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Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth

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– J'ai eu peur, dis-je toujours à voix basse, que nous ne perdions l'un de nous au lieu de faire une recrue, dans cette hôtellerie anglaise.

– J'ai fait mes réflexions, répondit-il en souriant. Mais je vous en parlerai plus tard… Eh bien, Sir Gervas Jérôme, reprit-il à haute voix en s'adressant à notre nouvel associé, j'apprends que vous venez avec nous. Il faudra vous contenter de nous suivre pendant un jour sans faire de question, ni de remarque. Est-ce convenu?

– J'accepte avec empressement, s'écria Sir Gervas.

– Maintenant, vidons un verre pour faire plus ample connaissance, s'écria Saxon, en levant son verre.

– Je bois à vous tous, dit le galant. Buvons à une lutte loyale et au triomphe des plus braves!

– Éclair et tonnerre! dit Saxon, malgré votre joli plumage, vous me paraissez un gaillard déterminé, je commence à vous prendre en goût. Donnez-moi votre main.

La longue griffe brune du soldat de fortune se ferma sur la main fine de notre nouvel ami, en gage de camaraderie.

Puis, après avoir payé notre dépense, nous fîmes un cordial adieu à Dame Robson qui, je crois, lança un regard de reproche ou d'interrogation à Saxon.

On se mit en selle et on reprit le voyage au milieu d'une foule de villageois ébahis, qui nous applaudirent à grands cris, lorsque nous eûmes franchi leur cercle.

XIV-Du Curé à la jambe raide et de ses ouailles

Notre itinéraire nous fit traverser Castle Carey et Somerton, petites villes qui se trouvent dans une très belle région pastorale, bien boisée et arrosée par de nombreux cours d'eau.

Les vallées, dont la route coupe le centre, sont d'une richesse exubérante, abritées contre les vents par de longues collines ondulées, qui sont, elles aussi, cultivées avec le plus grand soin.

De temps à autre, nous passions devant la tourelle couverte de lierre d'un vieux château, ou devant les pignons pointus d'une maison de campagne de construction irrégulière, qui surgissait parmi les arbres.

Cela marquait la résidence rurale de quelque famille bien connue.

Plus d'une fois, lorsque ces manoirs ne se trouvaient pas trop loin de la route, nous pûmes distinguer les traces intactes, les lézardes béantes qu'avaient causées dans les murailles les orages des guerres civiles.

Fairfax, à ce qu'il parait, avait passé par là et avait laissé de nombreux vestiges de sa visite.

Je suis convaincu que mon père aurait eu bien des choses à raconter sur ces signes de la colère puritaine, s'il avait chevauché côte à côte avec nous.

La route était encombrée de paysans qui voyageaient en formant deux forts courants en sens contraire: l'un dirigé de l'est à l'ouest et l'autre de l'ouest à l'est.

Le dernier se composait surtout de gens âgés et d'enfants, qu'on envoyait en lieu sûr, résider dans les comtés moins agités jusqu'à la fin des troubles.

Bon nombre de ces pauvres gens poussaient des brouettes chargées de literie et de quelques ustensiles fêlés qui formaient toute leur fortune en ce monde.

D'autres, plus aisés, avaient des petites carrioles, tirées par les petits chevaux sauvages et velus que produisent les landes du Somerset.

Par suite de l'entrain de ces bêtes à moitié dressées et de la faiblesse des conducteurs, les accidents n'étaient point rares et nous passâmes près de plusieurs groupes malchanceux, qui avaient versé dans le fossé avec leurs effets, ou qui faisaient cercle, en discutant avec inquiétude au sujet d'un timon fendu ou d'un essieu brisé.

Quant aux campagnards qui faisaient route vers l'ouest, c'étaient pour la plupart des hommes à la fleur de l'âge, et peu ou point chargés de bagages.

Leurs figures brunies, leurs grosses bottes, et leurs limousines, indiquaient qu'ils étaient en grande majorité de simples valets de ferme, quoique parmi eux, on reconnut, à leurs bottes à revers ou à leur vêtement en étoffe à côtes, de petits fermiers ou propriétaires.

