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Read the book: «Discours par Maximilien Robespierre — 21 octobre 1789-1er juillet 1794», page 21

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Maximilien Robespierre (1758-1794), Discours non prononcé sur la faction Fabre-d'Eglantine (c. février 1794)

Texte en français moderne par Albert Laponneraye, d'après le rapport de Courtois qui reproduit le manuscrit Deux coalitions rivales luttent depuis quelque temps avec scandale, l'une tend au modérantisme, et l'autre aux excès patriotiquement contre-révolutionnaires. L'une déclare la guerre à tous les patriotes énergiques, prêche l'indulgence pour les conspirateurs; l'autre calomnie sourdement les défenseurs de la liberté, veut accabler en détail tout patriote qui s'est une fois égaré, en même temps qu'elle ferme les yeux sur les trames criminelles de nos plus dangereux ennemis. Toutes deux professent le patriotisme le plus brûlant, quand il s'agit d'attaquer leurs adversaires; toutes deux font preuve d'une profonde indifférence, lorsqu'il est question de défendre les intérêts de la patrie et de la vérité: toutes deux cherchent à sacrifier la république à leur intérêt particulier. Le patriotisme dont elles se vantent n'est point absolu ni universel; il n'éclate que dans certaines circonstances, et se renferme dans la sphère des intérêts de la secte. Il n'a rien de commun avec la vertu publique. Il ressemble à la haine, à la vengeance, à l'intrigue et à l'ambition. Toutes deux ont raison, lorsqu'elles se dénoncent réciproquement; elles ont tort, dès qu'elles prétendent conclure quelque chose en leur faveur des vices de leurs adversaires. Toutes deux prouvent tout contre leurs adversaires, et rien en leur faveur.

L'une cherche à abuser de son crédit ou de sa présence dans la Convention nationale; l'autre, de son influence dans les sociétés populaires. L'une veut surprendre à la Convention des décrets dangereux, ou des mesures oppressives contre ses adversaires; l'autre fait entendre des cris douloureux dans les assemblées publiques. L'une cherche à alarmer la Convention, l'autre à inquiéter le peuple; et le résultat de cette lutte indécente, si l'on n'y prend garde, serait de mettre la Convention nationale en opposition avec le peuple, et de fournir aux ennemis de la république l'occasion qu'ils attendent d'exécuter quelque sinistre dessein; car les agents des cours étrangères sont là qui soufflent le feu de la discorde, qui font concourir à leur but funeste l'orgueil, l'ignorance, les préjugés des deux partis, et tiennent tous les fils de cette double intrigue, et en dirigent tous les résultats vers leur but.

Le triomphe de l'un ou de l'autre parti serait également fatal à la liberté et à l'autorité nationale. Si le premier écrasait l'autre, le patriotisme serait proscrit, la Convention nationale perdrait l'énergie qui seule peut sauver la république, et la chose publique retomberait entre les mains de l'intrigue, de l'aristocratie et de la trahison: si le second l'emportait, la confusion et l'anarchie, l'avilissement de la représentation nationale, la persécution de tous les patriotes courageux et sages, seraient les fruits de sa victoire.

Dissoudre la Convention nationale, renverser le gouvernement républicain, proscrire les patriotes énergiques et remettre à la fois le commandement des armées et les rênes de l'administration révolutionnaire dans les mains des fripons et des traîtres: tel est, tel sera l'intérêt, le but de tous les tyrans coalisés contre la république, jusqu'à ce que le dernier d'entre eux ait expiré sous les coups du peuple français. Tel est aussi le véritable but de l'intrigue que je vais développer.

Un système d'attaque se développa contre le comité de salut public, dès le moment où il commença à montrer un caractère vraiment inquiétant pour les ennemis de la république.

