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Vie de Christophe Colomb

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C'est, d'ailleurs, une haute leçon à placer sous les yeux des hommes, que de présenter le tableau du génie et du talent dédaignés ou persécutés, mais se mettant au-dessus de ces attaques, tendant à leur but sans que rien puisse ébranler leur constance ni affaiblir l'énergie de leur résolution, et recevant après eux, et jusqu'à la fin des siècles, le tribut d'éloges et d'admiration qui, de leur vivant, ne leur fut qu'imparfaitement rendu.

Nous venons de dire que la descendance de Christophe Colomb en ligne directe existe encore en Espagne: effectivement, Diego, son fils aîné, s'y maria, et laissa une fille qui épousa le duc de Veraguas. C'est de cette union de la petite-fille de Colomb avec ce duc de Veraguas, que provient directement le duc de Veraguas actuel, grand d'Espagne, homme d'un mérite éminent, qui fait partie des sociétés savantes les plus distinguées, qui patronne et encourage les arts, les sciences avec la libéralité la plus éclairée, et dont le caractère inspire partout la confiance et le respect. Les Veraguas prennent d'ailleurs le nom de Colomb comme étant le titre le plus digne des égards de leurs contemporains, et ils signent: Colon, duque de Veraguas (Colomb, duc de Veraguas). On nous a même assuré que le duc actuel, chef de la famille existante en ce moment, signe: Colon y Colon, duque de Veraguas (Colomb et Colomb, duc de Veraguas). Nous en ignorons la cause; peut-être serait-ce que son père aurait épousé une de ses cousines descendant également de Colomb, ce qui lui aurait inspiré le noble orgueil de répéter ce beau nom dans sa signature.

Ce même duc de Veraguas, vivant aujourd'hui, possède dans ses archives un nombre considérable de documents authentiques relatifs à Christophe Colomb, et, en particulier, les autographes les plus précieux de son illustre aïeul; il arriva que, lors de l'émancipation ou de la cession des colonies espagnoles, la fortune de sa famille, consistant, pour la plus grande partie, en revenus qui en provenaient, fut presque totalement perdue. À cette époque de gêne, on offrit des sommes très-élevées pour obtenir la propriété de ces documents, surtout de celles de ces pièces qui étaient écrites de la main du Descubridor du Nouveau Monde; mais rien ne put décider la famille à s'en dessaisir quelque brillantes que fussent les offres qui furent faites, tant elle attachait de valeur à conserver cet inappréciable dépôt!

En ce moment, enfin, le duc de Veraguas jouit non pas d'une fortune qui surpasse, qui atteigne même le niveau ordinaire de celle des grands d'Espagne en général, mais d'une position pécuniaire qui, si elle n'est pas à cette hauteur, a l'avantage inestimable de pouvoir être considérée comme un témoignage du respect que l'Espagne tient à rendre à la mémoire du grand homme. Cette position pécuniaire consiste en une pension de 24,000 piastres (environ 110,000 fr.), qui sont prélevées tous les ans sur les revenus des îles de Cuba et de Porto-Rico.

Dans le récit que nous venons de faire de la vie de Colomb, nous nous sommes efforcé, par-dessus tout, d'être véridique et impartial; nous n'avons pas recherché les phrases à effet, l'exagération du style, les mots ambitieux qui ne déguisent que trop souvent l'insignifiance des actes sous la pompe hyperbolique des paroles; et nous avons pensé que, pour retracer de grandes choses, la simplicité jointe à l'exactitude et à la sincérité suffisait. Quoi de plus grand, en effet, que le spectacle de l'humble fils d'un simple ouvrier s'élevant par degrés, de lui-même ou sans protecteurs, jusqu'aux hauteurs les plus sublimes de la science, jusqu'aux conceptions les plus surprenantes du génie; qui, soutenu par ses seules convictions, par la piété la plus fervente, par la foi la plus ferme, est parvenu à exécuter, avec les moyens les plus exigus, le plus merveilleux des projets qui aient jamais été conçus; qui a su trouver dans son esprit intarissable, les ressources propres à lever les difficultés provenant de la nature des choses; et qui, dans l'adversité, dans l'abandon où il fut laissé à la Jamaïque, dans mille autres circonstances critiques, a fait preuve de la plus parfaite résignation?

