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Tout est bien qui finit bien

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SCÈNE II

En Roussillon. – Appartement du palais de la comtesse
LA COMTESSE entre avec LE BOUFFON

LA COMTESSE. – Viens çà, l'ami. Je veux voir jusqu'à quel degré va ton savoir-vivre.

LE BOUFFON. – Je vais vous montrer que je suis fort bien nourri et fort mal élevé. Je sais que je n'ai affaire qu'avec la cour.

LA COMTESSE. – Comment! qu'avec la cour? Et à quel autre lieu attaches-tu donc tant d'importance, pour nommer la cour avec tant de mépris: qu'avec la cour, dis-tu?

LE BOUFFON. – En vérité, madame, si Dieu a prêté à un homme quelques bonnes moeurs, il peut bien les mettre de côté à la cour. Celui qui ne sait pas saluer, ôter son chapeau, baiser sa main et dire des riens, n'a ni jambes, ni mains, ni bouche, ni chapeau, et ma foi, cet homme, à dire vrai, n'était pas fait pour la cour; mais, pour moi, j'ai une réponse qui peut servir à tout le monde.

LA COMTESSE. – Vraiment, c'est une bien bonne réponse que celle qui peut aller à toutes les questions.

LE BOUFFON. – C'est comme une chaise de barbier qui va bien à tous les derrières, pointus, ronds, carrés, à tous les derrières possibles.

LA COMTESSE. – Et ta réponse ira à toutes les questions?

LE BOUFFON. – Comme dix sous à la main d'un procureur, comme une couronne française à une fille en taffetas 16; comme l'anneau de jonc de Tibbie 17, à l'index de Tom, comme les crêpes au mardi gras, comme une danse moresque au 1er mai, comme le clou à son trou, l'homme déshonoré à ses cornes, une méchante diablesse à un coquin bourru, comme les lèvres de la nonne à la bouche d'un moine; enfin, comme le pudding à sa peau.

LA COMTESSE. – As-tu, te dis-je, une telle réponse qui s'ajuste à toutes les questions?

LE BOUFFON. – Oui, depuis le duc jusqu'au dernier constable, elle ira à toutes les questions.

LA COMTESSE. – Ce doit être une réponse d'une prodigieuse étendue pour faire ainsi face à toutes les demandes.

LE BOUFFON. – Ce n'est pas une bagatelle, à vrai dire, si les savants voulaient l'apprécier à sa juste valeur. La voici, avec toutes ses dépendances. Demandez-moi si je suis un courtisan; cela ne vous fera pas de tort d'apprendre.

LA COMTESSE. – Allons, redevenons jeune si nous pouvons 18. – Je vais faire la folle en te faisant la question, dans l'espérance que ta réponse me rendra plus sage. Allons, je vous prie, monsieur, êtes-vous un courtisan?

LE BOUFFON. -O mon Dieu, monsieur! 19-Voilà un moyen bien simple de se défaire des gens. – Allons, encore, encore, une centaine de questions.

LA COMTESSE. – Monsieur, je suis un pauvre ami à vous qui vous aime bien.

LE BOUFFON. -O mon Dieu, monsieur!-Allons, serré, ne me ménagez pas.

LA COMTESSE. – Je pense bien, monsieur, que vous ne pouvez pas manger de ce mets grossier.

LE BOUFFON. -O mon Dieu, monsieur!-Allons, embarrassez-moi, je vous ferai face.

LA COMTESSE. – Vous avez été fouetté ces jours derniers, monsieur, à ce que je crois.

LE BOUFFON. -O mon Dieu, monsieur!-Ne m'épargnez pas.

LA COMTESSE. – Criez-vous, ô mon Dieu, monsieur! et ne m'épargnez pas, lorsqu'on vous fouette? Vraiment votre ô mon Dieu, monsieur! va à merveille dans cette occasion; ce serait fort bien répondre au fouet si vous étiez seulement attaché pour le recevoir.

LE BOUFFON. – Je n'ai jamais eu tant de malheur dans ma vie pour mon ô mon Dieu, monsieur! je vois bien que les choses peuvent servir longtemps, mais pas toujours.

LA COMTESSE. – Je fais vraiment la ménagère prodigue avec le temps, de le dépenser en vains propos avec un fou.

