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Read the book: «Discours par Maximilien Robespierre — 21 octobre 1789-1er juillet 1794», page 3

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours prononcé à l'Assemblée constituante le 23 octobre 1790 (23 octobre 1790)

(Opinion de Robespierre sur la Haute Cour nationale.)

J'ai quelques observations à vous soumettre sur l'organisation de la haute cour nationale. Les crimes de lèse-nation sont des attentats commis directement contre les droits du corps social. Il en est de deux espèces; ceux qui attaquent son existence physique, et ceux qui cherchent à vicier son existence morale. Ces derniers sont aussi coupables que les premiers. Celui qui attente à la liberté d'une nation, est autant son ennemi que celui qui voudrait la faire périr par le fer. Dans ce cas, ce n'est plus une nation, ce n'est plus un roi; il n'y a que des esclaves et un tyran. Les crimes de lèse-nation sont rares quand la constitution de l'Etat est affermie, parce qu'elle comprime de toutes parts, avec la force générale, les individus qui seraient tentés d'être factieux. Il n'y a alors que les hommes publics armés de grands pouvoirs qui puissent ruiner l'édifice de la liberté publique. Ce n'est donc que sur eux qu'il est utile de fixer alors la défiance d'un tribunal. Mais dans un temps de révolution, lorsqu'un peuple secoue le joug, que le despotisme fait des efforts pour se relever, alors le tribunal de surveillance doit scruter plus particulièrement les factions particulières. Il faut que ce tribunal soit composé de personnes amies de la révolution. Il ne doit ressembler en rien à ce siège anticonstitutionnel à qui vous avez remis le soin de punir les forfaits des nombreux ennemis qui ont entouré le berceau de la liberté; il faut que le tribunal que vous avez formé soit investi de courage, de force armée, puisqu'il aura à combattre les grands, qui sont ennemis du peuple. De là découle cette vérité incontestable, que le peuple seul a droit de nommer ses protecteurs. Conférer au roi une partie de ce droit d'élection, ce serait faire un écueil de ce qui doit être un rempart pour la liberté.

Le comité a donc commis une erreur, en vous proposant de faire nommer les juges par le roi. Ce n'est pas même assez, il faut que, pour éloigner de ce tribunal l'illusion des promesses et la séduction des grâces, ceux qui seront membres de ce tribunal ne puissent accepter aucune grâce ou commission du pouvoir exécutif, avant deux ans; et même, s'il est possible, il faut fixer une époque plus reculée. Où peut-on mieux placer ce tribunal que dans Paris, cette ville qui a tant rendu de services à la révolution, et qui fut de tout temps le centre des lumières? Je me borne à ces réflexions; je n'ai point eu le temps de rédiger un projet de décret; une discussion plus mûre, et vos lumières y suppléeront.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours prononcé à l'Assemblée constituante le 9 novembre 1790 (9 novembre 1790)

(Opinion de Robespierre sur le tribunal de cassation.)

Quel est l'objet de l'institution d'un tribunal de cassation. Voilà la première question et peut-être la seule que vous ayez à juger. Les tribunaux sont établis pour décider les contestations entre citoyens cl citoyens: là finit le pouvoir judiciaire; là commence l'autorité de la Cour de cassation. C'est sur l'intérêt général, c'est sur le maintien de la loi et de l'autorité législative que la Cour de cassation doit prononcer. Le pouvoir législatif n'établissant que la loi générale, dont la force dépend de l'exacte observation, si les magistrats pouvaient y substituer leur volonté propre, ils seraient législateurs. Il est donc nécessaire d'avoir une surveillance qui ramène les tribunaux aux principes de la législation. Ce pouvoir de surveillance fera-t-il partie du pouvoir judiciaire? Non, puisque c'est le pouvoir judiciaire qu'on surveille. Sera-ce le pouvoir exécutif? Non, il deviendrait maître de la loi. Sera-ce enfin un pouvoir différent des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire? Non; je n'en connais pas quatre dans la constitution. Ce droit de surveillance est donc une dépendance du pouvoir législatif. En effet, selon les principes authentiquement reconnus, c'est au législateur à interpréter la loi qu'il a faite: dans l'ancien régime même, ce principe était consacré.

