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Claude Gueux

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La pauvre fille reconnaissante lui donna cinq francs. Il prit l’argent et la remercia.

Pendant que son pourvoi pendait, des offres d’évasion lui furent faites par les prisonniers de Troyes, qui s’y dévouaient tous. Il refusa.

Les détenus jetèrent successivement dans son cachot, par le soupirail, un clou, un morceau de fil de fer et une anse de seau. Chacun de ces trois outils eût suffi, à un homme aussi intelligent que l’était Claude, pour limer ses fers. Il remit l’anse, le fil de fer et le clou au guichetier.

Le 8 juin 1832, sept mois et quatre jours après le fait, l’expiation arriva, pede claudo, comme on voit. Ce jour-là, à sept heures du matin, le greffier du tribunal entra dans le cachot de Claude, et lui annonça qu’il n’avait plus qu’une heure à vivre.

Son pourvoi était rejeté.

– Allons, dit Claude froidement, j’ai bien dormi cette nuit, sans me douter que je dormirais encore mieux la prochaine.

Il paraît que les paroles des hommes forts doivent toujours recevoir de l’approche de la mort une certaine grandeur.

Le prêtre arriva, puis le bourreau. Il fut humble avec le prêtre, doux avec l’autre. Il ne refusa ni son âme, ni son corps.

Il conserva une liberté d’esprit parfaite. Pendant qu’on lui coupait les cheveux, quelqu’un parla, dans un coin du cachot, du choléra qui menaçait Troyes en ce moment.

– Quant à moi, dit Claude avec un sourire, je n’ai pas peur du choléra.

Il écoutait d’ailleurs le prêtre avec une attention extrême, en s’accusant beaucoup et en regrettant de n’avoir pas été instruit dans la religion.

Sur sa demande, on lui avait rendu les ciseaux avec lesquels il s’était frappé. Il y manquait une lame, qui s’était brisée dans sa poitrine. Il pria le geôlier de faire porter de sa part ces ciseaux à Albin. Il dit aussi qu’il désirait qu’on ajoutât à ce legs la ration de pain qu’il aurait dû manger ce jour-là.

Il pria ceux qui lui lièrent les mains de mettre dans sa main droite la pièce de cinq francs que lui avait donnée la soeur, la seule chose qui lui restât désormais.

À huit heures moins un quart, il sortit de la prison, avec tout le lugubre cortège ordinaire des condamnés. Il était à pied, pâle, l’oeil fixé sur le crucifix du prêtre, mais marchant d’un pas ferme.

On avait choisi ce jour-là pour l’exécution, parce que c’était jour de marché, afin qu’il y eût le plus de regards possible sur son passage; car il paraît qu’il y a encore en France des bourgades à demi sauvages où, quand la société tue un homme, elle s’en vante.

Il monta sur l’échafaud gravement, l’oeil toujours fixé sur le gibet du Christ. Il voulut embrasser le prêtre, puis le bourreau, remerciant l’un, pardonnant à l’autre. Le bourreau le repoussa doucement, dit une relation. Au moment où l’aide le liait sur la hideuse mécanique, il fit signe au prêtre de prendre la pièce de cinq francs qu’il avait dans sa main droite, et lui dit:

– Pour les pauvres.

Comme huit heures sonnaient en ce moment, le bruit du beffroi de l’horloge couvrit sa voix, et le confesseur lui répondit qu’il n’entendait pas. Claude attendit l’intervalle de deux coups et répéta avec douceur:

– Pour les pauvres.

Le huitième coup n’était pas encore sonné que cette noble et intelligente tête était tombée.

Admirable effet des exécutions publiques! ce jour-là même, la machine étant encore debout au milieu d’eux et pas lavée, les gens du marché s’ameutèrent pour une question de tarif et faillirent massacrer un employé de l’octroi. Le doux peuple que vous font ces lois-là!

Nous avons cru devoir raconter en détail l’histoire de Claude Gueux, parce que, selon nous, tous les paragraphes de cette histoire pourraient servir de têtes de chapitre au livre où serait résolu le grand problème du peuple au dix-neuvième siècle.

Dans cette vie importante il y a deux phases principales: avant la chute, après la chute; et, sous ces deux phases, deux questions: question de l’éducation, question de la pénalité; et, entre ces deux questions, la société tout entière.

Cet homme, certes, était bien né, bien organisé, bien doué. Que lui a-t-il donc manqué? Réfléchissez.

C’est là le grand problème de proportion dont la solution, encore à trouver, donnera l’équilibre universel: Que la société fasse toujours pour l’individu autant que la nature.

Voyez Claude Gueux. Cerveau bien fait, coeur bien fait, sans nul doute. Mais le sort le met dans une société si mal faite, qu’il finit par voler; la société le met dans une prison si mal faite, qu’il finit par tuer.

