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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre LXXVII – Un amoureux et une maîtresse

Tandis que les cires brûlaient dans le château de Blois autour du corps inanimé de Gaston d'Orléans, ce dernier représentant du passé; tandis que les bourgeois de la ville faisaient son épitaphe, qui était loin d'être un panégyrique; tandis que Madame douairière, ne se souvenant plus que pendant ses jeunes années elle avait aimé ce cadavre gisant, au point de fuir pour le suivre le palais paternel et faisait, à vingt pas de la salle funèbre, ses petits calculs d'intérêt et ses petits sacrifices d'orgueil, d'autres intérêts et d'autres orgueils s'agitaient dans toutes les parties du château où avait pu pénétrer une âme vivante.

Ni les sons lugubres des cloches, ni les voix des chantres, ni l'éclat des cierges à travers les vitres, ni les préparatifs de l'ensevelissement n'avaient le pouvoir de distraire deux personnes placées à une fenêtre de la cour intérieure, fenêtre que nous connaissons déjà et qui éclairait une chambre faisant partie de ce qu'on appelait les petits appartements.

Au reste, un rayon joyeux de soleil, car le soleil paraissait fort peu s'inquiéter de la perte que venait de faire la France, un rayon de soleil, disons-nous, descendait sur eux, tirant les parfums des fleurs voisines et animant les murailles elles-mêmes. Ces deux personnes si occupées, non par la mort du duc, mais de la conversation qui était la suite de cette mort, ces deux personnes étaient une jeune fille et un jeune homme.

Ce dernier personnage, garçon de vingt-cinq à vingt-six ans à peu près, à la mine tantôt éveillée, tantôt sournoise, faisait jouer à propos deux yeux immenses recouverts de longs cils, était petit et brun de peau; il souriait avec une bouche énorme, mais bien meublée, et son menton pointu, qui semblait jouir d'une mobilité que la nature n'accorde pas d'ordinaire à cette portion de visage, s'allongeait parfois très amoureusement vers son interlocutrice, qui, disons-le, ne se reculait pas toujours aussi rapidement que les strictes bienséances avaient le droit de l'exiger. La jeune fille, nous la connaissons, car nous l'avons déjà vue à cette même fenêtre, à la lueur de ce même soleil; la jeune fille offrait un singulier mélange de finesse et de réflexion: elle était charmante quand elle riait, belle quand elle devenait sérieuse; mais, hâtons-nous de le dire, elle était plus souvent charmante que belle.

Les deux personnes paraissaient avoir atteint le point culminant d'une discussion moitié railleuse, moitié grave.

– Voyons, monsieur Malicorne, disait la jeune fille, vous plaît- il enfin que nous parlions raison?

– Vous croyez que c'est facile, mademoiselle Aure, répliqua le jeune homme. Faire ce qu'on veut, quand on ne peut faire ce que l'on peut…

– Bon! le voilà qui s'embrouille dans ses phrases.

– Moi?

– Oui, vous; voyons, quittez cette logique de procureur, mon cher.

– Encore une chose impossible. Clerc je suis, mademoiselle de

Montalais.

– Demoiselle je suis, monsieur Malicorne.

– Hélas! je le sais bien, et vous m'accablez par la distance; aussi, je ne vous dirai rien.

– Mais non, je ne vous accable pas; dites ce que vous avez à me dire, dites, je le veux!

– Eh bien! je vous obéis.

– C'est bien heureux, vraiment!

– Monsieur est mort.

– Ah! peste, voilà du nouveau! Et d'où arrivez-vous pour nous dire cela?

– J'arrive d'Orléans, mademoiselle.

– Et c'est la seule nouvelle que vous apportez?

– Oh! non pas… J'arrive aussi pour vous dire que Madame

Henriette d'Angleterre arrive pour épouser le frère de Sa Majesté.

– En vérité, Malicorne, vous êtes insupportable avec vos nouvelles du siècle passé; voyons, si vous prenez aussi cette mauvaise habitude de vous moquer, je vous ferai jeter dehors.

– Oh!

– Oui, car vraiment vous m'exaspérez.

– Là! là! patience, mademoiselle.

