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Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé

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LETTRE V

Paris, 26 mai 1673

Si je n'avois la migraine, je vous rendrois compte de mon voyage de Chantilli, et je vous dirois que de tous les lieux que le soleil éclair, il n'y en a point un pareil à celui-là. Nous n'y avons pas eu un trop beau temps; mais la beauté de la chasse dans les carosses vitrés a suppléé à ce qui nous manquoit. Nous y avons été cinq ou six jours; nous vous y avons extrêmement souhaitée, non-seulement par amitié, mais parce que vous êtes plus digne que personne du monde d'admirer ces beautés-là. J'ai trouvé ici, à mon retour, deux de vos lettres. Je ne pus faire achever celle-ci vendredi, et je ne puis l'achever moi-même aujourd'hui, dont je suis bien fâchée; car il me semble qu'il y a long-temps que je n'ai causé avec vous. Pour répondre à vos questions, je vous dirai que madame

de Brissac

146

146


  Gabrielle-Louise

de Saint-Simon

, duchesse

de Brissac

.



 est toujours à l'hôtel de Conti, environnée de peu d'amans, et d'amans peu propres à faire du bruit; de sorte qu'elle n'a pas grand besoin du

manteau de sainte Ursule

. Le premier président de Bordeaux est amoureux d'elle comme un fou; il est vrai que ce n'est pas d'ailleurs une tête bien timbrée.

Monsieur

 le Premier et ses enfans sont aussi fort assidus auprès d'elle; M.

de Montaigu

 ne l'a, je crois, point vue de ce voyage-ci, de peur de déplaire à madame

de Northumberland

, qui part aujourd'hui;

Montaigu

 l'a devancée de deux jours; tout cela ne laisse pas douter qu'il ne l'épouse. Madame

de Brissac

 joue toujours la désolée, et affecte une très-grande négligence. La comtesse du

Plessis

 a servi de dame d'honneur deux jours avant que

Monsieur

 soit parti; sa belle-mère

147

147


  Colombe

le Charron

, femme de César, duc

de Choiseul

, pair et maréchal de France, et première dame d'honneur de

Madame

.



 n'y avoit pas voulu consentir auparavant. Elle n'égratigne point M.

de Monaco

; je crois qu'elle se fait justice, et qu'elle trouve que la seconde place de chez

Madame

 est assez bonne pour la femme de

Clérembault

; elle le sera assurément dans un mois, si elle ne l'est déjà.



Nous allons dîner à Livri; M.

de la Rochefoucauld

,

Morangis

,

Coulanges

 et moi; c'est une chose qui me paroît bien étrange, d'aller dîner à Livri, et que ce ne soit pas avec vous. L'abbé

Testu

148

148


  Il ne faut pas confondre l'abbé

Testu

, dont il est parlé dans ces lettres, avec un autre abbé

Testu

 qui avoit été aumônier ordinaire de

Madame

, et qui étoit comme le premier de l'académie françoise: celui dont il s'agit étoit un homme de beaucoup d'esprit et de très-bonne compagnie.



 est allé à Fontevrault; je suis trompée, s'il n'eût mieux fait de n'y pas aller, et si ce voyage-là ne déplaît à des gens à qui il est bon de ne pas déplaire.



L'on dit que madame

de Montespan

 est demeurée à Courtrai. Je reçois une petite lettre de vous: si vous n'avez pas reçu des miennes, c'est que j'ai bien eu des tracas; je vous conterai mes raisons quand vous serez ici. M.

le Duc

 s'ennuie beaucoup à Utrecht; les femmes y sont horribles: voici un petit conte sur son sujet. Il se familiarisoit avec une jeune femme de ce pays-là, pour se désennuyer apparemment, et, comme les familiarités étoient sans doute un peu grandes, elle lui dit:

Pour Dieu! Monseigneur, votre altesse a la bonté d'être trop insolente.

 C'est

Briole

 qui m'a écrit cela; j'ai jugé que vous en seriez charmée, comme moi. Adieu, ma belle; je suis toute à vous assurément.