Ces gens-là marchaient par bandes.

Le plus grand nombre étaient armés de grosses triques de chêne, qui leur servaient de bâtons pendant leur voyage, mais qui, maniées par des hommes robustes, pouvaient être des armes formidables.

De temps à autre, l'un d'eux entonnait un psaume, qui était repris en chœur par tous ceux qui étaient à portée de l'entendre, en sorte que le chant finissait par gagner toute la longueur de la route par vagues successives.

Sur notre passage, plusieurs nous lancèrent des regards de colère.

D'autres échangèrent quelques paroles à demi-voix en hochant la tête, et se demandant évidemment qui nous étions et quel était notre but.

Ça et là, parmi ce peuple, nous aperçûmes le haut chapeau à larges bords et le manteau genevois qui étaient les insignes du clergé puritain.

– Nous voici enfin dans le pays de Monmouth, me dit Saxon, car Ruben Lockarby et sir Gervas Jérôme nous précédaient, voilà les matériaux brutes qu'il nous faudra tailler pour en faire des soldats.

– Et des matériaux qui ne sont pas trop mauvais, répondis-je, car j'avais remarqué la force corporelle, et l'expression d'énergie et de bonhomie des figures. Ainsi donc vous croyez que ces gens-là sont en route pour le camp de Monmouth?

– Certainement, ils y vont. Voyez-vous là bas ce prédicant aux longs membres, à gauche, celui qui a un chapeau à grande visière. Ne remarquez-vous pas la raideur avec laquelle il marche?

– Mais oui, c'est sans doute qu'il est las d'avoir voyagé!

– Ho! Ho! fit mon compagnon, en riant, j'ai déjà vu cette sorte de raideur: c'est que notre homme à un sabre droit dans une des jambes de sa culotte. C'est un artifice qui sent bien son Parlementaire.

«Quand il sera sur un terrain sûr, il le sortira de là, et il s'en servira aussi, mais tant qu'il ne sera pas hors de danger, qu'il risquera de tomber sur la cavalerie royale, il se gardera bien de l'attacher à son ceinturon.

«À sa coupe, on reconnaît un ancien, un de ceux:

 
Qui appellent l'incendie, l'épée, la désolation,
Une pieuse et parfaite réformation.
 

«Le vieux Samuel vous les pose d'un trait de plume.

«En voici un autre, en avant de lui, qui cache sous sa limousine un fer de faucille; n'en distinguez-vous pas le contour?

«Je parie qu'il n'y a pas un de ces coquins qui ne soit armé d'un fer de pioche, d'une lame de faux dissimulée quelque part sur sa personne.

«Je commence à sentir encore une fois le souffre de la guerre, et cela me rajeunit. Écoutez, mon garçon, je suis enchanté de ne pas m'être attardé à l'hôtellerie.

– Vous aviez l'air d'hésiter entre deux partis à ce sujet, dis-je.

– Oui, oui, c'était une belle personne, et les quartiers étaient confortables. Pour cela, je ne dis pas le contraire. Mais, voyez-vous, le mariage est une citadelle où il est diablement aisé de pénétrer, mais une fois qu'on y est entré, le vieux Tilly lui-même ne vous en ferait pas sortir à votre honneur.

«J'ai vu jadis un traquenard de ce genre sur le Danube. À la première attaque, les Mameluks avaient abandonné la brèche tout exprès pour attirer les troupes impériales dans le piège, dans les rues étroites qui s'étendaient au-delà, et bien peu d'hommes en revinrent. Ce n'est pas avec des ruses pareilles qu'on attrape les vieux oiseaux.

«J'ai trouvé le moyen de causer avec un des compères et de lui demander ce qu'il pensait de la bonne dame et de son hôtellerie.

«Il paraît qu'à l'occasion, elle sait faire des scènes et que sa langue a plus contribué à la mort de son mari que l'hydropisie à laquelle le médecin l'a imputée.