– Vous vous faites valoir ainsi. Je sais bien pourquoi, allez…

– Dites, et je vous répondrai franchement oui, si la chose est vraie.

– Vous savez que j'ai envie de cette commission de dame d'honneur que j'ai eu la sottise de vous demander, et vous ménagez votre crédit.

– Moi?

Malicorne abaissa ses paupières, joignit les mains et prit son air sournois.

– Et quel crédit un pauvre clerc de procureur saurait-il avoir, je vous le demande?

– Votre père n'a pas pour rien vingt mille livres de rente, monsieur Malicorne.

– Fortune de province, mademoiselle de Montalais.

– Votre père n'est pas pour rien dans les secrets de M. le prince.

– Avantage qui se borne à prêter de l'argent à Monseigneur.

– En un mot, vous n'êtes pas pour rien le plus rusé compère de la province.

– Vous me flattez.

– Moi?

– Oui, vous.

– Comment cela?

– Puisque c'est moi qui vous soutiens que je n'ai point de crédit, et vous qui me soutenez que j'en ai.

– Enfin, ma commission?

– Eh bien! votre commission?

– L'aurai-je ou ne l'aurai-je pas?

– Vous l'aurez.

– Mais quand?

– Quand vous voudrez.

– Où est-elle, alors?

– Dans ma poche.

– Comment! dans votre poche?

– Oui. Et, en effet, avec son sourire narquois, Malicorne tira de sa poche une lettre dont la Montalais s'empara comme d'une proie et qu'elle lut avec avidité.

À mesure qu'elle lisait, son visage s'éclairait.

– Malicorne! s'écria-t-elle après avoir lu, en vérité vous êtes un bon garçon.

– Pourquoi cela, mademoiselle?

– Parce que vous auriez pu vous faire payer cette commission et que vous ne l'avez pas fait.

Et elle éclata de rire, croyant décontenancer le clerc. Mais

Malicorne soutint bravement l'attaque.

– Je ne vous comprends pas, dit-il.

Ce fut Montalais qui fut décontenancée à son tour.

– Je vous ai déclaré mes sentiments, continua Malicorne; vous m'avez dit trois fois en riant que vous ne m'aimiez pas; vous m'avez embrassé une fois sans rire, c'est tout ce qu'il me faut.

– Tout? dit la fière et coquette Montalais d'un ton où perçait l'orgueil blessé.

– Absolument tout, mademoiselle, répliqua Malicorne.

– Ah!

Ce monosyllabe indiquait autant de colère que le jeune homme eût pu attendre de reconnaissance. Il secoua tranquillement la tête.

– Écoutez, Montalais, dit-il sans s'inquiéter si cette familiarité plaisait ou non à sa maîtresse, ne discutons point là- dessus.

– Pourquoi cela?

– Parce que, depuis un an que je vous connais, vous m'eussiez mis à la porte vingt fois si je ne vous plaisais pas.

– En vérité! À quel propos vous eussé-je mis à la porte?

– Parce que j'ai été assez impertinent pour cela.

– Oh! cela, c'est vrai.

– Vous voyez bien que vous êtes forcée de l'avouer, fit

Malicorne.

– Monsieur Malicorne!

– Ne nous fâchons pas; donc, si vous m'avez conservé, ce n'est pas sans cause.

– Ce n'est pas au moins parce que je vous aime! s'écria

Montalais.

– D'accord. Je vous dirai même qu'en ce moment je suis certain que vous m'exécrez.

– Oh! vous n'avez jamais dit si vrai.

– Bien! Moi, je vous déteste.

– Ah! je prends acte.

– Prenez. Vous me trouvez brutal et sot; je vous trouve, moi, la voix dure et le visage décomposé par la colère. En ce moment, vous vous jetteriez par cette fenêtre plutôt que de me laisser baiser le bout de votre doigt; moi, je me précipiterais du haut du clocheton plutôt que de toucher le bas de votre robe. Mais dans cinq minutes vous m'aimerez, et moi, je vous adorerai. Oh! c'est comme cela.

– J'en doute.

– Et moi, j'en jure.

– Fat!

