Read the book: «Si elle se cachait», page 3

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CHAPITRE CINQ

Cette fois-ci, quand elles entrèrent dans le commissariat de Deton, le bureau de la réception était occupé par une femme qui semblait faire partie du décor depuis de nombreuses années. Elle avait facilement la soixantaine et quand elle leva les yeux vers Kate, DeMarco et Jeremy Branch, elle leur adressa un sourire bien rodé. Mais quand elle comprit à qui elle avait affaire, son sourire disparut et elle redevint tout de suite sérieuse.

« Vous êtes les agents ? » demanda-t-elle.

« Oui, madame, » dit DeMarco. « Vous savez où on peut mettre monsieur Branch ? »

« Pour l’instant, dans la salle d’interrogatoire. J’appellerai le shérif pour lui dire que vous êtes là. Suivez-moi. »

La femme les guida à travers l’espace de bureau ouvert et elles prirent le même couloir où Barnes les avait amenées plus tôt dans la journée. Elle ouvrit la porte de la deuxième salle sur leur droite. La pièce ressemblait beaucoup à celle où elles avaient rencontré l’officier Foster lors de leur première visite au commissariat. Il y avait une vieille table assez usée, avec une chaise de chaque côté.

« Assieds-toi, » dit DeMarco à Jeremy, en le poussant légèrement en direction de la table.

Jeremy obtempéra, sans résister. Quand il fut assis, il croisa ses mains menottées devant lui et les fixa des yeux.

« En quoi consistait votre relation avec Mercy Fuller ? » demanda Kate.

« Je la connaissais à peine. »

« J’ai vu une photo dans ta chambre qui prouve le contraire. »

« Et si je vous disais qu’elle était aussi… eh bien, aussi affectueuse avec la plupart des garçons ? »

« Eh bien, je dirais que ce serait une accusation plutôt osée à l’encontre de quelqu’un. Surtout dans une ville comme celle-ci, concernant une fille qui vient juste de perdre ses deux parents. »

Jeremy soupira et haussa les épaules. Son attitude nonchalante énervait Kate mais elle fit de son mieux pour rester professionnelle.

« Je vous l’ai déjà dit… Je ne sais rien concernant cette famille. »

« Tu mens, » dit Kate. « Et il faut que tu saches une chose. Tu peux continuer à mentir, mais c’est une petite ville, ne l’oublie pas. Je pourrai facilement savoir si tu m’as menti. Et si c’est le cas, alors on va commencer à creuser sur votre petit trafic de drogues. Peut-être que nous retrouverons certains des clients dont ton frère a écrit le nom sur le petit cahier noir en-dessous de son lit. Peut-être qu’on leur dira que c’est toi qui nous as dit où se trouvait le cahier. »

Les yeux de Jeremy s’écarquillèrent à ces mots et il commença à gigoter sur sa chaise. Kate se dit qu’elles devraient peut-être aussi interroger son frère. Elle se demanda lequel des deux craquerait le premier, une fois mis sous pression.

Mais apparemment, elle n’allait pas devoir en passer par là. Elle put pratiquement voir le moment où Jeremy Branch décida que sa propre survie était plus importante que tout.

« OK, je la connais. Mais on ne sortait pas officiellement ensemble. On se voyait juste de temps en temps. »

« Alors, c’était essentiellement une relation sexuelle ? »

« Oui. Et rien de plus. »

« Ça ne te dérangeait pas qu’elle n’ait que quinze ans ? »

« Un peu. Je me suis dit que j’arrêterais de la voir le jour où j’aurais mes dix-huit ans. Pour éviter d’avoir des problèmes, vous voyez ? »

« À quand remonte la dernière fois où tu l’as vue ? » demanda DeMarco.

« Il y a environ une semaine. »

« Elle est venue chez toi ? »

« Oui. On avait ce genre de plan entre nous. Quand elle avait envie de me voir, elle m’envoyait un message et j’allais la chercher sur Waterlick Road. Elle disait à ses parents qu’elle allait chez une amie et j’allais la chercher pour la ramener chez moi. »

« Ça durait depuis combien de temps ? » demanda Kate.