Peu de temps après l'époque où il fut renouvelé, et que Lacroix et quelques autres en sortirent, on se flattait hautement qu'il ne pourrait jamais porter le poids des fonctions qui lui étaient imposées. Pour le paralyser tout à coup, ou proposa à la Convention de détruire le conseil exécutif, et de le charger seul de tout le fardeau de l'administration, sous le nom de comité du gouvernement. Le comité de salut public, à qui cette question fut renvoyée, prouva facilement que cette proposition, soutenue avec beaucoup d'opiniâtreté, tendait à détruire le gouvernement, sous le prétexte de le perfectionner, et à annuler le comité de salut public, sous le prétexte d'augmenter sa puissance; et la Convention eut la sagesse de laisser les choses dans l'état où elles étalent. Cependant le gouvernement, quel qu'il fût, comprimait vigoureusement les ennemis du dedans, et combattait avec avantage les ennemis du dehors. On continua de le harceler d'une autre manière. Non content de contrarier indirectement par des motions insidieuses ses mesures les plus sages, on employa contre lui l'arme la plus puissante et la plus familière des ennemis de la liberté, la calomnie (on peut se rappeler l'époque). Un représentant du peuple qui était sorti vivant de Valenciennes, tombée sous le joug autrichien (Briez, séance du 25 septembre 1793) osa, dans un libelle qu'il qualifiait rapport, rejeter sur le comité de salut publie l'ignominie d'une trahison, que la patrie indignée reprochait en grande partie à sa lâcheté, et cette calomnie impudente fut accueillie avec transport par les ennemis secrets de la république, que la punition récente des conspirateurs avait condamnés an silence. Elle fut même récompensée par un décret qui adjoignait son auteur au comité de salut public, mais cette erreur fut à l'instant même reconnue et réparée.

On n'en continua pas moins de calomnier et d'intriguer dans J'ombre. Les meneurs cherchaient un champion assez déhonté pour le lancer le premier dans l'arène. Il se présenta un homme (Philippeaux), qui avait joué dans la Vendée un rôle aussi honteux que le premier délateur dans Valenciennes. Un représentant du peuple, naguère avocat du tyran, et lâche flagorneur de Roland et de la faction brissotine dans un journal ignoré, un homme dont l'existence équivoque était à peine aperçue des amis et des ennemis de la liberté, un homme dont le rappel de la Vendée avait été l'un des remèdes nécessaires pour mettre fin à nos désastres, et l'époque de nos succès, cet homme répandit tout à coup un libelle, où l'effronterie supplée en même temps à la vérité et à la vraisemblance, où il se constitue le panégyriste des généraux perfides et diffamés avec lesquels il a vécu; un dénonciateur des représentants fidèles qui l'avaient dénoncé, des patriotes qu'il a constamment persécutés, enfin, du comité de salut public, qui n'avait à se reprocher qu'un excès d'indulgence à son égard.

Le comité de salut public, qu'on voulait distraire des travaux immenses sous lesquels on le croyait près de succomber, pour le forcer à répondre aux pamphlets, se reposa sur le mépris que devaient inspirer et l'ouvrage et l'auteur. Il se trompa.

L'atrocité de la calomnie fut précisément ce qui en fit la fortune: tous les ridicules mêmes de l'auteur ne purent nuire à ses succès. Tous les hommes faciles à tromper, tous les intrigants à qui un gouvernement patriote était redoutable se rallièrent sous les bannières d'un homme qu'ils méprisaient. Il n'était question que de trouver quelqu'un pour ouvrir la tranchée. La sottise et la perversité lui prodiguèrent les encouragements les plus flatteurs, et il enfanta de nouveaux libelles, tous imprimés et distribués avec une profusion scandaleuse. Chaque jour, la tribune retentit de ses insolentes déclamations. Il fut secondé par tous ceux qui avaient partagé ses torts dans la Vendée. Bientôt parurent les numéros de Camille Desmoulins, égaré par une impulsion étrangère, mais qui développa, par des motifs personnels, la doctrine liberticide de la nouvelle coalition.