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LETTRE VI

Paris, 30 juin 1673

Hé bien! hé bien! ma belle, qu'avez-vous à crier comme un aigle? Je vous demande que vous attendiez à juger de moi quand vous serez ici; qu'y a-t-il de si terrible à ces paroles:

Mes journées sont remplies?

 Il est vrai que

Bayard

 est ici, et qu'il fait mes affaires; mais quand il a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je? Encore faut-il lui parler. Quand j'ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M.

de la Rochefoucauld

 que je n'ai point vu de tout le jour; écrirai-je? M.

de la Rochefoucauld

 et

Gourville

 sont ici; écrirai-je? Mais quand ils sont sortis? Ah! quand ils sont sortis! il est onze heures, et je sors, moi; je couche chez nos voisins, à cause qu'on bâtit devant mes fenêtres. Mais l'après-dînée? J'ai mal à la tête. Mais le matin? J'y ai mal encore, et je prends des bouillons d'herbes qui m'enivrent. Vous êtes en Provence, ma belle, vos heures sont libres, et votre tête encore plus; le goût d'écrire vous dure encore pour tout le monde; il m'est passé pour tout le monde, et si j'avois un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point notre amitié sur l'écriture; je vous aimerai autant, en ne vous écrivant qu'une page en un mois, que vous, en m'en écrivant dix en huit jours. Quand je suis à St. – Maur, je puis écrire, parce que j'ai plus de tête et plus de loisir; mais je n'ai pas celui d'y être: je n'y ai passé que huit jours de cette année. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferois ma cour à des gens à qui il est très-bon de la faire, d'écrire souvent toutes sortes de folies, et combien je leur en écris peu, vous jugeriez aisément que je ne fais pas ce que je veux là-dessus. Il y a aujourd'hui trois ans que je vis mourir

Madame

: je relus hier plusieurs de ses lettres; je suis toute pleine d'elle. Adieu, ma très-chère: vos défiances seules composent votre unique défaut, et la seule chose qui peut me déplaire en vous. M.

de la Rochefoucauld

 vous écrira.



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LETTRE VII

Paris, 14 juillet 1673

Voici ce que j'ai fait depuis que je ne vous ai écrit: j'ai eu deux accès de fièvre: il y a six mois que je n'ai été purgée; on me purge une fois, on me purge deux; le lendemain de la deuxième, je me mets à table: ah! ah! j'ai mal au cœur, je ne veux point de potage: mangez donc un peu de viande; non, je n'en veux point; mais vous mangerez du fruit; je crois qu'oui: hé bien! mangez-en donc; je ne saurois, je mangerai tantôt: que l'on m'ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir, voilà un potage et un poulet; je n'en veux point, je suis dégoûtée, je m'en vais me coucher; j'aime mieux dormir que de manger. Je me couche, je me tourne, je me retourne, je n'ai point de mal, mais je n'ai point de sommeil aussi; j'appelle, je prends un livre, je le referme; le jour vient, je me lève, je vais à la fenêtre; quatre heures sonnent, cinq heures, six heures; je me recouche, je m'endors jusqu'à sept: je me lève à huit, je me mets à table à douze inutilement, comme la veille; je me remets dans mon lit le soir inutilement, comme l'autre nuit. Êtes-vous malade? nenni. Êtes-vous plus foible? nenni. Je suis dans cet état trois jours et trois nuits: je redors présentement; mais je ne mange encore que par machine, comme les chevaux, en me frottant la bouche de vinaigre: du reste, je me porte bien, et je n'ai pas même si mal à la tête. Je viens d'écrire des folies à

M. le Duc.

 Si je puis, j'irai dimanche à Livri pour un jour ou deux. Je suis très-aise d'aimer madame

de Coulanges

 à cause de vous. Résolvez-vous, ma belle, de me voir soutenir toute ma vie, à la pointe de mon éloquence, que je vous aime plus encore que vous ne m'aimez: j'en ferois convenir

Corbinelli

 en un demi-quart d'heure: au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles; tant de bonnes volontés seront-elles toujours inutiles à ce pauvre homme? Pour moi, je crois que c'est son mérite qui leur porte malheur.