LE BOUFFON. -O mon Dieu, monsieur!-Tenez, voilà que cela se retrouve à propos.

LA COMTESSE. – Allons, monsieur, finissons; donnez cette lettre à Hélène, et pressez-la de me faire réponse sur-le-champ; recommandez-moi à mes parents, à mon fils: ce n'est pas beaucoup…

LE BOUFFON. – Ne pas beaucoup vous recommander à eux?

LA COMTESSE. – Ce n'est pas beaucoup de peine pour vous. Vous m'entendez?

LE BOUFFON. – Avec le plus grand fruit: je suis là avant mes jambes.

LA COMTESSE. – Allons, hâte-toi de revenir.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Paris. – Appartement du palais du roi
Entrent BERTRAND, LAFEU, PAROLLES

LAFEU. – On dit que les miracles sont passés; et nous avons nos philosophes pour faire de tous les phénomènes surnaturels et sans cause visible des événements communs et familiers. Il arrive de là que nous nous jouons des choses les plus effrayantes, nous retranchant dans une science illusoire, lorsque nous devrions nous soumettre à une terreur inconnue.

PAROLLES. – Oui, c'est une des plus rares merveilles qui ait éclaté dans nos temps modernes.

BERTRAND. – Oh! sans doute!

LAFEU. – D'être abandonné des gens de l'art…

PAROLLES. – C'est ce que je dis, de Galien et de Paracelse…

LAFEU. – De tous les personnages savants et authentiques 20

PAROLLES. – Oui, c'est ce que je dis.

LAFEU. – Qui l'ont déclaré incurable…

PAROLLES. – Oui, vraiment, c'est ce que je dis aussi.

LAFEU. – Sans remède…

PAROLLES. – Oui, comme un homme qui serait assuré de…

LAFEU. – Une vie incertaine, et une mort inévitable.

PAROLLES. – C'est cela même: vous avez raison: c'est ce que j'allais dire.

LAFEU. – Je puis dire que c'est quelque chose de nouveau dans ce monde.

PAROLLES. – C'est bien vrai; si vous voulez le voir en représentation, vous le lirez dans… Comment appelez-vous cela?

LAFEU. -Représentation d'un effet céleste dans un acteur terrestre 21.

PAROLLES. – C'est justement là ce que je voulais dire: c'est cela même.

LAFEU. – En vérité, le dauphin n'est pas vigoureux. – En vérité, je parle relativement à…

PAROLLES. – Oh! cela est étrange, très-étrange: voilà toute l'histoire et l'embarrassant de la chose, et il faut être d'un esprit bien pervers pour ne pas reconnaître que c'est…

LAFEU. – La main du ciel même.

PAROLLES. – Oui, c'est ce que je dis.

LAFEU. – Par le plus faible…

PAROLLES. – Et le plus débile ministre: un grand pouvoir, une puissance extraordinaire, qui devrait en vérité produire encore sur nous d'autres effets que la seule guérison du roi; comme par exemple…

LAFEU. – Une reconnaissance universelle.

PAROLLES. – J'allais le dire: vous avez bien raison. – Voici le roi qui vient.

(Entrent le roi, Hélène, suite.)

LAFEU. -Lustick, comme dit le Hollandais! J'en aimerai encore mieux les jeunes filles, tant qu'il me restera une dent dans la bouche. Eh! mais, il est en état de danser une courante avec elle.

PAROLLES. – Mort du vinaigre! n'est-ce pas là Hélène?

LAFEU. – Devant Dieu, je le crois.

LE ROI. – Allez, appelez devant tous les seigneurs de ma cour. (A Hélène.) Asseyez-vous, mon sauveur, à côté de votre malade; et de cette main rajeunie, où vous avez rappelé la vie et le sentiment, recevez une seconde fois la confirmation de ma promesse, et je n'attends de vous qu'un mot pour désigner le don que vous désirez. (Plusieurs seigneurs entrent.) Belle jeune fille, promenez vos regards autour de vous: cette troupe de jeunes et nobles seigneurs sont à ma disposition, et je puis exercer sur eux la puissance d'un souverain et l'autorité d'un père: faites librement votre choix; vous avez tout pouvoir de choisir, et eux n'en ont aucun pour vous refuser.