« Quatre ou cinq mois. Écoutez… je sais que ça peut paraître dégueulasse, mais je ne la connais vraiment pas bien du tout. C’était juste sexuel. C’est tout. J’étais son premier mec… et elle était un peu curieuse, vous voyez ? Elle n’était pas non plus du genre accro au sexe, mais on se voyait souvent. »

« Je pensais que tu avais dit qu’elle était affectueuse avec la plupart des types, » dit DeMarco.

Il se contenta de hausser les épaules. C’était visiblement un mensonge qu’il avait dit pour garder la face.

« Et ses parents ? » demanda Kate. « Qu’est-ce que tu peux nous dire à leur sujet ? »

« Rien. Je savais qui était son père. C’est une petite ville, vous savez. Tout le monde se connaît. Et elle disait toujours en blaguant que si son père apprenait qu’on bai… qu’on avait des relations sexuelles, » dit-il, ne trouvant apparemment pas approprié d’utiliser un autre terme devant deux femmes, « il me tuerait. »

« Et tu la croyais ? »

« Je ne sais pas. Mais j’imagine. En tant que mec, on n’a jamais vraiment envie de penser que le père de la fille avec qui on couche pourrait l’apprendre. Je ne savais pas quoi penser au sujet de ses parents. Elle les détestait. Elle les haïssait vraiment, vous savez ? »

« Ah bon ? »

« De la manière dont elle parlait d’eux, oui, je pense bien. Si je peux… »

Il s’interrompit et eut l’air de réfléchir à quelque chose. Puis il regarda Kate et DeMarco comme s’il essayait de savoir jusqu’où il pouvait aller.

« À quoi tu penses ? » demanda Kate.

« Écoutez, je sais que c’est nul d’avoir couché avec elle au moins une vingtaine de fois et de ne pas la connaître plus que ça. Mais j’ai toujours trouvé que c’était bizarre la manière dont elle parlait de ses parents. »

« C’est-à-dire ? »

Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, on frappa à la porte. Le shérif Barnes l’ouvrit et passa la tête dans l’embrasure. Il y eut un bref échange de regards entre Barnes et Jeremy. Kate comprit que ce n’était probablement pas la première fois que Jeremy se retrouvait dans cette salle d’interrogatoire.

« Jeremy Branch ? » dit-il. « Qu’est-ce qu’il fout là ? »

« Tu lui dis ou on s’en charge ? » demanda DeMarco. Elle laissa quelques secondes à Jeremy pour répondre mais comme il restait silencieux, elle mit Barnes au courant de la situation. « Il couchait avec Mercy Fuller… et la dernière fois date de la semaine dernière. Il vient juste de nous dire combien il trouvait étrange que Mercy parle de manière aussi négative au sujet de ses parents. Combien elle les haïssait. »

« Tu couchais avec elle ? » demanda Barnes. « Mais… tu as quel âge ? »

« Dix-sept ans. Je n’aurai dix-huit ans que le mois prochain. »

« Vas-y, continue, » dit Kate, en revenant sur le sujet. « Raconte-nous le genre de choses que Mercy disait au sujet de ses parents. »

« Elle disait qu’ils ne la laissaient jamais rien faire. Qu’ils ne lui faisaient pas confiance. Elle en voulait particulièrement à sa mère. À au moins deux ou trois reprises, elle a dit un truc du genre ‘j’ai juste envie de la tuer, cette connasse.’ Elle détestait sa mère. »

« Est-ce qu’elle t’a parlé de la relation que ses parents avaient entre eux ? » demanda Kate.

« Non. Elle parlait rarement d’eux. Elle crachait son venin pendant un moment, s’énervait un peu, et c’était généralement à ce moment-là qu’on couchait ensemble. Je… je ne sais pas. Je n’ai jamais pensé qu’elle finirait vraiment par le faire. »

« Faire quoi ? » demanda Barnes.

