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Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1

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§ X

La ligne de l'armée française fut établie ainsi: la droite était appuyée à Loano; ensuite la ligne passait à San-Bardinetto, et le petit Saint-Bernard, dominait le Tanaro, traversait la vallée, arrivait au col de Terme qui domine les sources du Tanaro, sur la gauche, au-delà d'Orméa; de là elle arrivait, par la crête supérieure des Alpes, au col de Tende. La ligne continuait sur le col supérieur qui domine la vallée de Lastrera, et venait appuyer la gauche à la droite de l'armée des Alpes, au camp de Tormes.

Le résultat de ces manœuvres avait mis au pouvoir de l'armée d'Italie, plus de soixante bouches à feu. Saorgio avait été trouvée bien approvisionnée en vivres et munitions de toute espèce: c'était le dépôt principal de toute l'armée piémontaise.

Le roi de Sardaigne fit juger et passer par les armes le commandant de Saorgio: il fit bien. Ce commandant pouvait se défendre encore douze ou quinze jours. Il est vrai que le résultat eût été le même; car les Piémontais ne pouvaient le secourir. Mais, à la guerre, un commandant de place n'est pas juge des évènements; il doit défendre la place jusqu'à la dernière heure; il mérite la mort quand il la rend un moment plus tôt qu'il n'y est obligé. L'armée française resta dans ces positions jusqu'en septembre, que l'on apprit à Nice qu'un corps considérable d'Autrichiens se portait sur la Bormida: alors le général Dumerbion mit en mouvement l'armée, pour aller reconnaître l'armée autrichienne, et s'emparer de ses magasins que l'on disait avoir été avancés jusqu'à Cairo. Les représentants Albitte et Salicetti accompagnaient l'armée française: le général, commandant de l'artillerie, dirigeait les opérations; ce qui le sauva de comparaître à la barre de la convention.

§ XI

Napoléon, faisant son inspection à Marseille, fut interpelé par le représentant..... qui lui fit connaître que les sociétés populaires voulaient piller les magasins à poudre. Le général d'artillerie lui remit un plan pour construire une petite muraille crénelée sur les ruines des forts Saint-Jacques et Saint-Nicolas: ces deux forts avaient été démolis par les Marseillais, au commencement de la révolution. C'était un objet de peu de dépense; quelques mois après, il y eut un décret qui appela à la barre de la convention le commandant d'artillerie de Marseille, comme ayant présenté un projet de rétablir les forts Saint-Jacques et Saint-Nicolas, contre les patriotes.

Le décret désignait le commandant d'artillerie de Marseille, et Napoléon était général d'artillerie de l'armée d'Italie. Le colonel Sugny, que cela regardait textuellement, se rendit, suivant la lettre du décret, à Paris.

Arrivé à la barre, il prouva que le plan et les mémoires n'étaient pas de sa main, et que cette affaire lui était étrangère: le tout s'éclaircit, et l'on revint à Napoléon; mais les représentants près de l'armée d'Italie, qui avaient besoin de lui pour la direction des affaires de cette armée, écrivirent à Paris, et donnèrent des explications à la convention, qui s'en contenta.

§ XII

Les Français se rendirent de Loano à Bardinetto, où l'on passa les gorges de la Bormida; et, le 26 septembre, ils vinrent sur Balestrino, d'où ils descendirent sur Cairo ou le Cair. On rencontra alors un corps de 12 à 15,000 Autrichiens manœuvrant dans la plaine, et qui, à la vue de l'armée française, se mit aussitôt en retraite et se porta sur Dego. Les Français l'y attaquèrent bientôt; et après un combat d'arrière-garde, où les Autrichiens perdirent quelques prisonniers, ceux-ci se retirèrent sur Acqui. Maîtres de Dego, les Français s'arrêtèrent; leur but était atteint: ils avaient pris plusieurs magasins et reconnu que l'on n'avait rien à craindre de l'expédition des Autrichiens. La marche des Français jeta l'alarme dans toute l'Italie. L'armée revint sur Savone, en traversant Montenotte supérieure et Montenotte inférieure.

La droite de l'armée fut portée de Loano sur les hauteurs de Vado, afin de rester maîtresse de cette rade qui est la meilleure et la plus importante qui soit dans ces mers, et d'empêcher les corsaires anglais d'y venir mouiller. La ligne de l'armée française passait alors par Settipani, Melogno, Saint-Jacques, et gagnait Bardinetto et le col de Tende.