Dès le mois de... elle était déjà si forte, que le comité de salut public était fortement ébranlé dans l'opinion d'une partie de la Convention nationale. On avait déjà fait passer en principe qu'il était responsable de tous les événements fâcheux qui pouvaient arriver, c'est-à-dire des torts de la fortune, et même des crimes de ses ennemis; et le triomphe de la calomnie était d'autant plus certain, que l'on ne doutait pas qu'il ne succombât nécessairement sous le poids de la tâche qui lui était imposée.

Au moment de la plus grande tourmente du gouvernement naissant, on en provoqua brusquement le renouvellement, motivé par des diatribes violentes contre ses membres; mais cette hostilité subite heurtait, choquait trop violemment l'opinion publique; et, le lendemain, le décret qui changeait l'existence du comité fut rapporté, au moment où les listes des meneurs étaient suspendues au scrutin. Parmi les noms inscrits sur ces listes, on distinguait celui de Dubois-Crancé et ceux de quelques autres membres intéressés particulièrement à la ruine du comité.

Les intrigants poursuivirent l'exécution de leur plan avec une activité nouvelle. Calomnié au dehors par tous les tyrans et par tous les traîtres, le comité de salut public l'était d'une manière beaucoup plus dangereuse, au sein de la Convention même, par tous ses ennemis. Déjà ceux-ci avaient fait passer en principe qu'il était responsable de tous les événements malheureux qui pouvaient arriver, c'est-à-dire des torts de la fortune et des crimes mêmes de ses ennemis. C'en était fait, si le génie de la liberté n'avait opéré tout à coup les prodiges étonnants qui ont sauvé la république. Déjà on avait répandu dans tout le Midi que le comité de salut public avait pris la résolution de livrer Toulon, et d'abandonner tous les pays méridionaux au delà de la Durance, tandis qu'au sein de la Convention on l'accusait sourdement de ne pas prendre les mesures nécessaires pour réduire Toulon. La victoire prodigieuse qui remit cette cité au pouvoir de la république fit taire pour un moment la calomnie; mais si cet heureux événement avait été seulement reculé, le gouvernement républicain était accablé sous le poids de la calomnie. Alors les ennemis de la révolution auraient proscrit à leur gré les défenseurs de la liberté, qu'ils avaient renfermés dans le comité de salut public, comme dans un défilé, pour les immoler. Le sort de la liberté retombait entre les mains des fripons et des traîtres; la Convention nationale perdait la confiance publique, et la cause de la tyrannie triomphait. Aussi, quand le comité de salut public apporta à la Convention cette heureuse. nouvelle, tous les amis purs de la liberté qui siègent à la Montagne, dans les transports de leur joie civique, nous témoignèrent à l'envi leur satisfaction, sous le rapport même de la persécution suscitée aux plus zélés défenseurs de la patrie. — Vous avez bien fait de réussir, nous disaient-ils, car si Toulon n'avait pas été pris si tôt, vous étiez perd.us; je crois qu'ils nous auraient fait décréter d'accusation. D'un autre côté, il était facile de lire sur les visages des calomniateurs que cet heureux événement n'était pour eux qu'un revers personnel, et que le triomphe de la république déconcertait leurs projets.

Mais ni Toulon enlevé, ni la Vendée détruite, ni Landau délivré, rien ne put arrêter le cours des libelles: il semblait qu'on voulût se venger de tant de succès en outrageant ceux qui y avaient coopéré. Cependant, comme on n'osait plus attaquer directement le comité de salut public, on revint au premier système, de le paralyser, en désorganisant le gouvernement et en minant tous ses appuis. On déguisa, selon l'usage, ce projet sous des prétextes très patriotiques. On commença par répéter, contre les agents nécessaires du gouvernement républicain, choisis par les patriotes et nommés par la Convention, tous les reproches qui s'appliquaient aux ministres de la cour. On enchérit sur les injures prodiguées naguère par la faction brissotine aux patriotes qui secondaient les vues du comité de salut public, et qui étaient investis de sa confiance. On renouvela la motion insensée de changer le gouvernement actuel, et d'en organiser un nouveau. Des commis du département de la guerre, accusés d'impertinence ou d'intrigue, des rixes survenues entre eux et certains membres de la Convention, les torts plus ou moins graves de plusieurs agents du conseil exécutif, et surtout les discours ou les procédés peu respectueux de quelques-uns d'entre eux à l'égard de quelques représentants du peuple: tels étaient les prétextes dont on se servait pour tout entraver, pour tout bouleverser, pour arrêter le cours de nos succès, pour rassurer les ennemis de la république, pour encourager tous les anciens complices des Dumouriez et des Custine, en avilissant le ministère actuel, et en portant le découragement dans le coeur de tous les patriotes appelés à concourir au salut de la patrie.