Segrais

 porte aussi guignon; madame

de Thianges

 est des amies de

Corbinelli

, madame

Scarron

, mille personnes, et je ne lui vois plus aucune espérance de quoi que ce puisse être. On donne des pensions aux beaux esprits; c'est un fonds abandonné à cela; il en mérite mieux que tous ceux qui en ont; point de nouvelles, on ne peut rien obtenir pour lui. Je dois voir demain madame

de Vill…

; c'est une certaine ridicule à qui M.

d'Ambre

 a fait un enfant. Elle l'a plaidé, et a perdu son procès. Elle conte toutes les circonstances de son aventure; il n'y a rien au monde de pareil. Elle prétend avoir été forcée: vous jugez bien que cela-conduit à de beaux détails. La

Marans

 est une sainte; il n'y a point de raillerie: cela me paroît un miracle. La

Bonnetot

 est dévote aussi; elle a ôté son œil de verre; elle ne met plus de rouge, ni de boucles. Madame

de Monaco

 ne fait pas de même; elle me vint voir l'autre jour, bien blanche: elle est favorite et engouée de cette

Madame

-ci tout comme de l'autre: cela est bizarre.

Langlade

 s'en va demain en Poitou pour deux ou trois mois. M.

de Marsillac

 est ici: il part lundi pour aller à Barège; il ne s'aide pas de son bras. Madame la comtesse

du Plessis

 va se marier: elle a pensé acheter

Frêne

. M.

de la Rochefoucauld

 se porte très-bien: il vous fait mille et mille complimens et à

Corbinelli

. Voici une question entre deux maximes:

 



On pardonne les infidélités; mais on ne les oublie point.



On oublie les infidélités; mais on ne les pardonne point.



«Aimez-vous mieux avoir fait une infidélité à votre amant, que vous aimez pourtant toujours; ou qu'il vous en ait fait une, et qu'il vous aime aussi toujours?» On n'entend pas par infidélité, avoir quitté pour un autre; mais avoir fait une faute considérable. Adieu: je suis bien en train de jaser; voilà ce que c'est que de ne point manger et ne point dormir. J'embrasse madame

de Grignan

 et toutes ses perfections.



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LETTRE VIII

Paris, 4 septembre 1673

Je suis à St. – Maur; j'ai quitté toutes mes affaires et tous mes amis. J'ai mes enfans et le beau temps, cela me suffit. Je prends des eaux de Forges; je songe à ma santé: je ne vois personne, je ne m'en soucie point du tout. Tout le monde me paroît si attaché à ses plaisirs, et à des plaisirs qui dépendent entièrement des autres, que je me trouve avoir un don des fées, d'être de l'humeur dont je suis. Je ne sais si madame

de Coulanges

 ne vous aura point mandé une conversation d'une après-dînée de chez

Gourville

, où étoient madame

Scarron

 et l'abbé

Testu

, sur les personnes

qui ont le goût au-dessus ou au-dessous de leur esprit

; nous nous jetâmes dans des subtilités, où nous n'entendions plus rien. Si l'air de la Provence, qui subtilise encore toutes choses, vous augmente, nos visions là-dessus, vous serez dans les nues.

Vous avez le goût au-dessus de votre esprit, et M.

 de la Rochefoucauld

aussi, et moi encore; mais pas tant que vous deux.

 Voilà des exemples qui vous guideront. M.

de Coulanges

 m'a dit que votre voyage étoit encore retardé: pourvu que vous rameniez madame

de Grignan

, je n'en murmure pas: si vous ne la ramenez point, c'est une trop longue absence. Mon goût augmente à vue d'œil pour la supérieure du Calvaire; j'espère qu'elle me rendra bonne. Le cardinal

de Retz

 est brouillé pour jamais avec moi, de m'avoir refusé la permission d'entrer chez elle; je la vois quasi tous les jours; j'ai vu enfin son visage

149

149


  Les religieuses du Calvaire ont leur voile baissé au parloir, excepté pour leurs proches parens, ou dans des cas particuliers.