Le reste de l'année 1794 se passa à mettre en état de défense les positions occupées par l'armée, principalement Vado. La connaissance que Napoléon acquit, dans ces circonstances, de toutes les positions de Montenotte, lui fut bientôt utile, lorsqu'il vint commander en chef la même armée, et lui permit de faire la manœuvre hardie qui lui valut les succès de la bataille de Montenotte, à l'ouverture de la campagne d'Italie, en 1796. Au mois de mai 1795, Napoléon quitta le commandement de l'armée d'Italie, et se rendit à Paris: il avait été placé sur la liste des généraux destinés à servir dans l'armée de la Vendée. On lui avait donné le commandement d'une brigade d'infanterie: il refusa cette destination, et réclama.

§ XIII

Cependant le commandement de l'armée d'Italie avait été confié à Kellermann: ce général était brave de sa personne: mais, n'ayant pas l'habitude des grands commandements, il ne fit que de mauvaises dispositions, et, à la fin de juin, l'armée perdit les positions de Vado, de Saint-Jacques et de Bardinetto. Le général Kellermann menaça même d'évacuer la rivière de Gênes, et jeta l'alarme dans le comité de salut public, où on avait réuni tous les représentants qui avaient été aux armées d'Italie, pour les consulter. Ils désignèrent Napoléon, comme connaissant parfaitement les localités; le comité le fit appeler, et le mit en réquisition. Il se trouva attaché au comité topographique; il prescrivit à l'armée d'Italie la ligne de Borghetto, ligne tellement forte, qu'il ne fallait, pour la garder, qu'une armée moitié moins considérable que la nôtre; elle sauva l'armée française, et lui conserva la rivière de Gênes. Les ennemis l'attaquèrent plusieurs fois avec de grandes forces; ils furent toujours repoussés, et y perdirent un monde considérable.

A la fin de l'année, le gouvernement, convaincu de l'incapacité du général Kellermann, le remplaça, dans son commandement, par le général Schérer.

Le 22 novembre, ce général, ayant reçu quelques renforts de l'armée des Pyrénées, attaqua le général ennemi Devins, à Loano, s'empara de ses lignes, fit beaucoup de prisonniers, prit un nombre considérable de canons; et, s'il eût été entreprenant, il aurait fait la conquête de l'Italie. Il ne pouvait y avoir un meilleur moment: mais Schérer était incapable d'une opération aussi importante; et, loin de chercher à profiter de ces avantages, il retourna à Nice, et fit entrer ses troupes dans les quartiers d'hiver.

Les généraux ennemis, après avoir rallié les leurs, prirent également des quartiers d'hiver.

MÉMOIRES DE NAPOLÉON

DIX-HUIT BRUMAIRE

Arrivée de Napoléon en France. – Sensation qu'elle produit. – Napoléon à Paris. – Les directeurs Roger-Ducos, Moulins, Gohier, Siéyes. – Conduite de Napoléon. Rœdérer, Lucien et Joseph, Talleyrand, Fouché, Réal. – État des partis. Ils s'adressent tous à Napoléon. – Barras. – Napoléon d'accord avec Siéyes. – Esprit des troupes de la capitale. – Dispositions adoptées pour le 18. – Journée du 18 brumaire. Décret du conseil des anciens, qui transfère à Saint-Cloud le siège du corps-législatif. – Napoléon aux anciens. – Séance orageuse à Saint-Cloud. – Ajournement des conseils, à trois mois.

Lorsqu'une déplorable faiblesse et une versatilité sans fin se manifestent dans les conseils du pouvoir; lorsque cédant tour à tour à l'influence de partis contraires, et vivant au jour le jour, sans plan fixe, sans marche assurée, il a donné la mesure de son insuffisance, et que les citoyens les plus modérés sont forcés de convenir que l'état n'est plus gouverné; lorsqu'enfin, à sa nullité au dedans, l'administration joint le tort le plus grave qu'elle puisse avoir aux yeux d'un peuple fier, je veux dire l'avilissement au dehors, alors une inquiétude vague se répand dans la société, le besoin de sa conservation l'agite, et promenant sur elle-même ses regards, elle semble chercher un homme qui puisse la sauver.

Ce génie tutélaire, une nation nombreuse le renferme toujours dans son sein; mais quelquefois il tarde à paraître. En effet, il ne suffit pas qu'il existe, il faut qu'il soit connu; il faut qu'il se connaisse lui-même. Jusque-là toutes les tentatives sont vaines, toutes les menées impuissantes; l'inertie du grand nombre protège le gouvernement nominal, et, malgré son impéritie et sa faiblesse, les efforts de ses ennemis ne prévalent point contre lui. Mais que ce sauveur, impatiemment attendu, donne tout à coup un signe d'existence, l'instinct national le devine et l'appelle, les obstacles s'applanissent devant lui, et tout un grand peuple volant sur son passage semble dire: Le voilà!