Quel était leur but? De porter le découragement dans le coeur de tous les patriotes appelés à concourir au salut de la patrie, de les remplacer par de nouveaux Dumouriez et par de nouveaux Beurnonville, afin d'arrêter le cours de nos succès, et de rassurer les ennemis de la France par le spectacle de nos divisions et de notre folie.

En effet, quel temps choisissait-on pour déclamer contre le gouvernement, et particulièrement contre l'administration de la guerre? Celui où nos armées victorieuses faisaient oublier les époques de l'histoire les plus fécondes en exploits militaires. Pouvait-on avouer plus clairement avec quel chagrin on avait vu le succès de nos armes, victorieuses de l'Europe? La Convention, trompée par ces tristes déclamateurs, semblait regarder comme un triomphe d'écraser un commis de la guerre ou un officier de l'armée révolutionnaire. Non contente de venger l'humanité outragée, elle vengeait encore les querelles de Philippeaux. Avec quelle perfidie ils la faisaient descendre à ces débats scandaleux et à de honteuses divisions, dans le moment où elle devait se montrer si imposante à toute l'Europe!

Et quels sont les auteurs de ce système de désorganisation? Ce sont des hommes qui tous ont un intérêt particulier et coupable à renverser le gouvernement républicain, de manière qu'on ne trouve guère, parmi les ennemis du comité de salut public et de ses coopérateurs, que des fripons démasqués, dont la sévérité contraste ridiculement avec les rapines que la voix publique leur reproche:

C'est un Dubois-Crancé, accusé d'avoir trahi les intérêts de la république devant Lyon;

C'est Merlin, fameux par la capitulation de Mayence, plus que soupçonné d'en avoir reçu le prix:

C'est Bourdon, dit de l'Oise; c'est Philippeaux; ce sont les deux Goupilleau, tous deux citoyens de la Vendée; tous ayant besoin de rejeter sur les patriotes qui tiennent les rênes du gouvernement, les prévarications multipliées dont ils se sont rendus coupables durant leur mission de la Vendée;

C'est Maribon, dit Montaut, naguère créature et partisan déclaré du ci-devant duc d'Orléans; le seul de la famille qui ne soit point émigré, jadis aussi enorgueilli de son titre de marquis et de sa noblesse financière qu'il est maintenant hardi à les nier; servant de son mieux ses amis de Coblentz dans les sociétés populaires, où il vouait dernièrement à la guillotine cinq cents membres de la Convention nationale; cherchant à venger sa caste humiliée par ses dénonciations éternelles contre le comité de salut public et contre tous les patriotes.