 

HÉLÈNE. – Qu'il puisse échoir à chacun de vous une belle et vertueuse maîtresse quand il plaira à l'amour! Je n'en excepte qu'un.

LAFEU. – Je donnerais mon cheval bai, Curtal, et tout son harnais, pour que ma bouche fût aussi bien garnie que celles de ces jeunes gens, et pour que ma barbe fût aussi peu fournie.

LE ROI, à Hélène. – Considérez-les bien tous: il n'en est pas un parmi eux qui n'ait eu un noble père.

HÉLÈNE. – Seigneurs, le ciel a par mes mains rendu la santé au roi.

TOUS LES SEIGNEURS. – Nous le voyons, et nous en remercions le ciel pour vous.

HÉLÈNE. – Je ne suis qu'une simple fille, et je déclare que c'est ma plus grande richesse d'être une simple fille. – Si c'est le bon plaisir de Votre Majesté, j'ai déjà fait mon choix. – La rougeur qui se peint sur mes joues me dit tout bas: «Je rougis de ce que tu vas faire un choix; mais une fois refusée, que la pâleur de la mort s'établisse pour toujours sur tes joues; car je n'y reviendrai plus.»

LE ROI. – Faites votre choix, et je vous proteste que celui qui refusera votre amour perdra tout le mien.

HÉLÈNE. – Eh bien! Diane, de ce moment je déserte tes autels, et mes soupirs s'élèvent vers le suprême Amour, vers ce dieu souverain. (A un des seigneurs.) Seigneur, voulez-vous écouter ma requête?

PREMIER SEIGNEUR. – Oui, et vous l'accorder.

HÉLÈNE. – Je vous rends grâces; je n'ai rien à ajouter.

LAFEU. – J'aimerais mieux être au nombre des objets de son choix, que de tirer ma vie au sort sur la chance d'un beset 22.

HÉLÈNE, à un autre seigneur. – La fierté qui étincelle dans vos beaux yeux me fait une réponse menaçante, avant même que j'aie parlé. Puisse l'amour vous envoyer une bonne fortune vingt fois au-dessus du mérite et de l'humble amour de celle qui vous adresse ce voeu!

SECOND SEIGNEUR. – Je n'aspire à rien de mieux, si vous voulez.

HÉLÈNE. – Recevez mon voeu, et que le puissant Amour l'exauce! C'est ainsi que je prends congé de vous.

LAFEU. – Est-ce qu'ils la refusent tous 23? S'ils étaient mes enfants, je les ferais fouetter, ou je les enverrais au Grand-Turc pour les faire tous eunuques.

HÉLÈNE, à un autre seigneur. – Ne craignez point que je prenne votre main: je ne vous ferai jamais de tort, par égard pour vous. Que le ciel bénisse vos désirs! et si jamais vous vous mariez, puissiez-vous trouver une plus belle compagne dans votre lit!

LAFEU. – Ces jeunes gens sont des garçons de glace: aucun ne veut d'elle: ce sont des bâtards des Anglais; jamais des Français ne les ont engendrés.

HÉLÈNE, à un autre seigneur. – Vous êtes trop jeune, trop heureux et trop noble, pour vous donner un fils formé de mon sang.

QUATRIÈME SEIGNEUR. – Je ne crois pas cela, ma belle.

LAFEU. – Il reste encore une grappe… Je suis sûr que ton père buvait du vin. – Mais si tu n'es pas une imbécile, je suis, moi, un jeune homme de quatorze ans: je te connais déjà bien.

HÉLÈNE, à Bertrand. – Je n'ose vous dire que je vous prends: c'est moi qui me donne tout entière à vous, pour vous servir toute ma vie. – Voilà celui que je choisis.

LE ROI, à Bertrand. – Eh bien! jeune Bertrand, prends-la; elle est ta femme.

BERTRAND. – Ma femme, sire? J'oserai conjurer Votre Majesté de me permettre, en pareille affaire, de m'en rapporter à mes propres yeux.

LE ROI. – Ignores-tu donc, Bertrand, ce qu'elle a fait pour moi?

BERTRAND. – Je le sais, mon bon roi; mais j'espère ne jamais savoir pourquoi je dois l'épouser.