Jeremy leva les yeux vers eux, comme s’ils n’avaient rien compris de ce qu’il venait de leur dire. « Sérieusement ? Écoutez… comme je vous l’ai dit. Elle avait l’air un peu ingénue, à part le fait d’être un peu nympho, mais si vous cherchez l’assassin de ses parents… c’est elle que vous devez trouver. Je peux vous garantir que Mercy a tué ses parents avant de quitter la ville. »

CHAPITRE SIX

Jusque-là, personne ne s’était encore assis sur la chaise qui se trouvait en face de Jeremy. Kate, DeMarco et Barnes étaient restés debout. Mais au moment où Jeremy fit cette accusation, le shérif Barnes s’avança lentement vers la chaise et s’assit en face de l’adolescent. Il y avait un mélange de tristesse et de colère dans ses yeux au moment où il pointa un doigt accusateur en direction de Jeremy.

« Je suis shérif dans cette ville depuis seize ans. Je connaissais bien Wendy et Alvin Fuller. Et d’après ce que je sais, Mercy Fuller était une jeune fille bien. Certainement pas une petite merdeuse comme toi. Alors si tu tiens à faire une telle accusation, il vaudrait mieux pour toi que tu aies de quoi l’étayer. »

Jeremy hocha la tête, visiblement très effrayé. « Oui, j’ai de vraies raisons de le penser. »

Barnes croisa les bras, s’appuya contre le dossier de la chaise et un léger rictus se dessina sur ses lèvres. Quand Jeremy se mit à parler, il le fit sans quitter Barnes des yeux. Il avait l’air d’avoir peur que Barnes se jette à tout moment à son cou pour l’étrangler.

« Ça faisait peut-être trois ou quatre semaines qu’on se voyait quand elle mentionna pour la première fois l’idée de s’enfuir de chez elle. Elle m’a demandé si je viendrais avec elle. Elle voulait aller en Caroline du Nord. Je me suis un peu moqué d’elle parce que je ne voyais pas à quoi ça servait de fuguer pour aller si peu loin. En plus, je ne l’aimais pas de cette façon-là. Mon frère blaguait tout le temps sur le fait que les filles avaient tendance à être obsédées par le premier garçon avec lequel elles couchaient. Et je pense que c’était son cas. En tout cas, il était hors de question que je fugue avec elle. Mais la manière dont elle en parlait… il était clair qu’elle l’envisageait vraiment. »

« Est-ce que tu penses que la raison pour laquelle elle voulait fuguer, c’était parce qu’elle détestait vraiment ses parents ? » demanda Kate.

« J’imagine. Enfin, c’est la seule véritable raison à laquelle je peux penser qui pourrait l’avoir motivée à vouloir partir de chez elle. En même temps… mes parents, ce sont aussi des connards. Mais je n’ai jamais fugué. »

« Non, » dit Barnes. « Tu t’es contenté de déménager à trois kilomètres, dans le mobile home de ton frère. Peut-être que Mercy n’avait pas cette possibilité. »

« Mais, » continua Kate, pour éviter que Barnes ne fasse dévier le sujet de la conversation. « Est-ce que tu es sûr qu’elle parlait sérieusement quand elle mentionnait le fait de fuguer ? Elle n’essayait pas juste de t’épater pour que tu restes avec elle ? »

« Non. Mais elle n’arrêtait pas de dire que sa mère pèterait un câble en essayant de la retrouver – pas parce qu’elle aurait spécialement envie de la retrouver mais parce qu’elle aurait eu l’impression de s’être fait avoir par Mercy. »

« Est-ce qu’elle a mentionné des cas d’abus ou de maltraitance à la maison ? » demanda DeMarco.

« Non. En tout cas… pas récemment. Elle m’a juste raconté une fois que sa mère l’avait traînée et frappée au visage quand elle avait onze ou douze ans. »

« Et est-ce qu’elle a déjà mentionné le fait de vouloir vraiment les tuer ? » demanda Kate.