Je passe à l'examen rapide des bases et de l'esprit du plan du comité. Tout projet, dont le résultat livre une institution à l'influence ministérielle, doit être rejeté. Tout le système qu'on vous propose se réduit à une cascade d'élections, qui se termine par le choix du ministre et par le jeu toujours désastreux des intrigues de cour.

Comment peut-on vous proposer de donner au pouvoir exécutif, sur les membres du tribunal de cassation, cette fatale influence que vous leur avez ôtée sur les juges? Quel étrange système! On veut épurer le choix du peuple par ses représentants; et le choix des représentants par les ministres. Ce n'est qu'ouvrir un plus vaste champ à la cabale, à la corruption et au despotisme. Que resterait-il à faire pour livrer le tribunal aux ministres? Etablir que le garde des sceaux présidera ce tribunal? Eh bien! tel est l'article XXI. Dans l'article IV, le comité veut que, sans plaintes, le tribunal juge la conduite et les fautes d'un autre tribunal, de quelques-uns des juges qui le composent ou du commissaire du roi. Il veut que ce même tribunal prononce sur les prises à partie des tribunaux et des commissaires du roi. Il fait plus: ne donne-t-il pas au garde des sceaux le droit d'humilier des juges ou des commissaires du roi pour des choses qui ne sont pas des délits, mais des négligences dans l'exercice de leurs fonctions, mais une conduite contraire à la dignité des tribunaux? Il veut que sur la dénonciation du garde des sceaux et l'avis du directoire du district, le tribunal de cassation prononce des injonctions, des amendes, des suspensions de fonctions. Nul système ne fut jamais mieux imaginé pour avilir l'autorité judiciaire, pour la ramener entre les mains du despotisme. Rien ne m'étonne autant que ce système, si ce n'est qu'on vous l'ait présenté. Je ne puis en ce moment proposer aucun détail; je demande seulement que l'assemblée, en consacrant le principe, déclare qu'au corps législatif seul appartient le droit de maintenir la législation et sa propre autorité, soit par cassation, soit autrement. Quant au plan proposé, je pense qu'il n'y a pas lieu à délibérer, et que les membres qui composent le comité doivent être rappelés au respect pour les principes constitutionnels.

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours prononcé à l'Assemblée constituante le 14 décembre 1790 (14 décembre 1790)

(Opinion de Robespierre sur l'organisation judiciaire.)

La partie de la législation que l'on vous propose en ce moment tient aux premiers principes de la liberté et du bien public. Dans les circonstances où nous sommes, elle intéresse essentiellement l'existence d'une multitude innombrable de citoyens: c'en est assez pour éveiller toute votre attention. Cherchons les premiers principes de cette matière importante; ils nous conduiront peut-être facilement au parti que nous devons adopter... Dès que la société a établi et déterminé l'autorité publique qui doit prononcer sur les différends des citoyens, dès qu'elle a créé les juges destinés à leur rendre en son nom la justice qu'ils avaient droit de se faire par eux-mêmes avant l'association civile; pour mettre le dernier sceau, et pour donner le mouvement à cette institution, il ne reste plus qu'à instruire les juges des différends qui doivent être soumis à leurs décisions. A qui appartient le droit de défendre les intérêts des citoyens? Aux citoyens eux-mêmes, ou à ceux en qui ils ont mis leur confiance. Ce droit est fondé sur les premiers principes de la raison et de la justice; il n'est autre chose que le droit essentiel et imprescriptible de la défense naturelle. S'il ne m'est pas permis de défendre mon honneur, ma vie, ma liberté, ma fortune par moi-même, quand je le veux et quand je le puis, et, dans le cas où je n'en ai pas les moyens, par l'organe de celui que je regarde comme le plus éclairé, le plus vertueux, le plus humain, le plus attache à mes intérêts; si vous me forcez à les livrer à une certaine classe d'individus que d'autres auront désignés, alors vous violez à la fois et cette loi sacrée de la nature et de la justice, et toutes les notions de l'ordre social, qui, en dernière analyse, ne peuvent reposer que sur elles... Ces principes sont incontestables; il ne s'agit plus que de l'application.

