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Read the book: «Correspondance, 1812-1876 — Tome 5», page 15

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DCLX
A M. ARMAND BARBÉS, A LA HAYE

Nohant, 1er janvier 1869.

Excellent ami, Je m'afflige de vous savoir si souvent malade. La destinée veut donc que vous soyez toujours martyr et que la liberté soit encore pour vous une sorte d'esclavage? C'est votre chaîne et voire gloire, puisque c'est en prison que vous avez pris ce long mal; mais ne croyez-vous pas que vous seriez mieux dans un climat plus chaud et plus sain? Vous ne voulez pas rentrer en France; mais l'Italie ne vous est pas fermée. Avez-vous des raisons sérieuses pour habiter la Hollande et croyez-vous que le voyage vous serait trop pénible?

Je pars pour Cannes dans une quinzaine. Ah! si vous étiez par là, je franchirais bien vite la frontière pour aller vous embrasser.

J'ai grand besoin, moi, d'un peu de soleil; mais je souffre sans avoir mérité l'honneur de souffrir comme vous!

Votre lettre m'arrive au moment où j'allais vous souhaiter aussi une meilleure année! Cher excellent ami, nos voeux se croisent; mes braves enfants sont bien touchés aussi de votre souvenir. Nous voudrions mettre sur vos genoux notre petite Aurore pour que vous la bénissiez. Elle est si douce et si bonne qu'elle le mériterait!

Je ne vous ai pas écrit pendant cette crise romaine; je ne sais pas jusqu'à quel point on peut s'écrire ce que l'on pense, sans que les lettres disparaissent. Cela m'est arrivé si souvent, que je me tiens sur mes gardes, le but d'une lettre étant avant tout d'avoir des nouvelles de ceux qu'on aime. Mais j'ai bien pensé à vous et nous avons souffert ensemble, je vous en réponds. L'avenir est étrange, il se présente avec des rayons, mais à travers la foudre.

Cher frère, je vous récrirai de Cannes, pour vous donner mon adresse, je passerai auparavant quelques jours à Paris.

Ayons espoir et courage quand même. La France ne peut pas périr, pas plus que l'âme qui est en nous et qui proteste à toute heure contre le néant.

Je vous aime bien tendrement et respectueusement.

G. SAND.

DCLXI
A MADEMOISELLE MARGUERITE THUILLIER, A LA BOULAINE

Nohant, 4 janvier 1868.

Ma chère mignonne, Je suis encore à Nohant, attendant pour aller à Paris et faire mon grand voyage, une éclaircie entre deux grands froids. C'est un rude hiver, et mes entrailles assez débiles ne s'en arrangeraient pas. Je pense à toi, chère petite, qui es dans un pays encore plus rigoureux. As-tu au moins réussi à te faire un nid qui se chauffe bien? Permets-moi de t'envoyer du bois pour cet hiver affreux, sous forme de papier, puisque je ne peux pas t'envoyer des arbres sur une charrette. Si tu étais dans mon voisinage, tu ne refuserais pas ce petit cadeau. Ne me le refuse donc pas: sous la forme que je suis forcée de lui donner, ou tu me ferais beaucoup de peine.

Je t'embrasse bien tendrement et te souhaite courage et santé, de toute mon âme.

Tendresses de mes enfants et un baiser de notre Aurore, qui est belle et bonne tout à fait.

Amitiés à Sandrine. Accuse-moi réception pour que je sache si la poste est fidèle.

DCLXII
A MADEMOISELLE NANCY FLEURY, A PARIS

Nohant, 16 janvier 1868.

Lina t'aura dit, chère fille, que le froid du dehors, le bien-être du dedans, et surtout le bonheur de vivre avec cette chère famille avaient ajourné mon voyage. Il l'est encore un peu, je voudrais courir et je voudrais rester; c'est un peu difficile à arranger.

Sitôt à Paris, j'irai frapper à votre porte, vous rendre en personne vos bons baisers du jour de l'an et me faire raconter les merveilles de la petite Berthe. Nous en parlions hier avec la grande Berthe41, sa marraine, qui nous a présenté son Isabelle, très grande et très gentille, mais déjà timide comme une demoiselle et baissant les yeux en tortillant sa ceinture. Aurore n'en cherche pas encore si long. Sans exagération ni prévention de grand'mère, c'est l'enfant de deux ans le plus doux et le plus égal que j'aie jamais vu. Son intelligence s'annonce aussi étonnante que son caractère. Celle-là est vraiment née en bonne lune; si le suivant ou la suivante est ausi facile à vivre, nous aurons vraiment trop de chance.

L'avenir changera-t-il cet heureux et aimable tempérament? on ne sait pas! Il y a bien une question de santé au fond de tout; mais les organisations donnent-elles leur premier mot pour le reprendre? Qu'en penses-tu, toi qui dois te préoccuper aussi beaucoup de ces questions-là?