Lorsque, dans la première période de notre existence, notre jeune imagination commença à s'ouvrir aux clartés de l'intelligence, nous recherchâmes par-dessus tout l'histoire des grandes choses et celle des hommes supérieurs qui les exécutèrent; les temps anciens, les temps modernes nous offrirent alors des tableaux qui transportaient notre esprit; mais aucun ne nous impressionna davantage que ceux où Colomb nous apparaissait dans une auréole immortelle qui nous fascinait entièrement et dont nos yeux ne pouvaient se détacher, tant ils excitaient notre admiration!

Plus de cinquante ans, depuis lors, sont venus blanchir notre tête, mûrir notre jugement et, quelquefois, modifier certaines premières impressions; mais jamais cette admiration pour Colomb n'a cessé de s'accroître, et plus nous avons pu l'apprécier, plus aussi nous avons cru devoir le placer au-dessus de toute rivalité. Sa gloire fut honnête et pure; son instruction fut au niveau de celle des plus savants; il devança de beaucoup son siècle où si peu de personnes le comprirent, et où, sans les célestes inspirations de la magnanime Isabelle, il n'aurait été considéré que comme un visionnaire. Son caractère respirait la loyauté; partout il paraissait avec éclat, soit sur le pont d'un navire, soit au milieu des docteurs les plus consommés des universités les plus renommées, soit dans le sein des cours, ou soit dans les hasards de la guerre et des combats; il fut humain, juste, bienveillant, inflexible devant la révolte, clément en face du repentir; on le vit le plus respectueux des fils, le plus tendre des pères, le plus affectueux des frères; bref, il eut un génie surhumain, il accomplit l'entreprise la plus audacieuse, la plus incroyable qui put être tentée; il devint grand-amiral, il fut vice-roi; et s'il eut quelques imperfections, aucune n'a porté atteinte ni à sa renommée, ni à sa grandeur, et n'a souillé son nom ni son caractère d'une de ces taches indélébiles qui ternissent la mémoire de la plupart des autres grands hommes dont l'histoire conserve le souvenir.

Quand nous embrassâmes, nous-même, la carrière de la marine, rien ne nous flattait plus que la pensée d'avoir ce petit point de ressemblance avec l'illustre navigateur qui absorbait tout notre enthousiasme. Nous brûlions du désir de voir les murs de Gênes sa patrie, les rivages où sont situés Palos, Lisbonne, Cadix, San-Lucar qui saluèrent son glorieux pavillon; c'était pour nous un bonheur infini, de parcourir les routes et les mers qu'il avait parcourues, de contempler les îles ou les terres que, le premier de notre continent, il avait contemplées, de fouler le sol qu'il avait foulé, de nous extasier devant les immenses conquêtes pacifiques, qui, elles-mêmes, avaient excité ses extases, de nous associer aux sentiments douloureux qu'il avait éprouvés, lorsque la Santa-Maria fit naufrage à la Navidad, lorsque la frêle Niña fut assaillie par des tempêtes furieuses près des Açores, lorsque les vents contraires et les temps les plus orageux s'opposèrent, près de Veragua, à l'accomplissement de l'important voyage qu'il avait entrepris dans un but scientifique de premier ordre, de nous attendrir enfin et de nous indigner lorsqu'il fut jeté à la côte, et qu'avec l'intrépide Adelantado, son frère, et le jeune Fernand, son fils, il attendit dans la misère, le dénûment et l'abandon, le bon plaisir du jaloux Ovando, qui semblait se complaire à y prolonger son poignant exil.

