était en train de ranger ses affaires. Elle dit :
— En fait, le tueur a emporté le corps dans les bois, en face du motel, de l’autre côté de l’autoroute. Il n’a fait que quelques mètres. C’est un lampadaire qui l’éclairait et il voyait certainement les phares des voitures sur l’autoroute. Il a enterré Tilda Steen sous des cailloux, sans faire très attention. Quelques jours plus tard, un cycliste qui passait par là, sentant l’odeur, a appelé la police. Ils n’ont eu aucun mal à trouver le corps.
Lucy resta bouche bée.
— Il n’a même pas essayé de cacher le cadavre ? demanda-t-elle. Je ne comprends pas.
En refermant sa mallette, Riley sortit de l’amphithéâtre, Lucy sur ses talons. Lucy crut détecter de l’amertume et de la déception dans la démarche de son mentor.
L’agent Paige essayait de ne rien laisser paraître, mais cette affaire classée la hantait.
CHAPITRE DEUX
Pendant le diner, Riley Paige eut bien du mal à chasser de son esprit le tueur aux allumettes. Elle avait choisi cette affaire classée comme exemple dans sa classe parce qu’elle savait qu’elle en entendrait bientôt parler.
Elle tourna délibérément ses pensées et son attention sur le délicieux ragoût guatémaltèque que Gabriela leur avait mitonné. La bonne était une très bonne cuisinière. Riley espéra que Gabriela ne remarquerait pas qu’elle était de mauvaise humeur. Evidemment, les filles, elles, le remarquèrent.
— Qu’est-ce que t’as, maman ? demanda April, la fille de Riley qui était âgée de quinze ans.
— Y a quelque chose qui va pas ? renchérit Jilly, la gamine de treize ans que Riley espérait adopter.
En bout de table, Gabriela se tourna vers Riley avec inquiétude.
Riley ne sut que dire. Elle savait qu’elle allait recevoir le lendemain un coup de téléphone qui lui rappellerait le tueur aux allumettes. C’était un coup de téléphone qu’elle recevait chaque année. Il était inutile d’essayer de l’oublier.
Mais elle n’aimait pas ramener son travail à la maison. Parfois, elle mettait sa famille en grand danger.
— Ce n’est rien, répondit-elle.
Elles mangèrent en silence pendant quelques minutes. Enfin, April dit :
— C’est papa ? Ça te dérange qu’il ne soit pas à la maison, ce soir ?
La question prit Riley par surprise. Les absences répétées de son mari la dérangeaient bel et bien. Ils avaient fait beaucoup d’efforts pour se réconcilier après un divorce difficile. Maintenant, tout cela paraissait vain. Ryan passait de moins en moins de temps à la maison.
Cependant, ce n’était pas à lui qu’elle pensait en ce moment.
Qu’est-ce que cela voulait dire ?
Cela signifiait-il qu’elle avait baissé les bras ?
Avait-elle renoncé à Ryan ?
Les deux filles et la bonne la regardaient toujours, comme dans l’attente d’une réponse.
— C’est une affaire, dit Riley. Ça me perturbe toujours à cette époque de l’année.
Jilly écarquilla les yeux avec excitation.
— On veut savoir !
Riley se demanda ce qu’elle pouvait leur dire. Elle ne voulait pas raconter des détails sordides à sa famille.
— C’est une affaire classée, dit-elle. Une série de meurtres que ni la police, ni le FBI n’a pu résoudre. Cela fait des années que j’essaye de comprendre.
Jilly sautillait presque sur sa chaise.
— Comment tu vas faire pour trouver le tueur ?
La question piqua Riley.
Bien sûr, Jilly n’avait pas voulu la blesser. Au contraire, la jeune fille était très fière d’avoir pour tuteur un agent du FBI. Elle prenait Riley pour un super-héros qui ne se trompait jamais.
Riley réprima un soupir.
C’est peut-être le moment de lui dire que je n’attrape pas toujours les méchants, pensa-t-elle.
Mais elle se contenta de répondre :
— Je ne sais pas.