– Et puis ce n'est point la véritable raison; vous avez besoin de moi, Aure, et moi, j'ai besoin de vous. Quand il vous plaît d'être gaie, je vous fais rire; quand il me sied d'être amoureux, je vous regarde. Je vous ai donné une commission de dame d'honneur que vous désiriez; vous m'allez donner tout à l'heure quelque chose que je désirerai.

– Moi?

– Vous! mais en ce moment, ma chère Aure, je vous déclare que je ne désire absolument rien; ainsi, soyez tranquille.

– Vous êtes un homme odieux, Malicorne; j'allais me réjouir de cette commission, et voilà que vous m'ôtez toute ma joie.

– Bon! il n'y a point de temps perdu; vous vous réjouirez quand je serai parti.

– Partez donc, alors…

– Soit; mais, auparavant, un conseil…

– Lequel?

– Reprenez votre belle humeur; vous devenez laide quand vous boudez.

– Grossier!

– Allons, disons-nous nos vérités tandis que nous y sommes.

– Ô Malicorne! ô mauvais coeur!

– Ô Montalais! ô ingrate!

Et le jeune homme s'accouda sur l'appui de la fenêtre.

Montalais prit un livre et l'ouvrit.

Malicorne se redressa, brossa son feutre avec sa manche et défripa son pourpoint noir.

Montalais, tout en faisant semblant de lire, le regardait du coin de l'oeil.

– Bon! s'écria-t-elle furieuse, le voilà qui prend son air respectueux. Il va bouder pendant huit jours.

– Quinze, mademoiselle, dit Malicorne en s'inclinant.

Montalais leva sur lui son poing crispé.

– Monstre! dit-elle. Oh! si j'étais un homme!

– Que me feriez-vous?

– Je t'étranglerais!

– Ah! fort bien, dit Malicorne; je crois que je commence à désirer quelque chose.

– Et que désirez-vous, monsieur le démon! Que je perde mon âme par la colère?

Malicorne roulait respectueusement son chapeau entre ses doigts; mais tout à coup il laissa tomber son chapeau, saisit la jeune fille par les deux épaules, l'approcha de lui et appuya sur ses lèvres deux lèvres bien ardentes pour un homme ayant la prétention d'être si indifférent. Aure voulut pousser un cri, mais ce cri s'éteignit dans le baiser.

 

Nerveuse et irritée, la jeune fille repoussa Malicorne contre la muraille.

– Bon! dit philosophiquement Malicorne, en voilà pour six semaines; adieu, mademoiselle! agréez mon très humble salut.

Et il fit trois pas pour se retirer.

– Eh bien! non, vous ne sortirez pas! s'écria Montalais en frappant du pied; restez! je vous l'ordonne!

– Vous l'ordonnez?

– Oui; ne suis-je pas la maîtresse?

– De mon âme et de mon esprit, sans aucun doute.

– Belle propriété, ma foi! L'âme est sotte et l'esprit sec.

– Prenez garde, Montalais, je vous connais, dit Malicorne; vous allez vous prendre d'amour pour votre serviteur.

– Eh bien! oui, dit-elle en se pendant à son cou avec une enfantine indolence bien plus qu'avec un voluptueux abandon; eh bien! oui, car il faut que je vous remercie, enfin.

– Et de quoi?

– De cette commission; n'est-ce pas tout mon avenir?

– Et tout le mien.

Montalais le regarda.

– C'est affreux, dit-elle, de ne jamais pouvoir deviner si vous parlez sérieusement.

– On ne peut plus sérieusement; j'allais à Paris, vous y allez, nous y allons.

– Alors, c'est par ce seul motif que vous m'avez servie, égoïste?

– Que voulez-vous, Aure, je ne puis me passer de vous.

– Eh bien! en vérité, c'est comme moi; vous êtes cependant, il faut l'avouer, un bien méchant coeur!

– Aure, ma chère Aure, prenez garde; si vous retombez dans les injures, vous savez l'effet qu'elles me produisent, et je vais vous adorer.

Et, tout en disant ces paroles, Malicorne approcha une seconde fois la jeune fille de lui.