Grâces soient rendues à la Providence! Ces murs, ces ports, ces routes, ces mers, ces lieux enchantés dont quelques-uns rappellent cependant de si tristes souvenirs, mais dont le plus grand nombre témoigne du génie de Colomb, nous les avons vus, nous les avons salués, admirés, interrogés; partout nous avons recueilli ou noté tout ce qui pouvait avoir trait au grand homme par excellence selon notre cœur; et le jour venu où le repos de la retraite nous a permis de prendre la plume et de mettre quelque ordre à nos impressions, nous avons concentré tout ce qui nous restait de facultés, pour rendre hommage à celui que nous avons tant admiré, et au culte intellectuel de qui nous resterons fidèle jusqu'au dernier de nos jours!

Toutefois, notre tâche serait incomplète, et notre impartialité pourrait être révoquée en doute, si, à côté de l'éloge, nous ne placions pas la critique, et si nous ne faisions pas connaître les imperfections ou les erreurs qui ont été reprochées au héros de cette histoire. Ces reproches, nous allons donc les passer en revue ou les examiner de près; le lecteur décidera ensuite lui-même, quel crédit il pourra leur donner, et s'il doit ou les sanctionner ou les regarder comme mal fondés.

On l'a accusé d'avoir aspiré aux richesses et aux honneurs ou aux dignités, non moins qu'à la renommée.

Comme la renommée ou l'illustration à laquelle il prétendait était de la plus noble sorte, nous ne pensons pas qu'on ait voulu dire qu'il y eût eu rien à blâmer de sa part, en la recherchant avec ardeur.

S'il a aspiré aux richesses, on a vu que c'était pour en faire un magnifique usage. Nous avons dit, en effet, qu'il épuisa toutes ses ressources à San-Domingo pour armer deux bâtiments à ses frais, et pour y offrir un passage gratuit à ses malheureux compagnons du naufrage de la Jamaïque à chacun desquels il distribua, en outre, des vêtements et des secours qui leur permirent d'attendre que ces mêmes bâtiments fussent armés et prêts à prendre la mer. Ensuite, nous l'avons vu à son arrivée, se trouver dans un état de gêne voisin du besoin et être obligé d'avoir recours à des créanciers; nous avons également cité les dons qu'il a faits à Gênes, en faveur des malheureux; nous avons dit quelles furent les dispositions qu'il institua à cet égard pour l'avenir; nous avons parlé du soin qu'il a pris de son père, de ses frères, de ses parents ou amis; enfin, nous avons fait connaître la dotation splendide dont sa piété lui suggéra l'idée pour la délivrance du Saint-Sépulcre. L'homme qui fait un tel emploi de biens aussi péniblement, aussi laborieusement, aussi légitimement acquis que les siens, ne peut être taxé d'aimer les richesses dans le sens que l'on donne à cette expression; enfin, il est impossible de prouver qu'une seule obole des sommes qu'il put avoir en sa possession, eût été le résultat de la concussion ou de la déloyauté.

 

Quant aux honneurs ou aux dignités, le reproche, au fond, existe en effet. Certes, philosophiquement parlant, les honneurs ou les dignités sont de frivoles puérilités; mais nous ne vivons pas, on ne vivait pas alors plus qu'aujourd'hui dans un monde imbu d'abstractions métaphysiques, ni dans un milieu de sages remplis d'austérité. Dans la société, au contraire, telle qu'elle est faite, les honneurs et les dignités sont, non-seulement un véhicule puissant qui stimule à de belles actions, mais encore ces distinctions honorifiques ont fréquemment un but très-utile que Colomb qualifia avec beaucoup de justesse, quand il dit à la reine Isabelle que celles qu'il pourrait recevoir du roi Ferdinand, mettraient un frein aux sarcasmes des gens légers qui n'étaient que trop enclins à dénigrer ses projets, et qu'elles empêcheraient le refroidissement de la confiance des marins qui pourraient être destinés à l'accompagner dans son premier voyage. On a pu également remarquer que lorsqu'il mouilla aux Açores sur la Niña ce ne fut que parce qu'il put se prévaloir de ses titres de vice-roi et de grand-amiral, que le gouverneur relâcha ses matelots qu'il avait faits prisonniers, et que l'hostilité de ce gouvernement cessa. De plus, Colomb pensait beaucoup à ses enfants en ambitionnant des dignités héréditaires; et pour peu que l'on connaisse le cœur humain, on sait que l'on fait souvent pour eux, ce qu'on ne ferait pas pour soi-même. Il aima donc beaucoup les honneurs et les dignités, soit; mais, au moins, il ne chercha pas à les acquérir en ménageant sa personne, ni en se tenant à l'écart quand il y avait un péril à affronter.