C’était la simple vérité.
Riley n’était sûre que d’une chose.
Le vingt-cinquième anniversaire de la mort de Tilda Steen tombait le lendemain et elle n’était pas prête de l’oublier.
Au grand soulagement de Riley, la conversation bifurqua sur le délicieux diner de Gabriela. La bonne et les deux filles se mirent à parler en espagnol et Riley eut du mal à suivre.
Ce n’était pas grave. April et Jilly apprenaient toutes les deux l’espagnol à l’école. April commençait à parler couramment. Jilly avait encore un peu de mal, mais Gabriela et April l’aidaient beaucoup.
Riley sourit en les écoutant parler.
Jilly se débrouille bien, pensa-t-elle.
La jeune fille était encore un peu maigre, mais elle ne ressemblait plus à la gamine décharnée que Riley avait recueillie dans les rues de Phoenix. Elle mangeait de bon cœur et elle était en bonne santé. Elle s’habituait à sa nouvelle vie.
April était la grande sœur idéale. Elle se remettait des traumatismes qu’elle avait vécus.
Parfois, en regardant April, Riley avait l’impression de se regarder dans un miroir – un miroir qui l’aurait rajeunie. April avait les yeux noisette de Riley et les mêmes cheveux bruns, même si sa mère commençait à grisonner.
Riley eut chaud au cœur.
Je ne me débrouille pas si mal en tant que mère, pensa-t-elle.
Puis elle pensa au tueur aux allumettes.
*
Après le diner, Riley monta dans sa chambre. Elle s’assit derrière son ordinateur et prit de grandes inspirations pour se calmer. La tâche qui l’attendait était particulièrement difficile.
C’était ridicule. Riley avait pourchassé et combattu des dizaines de tueurs. Elle avait failli perdre la vie bien des fois.
Je ne devrais pas me mettre dans un état pareil chaque fois que je parle à ma sœur, pensa-t-elle.
Depuis combien de temps n’avait-elle pas vu Wendy ?
Pas depuis qu’elle était toute petite. Wendy avait retrouvé sa trace quand leur père était mort. Elles s’étaient parlé au téléphone, en se proposant d’organiser un rendez-vous. Mais Wendy vivait très loin, à Des Moines, dans l’Iowa, et elles n’avaient pas réussi à fixer une date. Elles avaient décidé de se parler par vidéo chat.
Pour se préparer, Riley regarda la photo encadrée sur son bureau. Elle l’avait trouvée dans le chalet de son père après sa mort. La photo représentait Riley, Wendy et leur mère. Riley devait avoir quatre ans et Wendy plus de dix ans.
Les deux filles et leur mère semblaient heureuses.
Riley ne se rappelait pas ni où ni quand la photo avait été prise.
Et elle ne se rappelait pas avoir été heureuse en famille.
Les mains froides et tremblantes, elle tapa l’adresse de Wendy sur son clavier.
La femme qui apparut sur son écran aurait pu être une parfaite inconnue.
— Salut, Wendy, dit Riley timidement.
— Salut, répondit sa sœur.
Elle se fixèrent d’un regard embarrassé pendant de longues secondes.
Riley savait que Wendy avait une cinquantaine d’années. Elle avait environ dix ans de plus qu’elle. Elle ne faisait pas son âge. Elle était un peu robuste, mais elle avait l’apparence d’une femme ordinaire. Ses cheveux ne grisonnaient pas autant que ceux de Riley, mais ce n’était peut-être pas sa couleur naturelle.
Riley jeta un coup d’œil à la photo. Wendy ressemblait un peu à leur mère. Riley savait qu’elle ressemblait plutôt à leur père. Elle n’en était pas particulièrement fière.
— Eh bien, dit Wendy pour mettre fin au silence. Qu’est-ce que tu fais… ces dernières années ?
Riley et Wendy étouffèrent un rire nerveux et gêné.
Wendy demanda :
— Tu es mariée ?
Riley soupira. Comment allait-elle expliquer à Wendy ce qui se passait entre elle et Ryan alors qu’elle ne le savait pas elle-même ?