Au même instant un pas retentit dans l'escalier. Les jeunes gens étaient si rapprochés qu'on les eût surpris dans les bras l'un de l'autre, si Montalais n'eût violemment repoussé Malicorne, lequel alla frapper du dos la porte, qui s'ouvrait en ce moment. Un grand cri, suivi d'injures, retentit aussitôt.

C'était Mme de Saint-Remy qui poussait ce cri et qui proférait ces injures: le malheureux Malicorne venait de l'écraser à moitié entre la muraille et la porte qu'elle entrouvrait.

– C'est encore ce vaurien! s'écria la vieille dame; toujours là!

– Ah! madame, répondit Malicorne d'une voix respectueuse, il y a huit grands jours que je ne suis venu ici.

Chapitre LXXVIII – Où l'on voit enfin reparaître la véritable héroïne de cette histoire

Derrière Mme de Saint-Remy montait Mlle de La Vallière. Elle entendit l'explosion de la colère maternelle, et comme elle en devinait la cause, elle entra toute tremblante dans la chambre et aperçut le malheureux Malicorne, dont la contenance désespérée eût attendri ou égayé quiconque l'eût observé de sang-froid. En effet, il s'était vivement retranché derrière une grande chaise, comme pour éviter les premiers assauts de Mme de Saint-Remy; il n'espérait pas la fléchir par la parole, car elle parlait plus haut que lui et sans interruption, mais il comptait sur l'éloquence de ses gestes.

La vieille dame n'écoutait et ne voyait rien; Malicorne, depuis longtemps, était une des ses antipathies. Mais sa colère était trop grande pour ne pas déborder de Malicorne sur sa complice. Montalais eut son tour.

– Et vous, mademoiselle, et vous, comptez-vous que je n'avertirai point Madame de ce qui se passe chez une de ses filles d'honneur?

– Oh! ma mère, s'écria Mlle de La Vallière, par grâce, épargnez…

– Taisez-vous, mademoiselle, et ne vous fatiguez pas inutilement à intercéder pour des sujets indignes; qu'une fille honnête comme vous subisse le mauvais exemple, c'est déjà certes un assez grand malheur; mais qu'elle l'autorise par son indulgence, c'est ce que je ne souffrirai pas.

– Mais, en vérité, dit Montalais se rebellant enfin, je ne sais pas sous quel prétexte vous me traitez ainsi; je ne fais point de mal, je suppose?

– Et ce grand fainéant, mademoiselle, reprit Mme de Saint-Remy montrant Malicorne, est-il ici pour faire le bien? je vous le demande.

– Il n'est ici ni pour le bien ni pour le mal, madame; il vient me voir, voilà tout.

– C'est bien, c'est bien, dit Mme de Saint-Remy; Son Altesse

Royale sera instruite, et elle jugera.

– En tout cas, je ne vois pas pourquoi, répondit Montalais, il serait défendu à M. Malicorne d'avoir dessein sur moi, si son dessein est honnête.

– Dessein honnête, avec une pareille figure! s'écria Mme de

Saint-Remy.

– Je vous remercie au nom de ma figure, madame, dit Malicorne.

– Venez, ma fille, venez, continua Mme de Saint-Remy; allons prévenir Madame qu'au moment même où elle pleure un époux, au moment où nous pleurons un maître dans ce vieux château de Blois, séjour de la douleur, il y a des gens qui s'amusent et se réjouissent.

– Oh! firent d'un seul mouvement les deux accusés.

– Une fille d'honneur! une fille d'honneur! s'écria la vieille dame en levant les mains au ciel.

– Eh bien! c'est ce qui vous trompe, madame, dit Montalais exaspérée; je ne suis plus fille d'honneur, de Madame du moins.

– Vous donnez votre démission, mademoiselle? Très bien! je ne puis qu'applaudir à une telle détermination et j'y applaudis.

– Je ne donne point ma démission, madame; je prends un autre service, voilà tout.

– Dans la bourgeoisie ou dans la robe? demanda Mme de Saint-Remy avec dédain.

– Apprenez, madame, dit Montalais, que je ne suis point fille à servir des bourgeoises ni des robines, et qu'au lieu de la cour misérable où vous végétez, je vais habiter une cour presque royale.