« À plusieurs reprises. Elle disait des trucs du genre ‘je meurs d’envie de les tuer’. Puis elle se demandait si elle le ferait avec un couteau ou avec une arme. Elle aimait vraiment en parler. Mais je lui disais d’arrêter. Quand on se voyait, c’était juste pour le sexe. Et je n’avais pas envie de l’entendre parler d’assassiner ses parents alors qu’on était sur le point de coucher ensemble, vous voyez ? »

Jeremy s’interrompit et les regarda. Kate réfléchit à ce qu’il venait de leur dire. Il leur avait déjà menti une fois concernant le fait que Mercy était une fille légère et elle se demandait si le reste était également un mensonge.

Elle se pencha vers le shérif Barnes qui était toujours assis et murmura à son oreille : « Est-ce qu’on peut se parler un moment en privé ? »

Il hocha la tête et se leva de sa chaise, sans quitter Jeremy des yeux. Il ne se contenta pas de sortir de la pièce – il en sortit d’un air furieux. Sans même dire un mot à Kate et DeMarco qui le suivaient, il alla directement dans son bureau. Il leur tint la porte pour qu’elles puissent entrer et la referma une fois qu’elles furent toutes les deux à l’intérieur.

Aussi sec, il dit : « Et merde. »

« Vous pensez qu’il dit la vérité ? » demanda Kate.

« Je pense qu’il y a suffisamment de bribes véridiques dans son histoire pour qu’elle soit crédible. Cette fois où Wendy Fuller avait frappé Mercy… ça s’est vraiment passé. Mercy a appelé la police. Et elle n’était pas triste de l’avoir fait. C’était il y a environ cinq ans, mais je m’en rappelle très bien. Elle était vraiment vindicative. Elle voulait vraiment que sa mère ait des ennuis. Mais finalement, il a suffi de parler un peu avec eux et tout s’est arrangé. Wendy avait un problème d’alcoolisme à l’époque. D’après ce que je sais, ça fait maintenant deux ans qu’elle ne boit plus une goutte. Quant au fait que Mercy haïsse autant ses parents… je ne sais pas quoi en penser. »

« Tout ce qu’il vient de nous dire est exactement à l’opposé de ce qu’Anne Pettus nous a dit. Elle a dit que Mercy aimait ses parents… qu’ils s’entendaient très bien. »

« C’est ce qui me chipote, » dit Barnes. « Jeremy Branch et son frère sont des fouteurs de troubles. J’ai arrêté son frère à deux reprises pour possession de drogues et une fois pour conduite obscène à l’arrière de sa camionnette sur une petite route de campagne. Quant à Jeremy, je ne l’ai arrêté qu’une seule fois – pour larcin. Mais je me suis toujours dit qu’il ne faudrait pas longtemps avant qu’il devienne un habitué. »

« Est-ce qu’il aurait une raison de mentir sur le fait que Mercy soit potentiellement l’assassin ? » demanda DeMarco.

« Je ne sais pas. Mais… son histoire tient la route, non ? La fille en a marre de ses parents, elle les tue et prend la fuite. »

Kate hocha la tête. Elle se rappelait avoir imaginé la scène où Mercy s’approchait de ses parents et les tuait l’un après l’autre, avant qu’ils ne comprennent ce qu’il se passait.

« Ça fait combien de temps que Jeremy vit avec son frère ? » demanda Kate.

« Je n’en suis pas certain, mais de manière définitive, peut-être depuis un an. Mais même avant ça, il venait de temps en temps vivre avec lui. Son frère s’appelle Randy Branch – un fouteur de merde de vingt-cinq ans. Leurs parents ont divorcé il y a environ dix ans. Randy a emménagé tout seul dès qu’il a pu, dans ce vieux mobile home au bord de la forêt. Pendant un temps, je crois que Jeremy a été balloté entre ses deux parents. Mais à un moment donné, leur mère est partie vivre avec de la famille en Alabama. Après ça, je pense que leur père a juste cessé de s’occuper de lui. »

