Read the book: «Le Vaisseau fantôme (Der Fliegende Holländer)», page 3

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SCÈNE PREMIÈRE

LES MATELOTS NORVÉGIENS, DALAND, LE PILOTE.

(Le navire de Daland vient de jeter l'ancre près du rivage. Les Matelots travaillent bruyamment à carguer les voiles, à lancer des câbles.

Daland est à terre, il gravit un rocher et regarde autour de lui pour reconnaître la contrée.)

LES MATELOTS, travaillant
 
Hiva! ho! hiva! ho!
 
DALAND, descendant du rocher
 
Plus de doute. En ce jour, l'orage
Nous a poussés à sept milles du port.
Si près du but d'un long voyage,
Faut-il subir ce coup du sort?
 
LE PILOTE, criant du bord à travers ses mains
 
Eh! capitaine! hé!…
 
DALAND
 
Tout va-t-il bien à bord?
 
LE PILOTE
 
Ici le fond est bon, tout va bien, capitaine.
 
DALAND
 
C'est bien Sandwik! La chose est trop certaine!
Malheur! J'allais revoir ce qui m'est cher
Senta, ma fille, et mon toit secourable,
Quand de ce gouffre il souffle un vent d'enfer,
Se fier au vent, c'est compter sur le diable!
 

(Allant à bord.)

 
Mais à quoi bon?… Déjà l'air est moins lourd,
Pareil orage sera court.
 

(Aux Matelots.)

 
Holà! vous, c'est assez veiller, reposez-vous,
Je n'ai plus peur.
 

(Les Matelots descendent dans la cale.—Au Timonier.)

 
Toi, timonier, demeure.
Il faut veiller pour nous.
Tout est au mieux, mais veillons à toute heure.
 
LE PILOTE
 
Ne craignez rien,
Capitaine! Dormez bien.
 

(Daland rentre dans sa cabine.)

SCÈNE II

LE PILOTE

(Le Pilote est seul sur le pont. L'ouragan s'est un peu calmé et ne reprend plus que par intervalles. Au large les vagues s'élèvent énormes. Le Pilote fait encore une fois la ronde; puis il s'assied au gouvernail. Bientôt il sent venir le sommeil, il se secoue et chante.)

 
Malgré vents et tempête,
Auprès des miens,
Ma belle, je reviens.
L'ouragan sur ma tête
En vain gronda,
Ma belle, me voilà.
Sans un bon vent du sud, jamais
À toi je ne reviendrais.
Ah! souffle! souffle encor, bon vent,
Ma belle en ce jour m'attend.
Ah! ah! la! la! ah!
 

(Une vague ébranle le navire. Le Pilote se lève vivement et regarde. Il s'assure qu'il n'y a pas de mal, se rassied et chante tandis que le sommeil le gagne par degrés.)

 
Des confins de la terre,
À toi toujours
J'ai pensé, mes amours!
En bravant le tonnerre
Et flots et vent
Je t'apporte un présent.
Grâce au bon vent, je viens encor
Avec une chaîne d'or!
Bon vent! ah! souffle sans faiblir,
Ce don lui fera plaisir!
Ah! ah! la! la! ah!
 

(Il lutte contre la fatigue et finit par s'endormir. La tempête recommence. Le temps s'assombrit. Dans le lointain se montre le vaisseau fantôme avec ses voiles d'un rouge de sang et ses mâts noirs. Il s'approche avec rapidité du rivage à côté du navire norvégien. L'ancre tombe avec un bruit terrible. Le Pilote de Daland s'éveille en sursaut. Sans quitter sa place, il jette un coup d'œil sur le gouvernail, et, assuré que tout est bien, il murmure quelques mots de sa chanson.)

 
Sans un bon vent du sud, jamais…
 

(Il se rendort.)

SCÈNE III

LE HOLLANDAIS, LE PILOTE, endormi.

(Sans le moindre bruit l'équipage fantastique du vaisseau fantôme cargue ses voiles. Le Hollandais descend à terre.)

LE HOLLANDAIS
 
L'heure a sonné! Sept ans avec l'aurore
Sont écoulés! Le flot
Lassé me rejette aussitôt.
Ah! superbe Océan, bientôt
Tes flots me porteront encore.
Ta rage expire, et ma peine est sans fin!
Je cherche en vain
Sur cette terre
Celle en qui j'espère.
Mer, tu seras le témoin de mes maux
Jusqu'au moment où l'abîme en repos
Verra tarir enfin les flots.
 
 
Combien de fois, las de souffrir.
Je courus affronter l'orage!
Hélas! la mort sembla me fuir.
En vain ma rage
À maint écueil
Souvent demanda le naufrage.
Jamais ne s'ouvre mon cercueil!
Parfois j'ai bravé le pirate,
Dans les combats cherchant la mort.
«Viens! viens! que ta bravoure éclate;
L'argent ruisselle sur mon bord…»
Des mers j'ai vu l'enfant sauvage
En se signant au loin s'enfuir.
Combien de fois, voulant mourir,
J'ai défié les vents, l'orage!
Dans l'espérance d'un cercueil,
Souvent j'allai chercher l'écueil;
Mais ni la tombe ni la mort!
Tel est l'arrêt cruel du sort!
 