Il est des esprits chagrins qui ont blâmé sa piété qu'ils ont, en certains cas, taxée de superstitieuse. Nous ne saurions nous associer à une semblable critique. Nous avouerons, en toute sincérité, qu'en ce qui nous concerne, nous avons toujours plus pratiqué et professé la sainte morale de Jésus-Christ dans nos actions et dans notre cœur, que par une participation assidue aux cérémonies de l'Église; mais nous ne saurions articuler le moindre reproche contre ceux qui croient devoir faire, à ce sujet, des manifestations plus prononcées; or, si ces manifestations sont dignes de nos égards quand elles sont consciencieuses, qui, plus que Colomb, mérite qu'elles soient respectées? Si donc, il a fait des vœux ou des processions, s'il s'est livré à d'autres actes que, fort légèrement sans doute, on traite de superstitieux, nous trouvons qu'il a bien fait puisque le mobile en était dans ses convictions intimes; qu'en aucune circonstance, il n'a rien imposé coercitivement à qui que ce fût; et que l'accomplissement de ces mêmes actes, n'a jamais nui à celui de ses devoirs comme chef et comme commandant. Il a passé toute sa jeunesse au milieu de corsaires et d'aventuriers; mais il les a quittés avec des mœurs pures, avec une réputation intacte; aucune trace enfin n'est restée en lui de leur vie déréglée, de leurs habitudes dissolues, pas même de leur langage peu mesuré; et, sans doute, il le dut à sa piété.

D'ailleurs, et l'on en a fait la remarque, sa piété lui valut l'appui de plusieurs ecclésiastiques, entre autres du respectable Diego de Deza, et de son second père, l'admirable supérieur du couvent de la Rabida, Jean Perez de Marchena. Or, sans cet appui, sans la garantie que ces dignes prêtres donnèrent à la reine de ses sentiments religieux, il n'aurait pas pu faire approuver des plans fondés sur la sphéricité de notre globe alors fort peu admise, sur les limites qu'il attribuait à l'Atlantique, sur des terres situées à l'Occident et autres points que la plupart des hommes même les plus éclairés considéraient alors comme impossibles ou chimériques, et même comme attentatoires à la vérité de la religion. Aussi, nulle part on ne put mettre en question sa ferveur chrétienne; ce qui fut accepté comme venant de lui, aurait indubitablement été rejeté si cela avait été présenté par quelqu'un moins pieux, et la découverte de l'Amérique en aurait été ajournée pour un temps indéfini.

Viennent ensuite les plaisanteries de ceux qui l'ont représenté comme ne pensant qu'au Cathay, qu'aux États du Grand-Kan et qu'à l'île de Cipango. Il est incontestable que, s'étant adressé à Toscanelli pour obtenir son approbation à l'égard de ses théories, et que ce savant lui ayant envoyé une carte dressée sur les indications de Marco Paolo qui était le voyageur le plus éclairé qui eût pénétré aussi avant dans l'Orient, il ne pouvait qu'être fort impressionné par la présence de ces lieux sur cette carte; sa préoccupation si naturelle dura même longtemps et cela devait être; mais, en beaucoup d'occasions, surtout lorsque les embouchures de l'Orénoque révélèrent, à lui seul entre tous les marins de son expédition, que ce fleuve ne pouvait appartenir qu'à un continent, il sut fort bien se mettre au-dessus de ces préoccupations, et reconnaître une vérité à laquelle ses conavigateurs se refusaient eux-mêmes à ajouter foi. Il crut donc au Cathay, aux États du Grand-Kan, à Cipango; il y crut longtemps parce qu'il ne pouvait en être autrement; mais dans la pratique des faits, il sut toujours distinguer le vrai d'avec le faux, et reconnaître, comme il le dit une fois avec tant de sens, que «la nature est un législateur qui sait se faire respecter.»