«En outre, il s'est créé dans le village une autre hôtellerie, qui est bien conduite, et qui probablement lui enlèvera la clientèle.

«Et puis, comme vous l'avez dit, c'est un pays ennuyeux, endormi. J'ai pesé toutes ces raisons, et j'ai décidé qu'il valait mieux renoncer à assiéger la veuve et battre en retraite quand je pouvais le faire encore avec la réputation et les honneurs de la guerre.

– Cela vaut mieux aussi, dis-je. Vous auriez été incapable de vous habituer à une vie de buveur et de fainéant. Mais notre nouveau camarade… que pensez-vous de lui?

– Par ma foi, répondit Saxon, nous finirons par former un peloton de cavalerie, si nous nous adjoignons tous les galants en quête d'une besogne. Mais quant à ce Sir Gervas, je suis d'avis, comme je l'ai dit à l'auberge, qu'il a plus d'activité qu'on ne lui en attribuerait à première vue.

«Ces jeunes étourdis de la noblesse sont toujours prêts à se battre, mais je me demande s'il est suffisamment endurci, s'il a assez de persévérance pour une campagne telle que sera sans doute celle-ci.

«Puis, son extérieur est de nature à le faire voir d'un mauvais œil par les Saints, et bien que Monmouth ne soit pas d'une vertu farouche, il est probable que les Saints auront voix prépondérante dans son conseil.

«Mais regardez seulement de quel air il mène son bel étalon gris de si belle apparence, et comme il se retourne pour nous regarder. Voyez ce chapeau de cheval enfoncé sur ses yeux, sa poitrine à demi découverte, sa cravache suspendue à sa boutonnière, la main sur la hanche, et autant de jurons à la bouche que de rubans à son doublet.

«Remarquez de quel air il toise les paysans à côté de lui.

«Il faudra qu'il change de manières, s'il veut combattre côte à côte avec ces fanatiques. Mais attention! ou je me trompe fort, ou bien il s'est déjà mis dans l'embarras.

Nos amis avaient arrêté leurs chevaux pour nous attendre.

Mais à peine avaient-ils fait halte que le flot des paysans qui roulait au même niveau qu'eux ralentit sa marche.

Ils se serrèrent autour d'eux, en faisant entendre des murmures de mauvais augure, accompagnés de gestes menaçants.

D'autres campagnards, voyant qu'il se passait quelque chose, accoururent pour soutenir leurs compagnons.

 

Saxon et moi, nous donnâmes de l'éperon à nos montures.

Nous nous fîmes passage à travers la foule, qui devenait de minute en minute plus nombreuse et plus hostile, et nous accourûmes au secours de nos amis, mais nous étions pressés de tous côtés par la cohue.

Ruben avait mis la main sur la garde de son épée, pendant que Sir Gervas mâchait tranquillement son cure-dent et regardait la foule irritée d'un air où il y avait à la fois de l'amusement et du dédain.

– Un ou deux flacons d'eau de senteur ne seraient pas de trop, remarqua-t-il, si j'avais un vaporisateur.

– Tenez-vous sur vos gardes, mais ne dégainez pas, cria Saxon; Qu'est-ce donc qui les prend, ces mangeurs de lard? Eh bien! mes amis, que signifie ce vacarme?

Cette question, au lieu d'apaiser le tumulte, parut le rendre dix fois plus violent.

Tout autour de nous, c'étaient, sur vingt hommes de profondeur, des figures farouches, des yeux irrités, çà et là le reflet d'une arme à demi sortie de sa cachette. Le tapage, qui d'abord n'était qu'un grondement rauque, prenait maintenant une forme définie.

– À bas le Papiste, criait-on, à bas les prélatistes!

– À mort le boucher érastien!

– À mort les cavaliers philistins!

– À bas! à bas!

Quelques pierres avaient déjà sifflé à nos oreilles, et pour nous défendre, nous avions été forcés de tirer nos épées, lorsque le ministre de haute taille, que nous avions déjà remarqué, se fraya passage à travers la cohue, et grâce à sa stature et à sa voix impérieuse, parvint à obtenir le silence.