 
Ange du ciel, messager d'espérance,
Qui du salut m'as montré le chemin,
En m'annonçant un jour de délivrance,
T'es-tu raillé de mon cruel destin?
 
 
En vain j'espère,
Ô vœux superflus!
Non! non! sur terre
Un cœur fidèle… il n'en est plus!
Un seul espoir encor me reste,
Et cet espoir jamais ne ment.
Si long que soit ce sort funeste,
Le monde aura sa fin pourtant!
Ô jour céleste
Du jugement,
Quand dois-tu luire
Enfin pour moi?
Qu'il sonne, ce signal d'effroi
Qui doit tout perdre et tout détruire.
Lorsque seront levés les morts,
Enfin la paix m'attend alors.
Ô mondes, cessez votre cours!
À moi, néant, et pour toujours!
 

(Chœur sourd de l'équipage du Vaisseau Fantôme.)

 
À nous, néant, et pour toujours!
 

(Le Hollandais se couche sur un rocher à l'avant-scène.)

SCÈNE IV

LE HOLLANDAIS, DALAND, LE PILOTE.

(Daland sort de sa cabine; il vient sur le pont et aperçoit le vaisseau du Hollandais.)

DALAND, se tournant vers le pilote
 
Eh! timonier! holà!
 
LE PILOTE, se levant à demi, encore sommeillant
 
C'est bien! c'est bien!
 

(Continuant sa chanson.)

 
«Ah! souffle, souffle encor, bon vent…»
 
DALAND
 
Ne vois-tu rien?
Bien! l'on veille
À merveille!
Vois ce vaisseau! Depuis quand dors-tu là?
 
LE PILOTE
 
Au diable, aussi! Pardon, capitaine.
 

(Il prend à la hâte son porte-voix et hèle le vaisseau.)

 
Holà!
 

(Long silence. On entend deux fois l'écho.)

 
Holà! hé!
 

(Long silence. Nouvel écho.)

DALAND
 
Leur paresse à la nôtre est pareille!
 
LE PILOTE
 
Répondez!—Quel pays? Quel navire?
 
DALAND, apercevant le Hollandais à terre
 
C'est bon!
Là bas je crois voir le patron.
Holà! marin, dis-moi ton pays et ton nom.
 
LE HOLLANDAIS, sans changer de place
 
Je viens de loin. Pendant l'orage
Voudrais-tu me chasser d'ici?
 
DALAND
 
Non! Dieu, merci,
Des marins ce n'est pas l'usage!
Qui donc es-tu?
 
LE HOLLANDAIS
 
Hollandais.
 
DALAND
 
Sois le bienvenu!
Du vent la violence
Nous a poussés vers ce rocher,
Tous deux ensemble.—À bien peu de distance
Est mon pays. Près d'y toucher
Je suis jeté sur cette plage.
Mais, parle encore: as-tu quelque dommage?
 
LE HOLLANDAIS
 
Mon navire est solide et peut braver l'orage!
Jouet du vent qui se déchaîne,
J'ai sur les flots erré longtemps;
Depuis quand? je le sais à peine,
Car je ne compte plus les ans.
Je ne pourrais jamais te dire
Tous les pays où j'ai passé,
Il n'en est qu'un auquel j'aspire,
Et c'est le mien, qui m'est fermé!
Dans ta maison consens à me conduire;
De ton accueil tu n'auras nul regret.
Les plus brillants trésors dans mon navire
Sont entassés sans nombre, c'est peu dire;
Ami, crois-moi, tu seras satisfait.
 
DALAND
 
Discours étrange! Est-il pourtant sincère?
 

(Au Hollandais.)

 
Un sort fatal t'a poursuivi longtemps?
Pour te servir je suis prêt à tout faire,
Peut-on connaître, au moins, ces biens si grands?
 

(Le Hollandais fait signe aux hommes de son équipage. Deux d'entre eux apportent un coffre.)

LE HOLLANDAIS
 
Tu vas trouver des splendeurs infinies,
Perles d'Asie et riches pierreries.
Vois donc, de l'hospitalité
La noble récompense,
À ton œil tenté
Briller d'avance.
 
DALAND
 
Grand Dieu! Richesses sans pareilles!
Qui donc pourrait payer tant de merveilles?
 
LE HOLLANDAIS
 
Payer! Le prix déjà je te l'ai dit,
Tout est à toi pour l'abri d'une nuit.
Mais ce n'est là que le moindre trésor
De ceux que mon vaisseau recèle encor.
Qu'en puis-je faire, hélas! sans femme, sans enfant,
De mon pays toujours absent?
Tous mes trésors seront à toi
Si tu me fais une famille
Chez les tiens.
 
DALAND
 
Dieu! qu'entends-je?
 
LE HOLLANDAIS
 
As-tu donc une fille?
 
DALAND
 
Mais oui… charmante enfant.
 