On lui a même fait des reproches opposés ou contradictoires; ainsi, pendant que quelques-uns de ses détracteurs, car qui n'en a pas? ont prétendu ou prétendent encore que l'Amérique était connue en Europe longtemps avant le premier voyage de Colomb, et qu'il ne fit que mettre en usage les données qu'il avait pu se procurer à cet égard; il en est d'autres qui ont également prétendu ou qui prétendent encore que ce fut par hasard qu'il trouva le Nouveau Monde, lorsque tout simplement, il ne cherchait qu'à se rendre dans l'Inde, en cinglant vers l'Occident.

Aux premiers, nous répondrons en les renvoyant au commencement de cette histoire où nous avons accumulé des preuves irréfutables qui établissent, avec certitude, que tout ce qu'on avait allégué sur ce sujet, ne portait aucune marque de vraisemblance, ni aucun caractère de vérité, et qu'il est, au contraire, très-avéré que le Portugal, qui était alors la nation la plus versée dans les connaissances maritimes, croyait si peu à ces assertions de l'existence du Nouveau Monde, que les plans de Colomb y furent publiquement traités d'insensés, que même, une expédition étant secrètement partie des îles du cap Vert pour lui ravir l'honneur de la découverte, les bâtiments de cette expédition rentrèrent au port, après plusieurs jours de navigation et convaincus de l'inutilité de poursuivre une entreprise qu'ils qualifièrent d'extravagante. C'est donc bien à Colomb qu'était réservée par la Providence, ainsi que le dit un auteur espagnol, la gloire de traverser une mer qui avait donné lieu à tant de fables, et de pénétrer le grand mystère qui, par lui, devait être dévoilé à son siècle.

Aux seconds, la réponse sera tout aussi facile: Il est constant, en effet, que Colomb cherchait à se rendre dans l'Inde en cinglant à l'Occident, et c'était en soi, une entreprise assez audacieuse pour suffire à immortaliser son nom; mais cet illustre navigateur avait prévu le hasard de la découverte d'îles et de continents, dont nul autre ne soupçonnait l'existence; la preuve en est dans les stipulations qu'avant de partir, il consigna dans la convention qui fut rédigée par lui, et portant sa signature, ainsi que celle de Jean de Coloma, secrétaire royal, agissant au nom de Leurs Majestés Espagnoles; ces stipulations, que nous avons déjà relatées, portent expressément, que Colomb jouira lui-même pendant sa vie, et que ses héritiers jouiront après sa mort, du titre de grand-amiral de toutes les mers, de toutes les îles et de tous les continents qu'il pourrait découvrir, et que, de plus, il serait vice-roi et gouverneur de ces mêmes îles, terres et continents.

Cependant, on insiste, et il se trouve encore des personnes qui veulent absolument que des navigateurs, que des pêcheurs danois ou normands aient, longtemps avant l'année 1492, abordé soit au Groënland, soit à Terre-Neuve, et qui ajoutent que Christophe Colomb devait en avoir été informé. Nulle part, nous n'avons vu de preuves de ces faits; mais s'ils étaient vrais, comment se peut-il que le Portugal, la France et l'Angleterre n'en aient pas fait l'objection, lorsque Colomb leur fit ses propositions d'une expédition transatlantique. D'ailleurs, pourquoi l'illustre navigateur se serait-il tant obstiné à aller chercher dans l'Ouest des Canaries, des terres qu'il aurait su exister beaucoup plus au Nord? En dernier lieu, et nous sommes encore forcé de le dire, ce ne sont pas des contrées nouvelles que Christophe Colomb offrait d'aller découvrir: il s'annonçait, seulement, comme voulant aller dans l'Inde en faisant route à l'Ouest des Canaries; et ce qui porte vraiment le cachet de l'audace et du génie, c'est qu'ayant prévu le cas de terres interposées il avait positivement dit que si, dans cet air-de-vent, l'Atlantique avait d'autres limites que l'Inde, CES AUTRES LIMITES, IL LES DÉCOUVRIRAIT!