– Qu'avez-vous à dire? demanda-t-il, en se tournant vers nous. Combattez-vous pour Baal ou pour le Seigneur? Qui n'est pas avec nous est contre nous.

– De quel côté se trouve Baal, très Révérend monsieur, et de quel côté se trouve le Seigneur? demanda Sir Gervas Jérôme. M'est avis que si vous parliez en bon anglais au lieu de parler hébreu, nous arriverions plutôt à nous entendre.

– Ce n'est pas le moment pour des propos légers, s'écria le ministre, dont la figure s'empourpra de colère. Si vous tenez à l'intégrité de votre peau, dites-moi si vous êtes pour le sanguinaire usurpateur Jacques Stuart, ou pour sa Très Protestante Majesté le Roi Monmouth.

– Quoi! il a déjà pris ce titre? s'écria Saxon. Eh bien, sachez que nous sommes, tous les quatre, indignes instruments sans doute, en route pour offrir nos services à la cause protestante.

– Il ment, bon maître Pettigrue, il ment très impudemment, cria du fond de la foule un robuste gaillard. A-t-on jamais vu un bon Protestant dans ce costume de Polichinelle, comme celui de là-bas? Le nom d'Amalécite n'est-il pas écrit sur son vêtement? N'est-il pas habillé ainsi qu'il convient à un fiancé de la Courtisane Romaine. Dès lors pourquoi ne les frapperions-nous pas?

– Je vous remercie, mon digne ami, dit Sir Gervas, dont le costume avait excité la colère de ce champion, si j'étais plus près de vous, je vous rendrais une bonne partie de l'attention que vous m'avez accordée.

– Quelle preuve avons-nous que vous n'êtes pas à la solde de l'usurpateur et en route pour aller persécuter les fidèles? demanda l'ecclésiastique puritain.

– Je vous le répète, mon homme, dit Saxon d'un ton d'impatience, nous avons fait tout le trajet depuis le Hampshire pour combattre contre Jacques Stuart. Nous allons nous rendre à cheval au camp de Monmouth en votre compagnie. Pouvez-vous exiger une preuve meilleure?

– Il peut se faire que vous cherchiez simplement le moyen d'échapper à la captivité parmi nous, fit remarquer le ministre, après avoir délibéré avec un ou deux chefs de paysans. Nous sommes donc d'avis qu'avant de nous accompagner, vous nous remettiez vos épées, pistolets, et autres armes charnelles.

– Non, cher monsieur, cela ne saurait être. Un cavalier ne peut se défaire honorablement de sa lame ou de sa liberté, de la façon que vous demandez. Tenez-vous tout près de moi du côté de la bride, Clarke, et sabrer le premier coquin qui mettra la main sur vous.

Un bourdonnement de fureur monta de la foule.

Une vingtaine de bâtons et de lames de faucilles se levaient contre nous, quand le ministre intervint de nouveau et imposa silence à sa bruyante escorte.

– Ai-je bien entendu? demanda-t-il. Est-ce que vous vous nommez Clarke?

– Oui, répondis je.

– Votre nom de baptême?

– Micah.

– Demeurant à…?

– Havant.

Le Clergyman s'entretint quelques instants avec un barbon aux traits durs, vêtu de bougran noir, qui se trouvait tout près de lui.

– Si vous êtes réellement Micah Clarke, de Havant, dit-il, vous pourrez nous dire le nom d'un vieux soldat, qui a appris la guerre en Allemagne et qui devait se rendre avec vous au camp des fidèles.

– Mais le voici, répondis-je. Il se nomma Decimus Saxon.

– Oui, oui, maître Pettigrue, s'écria le barbon, c'est bien le nom indiqué par Dicky Rumbold. Il a dit que le vieux Tête-Ronde Clarke ou son fils viendrait avec lui. Mais quels sont ces gens-là?

– Celui-ci, c'est l'ami Ruben Lockarby, de Havant lui aussi, et Sir Gervas Jérôme, du Surrey. Ils sont ici l'un et l'autre comme volontaires, désireux de servir sous le duc de Monmouth.