(lacune dans le manuscrit) [C'est Fabre-d'Eglantine]...Des principes, et point de vertus; des talents, et point d'âme; habile dans l'art de peindre les hommes, beaucoup plus habile dans l'art de les tromper, il ne les avait peut-être observés que pour les exposer avec succès sur la scène dramatique; il voulait les mettre en jeu, pour son profit particulier, sur le théâtre de la révolution: connaissant assez bien les personnages qui marquaient dans tous les partis, parce qu'il les avait tous servis ou trompés, mais affectant de se tenir à côté des plus zélés défenseurs de la liberté; se tenant à l'écart avec un soin extrême, tandis qu'il faisait agir les autres à leur insu, moins encore pour cacher ses intrigues que pour les soustraire à la défaveur de sa mauvaise réputation, seul préservatif contre son caractère artificieux; mais compromettant le succès de ses intrigues politiques par le scandale de ses intrigues privées, et nuisant à son ambition par sa sordide avarice. Placé au centre des opinions diverses et des factions opposées, il travaillait avec assez d'habileté à en diriger les résultats vers son but particulier: des intérêts de plus d'un genre l'attachaient au projet de renverser le gouvernement actuel. Fabre a un frère digne de lui, dont il voulait absolument faire un général; c'est pour cela qu'à diverses époques il avait courtisé Beurnonville, ensuite intrigué pour faire nommer Alexandre et perdre Bouchotte. Un motif plus puissant encore le portait à cabaler contre le comité de salut public et contre le ministre de la guerre: sans compter le désir ambitieux de placer à la tête des affaires ses amis et lui-même, il était tourmenté par la crainte de voir la main sévère des patriotes déchirer le voile qui couvrait ses criminelles intrigues et sa complicité dans la conspiration dénoncée par Chabot et Bazire.

De là, le plan conçu par cette tête féconde en artifices d'éteindre l'énergie révolutionnaire, trop redoutable aux conspirateurs et aux fripons; de remettre le sort de la liberté entre les mains du modérantisme: de proscrire les vrais amis de la liberté, pour provoquer une amnistie, en forçant les patriotes même à la désirer, et, par conséquent, de changer le gouvernement, dont les principes connus étaient de réprimer les excès du faux patriotisme, sans détendre le ressort des lois vigoureuses, nécessaires pour comprimer les ennemis de la liberté.

Telle fut la source principale des dissensions et des troubles qui, dans les derniers temps, agitèrent tout à coup la Convention nationale. Fabre et ses pareils avaient jeté un oeil observateur sur cette auguste assemblée, et ils avaient cru y trouver les éléments nécessaires pour composer une majorité conforme à leurs vues perfides.

Fabre ne doutait pas d'abord que les anciens partisans de la faction girondine ne fussent prêts à saisir l'occasion de se rallier à toute secte anti-civique, et d'accabler les patriotes que leurs chefs avaient proscrits. Il comptait sur tous les hommes faibles; il comptait sur ceux des représentants du peuple qui étaient assez petits pour regarder la fin de leur mission comme une injure, ou qui ne pouvaient pardonner au comité de salut public les fautes dont ils s'étaient rendus coupables. Il comptait sur l'ambition des uns, sur la vanité des autres, sur les ressentiments personnels de ceux-ci, sur la jalousie de ceux-là. Il comptait particulièrement sur les terreurs de ceux qui avaient partagé ses crimes; il se flattait même d'intéresser au succès de son plan la vertu des bons citoyens, offensés de certains abus, et alarmés de certaines intrigues dont ils n'avaient point approfondi les véritables causes.

Le moment sans doute était favorable pour prêcher une doctrine lâche et pusillanime, même à des hommes bien intentionnés, lorsque tous les ennemis de fa liberté poussaient de toutes leurs forces à un excès contraire; lorsqu'une philosophie vénale et prostituée à la tyrannie oubliait les trônes pour renverser les autels, opposait la religion au patriotisme, mettait la morale en contradiction avec elle-même, confondait la cause du culte avec celle du despotisme, les catholiques avec les conspirateurs, et voulait forcer le peuple à voir dans la révolution, non le triomphe de la vertu, mais celui de l'athéisme; non la source de son bonheur, mais la destruction de toutes ses idées morales et religieuses; dans ces jours où l'aristocratie, affectant de délirer de sang-froid, croyait forcer le peuple à partager sa haine pour l'égalité, en attaquant les objets de sa vénération et de ses habitudes; où le crime de conspirer contre l'Etat se réduisait au crime d'aller à la messe, et où dire la messe était la même chose que conspirer contre la république.