Tu ne nous parles guère de toi. Les choses vont-elles à ton souhait? Je sais bien que, dans la famille, vous n'avez que bonheur et affection. Mais le dehors se comporte-t-il bien, et recueilles-tu le fruit de tes peines et de ses mérites?

Je ne peux te rien dire de ce que l'avenir promet à la grande famille du genre humain. Tout y va si mal, qu'on ne peut craindre rien de pire; mais se réveillera-t-on de l'insouciance avec laquelle on semble accepter tout? Je n'y comprends goutte. On a fait des révolutions pour la centième partie de ce que l'on supporte à présent!

Je t'embrasse tendrement, ma bonne mignonne, ainsi que ton père et ta mère et les chers absents. Nous avons eu ici jusqu'à dix-sept degrés de froid.

Aurore ne sortait pas et n'en a pas souffert. Je pense que Berthe n'y a guère songé. Les enfants ont l'air de ne pas s'apercevoir de ce qui nous éprouve tant.

Bon courage et bonne année!

G. SAND.

DCLXIII
A M. CHARLES PONGY, A TOULON

Golfe Jouan, 22 février 1868.

Villa Bruyères, par Vallauris.

Cher ami, Nous sommes très bien installés, très choyés, très actifs, très contents. Nous partons après-demain pour Nice, Monaco, Menton, etc. Nous serons absents trois ou quatre jours. Donc, tâchez de n'avoir affaire ici qu'à la fin de la semaine. Le vendredi, par exemple, on y est toujours. C'est le jour où madame Lamber reçoit. Pour les autres jours, il faudra que vous nous avertissiez; car nous avons assez, l'habitude de passer toute la journée dehors et assez loin. Nous ferons, en tout cas, notre possible pour courir avec vous aussi, au retour, un jour ou deux, autour de Toulon.

Bonsoir, cher enfant. Je dors debout, car j'ai bien trotté aujourd'hui.

Embrassez tendrement pour moi les deux chères fillettes.

Amitiés de Maurice et remerciements de Maxime42 pour, l'amitié que vous lui avez témoignée.

DCLXIV
A MADAME ARNOULD PLESSY, A NICE

Golfe Jouan, 7 mars 1868.

Chère fille, J'ai été deux, fois chez vous tantôt. Je vous avais donné mon après-midi; mais je n'étais pas libre du reste de la journée et le chemin de fer n'attend pas. Une grande consolation au chagrin, de ne pas vous rencontrer, c'est de savoir, que vous êtes bien; un sommeil d'enfant, un appétit superbe, voilà ce que Henriette43 m'a affirmé, et vous, ne vous ennuyez pas du Midi. Tant mieux, restez-y le plus possible et vous nous reviendrez vaillante, et en train de signer un nouveau bail avec la beauté, la jeunesse et le talent. Je pars rassuré, demain. Je suis ici depuis quinze jours et je retourné à ma, petite Lina, que nous ne voulons pas laisser seule plus longtemps, bien qu'elle nous pousse à courir et à nous amuser. Mais, sans elle, ce n'est pas si facile que ça!

Adieux donc, mignonne, et au revoir à Paris ou à Nohant. Si vous avez un congé illimité, pourquoi ne viendriez-vous pas, après le mois de mai, y continuer le printemps? Quand il fera trop chaud ici, il fera bon chez nous. Vous aviez promis avant la maladie. Il faudra tenir parole à vos vieux amis, qui vous aiment et qui sont bien heureux de vous voir sauvée.

G. SAND.

Respects et amitiés de Maurice.

DCLXV
A LA MÊME

Nohant, 15 mars 1868.

Chère fille, Nous quittions Bruyères, près Cannes, le lendemain du jour où j'ai été en vain frapper deux fois à votre porte. Nous passions trois jours à Toulon, où nous avions donné rendez-vous à de vieux amis et nous ne nous pressions pas trop de revenir, Lina nous écrivant de ne pas nous inquiéter, qu'elle en avait encore pour un grand mois. Elle se trompait! Comme nous étions en route pour Paris, elle mettait au monde une belle petite fille. En arrivant rue des Feuillantines, nous trouvons une lettre dictée par elle, où elle nous dit, tranquillement: «Je suis accouchée cette nuit et je me porte très bien.»

Sans déballer, nous repartons, et nous voila ici, trouvant la besogne faite sans nous, l'enfant bien à terme, superbe; la petite mère, qui n'a souffert que deux heures, fraîche comme une rosé et un appétit florissant. Aurore en extase devant sa petite-soeur, dont elle baise les menottes et les petits pieds.

Nous sommes donc heureux et je me dépêche de vous le dire; car vous vous réjouirez avec nous, chère fille. Tendresses de Lina et de Maurice. Guérissez vite tout à fait pour venir voir tout ce cher monde qui vous aime ou vous aimera.