– Je suis tout à fait charmé de vous voir alors, dit l'imposant ministre. Amis, je puis vous certifier que ces gentlemen sont bien disposés pour les honnêtes gens et pour la vieille cause.

À ces mots, la fureur de la foule fit place instantanément à l'adulation, à la joie la plus extravagante.

On se serra autour de nous; on caressa nos bottes de cheval; on tira les bords de nos habits; on nous serra la main; on appela les bénédictions du ciel sur nos têtes.

Le Clergyman parvint enfin à nous délivrer de ces attentions et à remettre son monde en marche.

Nous nous plaçâmes au milieu de la foule, le ministre allongeant le pas entre Saxon et moi.

Ainsi que Ruben en fit la remarque, il était bâti de façon à servir de transition entre nous deux, car il était plus grand mais moins large que moi.

Il était plus large et moins grand que l'aventurier.

Il avait la face longue, maigre, avec des joues creuses, et une paire de sourcils très proéminents, d'yeux très enfoncés, à l'expression mélancolique, où passait de temps à autre comme un éclair la flamme soudaine d'un enthousiasme ardent.

– Je me nomme Josué Pettigrue, gentlemen, dit-il. Je suis un digne ouvrier dans la vigne du Seigneur, et prêt à rendre témoignage par ma voix et mon bras à son saint Covenant. Voici mon fidèle troupeau, que j'emmène vers l'Ouest, afin qu'il soit tout prêt pour sa moisson, lorsqu'il plaira au Tout-Puissant de le convoquer.

– Mais pourquoi ne leur avez-vous pas fait prendre une sorte d'ordre ou de formation? demanda Saxon. Ils sont éparpillés sur toute la longueur de la route comme une bande d'oies par un terrain communal, à l'approche de la Saint-Michel. Est-ce que vous ne craignez rien? N'est-il pas écrit que votre malheur survient à l'improviste, que vous serez brisés brusquement, sans remède?

– Oui, ami, mais n'est-il pas écrit d'autre part: «Mets ta confiance en Dieu de tout ton cœur, et ne l'appuie pas sur ta propre intelligence.» Remarquez-le, si je rangeais mes hommes à la façon des soldats, cela attirerait l'attention, et amènerait une attaque de la part de la cavalerie de Jacques qui arriverait de notre côté. Mon désir est d'amener mon troupeau au camp de Monmouth et de leur procurer des mousquets avant de les exposer dans une lutte aussi inégale.

– Vraiment, monsieur, c'est là une sage résolution, dit Saxon d'un air sévère, car si une troupe de cavalerie fondait sur ces bonnes gens, le berger n'aurait plus de troupeau.

– Non, cela n'arriverait jamais, s'écria Maître Pettigrue avec élan. Dites plutôt que berger, troupeau, et le reste se mettraient en marche sur le sentier épineux du martyre, qui conduit à la Jérusalem nouvelle. Sache, ami, que j'ai quitté Monmouth pour amener ces hommes sous son étendard. J'ai reçu de lui, ou plutôt de Maître Ferguson, des instructions m'ordonnant de vous trouver, ainsi que plusieurs autres des fidèles, dont nous attendons l'arrivée du côté de l'Est. Par quelle route êtes-vous venu?

– À travers la plaine de Salisbury, et ensuite par Bruton.

– Et avez-vous rencontré de nos gens on route?

– Pas un seul, répondit Saxon, mais nous avons laissé les Gardes bleus à Salisbury, et nous avons vu soit ceux-ci, soit un autre régiment tout près de ce côté-ci de la Plaine, au village de Mere.

– Ah! voici qu'a lieu le rassemblement des aigles, s'écria Maître Josué Pettigrue, en secouant la tête. Ce sont des gens aux beaux vêtements, avec chevaux de guerre et chariots, et harnais, comme les Assyriens de jadis, mais l'Ange du Seigneur soufflera sur eux pendant la nuit. Oui, dans sa colère, il les tranchera tous, et ils seront détruits.