– Ah! ah! une cour royale, dit Mme de Saint-Remy en s'efforçant de rire; une cour royale, qu'en pensez-vous, ma fille?

Et elle se retournait vers Mlle de La Vallière, qu'elle voulait à toute force entraîner contre Montalais, et qui, au lieu d'obéir à l'impulsion de Mme de Saint-Remy, regardait tantôt sa mère, tantôt Montalais avec ses beaux yeux conciliateurs.

– Je n'ai point dit une cour royale, madame, répondit Montalais, parce que Madame Henriette d'Angleterre, qui va devenir la femme de Son Altesse Royale Monsieur, n'est point une reine. J'ai dit presque royale, et j'ai dit juste, puisqu'elle va être la belle- soeur du roi.

La foudre tombant sur le château de Blois n'eût point étourdi

Mme de Saint Remy comme le fit cette dernière phrase de Montalais.

– Que parlez-vous de Son Altesse Royale Madame Henriette? balbutia la vieille dame.

– Je dis que je vais entrer chez elle comme demoiselle d'honneur: voilà ce que je dis.

– Comme demoiselle d'honneur! s'écrièrent à la fois Mme de Saint-

Remy avec désespoir et Mlle de La Vallière avec joie.

– Oui, madame, comme demoiselle d'honneur.

La vieille dame baissa la tête comme si le coup eût été trop fort pour elle.

Cependant, presque aussitôt elle se redressa pour lancer un dernier projectile à son adversaire.

– Oh! oh! dit-elle, on parle beaucoup de ces sortes de promesses à l'avance, on se flatte souvent d'espérances folles, et au dernier moment, lorsqu'il s'agit de tenir ces promesses, de réaliser ces espérances, on est tout surpris de se voir réduire en vapeur le grand crédit sur lequel on comptait.

– Oh! madame, le crédit de mon protecteur, à moi, est incontestable, et ses promesses valent des actes.

– Et ce protecteur si puissant, serait-ce indiscret de vous demander son nom?

– Oh! mon Dieu, non; c'est Monsieur que voilà, dit Montalais en montrant Malicorne, qui, pendant toute cette scène, avait conservé le plus imperturbable sang-froid et la plus comique dignité.

– Monsieur! s'écria Mme de Saint-Remy avec une explosion d'hilarité, Monsieur est votre protecteur! Cet homme dont le crédit est si puissant, dont les promesses valent des actes, c'est M. Malicorne?

Malicorne salua.

Quant à Montalais, pour toute réponse elle tira le brevet de sa poche, et le montrant à la vieille dame:

– Voici le brevet, dit-elle.

Pour le coup, tout fut fini. Dès qu'elle eut parcouru du regard le bienheureux parchemin, la bonne dame joignit les mains, une expression indicible d'envie et de désespoir contracta son visage, et elle fut obligée de s'asseoir pour ne point s'évanouir.

Montalais n'était point assez méchante pour se réjouir outre mesure de sa victoire et accabler l'ennemi vaincu, surtout lorsque cet ennemi c'était la mère de son amie; elle usa donc, mais n'abusa point du triomphe.

Malicorne fut moins généreux; il prit des poses nobles sur son fauteuil et s'étendit avec une familiarité qui, deux heures plus tôt, lui eût attiré la menace du bâton.

– Dame d'honneur de la jeune Madame! répétait Mme de Saint-Remy, encore mal convaincue.

– Oui, madame, et par la protection de M. Malicorne, encore.

– C'est incroyable! répétait la vieille dame; n'est-ce pas,

Louise, que c'est incroyable?

Mais Louise ne répondit pas; elle était inclinée, rêveuse, presque affligée; une main sur son beau front, elle soupirait.

– Enfin, monsieur, dit tout à coup Mme de Saint-Remy, comment avez vous fait pour obtenir cette charge?

– Je l'ai demandée madame.

– À qui?

– À un de mes amis.

– Et vous avez des amis assez bien en cour pour vous donner de pareilles preuves de crédit?

– Dame! il paraît.