« Mais il vit dans le coin ? »

« Oui, sur Waterlick Road. »

« Est-ce que vous savez s’il arrive parfois à Jeremy de rester chez son père ? »

« Pas personnellement, mais j’ai entendu des rumeurs. Et selon ces rumeurs, Randy aime organiser des fêtes assez chaudes. Dans le style orgies, j’imagine. Et il ne veut pas que Jeremy soit là. Alors d’après ce que j’ai entendu, les weekends où il organise ce genre de fêtes, Jeremy va dormir chez son père. » Il s’interrompit, puis ajouta, d’un air presque sceptique : « Vous pensez qu’il est possible que Mercy soit l’assassin ? »

« Et vous ? »

Il haussa les épaules. « Je ne veux pas y croire, mais ça commence à y ressembler. Pour être tout à fait honnête, c’est une hypothèse que j’envisageais déjà avant votre arrivée. »

« On va garder Jeremy ici un peu plus longtemps, » dit Kate. « Pendant ce temps, est-ce que vous pourriez nous trouver l’adresse et les coordonnées du père de Jeremy ? »

« Oui, je vais demander à Foster de s’en occuper, » dit-il, en prenant son téléphone. « Il sera content de pouvoir ajouter des informations aux dossiers de l’enquête. »

Kate et DeMarco sortirent du bureau et se dirigèrent vers l’entrée du commissariat. À voix basse, DeMarco demanda à Kate : « Est-ce que tu penses que Jeremy Branch dit la vérité ? »

« Je ne sais pas. Sa version des faits est assez logique et explique bien des choses. Mais je sais également qu’avec toutes les drogues que j’ai trouvées chez eux, il a toutes les raisons du monde de vouloir couvrir ses arrières et d’éviter qu’on concentre notre attention sur lui. »

« Je ne peux pas m’empêcher de me demander s’il a quelque chose à voir dans ces meurtres, » dit DeMarco. « Un garçon plus âgé, qui aurait envie de garder une fille plus jeune sous son contrôle. Si elle haïssait vraiment ses parents et qu’il était assez fou pour le faire, est-ce qu’il ne pourrait pas être un suspect ? »

C’était un raisonnement auquel Kate avait également pensé. Et ça restait une possibilité. Kate espérait qu’une visite au père de Jeremy pourrait leur apporter des informations supplémentaires.

« Agents ? »

Elles se retournèrent et virent Barnes sortir de son bureau. Il tendit une feuille de papier à Kate et hocha la tête. « Voici l’adresse de Floyd Branch. Mais je préfère vous prévenir… Il peut se comporter comme un véritable connard. Il n’en a rien à foutre des badges et de la police. »

« On est en pleine journée, » dit Kate. « Est-ce que vous pensez qu’il sera chez lui ? »

« Oui. Il répare de petits moteurs et des trucs dans le genre dans son garage. » Barnes consulta sa montre et sourit. « Il est quinze heures trente, alors je parie qu’il a déjà commencé à picoler. Si j’étais vous, j’irais tout de suite… avant qu’il soit complètement saoul. Vous voulez que je vous accompagne ? C’est un peu un péquenaud. Je ne sais pas comment le dire d’autre. En voyant deux femmes arriver chez lui, il ne va pas vous prendre au sérieux. »

« Ça s’annonce bien, » dit Kate. « Venez avec nous, shérif. Plus on est de fous, plus on rit. »

Elle connaissait bien le genre d’hommes que Barnes venait de leur décrire. Elle en avait déjà rencontré beaucoup, surtout dans le Sud. Il y avait des endroits où les hommes semblaient ne pas avoir évolué et où ils manquaient non seulement de respect aux femmes mais ils étaient également incapables de les considérer comme des égales… même si elles portaient un badge et une arme.

Ils quittèrent le commissariat ensemble et se dirigèrent vers la voiture que DeMarco avait conduite depuis Washington. Waouh, c’était seulement ce matin, pensa-t-elle.