Je me permettrai cependant d'observer avant tout qu'il ne faut pas se porter trop aisément à opposer sans cesse des inconvénients à des droits inviolables, et des circonstances à des vérités éternelles. Ce serait imiter les tyrans, à qui il ne coule rien de reconnaître les droits des hommes, à condition de pouvoir les violer toujours sous de nouveaux prétextes, à condition de les reléguer, dans la pratique, parmi ces théories vagues qui doivent céder à des maximes politiques et à des considérations particulières; ce serait abandonner le guide fidèle que nous avons promis de suivre, pour embrasser des combinaisons arbitraires, qui ne seraient que le résultat de nos anciennes habitudes et de nos préjugés. Quoi qu'il en soit, pour déterminer l'application des principes que j'ai posés, il ne s'agit que d'éclaircir la question, en définissant et en distinguant d'une manière précise les diverses fonctions qui font l'objet du rapport de nos comités de constitution et de judicature.

Le législateur a vu qu'il fallait d'abord que la demande du citoyen qui veut traduire un autre citoyen devant les tribunaux, fût formée et constatée d'une manière certaine et authentique, afin qu'aucun jugement ne pût être surpris, et l'on institua les officiers chargés de ce soin sous le nom d'huissiers. Le législateur a voulu établir ensuite un ordre de procédure dont l'objet était de donner au défenseur le loisir de préparer sa défense; ensuite au demandeur, le temps de répliquer, jusqu'au moment où la cause devait être discutée devant le juge, et recevoir sa décision: de là des délais fixés, des formules, des actes de procédure déterminés par la loi; et cette partie mécanique de l'instruction des affaires, cette routine de la procédure, furent confiées à d'antres officiers connus sous le nom de procureurs.

Il restait la partie la plus importante, la partie principale et essentielle de la défense des citoyens, qui demeure séparée des fonctions dont nous venons de parler, la fonction de présenter les faits aux yeux des magistrats, de développer les motifs des réclamations des parties, de faire entendre la voix de la justice, de l'humanité, et les cris de l'innocence opprimée. Cette fonction seule échappa à la fiscalité et au pouvoir absolu du monarque. La loi tint toujours cette carrière libre à tous les citoyens; du moins n'exigea-t-elle d'eux que la condition de parcourir un cours d'études faciles, ouvert à tout le monde, tant le droit de la défense naturelle paraissait sacré dans ce temps-là? Aussi, en déclarant, sans aucune peine, que cette profession même n'était pas exempte des abus qui désoleront toujours les peuples qui ne vivront point sous le régime de la liberté, suis-je du moins forcé de convenir que le barreau semblait montrer encore les dernières traces de la liberté exilée du reste de la société; que c'était là où se trouvait encore le courage de la vérité, qui osait réclamer les droits du faible opprimé contre les crimes de l'oppresseur puissant; enfin, ces sentiments généreux qui n'ont pas peu contribué à une révolution, qui ne s'est faite dans le gouvernement que parce qu'elle était préparée dans les esprits. Si la loi avait mis au droit de défendre la cause de ceux qui veulent nous la confier, une certaine restriction, en exigeant un cours d'études dégénéré presque entièrement en formalité, elle semblait s'être absoute elle-même de cette erreur par la frivolité évidente du motif... En dépit des maximes qui jusqu'à ce moment avaient paru le résultat d'une profonde sagesse, vous convenez tous que, sous aucun prétexte, pas même sous le prétexte d'ignorance, d'impéritie, la loi ne peut interdire aux citoyens la liberté de défendre eux-mêmes leur propre cause. Quoi qu'il en soit, l'ancien régime était à cet égard infiniment plus près de la raison, du bien public et de la constitution nouvelle, que le système proposé par vos comités de constitution et de judicature. Réunir et confondre le ministère des procureurs, les fonctions des avocats, pour soumettre l'un et l'autre à un privilège exclusif qui deviendra le patrimoine d'un petit nombre d'individus, tel est le fond de ce plan.