– Et peut-on savoir le nom de ces amis?

– Je n'ai pas dit que j'eusse plusieurs amis madame, j'ai dit un ami.

– Et cet ami s'appelle?

– Peste! madame, comme vous y allez! Quand on a un ami aussi puissant que le mien, on ne le produit pas comme cela au grand jour pour qu'on vous le vole.

– Vous avez raison, monsieur, de taire le nom de cet ami car je crois qu'il vous serait difficile de le dire.

– En tout cas, dit Montalais, si l'ami n'existe pas, le brevet existe, et voilà qui tranche la question.

– Alors je conçois, dit Mme de Saint-Remy avec le sourire gracieux du chat qui va griffer, quand j'ai trouvé Monsieur chez vous tout à l'heure…

– Eh bien?

– Il vous apportait votre brevet.

– Justement, madame, vous avez deviné.

– Mais c'était on ne peut plus moral, alors.

– Je le crois, madame.

– Et j'ai eu tort, à ce qu'il paraît, de vous faire des reproches, mademoiselle.

– Très grand tort, madame; mais je suis tellement habituée à vos reproches, que je vous les pardonne.

– En ce cas, allons-nous-en, Louise; nous n'avons plus qu'à nous retirer. Eh bien?

– Madame! fit La Vallière en tressaillant, vous dites?

– Tu n'écoutais pas, à ce qu'il paraît, mon enfant?

– Non, madame, je pensais.

– Et à quoi?

– À mille choses.

– Tu ne m'en veux pas au moins, Louise? s'écria Montalais lui pressant la main.

– Et de quoi t'en voudrais-je, ma chère Aure? répondit la jeune fille avec sa voix douce comme une musique.

– Dame! reprit Mme de Saint-Remy, quand elle vous en voudrait un peu, pauvre enfant! elle n'aurait pas tout à fait tort.

– Et pourquoi m'en voudrait-elle, bon Dieu?

– Il me semble qu'elle est d'aussi bonne famille et aussi jolie que vous.

– Ma mère! s'écria Louise.

– Plus jolie cent fois, madame; de meilleure famille, non; mais cela ne me dit point pourquoi Louise doit m'en vouloir.

– Croyez-vous donc que ce soit amusant pour elle de s'enterrer à

Blois quand vous allez briller à Paris?

– Mais, madame, ce n'est point moi qui empêche Louise de m'y suivre, à Paris; au contraire, je serais certes bien heureuse qu'elle y vînt.

– Mais il me semble que M. Malicorne, qui est tout-puissant à la cour…

– Ah! tant pis, madame, fit Malicorne, chacun pour soi en ce pauvre monde.

– Malicorne! fit Montalais.

Puis, se baissant vers le jeune homme:

– Occupez Mme de Saint-Remy, soit en disputant, soit en vous raccommodant avec elle; il faut que je cause avec Louise.

Et, en même temps, une douce pression de main récompensait Malicorne de sa future obéissance. Malicorne se rapprocha tout grognant de Mme de Saint-Remy, tandis que Montalais disait à son amie, en lui jetant un bras autour du cou:

– Qu'as-tu? Voyons! Est-il vrai que tu ne m'aimerais plus parce que je brillerais, comme dit ta mère?

– Oh! non, répondit la jeune fille retenant à peine ses larmes; je suis bien heureuse de ton bonheur, au contraire.

– Heureuse! et l'on dirait que tu es prête à pleurer.

– Ne pleure-t-on que d'envie?

– Ah! oui, je comprends, je vais à Paris, et ce mot «Paris» te rappelait certain cavalier.

– Aure!

– Certain cavalier qui, autrefois, habitait Blois, et qui aujourd'hui habite Paris.

– Je ne sais, en vérité, ce que j'ai, mais j'étouffe.

– Pleure alors, puisque tu ne peux pas me sourire.

 

Louise releva son visage si doux que des larmes, roulant l'une après l'autre, illuminaient comme des diamants.

– Voyons, avoue, dit Montalais.

– Que veux-tu que j'avoue?

– Ce qui te fait pleurer; on ne pleure pas sans cause. Je suis

ton amie; tout ce que tu voudras que je fasse, je le ferai.