§ Ier

Telle était la situation des esprits en France, en l'année 1799, lorsque le 9 octobre (16 vendémiaire an VIII), les frégates la Muiron, la Carrére, les chebecks la Revanchae et la Fortune, vinrent à la pointe du jour mouiller dans le golfe de Fréjus.

Dès qu'on eut reconnu des frégates françaises, on soupçonna qu'elles venaient d'Égypte. Le desir d'avoir des nouvelles de l'armée fit accourir en foule les citoyens sur le rivage. Bientôt la nouvelle se répandit que Napoléon était à bord. L'enthousiasme fut tel que même les soldats blessés sortirent des hôpitaux malgré les gardes, pour se rendre au rivage. Tout le monde pleurait de joie. En un moment la mer fut couverte de canots. Les officiers des batteries, les douaniers, les équipages des bâtiments mouillés dans la rade, enfin tout le peuple, assaillirent les frégates. Le général Pereymont qui commandait sur la côte, aborda le premier. C'est ainsi qu'elles eurent l'entrée; avant l'arrivée des préposés de la santé, la communication avait eu lieu avec toute la côte.

 

L'Italie venait d'être perdue, la guerre allait être reportée sur le Var, et dès-lors Fréjus craignait une invasion. Le besoin d'avoir un chef à la tête des affaires était trop impérieux; l'impression de l'apparition soudaine de Napoléon agitait trop vivement tous les esprits pour laisser place à aucune des considérations ordinaires; les préposés de la santé déclarèrent qu'il n'y avait pas lieu à la quarantaine, motivant leur procès-verbal sur ce que la pratique avait eu lieu à Ajaccio. Cependant cette raison n'était pas valable, c'était seulement un motif pour mettre la Corse en quarantaine. L'administration de Marseille en fit quinze jours après l'observation avec raison. Il est vrai que depuis cinquante jours que les bâtiments avaient quitté l'Égypte, aucune maladie ne s'était déclarée à bord, et qu'avant leur départ la peste avait cessé depuis trois mois.

Sur les six heures du soir, Napoléon, accompagné de Berthier, monta en voiture pour se rendre à Paris.

§ II

Les fatigues de la traversée et les effets de la transition d'un climat sec à une température humide, décidérent Napoléon à s'arrêter six heures à Aix. Tous les habitants de la ville et des villages voisins accouraient en foule et témoignaient le bonheur qu'ils éprouvaient de le revoir. Partout la joie était extrême: ceux qui des campagnes n'avaient pas le temps d'arriver sur la route sonnaient les cloches, et plaçaient des drapeaux sur les clochers. La nuit, ils les couvraient de feux. Ce n'était pas un citoyen qui rentrait dans sa patrie, ce n'était pas un général qui revenait d'une armée victorieuse; c'était déja un souverain qui retournait dans ses états. L'enthousiasme d'Avignon, Montélimar, Valence, Vienne, ne fut surpassé que par les élans de Lyon.

Cette ville, où Napoléon séjourna douze heures, fut dans un délire universel. De tout temps les Lyonnais ont montré une grande affection à Napoléon, soit que cela tienne à cette générosité de caractère, qui est propre aux Lyonnais; soit que Lyon se considérant comme la métropole du Midi, tout ce qui était relatif à la sûreté des frontières du côté de l'Italie, touchât vivement ses habitants; soit enfin que cette ville, composée en grande partie de Bourguignons et de Dauphinois, partageât les sentiments plus fortement existants dans ces deux provinces. Toutes les imaginations étaient encore exaltées par la nouvelle qui circulait depuis huit jours de la bataille d'Aboukir et des brillants succès des Français en Égypte, qui contrastaient tant avec les défaites de nos armées d'Allemagne et d'Italie. De toute part le peuple semblait dire: «Nous sommes nombreux, nous sommes braves, et cependant nous sommes vaincus: il nous manque un chef pour nous diriger; il arrive, nos jours de gloire vont revenir»!

