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L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès

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M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections faites à la statue.



Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M. Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment.



On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard, vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales, donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet de traité, qui fut adopté à l'unanimité.



M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut demanda à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une époque plus opportune.



XXXVI

Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal de la statue de l'abbé de l'Épée. – Examen du bronze destiné à cette œuvre. – Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à l'achèvement des travaux. – Le conseil municipal en vote 2,000. – Projet d'une plaque commémorative. – Inscription de la face principale du monument. – Travaux du fondeur surveillés par le statuaire. – Érection fixée au 8 septembre 1843. – Dernières dispositions. – Programme de la fête. – Décision du conseil municipal. – Je suis invité à adresser une allocution mimique aux sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.



Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur des sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843.



Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier, inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze, envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne.



M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur suit:



«M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs.



«Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le secrétaire rend compte des corrections faites à la statue.



«La commission a annexé aux pièces un état de la situation financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure au devis pour la construction du piédestal de la statue.



«Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de 2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal réduira probablement cette dépense à 2,000 fr.



«Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper;



«Que la construction du piédestal sera supportée par la souscription;



«Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de laquelle il sera pourvu dans la session de mai.»



Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1er août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville, et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par le moyen de lettres et par celui de visites, dont serait chargée une personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une démarche vis-à-vis de Messieurs les membres du conseil général du département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août.



D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux du piédestal, etc., etc.



Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre, enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait l'inscription suivante:



AD. MAJ. GLOR. DEI

Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE Ier, Roi des Français,

EN AOÛT 1843,

Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique

A LA MÉMOIRE DE

CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,

Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets,

NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789

MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE

ET DES HABITANTS,

DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES,

Par les soins des Commissaires:

MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur;

Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies;

Architecte: PARIS, Architecte de la ville;

Fondeur: SAINT-DENIS

Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument.



GABRIEL F., à Versailles.

Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie, en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux archives de la ville. – On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque, suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission.



On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du piédestal, l'inscription suivante:



L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,

NÉ A VERSAILLES,

LE XXIV NOV. MDCCXII

Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas, l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun.



Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus éloignée, selon les ressources de la commission.



M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que les conditions imposées par la commission du monument, d'après les articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de la commission et M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité nécessaire. – Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur place.



Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur, la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M. l'abbé Caron, vice-président.



La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des travaux.



Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés. Elle rapporta sa décision du 1er août, et arrêta que cette inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en ces termes:



L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,

PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS,

NÉ A VERSAILLES,

LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII

Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers une heure de relevée.



Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission.

 



L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la statue. La commission décida ce qui suit:



Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires, notamment pour empêcher la commission et les souscripteurs d'être confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet, président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la statue à la ville de Versailles.



La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses personnes qui ont rendu différents services à la commission.



Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la notice.



M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2 septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir entendu, le 8 novembre 1841, celui de la commission qui avait été chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée:



«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M. Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de jonction des rues Royale et d'Anjou

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  On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire évacuer les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde population dans des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les riverains, une occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur donner ainsi un aspect plus régulier. On avait observé, quant à l'emplacement sur la place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en tout, 4 m 80 de hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que, pour qu'ils fussent en rapport, la statue et le piédestal réunis devraient avoir 7 m de hauteur; par conséquent, occuper une superficie de 17,30, au lieu de celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage obligé.


  L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (

Note de la commission de Versailles.

)


  J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait d'une erreur historique. (

Note de l'Auteur.

)





M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument, de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures de police qui lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la cérémonie.



M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le 2 septembre, de Versailles, en ces termes:



«MONSIEUR,



«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir bien adresser une allocution

mimique

 aux sourds-muets réunis au pied de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur bienfaiteur, et de leur témoigner que

la ville de Versailles

 tient à honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la garantie de l'éloquence de ses paroles.



«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir prononcée.



«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour Lyon le 24 ou le 25, on aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus tôt.



«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à

midi et demi précis

 sur remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions.



«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de vœux qui doivent sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son très-humble et très-obéissant serviteur.»



XXXVII

Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville natale. – Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris et d'Orléans. – Désintéressement du chemin de fer. – Absence regrettable du clergé. – Nombreuse affluence de spectateurs. – Discours du préfet, au nom de la commission des souscripteurs. Réponse du maire. – Notice sur la vie et les travaux de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la commission du monument. – Mon allocution mimique. – Salves d'artillerie. – Absence du vénérable Paulmier. – Discours qu'il devait prononcer.



Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure, la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins le clergé

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  Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a prétendu, par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur? Nous ne pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis sa mort; et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous séparent de cette époque.



), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là, aux applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la ville dans les termes suivants:



«MONSIEUR LE MAIRE,



«La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui nous environne, et je suis chargé, par la commission de souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles, représentée par son corps municipal.



«Le zèle des souscripteurs, dans cette œuvre de reconnaissance, a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste, par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le jour.



«Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la morale, de l'intelligence et de la raison.



«Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.»



M. Remilly, maire de Versailles, membre de la Chambre des députés, a répondu ainsi:



«Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste orgueil.



«Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante, naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en était déshéritée. – Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond, il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence, éveilla dans leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte.



«Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de l'abbé de l'Épée!



«Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance la sympathie des nobles cœurs pour un génie vertueux et modeste! Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi nous, qui a voulu faire descendre dans son œuvre, dans ce bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie durant sa vie de vertu et d'abnégation!



«Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de l'Épée, en rappelant le souvenir de ses utiles travaux, de son dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui, la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui immortalisent notre grand concitoyen.»



M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice biographique sur l'abbé de l'Épée.



Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant:



«FRÈRES ET SŒURS!



«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux impatients!

 



«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve énergie de nos sentiments exprimés dans une langue qui est notre patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel.



«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes sœurs en Dieu, vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que, quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons religieusement! Quel langage parlent à nos regards ce geste expressif, cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos sœurs d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans leurs cœurs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les ronces du chemin, et que Dieu vous conduise!



«Frères et sœurs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce bronze, pour nous si palpitant de souvenirs!



«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en caractères ineffaçables!



«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à bonne fin cette œuvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes, qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de l'avoir vu naître dans ses murs!»



M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive sensibilité.



M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres enfants.



Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique. Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le président et le secrétaire de la commission.



Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied de la statue:



«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages que l'immortel abbé de l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son œuvre est au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son cisea