: il est agréable, et l'on s'aperçoit bien qu'il a été beau. Elle n'a que quarante ans; mais l'austérité de la règle l'a fort changée. Madame

de Grignan

 a fait des merveilles d'avoir écrit à la

Marans

. Je n'ai pas été si sage; car je fus, l'autre jour, chercher madame de

Schomberg

150

150


  Madame

de Schomberg

 et madame

de Marans

 étoient logées dans la même maison.



, et je ne la demandai point. Adieu, ma belle; je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amitié.



J'ai reçu les cinq cents livres, il y a long-temps. Il me semble que l'argent est si rare, qu'on n'en devroit point prendre de ses amis. Faites mes excuses à M. l'abbé (

de Coulanges

), de ce que je l'ai reçu.



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LETTRE IX

Paris, 8 octobre 1689

Mon style sera laconique, je n'ai point de tête: j'ai eu la fièvre, j'ai chargé M.

du Bois

 de vous le mander.



Votre affaire est manquée et sans remède; l'on y a fait des merveilles de toutes parts: je doute que M.

de Chaulnes

 en personne l'eût pu faire. Le roi n'a témoigné nulle répugnance pour M.

de Sévigné

; mais il étoit engagé, il y a long-temps: il l'a dit à tous ceux qui pensoient à la députation; il faut laisser nos espérances jusqu'aux états prochains. Ce n'est pas de quoi il est question présentement: il est question, ma belle, qu'il ne faut point que vous passiez l'hiver en Bretagne à quelque prix que ce soit. Vous êtes vieille; les Rochers

151

151


  Terre de madame

de Sévigné

, en Bretagne.



 sont pleins de bois; les catarrhes et les fluxions vous accableront. Vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera: tout cela est sûr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout ce que je vous dis. Ne me parlez point d'argent ni de dettes: je vous ferme la bouche sur tout. M.

de Sévigné

 vous donne son équipage. Vous venez à Malicorne: vous y trouvez les chevaux et la calèche de M.

de Chaulnes

. Vous voilà à Paris: vous allez descendre à l'hôtel de Chaulnes; votre maison n'est pas prête, vous n'avez point de chevaux, c'est en attendant: à votre loisir, vous vous remettrez chez vous. Venons au fait: vous payez une pension à M.

de Sévigné

; vous avez ici un ménage: mettez le tout ensemble, cela fait de l'argent; car votre louage de maison va toujours. Vous direz: Mais je dois, et je paierai avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille écus, dont vous payez ce qui vous presse; qu'on vous les prête sans intérêt, et que vous les rembourserez petit à petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'où ils viennent, ni de qui c'est: on ne vous le dira pas; mais ce sont gens qui sont bien assurés qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnemens là-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues; il faut venir: tout ce que vous m'écrirez, je ne le lirai seulement pas; et en un mot, ma belle, il faut venir, ou renoncer à mon amitié, à celle de madame

de Chaulnes

 et à celle de madame

de Lavardin

. Nous ne voulons point d'une amie, qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la misère et de la pauvreté à votre conduite; il faut venir dès qu'il fera beau.



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LETTRE X

Paris, 20 septembre 1690

Vous avez reçu ma réponse avant que j'aie reçu votre lettre. Vous aurez vu, par celle de madame

de Lavardin

 et par la mienne, que nous voulions vous faire aller en Provence, puisque vous ne veniez point à Paris; c'est tout ce qu'il y a de meilleur à faire: le soleil est plus beau, vous aurez compagnie; je dis même, séparée de madame

de Grignan

, qui n'est pas peu; un gros château, bien des gens; enfin, c'est vivre que d'être là. Je loue extrêmement monsieur votre fils de consentir à vous perdre pour votre intérêt; si j'étois en train d'écrire, je lui en ferois des complimens: partez tout le plutôt qu'il vous sera possible. Mandez-nous par quelles villes vous passerez, et à peu près le temps: vous y trouverez de nos lettres. Je suis dans des vapeurs les plus tristes et les plus cruelles où l'on puisse être; il n'y a qu'à souffrir, quand c'est la volonté de Dieu.