– Amen! Amen! crièrent tous ceux des paysans qui étaient assez près pour entendre.

– Ils ont élevé leur corne, Maître Pettigrue, dit le Puritain aux cheveux gris. Ils ont établi leur chandelier sur une hauteur, le chandelier d'un rituel corrompu et d'un cérémonial idolâtre. Ne sera-t-il pas abattu par les mains des justes?

– Oh! voici que ledit chandelier a grossi et qu'il brûle en produisant de la suie et qu'il fut même un sujet de répugnance pour les narines, dans les jours de nos pères, s'écria un lourdaud, à figure rouge, que son costume indiquait comme appartenant à la classe des yeomen. Il en était ainsi quand le vieux Noll prit ses mouchettes et se mit à l'arranger. C'est une mèche qui ne peut être taillée que par l'épée des fidèles.

Un rire farouche de toute la troupe montra combien elle goûtait les pieuses plaisanteries du compagnon.

– Ah! frère Sandcroft, s'écria le pasteur, il y a tant de douceur, tant de manne cachées dans votre conversation. Mais la route est longue et monotone. Ne l'allégerons-nous pas par un chant d'éloges? Où est frère Thistlethwaite, dont la voix est comme la cymbale, le tambour et le dulcimer.

– Me voici, très pieux Maître Pettigrue, dit Saxon. Moi-même je me suis hasardé à élever ma voix devant le Seigneur.

Et sans autre préambule, il attaqua d'une voix de stentor l'hymne suivant, repris en chœur au refrain par le pasteur et son troupeau:

 
Le Seigneur! Il est un morion
Qui me protège contre toute blessure;
Le Seigneur! Il est une cotte de mailles
Qui m'entoure tout le corps.
Dès lors qui craint de tirer l'épée.
Et de livrer les combats du Seigneur?
 
 
Le Seigneur! Il est mon bouclier fidèle,
Qui est suspendu à mon bras gauche,
Le Seigneur! Il est la cuirasse éprouvée
Qui me défend contre tous les coups.
Dès lors, qui craint de tirer l'épée
Et de livrer les combats du Seigneur?
 
 
Qui donc redoute les violents
Ou tremble devant l'orgueilleux.
Est-ce que je fuirai devant deux ou trois,
Lorsqu'IL sera à mon côté.
Dès lors, qui craint de tirer l'épée,
Et de livrer les combats du Seigneur?
 
 
Qu'entourant de toute part fossé et murailles
Ni mine, ni sape, ni brèche, ni ouverture
Ne sauraient prévaloir contre elle
Dès lors, qui craint de tirer l'épée
Et de livrer les batailles du Seigneur?
 

Saxon se tut, mais le Révérend Josué Pettigrue agita ses longs bras et répéta le refrain qui fut repris bien des fois par la colonne des paysans en marche.

– C'est un hymne pieux, dit notre compagnon, qui avait repris la voix nasillarde et pleurarde, à laquelle il avait recouru en présence de mon père, et qui excitait ainsi mon dégoût, en même temps que l'étonnement de Ruben et de Sir Gervas, et il a rendu de grands services sur le champ de bataille.

– Véritablement, dit le clergyman, si vos camarades sont de saveur aussi douce que vous-même, vous vaudrez aux fidèles une brigade de piquiers.

Cette appréciation souleva un murmure approbateur chez les Puritains qui nous entouraient.

– Monsieur, reprit-il, puisque vous êtes plein d'expérience dans les pratiques de la guerre, je serai heureux de vous remettre le commandement de ce petit corps de fidèles jusqu'au moment où nous rejoindrons l'armée.

– En effet, dit tranquillement Decimus Saxon, il n'est que temps, de bonne foi, de mettre à votre tête un soldat. Ou bien mes yeux me trompent singulièrement, ou j'aperçois le reflet des épées et des cuirasses au haut de cette pente. M'est avis que nos pieux exercices ont attiré l'ennemi sur nous.