La république était alors déchirée entre deux factions, dont une paraissait incliner à un excès d'énergie, l'autre à la faiblesse; factions opposées en apparence, mais unies en effet par un pacte tacite, et dont les chefs avaient le secret de les diriger par l'influence des tyrans étrangers; factions qui, par leurs crimes mutuels, se servaient réciproquement d'excuse et de point d'appui, et qui, par des routes opposées, tendaient au même but, le déchirement de la république et la ruine de la liberté.

Fabre prétendait faire la guerre à celle qui fut appelée, assez légèrement, ultra-révolutionnaire. Voulait-il la détruire? Non; il ne voulait qu'en faire le prétexte de ses propres machinations et le point d'appui de son système perfide. Le vit-on jamais dénoncer les grands conspirateurs qui ont tour à tour déchiré la république? quelle résistance a-t-il opposée à ce dernier complot où il était initié, dont le but était de mettre la liberté aux prises avec la religion? ne l'eût-il pas favorisé, même pour son compte? Il a dénoncé clandestinement le nommé Proli, et il dînait avec lui.

Comment un coupable tremblant devant son crime peut-il poursuivre d'autres coupables? Les fripons de tous les partis se connaissent, se craignent et se ménagent mutuellement; ils laissent combattre les hommes purs, et cherchent ensuite à usurper les fruits de la victoire.

Que voulait-il? Gagner la confiance des patriotes, en leur dénonçant des abus véritables et quelques intrigues subalternes; confondre ensuite, avec ces intrigants, les vrais patriotes, dont il voulait se défaire; répandre des nuages épais sur les trames contre-révolutionnaires, dont il était un des principaux artisans; donner le change à l'opinion publique, et surtout à la Convention nationale, sur le but des conspirations et sur leurs chefs; frapper les imaginations d'un grand danger, et détourner ensuite les soupçons et la sévérité de la Convention contre des personnages insignifiants, et contre les patriotes qu'il voulait perdre.

Quel est le résultat de tontes ces confidences mystérieuses, de toutes .ces dénonciations sourdes? quels sont ces ennemis redoutables qui conspirent depuis si longtemps contre la république? C'est un adjoint de Bouchotte; c'est le commandant d'un escadron de l'armée révolutionnaire; c'est le commandant de l'armée révolutionnaire, nommé par le comité de salut public, sur la proposition de Bouchotte, revêtu de la confiance des représentants du peuple à Ville-Affranchie. Voilà la première et la dernière dénonciation de Fabre-d'Eglantine, voilà le fruit de toutes les recherches précieuses de ce défenseur inquiet de la liberté, et de cet espionnage civique qu'il a exercé si longtemps parmi les contre-révolutionnaires, et chez les amis de la république.

Mais est-ce Ronsin, est-ce Mazuel, est-ce Vincent qui sont le véritable but des attaques de Fabre et de ses adhérents? Non, ce n'est là qu'une fausse attaque; c'est contre le gouvernement qu'il dirige toutes ses forces; c'est le comité de salut public, c'est le ministre de la guerre et tous les agents fidèles du gouvernement qu'il veut atteindre.

Au moment où ce personnage si discret hasardait, pour la première fois, une dénonciation publique, il croyait avoir rempli les esprits d'assez de terreur; il croyait avoir assez artistement rassemblé les circonstances dont il voulait composer son système de calomnie.

Aussi, parcourons les débats de la Convention, à commencer par ceux où ce discret personnage se détermina à cette explosion, si contraire à son tempérament politique; voyez si tout ne se rapporte pas à ce but.

S'il dénonce Vincent, c'est pour affirmer que le foyer des conspirations est dans les bureaux de la guerre. Avec quel art il avait saisi le moment d'apprendre à la Convention qu'il existait, au comité de salut public, une lettre du représentant Isabeau à Bouchotte, où celui-ci était accusé de lui avoir écrit en termes despectueux! Un politique si réservé ne se serait pas permis une dénonciation publique, la première qu'il ait hasardée de sa vie, s'il n'avait compté sur les alliés qu'il s'était déjà assurés d'avance, et s'il n'avait pas regardé cette démarche comme un coup décisif.