Ainsi voilà les privilèges que vous avez proscrits, rétablis sur la ruine du droit le plus sacré de l'homme et du citoyen; voilà, en dépit du décret qui proscrit jusqu'au costume des gens de loi, par la raison qu'ils ne doivent point former une classe particulière, voilà le corps des gens de loi recréé sous une forme beaucoup plus vicieuse que l'ancienne! En effet, ce pouvoir exclusif de défendre les citoyens sera conféré par trois juges et par deux hommes de loi, et pour être éligible, pour être l'objet de leur suffrage ou de leur faveur, il faudra non-seulement avoir travaillé cinq ans chez un homme de loi, mais avoir encore été inscrit sur un tableau dressé par le directoire de l'administration du district, dont les membres pourront exclure qui ils jugeront à propos, puisqu'ils seront constitués juges de la probité des candidats. Je ne dirai pas que ce système est contraire à la constitution, que c'est donner à des fonctionnaires publics un pouvoir étranger à leurs fonctions, que c'est un attentat à la souveraineté du peuple, puisqu'il n'appartient qu'au souverain d'ôter ou d'accorder un droit à un citoyen; je m'attache particulièrement aux inconvénients de l'institution qu'on vous propose: elle tend à former un corps d'hommes de loi, vil et indigne de ses fonctions; elle présente un petit nombre de places à une multitude de candidats. L'intrigue assurera le succès, et la probité inflexible ne connaît pas l'intrigue, et le génie n'attend rien que de lui-même.

Jusqu'à ce que nos moeurs soient changées, il y aura de l'intrigue, de la faveur partout où un corps, ou quelques hommes seront les dispensateurs de quelques avantages que ce soit. La formalité du concours laissera subsister ces inconvénients. Trois membres du tribunal et deux hommes de loi décideront, à la pluralité de trois voix données secrètement et au scrutin. Les deux hommes de loi jalouseront, craindront le mérite éclatant. Si un juge se range de leur parti, toutes les chances sont nécessairement contre le plus digne: alors vous ne verrez plus dans le sanctuaire de la justice ces hommes sensibles, capables de se passionner pour la cause des malheureux, et par conséquent seuls dignes de la défendre; ces hommes intrépides et éloquents, appuis de l'innocence et fléaux du crime; la faiblesse, la médiocrité, l'injustice et la prévarication les redouteront; ils en seront toujours repoussés; mais vous verrez accueillir des gens de loi sans délicatesse, sans enthousiasme pour leurs devoirs, et poussés seulement dans une noble carrière par un vil intérêt. Ainsi vous dénaturez, vous dégradez des fonctions précieuses à l'humanité, essentiellement liées au progrès de l'esprit public, au triomphe de la liberté; ainsi vous fermez cette école de vertus civiques où les talents et le mérite apprendraient, en plaidant la cause du citoyen devant les juges, à défendre un jour celle du peuple parmi les législateurs. Chez quel peuple libre a-t-on jamais conçu l'idée d'une pareille institution? Ces citoyens illustres qui, en sortant des premières magistratures, où ils avaient sauvé l'Etat, venaient devant les tribunaux sauver un citoyen opprimé, avaient-ils pris l'attache des édiles, ou des juges qu'ils venaient éclairer? Les Romains avaient-ils des tableaux, des concours et des privilèges? Quand Cicéron foudroyait Verrès, avait-il été obligé de postuler un certificat auprès d'un directoire et de faire un cours de pratique chez un homme de loi? Oh! les Verrès de nos jours peuvent être assez tranquilles; car le système du comité n'enfantera pas des Cicérons. Ne vous y trompez pas, on ne va point à la liberté par des routes diamétralement opposées. Si le législateur ne se défend pas de la manie qu'on a reprochée au gouvernement, de vouloir tout régler, s'il veut donner à l'autorité ce qui appartient à la confiance individuelle, s'il veut faire lui-même les affaires des particuliers, et mettre pour ainsi dire les citoyens en curatelle, s'il veut se mettre à ma place pour choisir mon défenseur et mon homme de confiance, sous le prétexte qu'il sera plus éclairé que moi sur mes propres intérêts, alors, loin d'établir la liberté politique, il anéantit la liberté individuelle et appesantit à chaque instant sur nos têtes le plus ridicule et le plus insupportable de tous les jougs.