LE ROI. – Tu sais qu'elle m'a relevé de mon lit de maladie.

BERTRAND. – Mais faut-il, seigneur, que vous me fassiez descendre parce qu'elle vous a relevé? Je la connais très-bien; elle a été élevée aux frais de mon père. La fille d'un pauvre médecin être ma femme! Que plutôt l'opprobre efface mon nom pour toujours!

LE ROI. – Tu ne dédaignes en elle que son nom; je puis lui en donner un autre. Il est bien étrange que notre sang à tous, qui pour la couleur, le poids et la chaleur, mêlé ensemble, n'offrirait aucune trace de distinction, prétende cependant se séparer par de si vastes différences. Si elle possède toutes les vertus, et que tu ne la dédaignes que parce qu'elle est la fille d'un pauvre médecin, tu dédaignes donc la vertu pour un nom? Ne fais pas cela: quand des actions vertueuses sortent d'une source obscure, cette source est illustrée par le fait de celui qui les accomplit. Être enflé de vains titres et sans vertus, c'est là un honneur hydropique. Ce qui est bon par lui-même est bon sans nom; et ce qui est vil est toujours vil. Le prix des choses dépend de leur mérite, et non de leur dénomination. Elle est jeune, sage, belle; elle a reçu cet héritage de la nature, et ces qualités forment l'honneur. Celui-là mérite le mépris et non l'honneur, qui se prétend fils de l'honneur et qui ne ressemble pas à son père. Nos honneurs prospèrent, lorsque nous les faisons dériver de nos actions plutôt que de nos ancêtres. Le mot seul est un esclave suborné à des tombeaux, un trophée menteur sur tous les sépulcres; et souvent aussi il reste muet sur des tombes où la poussière et un coupable oubli ensevelissent d'honorables cendres. Qu'ai-je besoin d'en dire plus? Si tu peux aimer cette jeune personne comme vierge, je puis créer tout le reste: elle et sa vertu, c'est sa dot personnelle; les honneurs et les richesses viendront de moi.

BERTRAND. – Je ne puis l'aimer, et je ne ferai pas d'efforts pour y parvenir.

LE ROI. – Tu te fais injure à toi-même, en hésitant si longtemps sur ce choix.

HÉLÈNE. – Sire, je suis heureuse de vous voir bien rétabli: qu'il ne soit plus question du reste.

LE ROI. – Mon honneur est engagé: il faut, pour le délivrer, que je déploie mon pouvoir. Allons, prends sa main, hautain et dédaigneux jeune homme, indigne de ce beau don; puisque tu repousses, par une indigne erreur, mon amitié et son mérite; toi qui ne t'avises pas de songer que moi, placé dans son plateau trop léger, je t'enlèverais jusqu'au fléau; toi qui ne veux pas savoir qu'il dépend de nous de transporter tes honneurs où il nous plaira de les faire croître: contiens tes mépris: obéis à notre volonté qui travaille pour ton bien: n'écoute point ton vain orgueil: rends sur-le-champ, pour l'avantage de ta propre fortune, l'hommage d'obéissance que ton devoir nous doit, et que notre autorité exige, ou je t'effacerai pour jamais de ma pensée, et t'abandonnerai aux vertiges et à la ruineuse témérité de la jeunesse et de l'ignorance, déployant sur toi ma haine et ma vengeance, au nom de la justice et sans pitié. Parle: ta réponse?

BERTRAND. – Pardon, mon gracieux souverain: je soumets mon amour à vos yeux. Lorsque je considère quelle riche création et quelle part d'honneur vont s'attacher où vous l'ordonnez, je trouve que cette fille, qui tout à l'heure était si bas dans la fierté de mes pensées, est maintenant l'objet des louanges du roi, et par là anoblie, comme si elle était bien née.

LE ROI. – Prends sa main, et dis-lui qu'elle est à toi: Je te promets de rendre la balance égale entre elle et ton rang, si je ne fais pas davantage.

BERTRAND. – Je lui prends la main.

LE ROI. – Que le bonheur et la faveur du roi sourient à ce contrat! Toutes les formalités nécessaires pour le rendre parfait seront accomplies dès ce soir: les fêtes solennelles peuvent souffrir un plus long délai, et attendre nos amis absents. Bertrand, si tu l'aimes, ton amour me reste fidèle, autrement il s'égare.