Mais il avait endoctriné Philippeaux, il avait inspiré Desmoulins, il s'était associé Bourdon (de l'Oise). Aussi, quels étaient les conspirateurs auxquels Philippeaux imputait les maux de la république, et même la guerre de la Vendée? Etait-ce Biron, Brissot, Dumouriez, Beurnonville, et tous les conjurés accusés par le peuple français? Non; mais Bouchotte, Rossignol, Ronsin et le comité de salut public. Quels sont ceux que Desmoulins accuse de l'ordre de chose actuel, qui lui paraît si déplorable? Bouchotte, Vincent, Ronsin, les ministres et le comité de salut public. Que faut-il à Fabre et à ses pareils? Indulgence, amnistie. Que demande Desmoulins? Indulgence, amnistie, cessation des lois révolutionnaires, l'impunité de l'aristocratie et le sommeil du patriotisme.

Que dit Bourdon (de l'Oise) à la Convention? Il faut détruire Bouchotte, et le conseil exécutif, et le comité de salut public.

Il faut voir, dans la fameuse séance de frimaire (27 frimaire — 17 décembre 1793), le concert de quelques fripons pour tromper la Convention. C'est Laurent Lecointre qui ouvre la tranchée, en lui annonçant, avec horreur, un grand attentat commis par un agent du conseil exécutif, qui a arrêté un courrier venant de Givet.

Boursaut, l'honnête Boursaut, ajoute que le même agent a exigé, à Saint-Germain, la représentation de son passeport, et n'a pas voulu le laisser passer outre, sans l'avoir visé.

"Avais-je raison, s'écrie Bourdon, de vous dire que le conseil exécutif est une puissance monstrueuse et abominable, qui vêtit rivaliser avec la Convention nationale?" II est vrai que c'était la quatrième fois, depuis quatre jours, que Bourdon répétait cet anathème, et qu'il demandait formellement la suppression des ministres.

Charlier demande qu'on les frappe d'une manière terrible. Philippeaux dénonce un autre agent, qui, dit-il, a arrêté un paquet. Il invoque Fabre-d'Eglantine, qui, à la suite d'une terrible diatribe contre les bureaux de la guerre, fait décréter que Ronsin, Vincent et Maillard sont des contre-révolutionnaires, et mis, comme tels, en arrestation.

Pressavin veut immoler Héron, patriote connu, qui est défendu par Vadier. On décrète aussi que les membres du conseil exécutif seront mandés à la barre, pour recevoir les témoignages de l'indignation de l'assemblée. Ils paraissent, ils se justifient d'une manière aussi simple que péremptoire: Bourdon, ne pouvant les accuser, les insulte avec grossièreté.

Chaque jour cette lâche intrigue se reproduit sous des formes aussi ridicules. Tantôt on fait paraître à la barre un soldat qui se plaint de n'avoir pas été secouru, tantôt un général qui se plaint d'avoir été suspendu.

Bourdon (de l'Oise) avait dénoncé, du même coup, la commune, l'armée révolutionnaire, Bouchotte et tous les bureaux de la guerre, qu'il déclare être le véritable foyer de la contre-révolution.

Tantôt on lui fait un crime des obstacles insurmontables qui ont été apportés par d'autres à l'arrivée des secours destinés aux prisonniers de Mayence; et Bourdon lui fait un nouveau crime de s'être trop bien justifié sur ce point. Bourdon lui fait un crime, tantôt de ce que l'un de ses commis l'a dénoncé aux Cordeliers; tantôt de ce que lui, Bourdon, s'est pris de querelle avec ce commis, dans une taverne; tantôt de ce qu'il a mal dîné.

Le... paraît une brochure où d'Aubigny révèle quelques-uns des délits reprochés à Bourdon; et le lendemain, sur la motion de Bourdon, d'Aubigny est traduit au tribunal révolutionnaire par un décret, sur un prétexte si frivole, qu'un instant après, la Convention, éclairée, s'empresse de le rapporter.