Elle repensa à Allen et aux projets qu’il avait faits pour eux – une escapade dans les montagnes pour déguster du vin, faire la grasse matinée et d’autres choses dans un lit qui n’avaient rien à voir avec le fait de dormir.

Et bien qu’elle soit encore un peu triste à l’idée d’avoir raté ce moment, elle devait également admettre qu’elle se sentait enthousiaste à la perspective de cette affaire qui commençait à prendre forme. Elle avait encore du boulot pour parvenir à maintenir un bon équilibre entre sa vie privée et ses activités au FBI, mais à cet instant présent, elle avait l’impression d’être exactement à l’endroit où elle devait être.

CHAPITRE SEPT

La propriété de Floyd Branch était l’incarnation même de tous les stéréotypes sudistes. Au moment où DeMarco gara la voiture dans l’allée recouverte de graviers, une dizaine de chansons country vinrent en tête à Kate en voyant le mobile home de Floyd Branch, son jardin et ses quelques possessions éparpillées.

Le jardin était à peine mieux entretenu que celui qu’elles avaient vu chez Jeremy. Des morceaux de pelouse autour du mobile home avaient été tondus, avec des herbes mortes à certains endroits. La tondeuse – un vieux tracteur avec un capot rouillé – était garée juste à côté d’un appentis à l’arrière de la maison. Deux épaves de pick-up – dont il manquait toute la partie arrière – étaient posées sur des blocs en béton à côté de l’appentis. Il y avait également un enclos pour chiens, fait de planches en bois, de quelques poteaux en métal et de grillage. Quand ils furent garés et qu’ils sortirent de voiture, ils entendirent grogner deux pit bulls à l’intérieur de l’enclos.

Kate, DeMarco et Barnes n’avaient fait que quelque pas avant qu’un homme d’âge moyen et à l’allure squelettique sorte de l’appentis. Il portait un balai en main et regardait d’un air fâché en direction de l’enclos, en insultant ses chiens. Il remarqua ensuite qu’il avait de la visite. Sa colère retomba et il jeta le balai dans l’appentis, comme s’il était gêné de l’avoir en main.

« Bonjour, shérif. »

« Bonjour, Floyd. Comment vas-tu ? »

« Bien, j’imagine. Je travaille sur une vieille moto pour la famille Wells. Ce truc est bon pour la casse mais il m’a déjà payé, alors… »

Il s’interrompit, visiblement distrait en voyant les deux femmes qui se trouvaient de part et d’autre de Barnes. Il avait l’air surpris et légèrement excité. Non pas parce qu’il y avait des femmes sur sa propriété, mais plutôt parce que c’était quelque chose d’inattendu – quelque chose de nouveau et qui sortait de l’ordinaire.

« Floyd, ces deux femmes sont des agents du FBI. Elles aimeraient te poser quelques questions. »

« Le FBI ? Mais pourquoi ? Je n’ai rien fait de mal. »

« Oh, je ne pense pas non plus, » dit Barnes. « Mais dis-moi, Floyd : à quand remonte la dernière fois où tu as parlé à Jeremy ? »

« Ah merde, qu’est-ce qu’il a fait ? »

« On ne sait pas encore, » dit Kate. « Peut-être rien du tout. Mais nous sommes venus ici pour nous en assurer. »

« Il sortait avec Mercy Fuller, » dit Barnes. « La fille d’Alvin et de Wendy. Il est actuellement au commissariat pour être interrogé. Je préférais que tu le saches. »

« Quoi ? Merde, shérif. » Floyd haussa les épaules et secoua la tête. « Mais ce n’est pas étonnant. Ce garçon ne me raconte jamais rien. Ça fait probablement trois semaines que je ne l’ai pas vu. Il est resté quelques jours chez moi pendant que Randy s’occupait de ses affaires. Mais je suis presque sûr qu’il est venu ici il y a quelques jours, quand j’étais au bar. Il a laissé la lumière allumée dans sa chambre. Il vient parfois ici pour regarder des films. Principalement des films porno, j’imagine. Un vrai petit barjo. »

« Et il ne vous a jamais parlé de Mercy Fuller ? » demanda Kate.