Cependant la nouvelle du retour de Napoléon était parvenue à Paris: on l'annonça sur tous les théâtres; elle produisit une sensation extrême, une ivresse générale. Les membres du directoire la durent partager. Quelques membres de la société du manège en pâlirent; mais, ainsi que les partisans de l'étranger, ils dissimulèrent et se livrèrent au torrent de la joie générale. Baudin, député des Ardennes, homme de bien, vivement tourmenté de la fâcheuse direction qu'avaient prise les affaires de la république, mourut de joie en apprenant le retour de Napoléon.

Napoléon avait déja passé Lyon, lorsque son débarquement fut annoncé à Paris. Par une précaution bien convenable à sa situation, il avait indiqué à ses courriers une route différente de celle qu'il prit; de sorte que sa femme, sa famille, ses amis, se trompèrent en voulant aller à sa rencontre: ce qui retarda de plusieurs jours le moment où il put les revoir. Arrivé ainsi à Paris, tout-à-fait inattendu, il était dans sa maison, rue Chantereine, qu'on ignorait encore son arrivée dans la capitale. Deux heures après il se présenta au directoire: reconnu par des soldats de garde, des cris d'allégresse l'annoncèrent. Chacun des membres du directoire semblait partager la joie publique; il n'eut qu'à se louer de l'accueil qu'il reçut.

La nature des évènements passés l'instruisait de la situation de la France, et les renseignements qu'il s'était procurés sur la route, l'avaient mis au fait de tout. Sa résolution était prise. Ce qu'il n'avait pas voulu tenter à son retour d'Italie, il était déterminé à le faire aujourd'hui. Son mépris pour le gouvernement du directoire et pour les meneurs des conseils était extrême.

Résolu de s'emparer de l'autorité, de rendre à la France ses jours de gloire, en donnant une direction forte aux affaires publiques: c'était pour l'exécution de ce projet qu'il était parti d'Égypte; et tout ce qu'il venait de voir dans l'intérieur de la France avait accru ce sentiment et fortifié sa résolution.

§ III

De l'ancien directoire, il ne restait que Barras: les autres membres étaient Roger-Ducos, Moulins, Gohier, et Siéyes.

– Ducos était un homme d'un caractère borné et facile.

– Moulins, général de division, n'avait pas fait la guerre, il sortait des gardes-françaises, et avait reçu son avancement dans l'armée de l'intérieur. C'était un honnête homme, patriote chaud et droit.

– Gohier était un avocat de réputation, d'un patriotisme exalté, jurisconsulte distingué; homme intègre et franc.

– Siéyes était depuis long-temps connu de Napoléon. Né à Fréjus, en Provence, il avait commencé sa réputation avec la révolution; il avait été nommé à l'assemblée constituante par les électeurs du tiers-état de Paris, après avoir été repoussé par l'assemblée du clergé, qui se tint à Chartres. C'est lui qui fit la brochure, Qu'est-ce que le tiers? qui eut une si grande vogue. Il n'est pas homme d'exécution: connaissant peu les hommes, il ne sait pas les faire agir. Ses études ayant toutes été dirigées vers la métaphysique, il a les défauts des métaphysiciens, et dédaigne trop souvent les notions positives; mais il est capable de donner des avis utiles et lumineux dans les circonstances et dans les crises les plus sérieuses. C'est à lui que l'on doit la division de la France en départements, qui a détruit l'esprit de province. Quoiqu'il n'ait jamais occupé la tribune avec éclat, il a été utile au succès de la révolution par ses conseils dans les comités.

Il avait été nommé directeur, lors de la création du directoire; mais, ayant refusé alors, Lareveillère le remplaça. Envoyé depuis en ambassade à Berlin, il puisa dans cette mission une grande défiance de la politique de la Prusse.

Il siégeait depuis peu au directoire, mais il avait déja rendu de grands services, en s'opposant aux succès de la société du manège, qu'il voyait prête à saisir le timon de l'état. Il était en horreur à cette faction; et, sans craindre de s'attirer l'inimitié de ce puissant parti, il combattait avec courage les menées de ces hommes de sang, pour sauver la république du désastre dont elle était menacée.

A l'époque du 13 vendémiaire, le trait suivant avait mis Napoléon à même de le bien juger. Dans le moment le plus critique de cette journée, lorsque le comité des quarante avait perdu la tête, Siéyes s'approcha de Napoléon, l'emmena dans une embrasure de croisée, pendant que le comité délibérait sur la réponse à faire à la sommation des sections. «Vous les entendez, général; ils parlent quand il faudrait agir: les corps ne valent rien pour diriger les armées, car ils ne connaissent pas le prix du temps et de l'occasion. Vous n'avez rien à faire ici: allez, général, prenez conseil de votre génie et de la position de la patrie: l'espérance de la république n'est qu'en vous.»