(Tous sortent, excepté Parolles et Lafeu.)

LAFEU. – Entendez-vous, monsieur? Un mot, s'il vous plaît.

PAROLLES. – Quel est votre bon plaisir, seigneur?

LAFEU. – Votre seigneur et maître a bien fait de se rétracter.

PAROLLES. – Se rétracter? mon maître, mon seigneur?

LAFEU. – Oui: est-ce que je ne parle pas une langue intelligible?

PAROLLES. – Une langue fort dure, et qu'on ne peut entendre sans qu'il s'ensuive quelque effusion de sang. – Mon maître!

LAFEU. – Êtes-vous le camarade du comte de Roussillon?

PAROLLES. – De quelque comte que ce soit, de tous les comtes, de tout ce qui est homme.

LAFEU. – De tout ce qui est l'homme du comte; mais le maître du comte, c'est autre chose.

PAROLLES. – Vous êtes trop vieux, monsieur: que cela vous suffise, vous êtes trop vieux.

LAFEU. – Il faut que je te dise, maraud, que j'ai le titre d'homme, moi; titre auquel jamais l'âge ne pourra vous faire parvenir.

PAROLLES. – Ce que j'oserais bien, je n'ose pas le faire.

LAFEU. – Je vous ai cru, pendant deux ordinaires, un homme de bon sens: vous avez fait tant de récits de vos voyages: cela pouvait passer; mais les écharpes et les rubans dont vous êtes couvert m'ont dissuadé de bien des manières de vous croire un vaisseau de bien gros calibre. – Je t'ai trouvé à présent; et si je te perds, je ne m'en embarrasse guère; et cependant tu n'es bon à rien qu'à reprendre, et tu n'en vaux guère la peine.

PAROLLES. – Si vous n'étiez pas couvert du privilége de l'âge…

LAFEU. – Ne vous plongez pas trop avant dans la colère, de peur de trop hâter l'épreuve; et si une fois… Que Dieu ait pitié de toi, poule mouillée! – Allons, mon beau treillis, fort bien: je n'ai pas besoin d'ouvrir la fenêtre, je vois tout au travers de toi. – Donne-moi ta main.

PAROLLES. – Seigneur, vous me faites-là une affreuse injure.

LAFEU. – Oui, et c'est de tout mon coeur; et tu en es bien digne.

PAROLLES. – Je ne l'ai pas mérité, seigneur.

LAFEU. – Oh! sur ma foi, jusqu'à la dernière drachme, et je n'en rabattrai pas un scrupule.

PAROLLES. – Allons, je serai plus sage…

LAFEU. – Oui, le plus tôt que tu pourras; car tu as à virer la voile du côté opposé. – Si jamais on te lie dans ton écharpe, et qu'on te châtie, tu éprouveras alors ce que c'est que d'être fier de sa servitude. J'ai envie d'entretenir ma connaissance avec toi, ou plutôt mon étude, afin que je puisse dire, au besoin: «C'est un homme que je connais.»

PAROLLES. – Seigneur, vous me vexez d'une manière intolérable.

LAFEU. – Je voudrais que ce fût pour toi un tourment d'enfer, et que ta vexation fût éternelle; mais je suis passé 24 par l'âge comme tu vas l'être par moi aussi vite que l'âge me le permettra.

(Il sort.)

PAROLLES seul. – Allons, tu as un fils qui me lavera de cet affront, méchant, hideux et dégoûtant vieillard! – Allons, il faut que je me contienne: il n'y a pas moyen d'arrêter les grands. Je le battrai, sur ma vie, si je peux jamais le rencontrer à propos, fût-il deux fois plus grand seigneur. Je n'aurai pas plus de pitié de sa vieillesse, que je n'en aurais de… Je le battrai, pourvu que je le puisse joindre encore une fois.

(Lafeu revient.)

LAFEU. – Maraud, votre seigneur et maître est marié: voilà des nouvelles pour vous. Vous avez une nouvelle maîtresse.

PAROLLES. – Je dois franchement conjurer Votre Seigneurie de vouloir bien m'épargner vos insultes. Il est mon bon seigneur: mais celui que je sers est là-haut, et c'est mon maître.

