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Des inégalités

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From the series: Big Ideas #16
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“ Il est trop tôt pour déterminer les effets du COVID-19. Toutefois, de nombreux éléments semblent indiquer que les personnes occupant des emplois peu rémunérés et peu sûrs dans le secteur des services ont été beaucoup plus durement touchées que les autres.

La question des inégalités se substitue souvent à un débat sur les modèles de politique économique. C’est aussi un indicateur du mécontentement d’un grand nombre de personnes reposant sur des éléments bien plus concrets : la crainte de se retrouver du jour au lendemain au chômage ou sans ressources financières pour ses vieux jours, le stress lié à des exigences financières concurrentes, l’épuisement lié au surmenage, le ressentiment envers d’autres qui semblent mener une vie beaucoup plus facile et la colère de ne pas se faire entendre et d’être ignoré. Regrouper ces différentes causes de mécontentement derrière le terme « inégalités » répond au besoin technocratique de disposer d’indicateurs mesurables simples, mais les inquiétudes entourant les inégalités abstraites revêtent des aspects nombreux et d’égale importance.


NANCY KETT AVEC SA FILLE LUCY. À BERLIN, LE PROJET JULE AIDE LES PARENTS ISOLÉS À SE LOGER, À S’OCCUPER DE LEURS ENFANTS, À TROUVER UN EMPLOI ET À SUIVRE UNE FORMATION.

Le marché du travail a un impact considérable sur l’égalité de revenus et les perspectives de vie. L’emploi a en fait atteint des niveaux records en 2019 dans l’ensemble de l’Union européenne. Toutefois, même avant la pandémie, ces chiffres cumulés occultaient une divergence en matière de possibilités d’emploi entre les pays et les régions, les tranches d’âge et les niveaux de compétences. Bien qu’il y ait convergence entre les régions de l’UE sur de nombreux indicateurs sociaux et économiques, la crise financière mondiale a provoqué une forte divergence en ce qui concerne les taux de chômage[2]. Dernièrement, ces taux allaient de moins de 2 % à Prague à plus de 20 % dans certaines parties de la Grèce, du sud de l’Espagne et du sud de l’Italie[3]. En outre, l’évolution technologique rapide semble conduire à un processus de polarisation des emplois, de nombreux travailleurs moyennement qualifiés se sentant de plus en plus vulnérables et contraints à accepter des emplois peu qualifiés.

“ Les disparités entre les sexes constituent une autre dimension importante et sous-estimée des inégalités économiques. Les femmes continuant à occuper des emplois généralement moins bien rémunérés, elles gagnent encore en moyenne quelque 13 % de moins que les hommes dans l’ensemble de l’Union européenne.


Les disparités entre les sexes constituent une autre dimension importante et sous-estimée des inégalités économiques. Les femmes continuant à occuper des emplois généralement moins bien rémunérés, elles gagnent encore en moyenne quelque 13 % de moins que les hommes dans l’ensemble de l’Union européenne. Les résultats d’enquêtes donnent à penser que les femmes de l’Union européenne travaillent plus, mais sont moins rémunérées. Les hommes adultes (retraités compris) effectuent en moyenne 23 heures de travail rémunéré par semaine, contre 15 heures pour les femmes. Toutefois, alors qu’en moyenne les hommes consacrent jusqu’à 14 heures à des tâches ménagères et familiales (en s’occupant des enfants et d’autres membres de la famille), les femmes consacrent jusqu’à 28 heures par semaine à ces tâches non rémunérées. Au total, les femmes travaillent jusqu’à six heures de plus[4]. Pour avoir une idée de ce que cela représente, sur la base du salaire médian de l’UE, l’ensemble de ce travail non rémunéré des femmes et des hommes équivaudrait à près de 6 000 milliards d’euros, soit 40 % du PIB de l’UE.

Les contraintes liées au cumul du travail rémunéré et non rémunéré sont mises en évidence dans les indicateurs de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

“ Les hommes d’âge moyen sont plus susceptibles d’affirmer que le travail signifie consacrer trop peu de temps à la famille, tandis que les femmes sont plus susceptibles de déclarer que le travail rémunéré les fatigue trop pour effectuer les tâches ménagères et que les responsabilités familiales nuisent à leur capacité à se concentrer sur leur travail rémunéré.

Les hommes d’âge moyen sont plus susceptibles d’affirmer que le travail signifie consacrer trop peu de temps à la famille, tandis que les femmes sont plus susceptibles de déclarer que le travail rémunéré les fatigue trop pour effectuer les tâches ménagères et que les responsabilités familiales nuisent à leur capacité à se concentrer sur leur travail rémunéré. Ces inquiétudes semblent constamment s’aggraver tant pour les femmes que pour les hommes[5]. Le vieillissement de la population entraînant une augmentation du besoin de prise en charge, cette question ne fera que gagner de l’importance.


LE RÉSERVOIR DE LA LUNA À LEÓN, EN ESPAGNE, A ÉTÉ SÉVÈREMENT TOUCHÉ PAR LA SÉCHERESSE DE L’ÉTÉ 2017. CETTE ANNÉE A ÉTÉ L’UNE DES PLUS SÈCHES JAMAIS ENREGISTRÉES DANS LE PAYS, METTANT À MAL L’AGRICULTURE ET LES RÉSERVES EN EAU.

Dans l’enquête Eurobaromètre de 2019, lorsque l’on a demandé aux citoyens de toute l’Europe de citer les deux problèmes les plus pressants auxquels ils sont confrontés, 18 % ont mentionné la santé et la sécurité sociale, 15 % la retraite, 14 % l’environnement et 13 % leur situation financière. Suivaient en queue de peloton d’autres préoccupations économiques et sociales, dont la criminalité (6 %), l’immigration (5 %) et le terrorisme (2 %)[6]. Cela souligne l’importance que revêtent les biens et services publics et les transferts sociaux pour la réduction des inégalités générées par le marché et pour notre bien-être. Plus que des mesures abstraites des inégalités, les services publics dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement, de la garde d’enfants et des soins de longue durée sont essentiels à notre perception de l’équité économique.

“ Même l’environnement est une source d’inégalités et les changements climatiques ne feront que les accentuer.

Même l’environnement est une source d’inégalités et les changements climatiques ne feront que les accentuer. Les contributions aux émissions mondiales sont très inégales et corrélées aux revenus, tout simplement parce que les riches consomment plus. De même, les perturbations climatiques et la nécessaire transformation de nos économies auront des effets très inégaux dans différentes régions d’Europe et du monde. Rien qu’au sein de l’Europe, certaines régions seront confrontées à des pénuries d’eau croissantes, d’autres sont très dépendantes d’industries charbonnières ou à forte intensité de carbone, tandis que d’autres sont bien mieux placées pour tirer parti de la vague d’innovations et de nouvelles technologies que la transition énergétique exigera. Comme pour les régions, la capacité d’adaptation des ménages dépendra en grande partie de leurs revenus et de leur richesse. Toutes les familles ne peuvent pas se permettre de rénover leur logement, si elles en possèdent un, ou d’acheter une nouvelle voiture électrique.