On a avancé aussi qu'il y avait parmi les gens de la maison de Colomb en Espagne, un pilote qui lui avait donné des notions certaines de l'existence du Nouveau Monde: mais si le fait de ce pilote avait existé, nous dirons de nouveau que les plans proposés pendant vingt ans à diverses cours par l'illustre navigateur, n'auraient été susceptibles d'aucune contradiction, et que l'honneur en aurait rejailli non sur lui, mais sur le pilote que l'on a prétendu avoir été si bien informé. D'ailleurs, ce qui prouve, matériellement, que ce bruit est une absurde fable, c'est qu'il est authentique, ainsi qu'on le voit dans cette histoire, que jamais Christophe Colomb n'a été (loin de là) en position de tenir une maison en Espagne.

Colomb fut enfin le premier entre tous les marins, et ce titre suffirait seul pour l'immortaliser, qui, à part même ses projets de découvertes, osa, sciemment, entreprendre une longue navigation en perdant la terre de vue, et cela à une époque où la science de la géographie naissait à peine, où la sphéricité de notre globe était généralement contestée, où l'art nautique était dans l'enfance, et où la boussole, elle-même, était si mal connue qu'on ne soupçonnait seulement pas la déclinaison ou la variation de l'aiguille aimantée. Il fallait donc bien qu'il y eût une immense supériorité dans l'homme qui, le 17 avril 1492, était entré comme simple particulier dans le palais de la reine Isabelle à Grenade, et qui en était sorti investi des titres de grand-amiral et de vice-roi, sans devoir cette éclatante fortune à d'autres causes qu'à son génie et qu'à son mérite personnel!

Nous avons tout dit, nous avons tout analysé, et le lecteur jugera. Mais nous irons plus loin; nous admettrons, si l'on veut, la validité de tous les reproches, de toutes les accusations que nous avons exposés avec autant d'exactitude que d'impartialité; nous demanderons ensuite, sans crainte, ce qui reste de tout cela. Or, il n'est personne qui, ayant lu le récit de tant de voyages, d'actions, de faits, de gloire, de malheurs, qui pensant à tout ce qu'il a fallu de génie, de persévérance, de résignation, de science et de talent pour accomplir une si belle vie; non, il n'est personne qui ne doive dire que ce qui reste de ces faibles attaques, c'est un grand homme au-dessus de toutes les insinuations, de toutes les calomnies, et dont la gloire brillera jusqu'au dernier jour des siècles à venir.

Mais si l'univers doit, à tout jamais, son admiration au grand marin dont nous venons de décrire la vie agitée et les travaux gigantesques, Gênes, qui fut la patrie de ce grand marin, doit, en particulier, s'enorgueillir d'avoir donné naissance à l'homme dont les conceptions surhumaines ont doublé notre monde. Quelle merveilleuse époque que celle où Gama, franchissant le cap des Tempêtes, traça une route nouvelle vers les Indes; où se propageant comme la foudre, l'invention de Guttemberg qui suivit d'assez près celle de la poudre à canon, allait multiplier, à l'infini, les chefs-d'œuvre de l'intelligence; et où, surpassant tous ses émules, Christophe Colomb s'associa à ce mouvement de la régénération moderne! À partir de cette époque, les destinées des peuples s'agrandirent; et, grâce à ces êtres privilégiés, les horizons ouverts devant l'humanité prirent des proportions infinies! Enorgueillissez-vous donc, Gênes la superbe, aucune ville, aucune nation n'en eurent jamais plus le droit et le motif!

 
FIN