§ IV

Napoléon accepta un dîner chez chaque directeur, sous la condition que ce serait en famille, et sans aucun étranger. Un repas d'apparat lui fut donné par le directoire. Le corps-législatif voulut suivre cet exemple: lorsque la proposition en fut faite au comité-général, il s'éleva une vive opposition; la minorité ne voulant rendre aucun hommage au général Moreau, que l'on proposait d'y associer; elle l'accusait de s'être mal conduit au 18 fructidor. La majorité eut recours, pour lever toute difficulté, à l'expédient d'ouvrir une souscription. Le festin fut donné dans l'église Saint-Sulpice; la table était de sept cents couverts. Napoléon y resta peu, y parut inquiet et fort préoccupé. Chaque ministre voulait lui donner une fête; il n'accepta qu'un dîner chez celui de la justice, qu'il estimait beaucoup: il desira que les principaux jurisconsultes de la république s'y trouvassent; il y fut fort gai, disserta longuement sur le code civil et criminel, au grand étonnement de Tronchet, de Treilhard, de Merlin, de Target, et exprima le desir qu'un code simple, et approprié aux lumières du siècle, régit les personnes et les propriétés de la république.

Constant dans son systême, il goûta peu ces fêtes publiques, et adopta le même plan de conduite qu'il avait suivi à son premier retour d'Italie. Toujours vêtu de l'uniforme de membre de l'Institut, il ne se montrait en public qu'avec cette société: il n'admettait dans sa maison que les savants, les généraux de sa suite, et quelques amis; Regnault-de-Saint-Jean-d'Angély, qu'il avait employé en Italie, en 1797, et que depuis il avait placé à Malte; Volney, auteur d'un très-bon Voyage en Égypte; Rœdérer, dont il estimait les nobles sentiments et la probité; Lucien Bonaparte, un des orateurs les plus influents du conseil des cinq-cents: il avait soustrait la république au régime révolutionnaire, en s'opposant à la déclaration de la patrie en danger; Joseph Bonaparte, qui tenait une grande maison, et était fort accrédité.

Il fréquentait l'Institut; mais il ne se rendait aux théâtres qu'aux moments où il n'y était pas attendu, et toujours dans des loges grillées.

Cependant toute l'Europe retentissait de l'arrivée de Napoléon; toutes les troupes, les amis de la république, l'Italie même, se livraient aux plus hautes espérances: l'Angleterre et l'Autriche frémirent. La rage des Anglais se tourna contre Sidney-Smith et Nelson, qui commandaient les forces navales anglaises dans la Méditerranée. Un grand nombre de caricatures sur ce sujet tapissèrent les rues de Londres2.

– Talleyrand craignait d'être mal reçu de Napoléon. Il avait été convenu avec le directoire et avec Talleyrand qu'aussitôt après le départ de l'expédition d'Égypte, des négociations seraient ouvertes sur son objet, avec la Porte. Talleyrand devait même être le négociateur, et partir pour Constantinople vingt-quatre heures après que l'expédition d'Égypte aurait quitté le port de Toulon.

Cet engagement, formellement exigé, et positivement consenti, avait été mis en oubli; non-seulement Talleyrand était resté à Paris, mais aucune négociation n'avait eu lieu. Talleyrand ne supposait pas que Napoléon en eût perdu le souvenir; mais l'influence de la société du manège avait fait renvoyer ce ministre: sa position était une garantie; Napoléon ne le repoussa point. Talleyrand d'ailleurs employa toutes les ressources d'un esprit souple et insinuant, pour se concilier un suffrage qu'il lui importait de captiver.

– Fouché était ministre de la police depuis plusieurs mois; il avait eu, après le 13 vendémiaire, quelques relations avec Napoléon, qui connaissait son immoralité et la versatilité de son esprit. Siéyes avait fait fermer le manège, sans sa participation. Napoléon fit le 18 brumaire, sans mettre Fouché dans le secret.

– Réal, commissaire du directoire près le département de Paris, inspirait plus de confiance à Napoléon. Zélé pour la révolution, il avait été, dans un temps d'orages et de troubles, substitut du procureur de la commune de Paris. Son cœur était ardent, mais pénétré de sentiments nobles et généreux.

2Dans l'une, on représentait Nelson s'amusant à draper lady Hamilton, pendant que la frégate la Muiron passait entre les jambes de l'amiral.