Elle dit :
— Comme disent les jeunes, c’est compliqué. Et c’est vraiment compliqué.
Elle étouffa un rire nerveux.
— Et toi ?
Wendy parut se détendre.
— Loren et moi, on va bientôt fêter notre vingt-cinquième anniversaire de mariage. Nous sommes tous les deux pharmaciens. Nous avons notre propre établissement. Loren en a hérité de son père. Nous avons trois enfants. Le plus jeune, Barton, est à l’université. Thora et Parish sont mariés. Ils ont tous les deux quitté le nid. Il ne reste plus que moi et Loren à la maison.
Riley sentit une étrange nostalgie l’envahir.
La vie de Wendy ne ressemblait pas du tout à la sienne. En fait, la vie de Wendy semblait parfaitement ordinaire.
Comme au diner, elle eut l’impression de se regarder dans un miroir. Cette fois, ce n’était pas le passé qu’on lui montrait. C’était un futur hypothétique – la femme qu’elle aurait pu devenir, mais qu’elle ne deviendrait jamais.
— Et toi ? demanda Wendy. Tu as des enfants ?
Riley fut encore une fois tentée de répondre : « C’est compliqué ».
Au lieu de ça, elle dit :
— Deux. J’ai une fille de quinze ans, April. Et je suis en train d’essayer d’en adopter une deuxième, Jilly, qui a treize ans.
— Une adoption ! C’est très bien. Tu as raison.
Riley n’était pas sûre d’avoir envie qu’on la félicite. Elle aurait préféré que Jilly grandisse dans un foyer avec deux parents. Pour le moment, ce n’était pas certain. Mais Riley décida de ne pas en parler à Wendy.
Il y avait autre chose dont elle voulait discuter avec sa sœur.
Et elle avait peur que ce soit difficile.
— Wendy, tu sais que papa m’a laissé le chalet dans son testament, dit-elle.
Wendy hocha la tête.
— Je sais, dit-elle. Tu m’as envoyé des photos. C’est un bel endroit.
Riley n’était pas certaine de la formulation…
« Un bel endroit. »
Riley y était allée plusieurs fois, la dernière après la mort de son père, mais elle n’en gardait pas de bons souvenirs. Son père s’y était retiré avec sa retraite de colonel des US Marines. Ce n’était que la maison d’un vieillard aigri et solitaire qui détestait tout le monde et que tout le monde détestait en retour. La dernière fois que Riley l’avait vu vivant, ils en étaient même venus aux mains.
— Je crois que c’est une erreur, dit-elle.
— Quoi ?
— De me laisser le chalet. Il n’aurait pas dû faire ça. C’est toi qui devrais l’avoir.
Wendy eut l’air surpris.
— Pourquoi ?
Des émotions nauséabondes tournaient dans le ventre de Riley. Elle se racla la gorge.
— C’est toi qui étais avec lui à l’hôpital quand il est mort. Tu t’es occupée de lui. Tu t’es aussi occupée de tout le reste : la sépulture, le testament… Je n’étais pas là. Je…
Elle s’étouffa sur les derniers mots.
— Je n’aurais pas pu m’en occuper. On ne s’entendait pas.
Wendy sourit tristement.
— Je ne m’entendais pas plus avec lui.
Riley savait que c’était vrai. Pauvre Wendy… Papa l’avait battue avec acharnement jusqu’à ce qu’elle fugue à l’âge de quinze ans. Pourtant, Wendy avait eu la décence de s’occuper de leur père à la fin de sa vie.
Riley n’en avait pas fait autant. Elle ne pouvait pas s’empêcher de s’en vouloir. Elle dit :
— Je ne sais pas ce que vaut le chalet. Il doit bien valoir quelque chose. Je veux te le donner.
Wendy écarquilla les yeux. Elle eut l’air inquiet.
— Non, dit-elle.
Sa brusquerie étonna Riley
— Pourquoi ? demanda-t-elle.
— Je ne peux pas, c’est tout. Je n’en veux pas. Je veux l’oublier.