On voudra peut-être défendre le plan du comité, eu observant qu'il admet des défenseurs officieux; mais cette disposition ne justifie pas l'institution d'un corps d'hommes de loi privilégiés; elle en fait mieux ressortir les vices et l'inutilité. Le comité lui-même rend cette disposition illusoire: il exige que, pour avoir communication des pièces de la partie adverse, le défenseur officieux se rende chez l'homme de loi qui défendra cette partie. Il donne aux juges le droit d'exclure du tribunal les officieux, après deux injonctions successives pour n'avoir pas observé la décence et le respect envers ce tribunal, termes vagues qui s'interpréteront suivant les intérêts, les caprices, les degrés de morgue, de faiblesse ou d'ignorance; pour avoir manqué de modération à l'égard de la partie adverse, ce qui n'est pas plus déterminé; pour avoir manqué d'exactitude dans l'exposition des faits et des moyens de la cause. Or, comme un procès suppose des faits litigieux ou des moyens susceptibles de discussion, il s'ensuit que nul défenseur officieux ne sera à l'abri de l'interdiction déshonorante, puisqu'il suffit qu'il ne soit pas infaillible, ou même simplement que les juges aient, sur les faits et les moyens de la cause, une opinion différente de la sienne, c'est-à-dire qu'il faudra qu'il gagne sa cause à peine d'interdiction... Mais quoi! donner à des juges le droit de dépouiller ignominieusement les citoyens sans aucune forme de procès, du plus touchant, du plus sacré de leurs droits, celui de défendre leurs semblables! Quels principes! Occupons-nous moins de décence, de morgue, de la dignité du tribunal, de modération, d'exactitude. La justice, l'humanité, l'égalité, la liberté, la loi, voilà les premiers intérêts du législateur, voilà les objets du culte des hommes libres...

Je conclus et je me borne à établir ce principe, qui me paraît devoir être l'objet actuel de votre délibération et de votre premier décret: "Tout citoyen a le droit de défendre ses intérêts eu justice, soit par lui-même, soit par celui à qui il voudra donner sa confiance."

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours non prononcé mais publié en décembre 1790 sur l'organisation des gardes nationales, par Maximilien Robespierre, membre de l'Assemblée nationale (décembre 1790)

Texte en français moderne par Albert Laponneraye (principaux extraits du discours) Note: Robespierre exposa finalement ses vues à l'Assemblée constituante les 27 et 28 avril 1791 (...)

Les gardes nationales ne seront jamais ce qu'elles doivent être si elles sont une classe de citoyens, une portion quelconque de la nation, quelque considérable que vous la supposiez.

Les gardes nationales ne peuvent être que la nation entière armée pour défendre au besoin ses droits; il faut que tous les citoyens en âge de porter les armes y soient admis sans aucune distinction: sans cela, loin d'être les appuis de la liberté, elles en seront les fléaux nécessaires; il faudra leur appliquer le principe que nous avons rappelé au commencement de cette discussion en parlant des troupes de ligne: dans tout état où une partie de la nation est armée et l'autre ne l'est pas, la première est maîtresse des destinées de la .seconde; tout pouvoir s'anéantit devant le sien; d'autant plus redoutable qu'elle sera plus nombreuse, cette portion privilégiée sera soûle libre et souveraine; le reste sera esclave.

Etre armé pour sa défense personnelle est le droit de tout homme: être armé pour défendre la liberté et l'existence de la commune patrie, est le droit de tout citoyen. Ce droit est aussi sacré que celui de la défense naturelle et individuelle, dont il est la conséquence, puisque l'intérêt et l'existence de la société sont composés des intérêts et des existences individuelles de ses membres: dépouiller une portion quelconque des citoyens du droit de s'armer pour la patrie et en investir exclusivement l'autre, c'est donc violer à la fois et cette sainte égalité qui fait la base du pacte social, et les lois les plus irréfragables et les plus sacrées de la nature.

Mais remarquez, je vous prie, que ce principe ne souffre aucune distinction entre ce que vous appelez citoyens actifs, et les autres. Que les représentants du peuple français aient cru pendant quelque temps* [* Je dis pendant quelque temps, parce que le décret du marc d'argent et ceux qui tiennent au même principe, sont jugés depuis longtemps par l'Assemblée nationale, qui ne se séparera pas sans avoir exaucé à cet égard le voeu de la nation. (Note de Robespierre.) qu'il fallait interdire à tant de millions de Français, qui ne sont point assez riches pour payer une quantité d'impositions déterminée, le droit de paraître aux assemblées où le peuple délibère sur ses intérêts ou sur le choix de ses représentants et de ses magistrats, je ne puis en ce moment que me prescrire sur ces faits un silence religieux, tout ce que je dois dire, c'est qu'il est impossible d'ajouter à la privation de ces droits la prohibition d'être armé pour sa défense personnelle on pour celle de sa patrie; c'est que ce droit est indépendant de tous les systèmes politiques qui classent les citoyens, parce qu'il tient essentiellement au droit inaltérable, au devoir immortel de veiller à sa propre conservation.