LAFEU. – Qui? Dieu?

PAROLLES. – Oui, monsieur.

LAFEU. – C'est le diable qui est ton maître. Pourquoi croises-tu ainsi tes bras? Veux-tu faire de tes manches une paire de chausses? Les autres valets en font-ils autant? Tu ferais mieux de mettre ta partie inférieure où est ton nez. Sur mon honneur, si j'étais plus jeune seulement de deux heures, je te bâtonnerais. Il me semble que tu es une insulte générale, et que chacun devrait te battre. Je crois que tu as été créé pour que tout le monde pût se mettre en haleine sur ton dos.

 

PAROLLES. – Voilà qui est bien dur et peu mérité, seigneur.

LAFEU. – Allez, allez: vous avez été battu en Italie pour avoir arraché un fruit d'un grenadier: vous êtes un vagabond, et non pas un honnête voyageur: vous faites plus l'impertinent avec les grands seigneurs et les gens d'honneur, que les armoiries de votre naissance et de votre vertu ne vous donnent droit de le faire. Vous ne méritez pas un mot de plus, sans quoi je vous appellerais un fripon: je vous laisse.

(Lafeu sort.)
(Entre Bertrand.)

PAROLLES. – C'est bon, c'est bon: oui, oui, bon, bon: gardons-en le secret quelque temps.

BERTRAND. – Perdu et condamné aux soucis pour toujours!

PAROLLES. – Qu'avez-vous, mon cher coeur?

BERTRAND. – Quoique je l'aie solennellement juré devant le prêtre, je ne partagerai jamais son lit.

PAROLLES. – Quoi? quoi donc, mon cher coeur?

BERTRAND. – O mon Parolles, ils m'ont marié! – Je veux aller aux guerres de Toscane, et jamais je ne coucherai avec elle.

PAROLLES. – La France est un vrai chenil: elle ne mérite pas d'être foulée aux pieds par un homme. A la guerre!

BERTRAND. – Voilà des lettres de ma mère: ce qu'elles contiennent, je ne le sais pas encore.

PAROLLES. – Il faudrait le savoir. – A la guerre, mon garçon, à la guerre! Il tient son honneur caché dans une boîte, celui qui reste chez lui à caresser sa créature et à dépenser dans ses bras sa vigueur virile, qui devrait soutenir les bonds et la fougue de l'ardent coursier de Mars. Aux pays étrangers! La France est une étable, et nous, qui y demeurons, des rosses. Allons, à la guerre!

BERTRAND. – Oui, j'irai. – Je l'enverrai chez moi; j'informerai ma mère de mon aversion pour elle, et de la cause de mon évasion; j'écrirai au roi ce que je n'ai pas osé lui dire: le don qu'il vient de me faire me servira à m'équiper pour les guerres d'Italie, où les braves combattent. La guerre est un repos, comparée à une sombre maison et à une femme odieuse.

PAROLLES. – Ce caprice tiendra-t-il? en êtes-vous bien sûr?

BERTRAND. – Venez avec moi dans ma chambre, et aidez-moi de vos conseils. Je vais la congédier sur-le-champ. Demain je pars pour la guerre, et elle pour sa douleur solitaire.

PAROLLES. – Oh! comme les balles rebondissent! quel vacarme elles font! – Cela est dur-. – Un jeune homme marié est un jeune homme perdu: ainsi, partez, et quittez-la bravement: allez. Le roi vous a fait outrage. – Mais, chut! c'est comme cela…

(Ils sortent.)
16Couronne française, suite d'une maladie ou écu de France, équivoque, etc.
17Allusion à une ancienne coutume de marier avec un anneau de jonc; mariage fictif dont se jouaient les séducteurs.
18C'est-à-dire soyons légère, rions, si nous le pouvons.
19O Lord, sir! Exclamation du bon ton alors, et que Shakspeare tourne en ridicule.
20Épithète appliquée aux savants du temps de l'auteur.
21Titre de quelque ouvrage du temps.
22Terme du jeu de dés.
23Lafeu et Parolles sont à quelque distance, et ne peuvent encore deviner ce qui se passe.
24Équivoque sur le mot past. Lafeu, en parlant ainsi, passe devant Parolles.