Philippeaux prétend que Vincent lui a manqué de respect dans un repas, et veut que la nation entière soit insultée dans sa personne, et demande qu'on fasse le siège des bureaux de la guerre, comme Junon, pour une pareille offense, provoqua jadis le siège de Troie.

Au milieu de tous ces incidents, le comité de salut public, qui, malgré tous les efforts de la malveillance, avait proposé, établi, organisé la plus belle manufacture d'armes de l'Europe, est dénoncé par Bourdon, par Montant, par Philippeaux, sous le prétexte qu'elle n'était point encore en pleine activité; et on confie la surveillance de cette manufacture à un nouveau comité.

C'était toujours le comité de salut public qu'on attaquait, quoiqu'on se crût obligé de protester du contraire, soit en attaquant les agents qu'il employait, en divinisant ceux qu'il destituait par l'intermédiaire du ministre, en critiquant toutes ses opérations, et surtout en les contrariant sans cesse.

Fabre, Bourdon et leurs pareils, dénonçaient à la fois, comme le foyer de la contre-révolution, la commune de Paris, l'armée révolutionnaire, le conseil exécutif, le ministre de la guerre, l'assemblée électorale et le comité de salut public. On aurait cru que Brissot et ses complices étaient ressuscités; du moins, on retrouvait dans la bouche de leurs héritiers, leur langage, leur esprit, leur système: il n'y avait de changé que quelques dénominations et quelques formes.

Dans ce temps-là, en effet, les patriotes étaient partout persécutés, incarcérés; les fédéralistes, les brissotins, les aristocrates avaient arboré l'étendard de la Montagne et de la république, pour égorger impunément les Montagnards et les amis de la république. Les Philippeaux, les Bourdon étaient leurs patrons; les libelles de Desmoulins, leur évangile; Fabre-d'Eglantine et ses complices étaient leurs oracles.

Qui pouvait méconnaître leurs intentions contre-révolutionnaires, en voyant les mêmes hommes qui poursuivaient avec tant d'acharnement les anciens défenseurs de la liberté montrer tant d'indulgence pour les conspirateurs, tant de prédilection et de faiblesse pour les traîtres? Quels étaient leurs héros? un Tunck, misérable escroc, dont le nom même ne peut pas être prononcé sans pudeur; un homme décrié parmi les escrocs eux-mêmes; couvert des blessures que lui a faites, non le fer des ennemis, mais le glaive de la justice; digne compagnon d'armes et de table du procureur Bourdon; Westerman, digne messager de Dumouriez, qui, destitué, a été, au mépris des lois, reprendre le commandement d'une brigade en Vendée; qui dernièrement, contre les ordres du comité de salut public a osé distribuer aux habitants de la Vendée trente mille fusils, pour ressusciter la rébellion. Venu ensuite à Paris, sans congé, pour cabaler contre le gouvernement, avec les Bourdon, les Fabre-d'Eglantine et les Philippeaux; Westerman, absous de tous les crimes aux yeux de ces derniers par quelques succès partiels dans la Vendée, exagérés par lui-même avec une impudence rare; mais destitué par le comité de salut public, comme un intrigant dangereux et coupable; voilà l'homme que ces sévères républicains ont fait venir à la barre, comme un nouveau Dumouriez, pour le couronner des mains de la Convention nationale. Ce que la Convention n'a pas fait, depuis le règne des principes, pour les généraux qui ont vaincu à Toulon, sur les bords du Rhin et de la Moselle; pour ceux qui ont commandé les armées victorieuses des brigands de la Vendée, ils n'ont pas rougi de le faire pour ce ridicule fanfaron, pour ce coupable et lâche intrigant. Quelqu'un a eu l'impudeur de demander que la Convention nationale rendît un décret pour déclarer que Westerman a bien mérité de la patrie; on a fait taire la loi en sa faveur; on a fait décréter que, quoique destitué, il fût défendu au gouvernement de le priver de sa liberté.