Si quelqu'un m'objectait qu'il faut avoir ou une telle espèce ou une telle étendue de propriété pour exercer ce droit, je ne daignerais pas lui répondre. Eh! que répondrais-je à un esclave assez vil ou à un tyran assez corrompu pour croire que la vie, que la liberté, que tous les biens sacrés que la nature a départis aux plus pauvres de tous les hommes, ne sont pas des objets qui vaillent la peine d'être défendus! Que répondrais-je à un sophiste assez absurde pour ne pas comprendre que ces superbes domaines, que ces fastueuses jouissances des riches, qui seules lui paraissent d'un grand prix, sont moins sacrées aux yeux des lois et de l'humanité que la plus chétive propriété mobilière, que le plus modique salaire auquel est attachée la subsistance de l'homme modeste et laborieux. Quelqu'un osera-t-il me dire que ces gens-là ne doivent par être admis au nombre des défenseurs des lois et de la Constitution, parce qu'ils n'ont point d'intérêt au maintien des lois et de la Constitution? Je le prierai à mon tour de répondre à ce dilemme: Si ces hommes ont intérêt au maintien des lois et de la Constitution, ils ont droit, suivant vos principes mêmes, d'être inscrits parmi les gardes nationales: s'ils n'y ont aucun intérêt, dites-moi donc ce que cela signifie, si ce n'est que les lois, que la Constitution n'auraient pas été établies pour l'intérêt général, mais pour l'avantage particulier d'une certaine classe d'hommes; qu'elles ne seraient point la propriété commune de tous les membres de la société, mais le patrimoine des riches, ce qui serait, vous en conviendrez sans doute, une supposition trop révoltante et trop absurde. Allons plus loin. Ces mêmes hommes dont nous parlons sont-ils, suivant vous, des esclaves, des étrangers, ou sont-ils citoyens? Si ce sont des esclaves, des étrangers, il faut le déclarer avec franchise, et ne point chercher à déguiser cette idée sous des expressions nouvelles et assez obscures: mais, non; ils sont en effet citoyens; les représentants du peuple français n'ont pas dépouillé de ce titre la très grande majorité de leurs commettants; car on sait que tous les Français, sans aucune distinction de fortune ni de cotisation, ont concouru à l'élection des députés à l'Assemblée nationale; ceux-ci n'ont pas pu tourner contre eux le même pouvoir qu'ils en avaient reçu, leur ravir les droits qu'ils étaient chargés de maintenir et d'affermir, et par cela même anéantir leur propre autorité, qui n'est autre que celle de leurs commettants; ils ne l'ont pas pu, ils ne l'ont pas voulu, ils ne l'ont pas fait. Mais si ceux dont nous parlons sont en effet citoyens, il leur reste donc des droits de cité, à moins que cette qualité ne soit un vain titre et une dérision: or, parmi tous les droits dont elle rappelle l'idée, trouvez m'en, si vous le pouvez, un seul qui y soit plus essentiellement attaché, qui soit plus nécessairement fondé sur les principes les plus inviolables de toute société humaine que celui-ci. Si vous le leur ôtez, trouvez moi une seule raison de leur en conserver aucun autre: il n'en est aucune. Reconnaissez donc comme le principe fondamental de l'organisation des gardes nationales, que tous les citoyens domiciliés ont le droit d'être admis au nombre des gardes nationales, et décrétez qu'ils pourront se faire inscrire comme tels dans les registres de la commune où ils demeurent.