G. SAND.

J'embrasse Emilie44. Je ne la savais pas avec vous, Henriette ne me l'avait pas dit.

DCLXVI
A M. ÉDOUARD CADOL, A PARIS

Nohant, 17 mars 1868.

Mon cher enfant, Une bonne nouvelle en vaut une autre. Vous avez un premier enfant, nous en avons un second. Votre lettre nous est arrivée à Cannes, après un long retard; car nous étions, Maurice et moi, en excursion à Monaco et à Menton. Il m'avait accompagnée, comptant revenir à Nohant au bout de huit jours. Puis Lina lui avait écrit: «Accompagne ta mère dans tout le voyage, j'en ai encore pour un grand mois et je ne vous attends qu'à la fin de mars.» Pourtant je ne sais quel pressentiment qu'elle se trompait nous a fait revenir le 18 à Paris, et, là, nous avons reçu une lettre d'elle, qui nous disait tranquillement: «Je suis accouchée hier soir et je me porte très bien.»

Nous sommes partis sur-le-champ, et, le matin, nous trouvions la mère et l'enfant (qui est superbe) en bon état. C'est encore une fille, très forte, bien venue à terme et que nous recevons avec joie; la première est si belle et si aimable! Notre chère Lina est forte et vaillante, et nous voilà très heureux.

Échangeons donc nos félicitations. Maurice me charge de vous embrasser et de vous dire qu'il est content de votre joie paternelle; Il la comprend si bien! il est fou de son Aurore, et se promet d'être fou de sa Gabrielle.

Bon courage et bonne chance, mon cher enfant! Lina vous félicite aussi, recevez toutes nos tendresses.

G. SAND.

DCLXVII
A MADAME JULIETTE LAMBER, A BRUYÈRES (GOLFE JOUAN)

Nohant, 23 mars 1868.

Chère enfant, Vous voulez devenir calme; si cela était possible, je vous dirais: «Vite, vite, pour votre santé, pour votre sommeil et pour votre bonheur par conséquent; car la souffrance continuelle n'arrive à être combattue que par l'amusement et ne peut arriver au bien-être de l'âme.» Mais le peut-on, môme en le voulant bien? Je sais que, pour moi, je l'ai beaucoup voulu; mais n'est-ce pas la vieillesse qui a fait le miracle? Je crois bien que oui.

Ce remède-là vous viendra, c'est un grand détachement des petites choses qui prend à son heure, quand on se laisse faire sans dépit et sans-regret. Il n'y a pas grand mérite, ce n'est qu'une affaire de bon sens. Faut-il due la jeunesse devance l'oeuvre du temps? Non; son charme est l'impressionnabilité. Restez comme vous êtes, en vous modifiant seulement un peu, pour que ce qui est de votre âge ne soit pas excessif, par conséquent douloureux. Vous êtes exaltée et passionnée; c'est bien beau et bien bon; on vous aime à cause de cela. Mais vous êtes assez riche pour vivre de vos trésors, n'essayez pas d'être millionnaire pour vous ruiner. Il me semble que vous vous affectez quelquefois par besoin de souffrir; là est l'excès. Toute qualité, toute puissance a son trop plein et c'est sur ce trop plein que votre philosophie peut agir dans une certaine mesure. Au commencement, les victoires que l'on remporte sur soi-même paraissent bien petites; insensiblement elles sont plus amples et toujours plus faciles. C'est la loi; de la force dans l'essor, toujours augmentée par l'essor même.

Je ne veux pas vous en dire davantage. Dépensez-vous, mais sans vous dévaster. Cette absence de sommeil, par exemple, n'est pas une condition de là jeunesse; donc, il y a quelque chose à refaire dans le mode d'expansion, dans les profondeurs du cerveau peut-être. Vous n'avez pas de maladie chronique. Je vous ai bien observée; vous êtes très forte et bien équilibrée. Votre insomnie est dans l'âme plus que dans le corps, si l'on peut ainsi parler de deux-choses qui n'en l'ont qu'une.

Mais, comme elles réagissent l'une sur l'autre à tout instant, il faut essayer le grand combat. Les médecins les plus matérialistes ne nient pas la possibilité de la victoire de l'esprit sur le corps. C'est peut-être aussi une condition de régime. Quand on écrit sans nerfs, on peut bien dormir après; mais il est rare que les nerfs soient en repos quand l'imagination travaille. Il faudrait donc ne pas écrire le soir, mais écrire le matin, avant le travail de Toto. Il vous resterait la journée pour vous occuper d'elle45, de votre maison, de vos amis. Vous dormiriez pour sùr à onze heures du soir, et, en vous levant à six heures du matin, vous auriez eu un repos bien suffisant: Essayez, si vous pouvez.