LE HOLLANDAIS
 
Donne-la-moi.
 
DALAND, avec joie
 
Lui! se peut-il! épouser mon enfant!
Ah! sa pensée est la mienne.
Ah! j'ai grand peur si j'hésite un instant
Qu'un autre projet survienne.
 
LE HOLLANDAIS
 
Sans une épouse, hélas, sans un enfant,
Rien ne m'attache à la terre.
Un sort cruel me poursuit constamment
Tout vient combler ma misère.
 
ENSEMBLE
LE HOLLANDAIS
 
Chassé du lieu de ma naissance,
Qu'ai-je encor besoin d'un trésor?
À moi cette heureuse alliance
Et prends pour toi, prends tout mon or.
 
DALAND
 
Quel rêve, ô fortune subite!
Pourrais-je jamais trouver mieux?
Bien fou qui du sort ne profite!
Quelle ivresse, quel jour heureux!…
 
DALAND
 
Oui, je possède aimable jeune fille,
Trésor d'amour, fidèle et noble cœur.
C'est mon seul bien, l'orgueil de ma famille,
L'oubli des maux, le charme du bonheur.
 
LE HOLLANDAIS
 
Qu'elle ait toujours pour toi même tendresse,
Elle sera fidèle à son époux.
 
DALAND
 
Perles, bijoux,
Oui, c'est là ta richesse;
Mais quel trésor plus grand
Qu'un cœur constant.
 
LE HOLLANDAIS
 
Tu me le donnes?
 
DALAND
 
Vraiment oui, je le veux!
Ton sort m'émeut, cœur noble et généreux,
Par ta grandeur, ta force, tu m'étonnes.
Un gendre comme toi
Fût-il moins riche encore ma foi,
Par moi serait choisi.
 
LE HOLLANDAIS
 
Merci!
Verrai-je ta fille aujourd'hui?
 
DALAND
 
Le premier vent nous conduira près d'elle,
Tu la verras, si tu la trouves belle…
 
LE HOLLANDAIS
 
Elle est à moi!…
 

(À lui-même.)

 
Mon bon ange, est-ce toi?
Lorsque, brisé par la souffrance,
Dans mon salut encor j'ai foi
Du malheureux seule espérance.
Pourrai-je enfin compter sur toi?
 
DALAND
 
Ah! gloire à toi, terrible orage,
Qui m'as guidé dans ta fureur,
Je n'ai, sans chercher davantage,
Qu'à profiter de mon bonheur.
Soyez bénis, ô vents contraires,
Qui vers ces bords m'avez poussé;
Mon vœu, ce vœu de tous les pères,
«Un gendre riche!» est exaucé!
 
LE HOLLANDAIS
 
Ah! faut-il que du ciel un ange
Pour me sauver soit descendu!
Enfin de ma torture étrange,
Pour moi le terme est-il venu?
 
ENSEMBLE
LE HOLLANDAIS
 
Ah! quand l'espoir a fui mon cœur
Puis-je rêver un sort meilleur?
 
DALAND
 
À lui, si généreux, si bon,
À lui ma fille et ma maison!
 

(La tempête est complétement apaisée, le vent a tourné.)

LE PILOTE, à bord
 
Vent du sud! Vent du sud!…
 
LES MATELOTS, agitant leurs chapeaux
 
Hé! là!…
 
LE PILOTE, répétant sa chanson
 
Bon vent du sud, ah! souffle encore!
 
LES MATELOTS
 
Hiva!…
Hiva! ah! Hiva!…
 
DALAND, au Hollandais
 
Tu vois tout est calme à présent.
Le vent est bon, la mer est belle
Allons! levons l'ancre à l'instant
Vers mon pays tout nous appelle.
 

(Les Matelots lèvent l'ancre et mettent les voiles dehors.)

LE HOLLANDAIS
 
Pars je t'en prie, ami, ne m'attends pas:
Le vent est frais, mon équipage est las.
Après un court repos, je suis ta route.
 
DALAND
 
Mais notre vent?…
 
LE HOLLANDAIS
 
Il va durer sans doute.
Ce vaisseau-là
Bientôt te rejoindra!
 
DALAND
 
Tu crois? Eh! bien! qu'il soit fait à ta guise.
Adieu! Puisses tu voir
Ma fille dès ce soir!
 
LE HOLLANDAIS
 
C'est dit!
 
DALAND, allant au bord de son navire
 
Hé! matelots! holà! voici la brise.
Allons? allons!
Alerte, compagnons!
 
LES MATELOTS, avec joie
 
Malgré vents et tempête
Auprès des miens
Ma belle, je reviens.
L'ouragan sur ma tête
En vain gronda
Ma belle me voilà!
Hurrah!…
Sans un bon vent du sud jamais
À toi je ne reviendrais!
Ah! souffle! souffle encor bon vent
Ma belle en ce jour m'attend!
 

(Le Hollandais monte sur son navire.)

FIN DU PREMIER ACTE
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Release date on Litres:
01 July 2019
Volume:
38 p. 2 illustrations
Copyright holder:
Public Domain
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