C'est en vain qu'à ces droits inviolables on voudrait opposer de prétendus inconvénients et de chimériques terreurs; non, non; l'ordre social ne peut être fondé sur la violation des droits imprescriptibles de l'homme, qui en sont les bases essentielles: après avoir annoncé d'une manière si franche et si imposante dans cette déclaration immortelle où nous les avons retracés, qu'elle était mise à la tête de notre code constitutionnel, afin que les peuples fussent à portée de la comparer à chaque instant avec les principes inaltérables qu'elle renferme, nous n'affecterons pas sans cesse d'en détourner nos regards sous de nouveaux prétextes, lorsqu'il s'agit de les appliquer aux droits de nos commettants et au bonheur de notre patrie. L'humanité, la justice, la morale, voilà la politique, voilà la sagesse des législateurs; tout le reste n'est que préjugés, ignorance, intrigues, mauvaise foi. Partisans de ces funestes systèmes, cessez de calomnier le peuple et de blasphémer contre votre souverain, en le représentant sans cesse indigne de jouir de ses droits, méchant, barbare, corrompu! C'est vous qui êtes injustes et corrompus, ce sont les castes fortunées auxquelles vous voulez transférer sa puissance: c'est le peuple qui est bon, patient, généreux; notre révolution, les crimes de ses ennemis l'attestent; mille traits récents et héroïques qui ne sont chez lui que naturels en déposent; le peuple ne demande que tranquillité, justice, que le droit de vivre, les hommes puissants, les riches sont affamés de distinctions, de trésors, de voluptés; l'intérêt, le voeu du peuple est celui de la nature, de l'humanité; c'est l'intérêt général; l'intérêt, le voeu des riches et des hommes puissants, est celui de l'ambition, de l'orgueil, de la cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société; les abus qui l'ont désolée furent toujours leur ouvrage; ils furent toujours les fléaux du peuple. Aussi qui a fait notre glorieuse révolution? Sont-ce les riches, sont-ce les hommes puissants? Le peuple seul pouvait la désirer et la faire; le peuple seul peut la soutenir par la même raison... Et l'on ose nous propose de lui ravir les droits qu'il a reconquis! On veut diviser la nation en deux classes, dont l'une ne semblerait armée que pour contenir l'autre, comme un ramas d'esclaves toujours prêts à se mutiner! Et la première renfermerait tous les tyrans, tous les oppresseurs, toutes les sangsues publiques, et l'autre le peuple! Vous direz après cela que le peuple est dangereux à la liberté! Ah! il en sera le plus ferme appui si vous la lui laissez! Cruels et ambitieux sophistes, c'est vous qui à force d'injustices voudriez le contraindre en quelque sorte à trahir sa propre cause par son désespoir! Cessez donc de vouloir accuser ceux qui ne cesseront jamais de réclamer les droits sacrés de l'humanité? Qui êtes-vous pour dire à la raison et à la liberté: Vous irez jusque-là; vous arrêterez vos progrès au point où ils ne s'accorderaient plus avec les calculs de notre ambition ou de notre intérêt personnel? Pensez-vous que l'univers sera assez aveugle pour préférer à ces lois éternelles de la justice, qui l'appellent au bonheur, ces déplorables subtilités d'un esprit étroit et dépravé, qui n'ont produit jusqu'ici que la puissance, les crimes de quelques tyrans, et les malheurs des nations! C'est en vain que vous prétendez diriger par les petits manèges du charlatanisme et des intrigues de cour une révolution dont vous n'êtes pas dignes; vous serez entraînés comme de faibles insectes dans son cours irrésistible; vos succès seront passagers comme le mensonge, et votre honte immortelle comme la vérité! Mais, au contraire, supposons qu'à la place de cet injuste système, on adopte les principes que nous avons établis, et nous voyons d'abord l'organisation des gardes nationales en sortir pour ainsi dire naturellement avec tous ses avantages, sans aucune espèce d'inconvénient.

D'un côté, il est impossible que le pouvoir exécutif et la force militaire dont il est armé puissent renverser la Constitution, puisqu'il n'est point de puissance capable de balancer celle de la nation armée.

D'un autre côté, il est impossible que les gardes nationales deviennent elles-mêmes dangereuses à la liberté, puisqu'il est contradictoire que la nation veuille s'opprimer elle-même. Voyez comme partout à la place de l'esprit de domination ou de servitude naissent les sentiments de l'égalité, de la fraternité, de la confiance, et toutes les vertus douces et généreuses qu'ils doivent nécessairement enfanter!