C'est du meilleur de mon cœur que j'approuve votre voyage de Provence: je vous le dis sans flatterie, et nous l'avions pensé, madame

de Lavardin

 et moi, sans savoir en aucune façon que ce fût votre dessein

152

152


  C'est ce que madame

de Sévigné

 appeloit

l'approbation de ses docteurs.



.



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LETTRE XI

Paris, 20 septembre 1691

Ma santé est un peu meilleure qu'elle n'a été, c'est-à-dire que j'ai un peu moins de vapeurs; je ne connois point d'autre mal; ne vous inquiétez pas de ma santé; mes maux ne sont pas dangereux; et quand ils le deviendroient, ce ne seroit que par une grande langueur et par un grand desséchement, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour: ainsi, ma belle, soyez en repos sur la vie de votre pauvre amie; vous aurez le loisir d'être préparée à tout ce qui arrivera, si ce n'est à des accidens imprévus, à quoi sont sujettes toutes les mortelles, et moi plus qu'une autre, parce que je suis plus mortelle qu'une autre; une personne en santé me paroît un prodige. M. le chevalier

de Grignan

 a soin de moi; j'en ai une reconnoissance parfaite, et je l'aime de tout mon cœur. Madame la duchesse

de Chaulnes

 me vint voir hier; elle a mille bontés pour moi; mon état lui fait pitié. Ma belle-fille a eu une fausse couche huit jours après être accouchée; il y a assez de femmes à qui cela arrive; c'est avoir été bien près d'avoir deux enfans; sa fille se porte bien; ils n'en auront que trop. Notre pauvre ami

Croisilles

153

153


  Frère du maréchal

de Catinat

.



 est toujours à Saint-Gratien: il me mande qu'il se porte fort bien à la campagne; il faudroit que vous vissiez comme il est fait, pour admirer qu'il se vante de se porter fort bien; nous en sommes véritablement en peine, le chevalier

de Grignan

 et moi. L'abbé

Testu

 est allé faire un voyage à la campagne; nous le soupçonnons, M.

de Chaulnes

 et moi, d'être allé à la Trappe. La bonne femme, madame

Lavocat

, est bien malade; il y a aussi bien long-temps qu'elle est au monde. Je suis toute à vous, ma chère amie, et à toute votre aimable et bonne compagnie.



L'on vient de me dire que M.

de la Feuillade

154

154


  François d'

Aubusson

, duc

de la Feuillade

; pair et maréchal de France, gouverneur du Dauphiné, et père du dernier maréchal de ce nom.



 étoit mort cette nuit; si cela est véritable, voilà un bel exemple pour se tourmenter des biens de ce monde.



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LETTRE XII

Paris, 26 septembre 1691

Venir à Paris pour l'amour de moi, ma chère amie! la seule pensée m'en fait peur. Dieu me garde de vous déranger ainsi! et, quoique je souhaite ardemment le plaisir de vous voir, je l'acheterois trop cher, si c'étoit à vos dépens. Je vous mandai, il y a huit jours, la vérité de mon état; j'étois parfaitement bien, et j'ai été comme par miracle, quinze jours sans vapeurs, c'est-à-dire, guérie de tous maux. Je ne suis plus si bien depuis trois ou quatre jours, et c'est la seule vue d'une lettre cachetée, que je n'ai point ouverte, qui a ému mes vapeurs. Je ressemble, comme deux gouttes d'eau, à une femme ensorcelée; mais, l'après-dînée, je suis assez comme une autre personne; je vous écrivis, il y a un mois ou deux, que c'étoit ma méchante heure, et c'est à présent la bonne. J'espère que mon mal, après avoir tourné et changé, me quittera peut-être; mais je demeurerai toujours une très-sotte femme; et vous ne sauriez croire comme je suis étonnée de l'être; je n'avois point été nourrie dans l'opinion que je le pusse devenir. Je reviens à votre voyage, ma belle, comptez que c'est un château en Espagne pour moi, que de m'imaginer le plaisir de vous voir,