« Non. En fait, on se parlait à peine. Parfois un peu de football. De la tripotée qu’allaient se prendre les Redskins. Il posait parfois des questions sur sa mère mais je n’avais pas envie de parler de ça, vous voyez ? » Il s’interrompit soudain, comme s’il venait subitement d’avoir une idée. « Merde. Les Fuller ? J’ai entendu parler de ce qui leur est arrivé. Est-ce que Mercy a aussi été tuée ? »

« Non, » dit Barnes. « Mais elle a disparu. »

« On a parlé à Jeremy de la relation qu’il avait avec elle, » dit Kate. « Il nous a dit que Mercy n’aimait pas ses parents et il pense que Mercy a quelque chose à voir avec leur assassinat. »

« Je ne vois pas pourquoi il mentirait à ce sujet, » dit Floyd. Il n’avait pas l’air choqué par une telle accusation. En fait, il avait l’air plutôt détaché par rapport à toute la situation, comme si ça ne le concernait pas du tout. « Ils sortaient ensemble ? »

« Jeremy nous a dit que c’était uniquement sexuel, » dit DeMarco. « Mais il nous a également dit qu’elle se confiait à lui – et qu’elle lui avait dit qu’elle haïssait ses parents. Qu’elle avait envie de les tuer. »

« Excusez-moi de vous poser une question aussi stupide, » dit Floyd, « mais pourquoi vous êtes là ? Shérif Barnes… vous connaissez probablement mieux Jeremy que moi. »

« Est-ce que Jeremy avait une chambre chez vous ? » demanda Kate.

« Oui. La dernière au bout du couloir. »

« Est-ce qu’on peut aller y jeter un coup d’œil ? »

Floyd hésita un instant, en ne sachant pas quoi répondre. Il regarda Barnes comme s’il cherchait une aide ou une forme de soutien.

« Tu as quelque chose dans ce mobile home qui ne devrait pas s’y trouver, Floyd ? » demanda Barnes.

Au lieu de répondre à la question de manière directe, Floyd se contenta de demander : « Vous allez seulement dans la chambre de Jeremy, c’est bien ça ? »

« Pour l’instant, oui, » dit Barnes, d’un ton sceptique. « Merci, Floyd. »

Barnes accompagna Kate et DeMarco jusqu’au mobile home. En montant les marches branlantes qui menaient au porche, Kate jeta un rapide coup d’œil en direction de Floyd Branch. Il se dirigeait à nouveau vers son appentis, visiblement indifférent à la conversation qu’ils venaient d’avoir.

« Il n’était pas aussi désagréable que ça, finalement, » dit Kate.

« Il n’a pas encore commencé à picoler, c’est pour ça. »

Ils entrèrent dans le mobile home et Kate fut surprise par ce qu’elle vit. Elle s’était attendue à ce que l’intérieur soit dans un état lamentable, en désordre et encombré. Mais apparemment, Floyd possédait très peu de choses et l’endroit était assez bien rangé, bien qu’il y flotte le même genre d’odeur que Kate avait sentie dans le mobile home de son fils : une odeur de bière et une odeur âcre qui devait probablement être des restes de marijuana.

Le couloir était étroit et donnait sur trois pièces : une chambre à coucher, une salle de bains, et une plus petite chambre vers le fond. Kate et DeMarco entrèrent dans la chambre de Jeremy, tandis que Barnes restait en arrière.

« Appelez-moi si vous avez besoin d’aide, » dit-il. « Mais il y a à peine la place pour vous deux, alors je vais vous attendre ici. »

Il avait raison. La chambre était très petite et était essentiellement occupée par un matelas posé sur le sol et un vieux bureau où étaient empilés des DVD et des CD. Une petite télé et un lecteur DVD poussiéreux étaient posés par terre au pied du matelas, avec leurs câbles serpentant sur le sol. Un téléphone portable se trouvait sur la télé, connecté à un chargeur qui était branché à un adaptateur multiprises, qui alimentait également la télé, le lecteur DVD et le petit ventilateur de la fenêtre.