Malicorne est plus puissant qu'on ne croit, va! Veux-tu venir à

Paris?

– Hélas! fit Louise.

– Veux-tu venir à Paris?

– Rester seule ici, dans ce vieux château, moi qui avais cette douce habitude d'entendre tes chansons, de te presser la main, de courir avec vous toutes dans ce parc; oh! comme je vais m'ennuyer, comme je vais mourir vite!

– Veux-tu venir à Paris?

Louise poussa un soupir.

– Tu ne réponds pas.

– Que veux-tu que je te réponde?

– Oui ou non; ce n'est pas bien difficile, ce me semble.

– Oh! tu es bien heureuse, Montalais!

– Allons, ce qui veut dire que tu voudrais être à ma place?

Louise se tut.

– Petite obstinée! dit Montalais; a-t-on jamais vu avoir des secrets pour une amie! Mais avoue donc que tu voudrais venir à Paris, avoue donc que tu meurs d'envie de revoir Raoul!

– Je ne puis avouer cela.

– Et tu as tort.

– Pourquoi?

– Parce que… Vois-tu ce brevet?

– Sans doute que je le vois.

– Eh bien! je t'en eusse fait avoir un pareil.

– Par qui?

– Par Malicorne.

– Aure, dis-tu vrai? serait-ce possible?

– Dame! Malicorne est là; et ce qu'il a fait pour moi, il faudra bien qu'il le fasse pour toi.

Malicorne venait d'entendre prononcer deux fois son nom, il était enchanté d'avoir une occasion d'en finir avec Mme de Saint-Remy, et il se retourna.

– Qu'y a-t-il, mademoiselle?

– Venez ça, Malicorne, fit Montalais avec un geste impératif.

Malicorne obéit.

– Un brevet pareil, dit Montalais.

– Comment cela?

– Un brevet pareil à celui-ci; c'est clair.

– Mais…

– Il me le faut!

– Oh! oh! il vous le faut?

– Oui.

– Il est impossible, n'est-ce pas, monsieur Malicorne? dit Louise avec sa douce voix.

– Dame! si c'est pour vous, mademoiselle…

– Pour moi. Oui, monsieur Malicorne, ce serait pour moi.

– Et si Mlle de Montalais le demande en même temps que vous …

– Mlle de Montalais ne le demande pas, elle l'exige.

– Eh bien! on verra à vous obéir, mademoiselle.

– Et vous la ferez nommer?

– On tâchera.

– Pas de réponse évasive. Louise de La Vallière sera demoiselle d'honneur de Madame Henriette avant huit jours.

– Comme vous y allez!

– Avant huit jours, ou bien…

– Ou bien?

– Vous reprendrez votre brevet, monsieur Malicorne; je ne quitte pas mon amie.

– Chère Montalais!

– C'est bien, gardez votre brevet; Mlle de La Vallière sera dame d'honneur.

– Est-ce vrai?

– C'est vrai.

– Je puis donc espérer d'aller à Paris?

– Comptez-y.

– Oh! monsieur Malicorne, quelle reconnaissance! s'écria Louise en joignant les mains et en bondissant de joie.

– Petite dissimulée! dit Montalais, essaie encore de me faire croire que tu n'es pas amoureuse de Raoul.

Louise rougit comme la rose de mai; mais, au lieu de répondre, elle alla embrasser sa mère.

– Madame, lui dit-elle, savez-vous que M. Malicorne va me faire nommer demoiselle d'honneur?

– M. Malicorne est un prince déguisé, répliqua la vieille dame; il a tous les pouvoirs.

– Voulez-vous aussi être demoiselle d'honneur? demanda Malicorne à Mme de Saint-Remy. Pendant que j'y suis, autant que je fasse nommer tout le monde.

Et, sur ce, il sortit laissant la pauvre dame toute déferrée comme dirait Tallemant des Réaux.

– Allons, murmura Malicorne en descendant les escaliers, allons, c'est encore un billet de mille livres que cela va me coûter; mais il faut en prendre son parti; mon ami Manicamp ne fait rien pour rien.