Qui est réellement coupable?

Est-ce lui?

Est-ce nous?

Questions sévères, questions poignantes, qui sollicitent à cette heure toutes les intelligences, qui nous tirent tous tant que nous sommes par le pan de notre habit, et qui nous barreront un jour si complètement le chemin, qu’il faudra bien les regarder en face et savoir ce qu’elles nous veulent.

Celui qui écrit ces lignes essaiera de dire bientôt peut-être de quelle façon il les comprend.

Quand on est en présence de pareils faits, quand on songe à la manière dont ces questions nous pressent, on se demande à quoi pensent ceux qui gouvernent, s’ils ne pensent pas à cela.

Les Chambres, tous les ans, sont gravement occupées. Il est sans doute très important de désenfler les sinécures et d’écheniller le budget; il est très important de faire des lois pour que j’aille, déguisé en soldat, monter patriotiquement la garde à la porte de M. le comte de Lobau, que je ne connais pas et que je ne veux pas connaître, ou pour me contraindre à parader au carré Marigny, sous le bon plaisir de mon épicier, dont on a fait mon officier[2].

Il est important, députés ou ministres, de fatiguer et de tirailler toutes les choses et toutes les idées de ce pays dans des discussions pleines d’avortements; il est essentiel, par exemple, de mettre sur la sellette et d’interroger et de questionner à grands cris, et sans savoir ce qu’on dit, l’art du dix-neuvième siècle, ce grand et sévère accusé qui ne daigne pas répondre et qui fait bien; il est expédient de passer son temps, gouvernants et législateurs, en conférences classiques qui font hausser les épaules aux maîtres d’école de la banlieue; il est utile de déclarer que c’est le drame moderne qui a inventé l’inceste, l’adultère, le parricide, l’infanticide et l’empoisonnement, et de prouver par là qu’on ne connaît ni Phèdre, ni Jocaste, ni OEdipe, ni Médée, ni Rodogune; il est indispensable que les orateurs politiques de ce pays ferraillent, trois grands jours durant, à propos du budget, pour Corneille et Racine, contre on ne sait qui, et profitent de cette occasion littéraire pour s’enfoncer les uns les autres à qui mieux mieux dans la gorge de grandes fautes de français jusqu’à la garde.

Tout cela est important; nous croyons cependant qu’il pourrait y avoir des choses plus importantes encore.

Que dirait la Chambre, au milieu des futiles démêlés qui font si souvent colleter le ministère par l’opposition et l’opposition par le ministère, si, tout à coup, des bancs de la Chambre ou de la tribune publique, qu’importe? quelqu’un se levait et disait ces sérieuses paroles:

– Taisez-vous, qui que vous soyez, vous qui parlez ici, taisez-vous! vous croyez être dans la question, vous n’y êtes pas.

La question, la voici. La justice vient, il y a un an à peine, de déchiqueter un homme à Pamiers avec un eustache; à Dijon, elle vient d’arracher la tête à une femme; à Paris, elle fait, barrière Saint-Jacques, des exécutions inédites.

Ceci est la question. Occupez-vous de ceci.

Vous vous querellerez après pour savoir si les boutons de la garde nationale doivent être blancs ou jaunes, et si l’assurance est une plus belle chose que la certitude.

Messieurs des centres, messieurs des extrémités, le gros du peuple souffre!

Que vous l’appeliez république ou que vous l’appeliez monarchie, le peuple souffre, ceci est un fait.

Le peuple a faim, le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au vice, selon le sexe. Ayez pitié du peuple, à qui le bagne prend ses fils, et le lupanar ses filles. Vous avez trop de forçats, vous avez trop de prostituées.

Que prouvent ces deux ulcères?

Que le corps social a un vice dans le sang.

Vous voilà réunis en consultation au chevet du malade; occupez-vous de la maladie.

Cette maladie, vous la traitez mal. Étudiez-là mieux. Les lois que vous faites, quand vous en faites, ne sont que des palliatifs et des expédients. Une moitié de vos codes est routine, l’autre moitié empirisme.

La flétrissure était une cautérisation qui gangrenait la plaie; peine insensée que celle qui pour la vie scellait et rivait le crime sur le criminel! qui en faisait deux amis, deux compagnons, deux inséparables!

Le bagne est un vésicatoire absurde qui laisse résorber, non sans l’avoir rendu pire encore, presque tout le mauvais sang qu’il extrait. La peine de mort est une amputation barbare.

Or, flétrissure, bagne, peine de mort, trois choses qui se tiennent. Vous avez supprimé la flétrissure; si vous êtes logiques, supprimez le reste.