Kate prit le téléphone en main. C’était un iPhone ancien modèle. Quand elle appuya sur le bouton pour l’allumer, l’écran s’afficha directement. Il n’y avait pas de mot de passe. Sur l’écran d’accueil, il n’y avait que quelques applis : quelques jeux, les paramètres du téléphone, le dossier photos et l’horloge. C’était un téléphone sans service, mais qui pouvait être utilisé pour jouer. Kate avait quelques amis qui avaient permis à leurs enfants d’avoir ce genre de téléphone. Avant de leur donner un téléphone entièrement connecté, ils avaient autorisé leurs enfants à avoir un appareil offrant des services limités, juste pour envoyer des messages à certaines personnes et jouer à des jeux qui ne nécessitaient pas une connexion wifi.

Derrière elle, DeMarco fouillait dans les dvd. « Floyd ne plaisantait pas quand il disait que son fils venait ici pour regarder des films porno. La moitié de ces dvd sont des films porno amateurs. L’autre moitié sont des vidéos à caractère sexuel de type Cinemax. »

Kate continua à fouiller dans le téléphone. Elle ouvrit le dossier photos, qui était bien rempli. Certains clichés montraient des filles qui faisaient la fête. Quelques-unes d’entre elles étaient seins nus. Certaines s’embrassaient et il était clair qu’elles étaient soules. Il y avait également quelques vidéos assez courtes. Elle continua à chercher dans le dossier jusqu’à ce qu’elle arrive à une vidéo qui faisait presque cinq minutes. La vignette de la vidéo montrait le visage de Mercy Fuller.

Elle appuya sur le bouton Play et il lui fallut moins de trois secondes pour comprendre ce qu’elle avait devant les yeux avant de la refermer. Dans la vidéo, Mercy était couchée sur le dos et elle était filmée d’en haut. Le directeur était apparemment Jeremy, qui l’avait filmée au cours d’une relation sexuelle assez brutale. Mais ce n’était pas forcé, d’après les gémissements de plaisir qui sortaient de la bouche de Mercy.

« Mon dieu, » dit Kate, en sortant du dossier photos.

« C’était quoi ? » demanda DeMarco.

« La preuve que Jeremy Branch nous a dit la vérité concernant au moins une chose : ils couchaient bien ensemble. »

Bien que le téléphone n’ait aucun accès aux contacts – il n’en avait pas besoin, vu que le téléphone ne permettait pas de passer des coups de fil – Kate remarqua qu’il y avait néanmoins quelques échanges de messages. Elle ouvrit les messages et y trouva seulement trois conversations. L’une d’entre elles était avec un contact appelé FRÉROT et il était clair qu’il s’agissait d’un échange entre Jeremy et son frère, Randy. Une autre des conversations était avec un type du nom de Chuck, où ils parlaient des célébrités avec lesquelles ils aimeraient coucher et pourquoi.

Le troisième échange de messages venait d’un contact que Jeremy avait appelé PLAN CUL. La petite photo au-dessus du nom était celle de Mercy Fuller, avec la tête légèrement penchée sur le côté et la bouche en cœur.

« Il se pourrait que j’ai trouvé quelque chose, » dit Kate.

DeMarco s’approcha d’elle et elles se mirent à lire l’échange de messages. Il y en avait beaucoup et ils s’étalaient sur plusieurs mois. La vaste majorité consistait en des messages assez longs de Mercy avec des réponses très brèves, souvent d’un seul mot, de la part de Jeremy. Plus elles lisaient, plus il devenait clair que Jeremy Branch leur avait menti. Il avait peut-être dit la vérité concernant la nature de leur relation, mais la description qu’il avait faite concernant Mercy et ses parents était complètement fausse.

Et cela soulevait une question très importante.

S’il leur avait menti à ce sujet, qu’est-ce qu’il pouvait bien leur cacher d’autre ?

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