Je vis tout autrement; mais, si je n'avais pas de sommeil, je n'hésiterais pas à changer vite toutes mes habitudes. Le travail est un acte de lucidité. Pas de complète lucidité sans repos préalable. Pardon pour tous ces lieux communs, dont votre énergie et votre ardeur ne changeront pas l'impassible et fatale vérité!

Ma Lina ne se pique pas de calme; mais elle a de grands mouvements de vouloir et de raison qui se succèdent et se rattachent les uns aux autres après qu'une émotion vive a semblé les briser. C'est une nature rare, une grande force dans une exquise finesse. Elle est toute disposée à vous aimer, mais elle n'est pas expansive; elle est plutôt timide à première vue et observant plus qu'elle ne songe, à montrer. Elle eût été une artiste, si elle n'eut été avant tout une mère. Ce sentiment-là a absorbé toute sa vie depuis six ans. Elle y a mis toute son âme.

Nos fillettes prospèrent. Aurore s'est développée avec le printemps plus qu'elle n'avait fait dans tout l'hiver. Elle est plus impétueuse et plus capricieuse. Elle a des besoins de mouvement immodérés, tant mieux! L'autre s'annonce comme la déesse de la tranquillité, mais gare aux premières dents.

Bonsoir, ma chère mignonne; tendres baisers à Toto et à vous. Mille amitiés à Adam, qui n'est, pas un homme ordinaire. Je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai su l'apprécier. Bonté, raison, douceur et une exquise finesse, il a tout ce que j'aime et tout ce que j'estime dans le sexe à barbe. Guérissez-le vite et nous l'amenez le plus tôt possible.

Faites tous mes compliments aux personnes bienveillantes de votre entourage; — et mon souvenir à vos gentils brigasques des deux sexes.

DCLXVIII
A MADAME LEBARBIER DE TINAN, A PARIS

Nohant, 26 mars 1808.

Je suis désolée, chère amie, de vous savoir toujours malade, forcée de lutter avec tout votre courage contre la souffrance, et, si quelque chose me rassure, c'est que vous aimez le travail. C'est une seconde âme qui nous remplace les forces fatiguées et qui nous sauve là où les médecins échouent.

Oui, je serais enchantée d'avoir mon charmant filleul46. Mais je n'ai pas osé l'inviter tout de suite, sans savoir si les parents le permettraient volontiers. Chargez-vous, chère amie, de ma demande en même temps que de mes tendresses pour eux tous, et, si l'on m'accorde mon cher filleul, soyez sûrs tous que j'en, aurai soin comme de mon propre enfant. En partant de Paris sur les neuf heures du matin (il faudra savoir au bureau si les heures ne sont pas changées), il arrivera à Châteauroux vers quatre heures de l'après-midi. Il prendra la vilaine patache que l'on appelle la diligence de la Châtre, et il sera chez nous à sept heures du soir. Le conducteur s'appelle La Jeunesse! Il faudra lui dire: «Je ne vais pas jusqu'à la Châtre, je descends à Nohant.» On l'arrêtera devant la maison. Mes petites-filles, à qui je l'ai annoncé, se font déjà une fête de le voir, et il n'aura qu'à se préserver de trop de tendresses de leur part. Aurore demande si, étant mon filleul, ce Maurice n'est pas son cousin comme mes trois grands petits neveux, qu'elle adore; et, comme il ne faut pas la tromper, je lui ai dit qu'il n'était pas son parent pour cela. Alors elle a repris, «En ce cas, il sera notre ami et on le mettra dans la famille tout de même.» Je suis sûre que votre Maurice l'aimera tout de suite, car elle est singulièrement drôle et gentille; sans qu'il y ait rien de merveilleux en elle, elle a une droiture et une spontanéité de compréhension qui la rendent très intéressante. Quant à Maurice, il me paraît vivant au possible, et c'est le plus grand éloge qu'on puisse faire d'un garçon en ce temps-ci, où, à peine sortis de l'enfance, ils sont comme indifférents, blasés et sceptiques. J'espère que son père le conservera jeune. Nous ferons en sorte qu'il ne s'ennuie pas ici. Tâchez qu'il, y soit dimanche. Il verra tous mes autres garçons, qui sont presque tous très gentils et qui le mettront bien vite à l'aise.

Sur cette espérance, je vous embrasse, chère amie, et vous demande de me dire s'il y a quelque soin particulier à lui donner. Qu'il ne vienne pas la nuit, il fait trop froid et on s'enrhume affreusement. Qu'on me dise aussi combien de jours je peux le garder.

Dieu veuille qu'il m'apporte de meilleures nouvelles de vous!

G. SAND.

Dites bien à Maurice que le vieux Maurice, mon fils, l'aimera, et que ma belle-fille, qui est une adorable personne, m'aidera à le gâter.

DCLXIX
A M. HENRY HARRISSE, A PARIS

Nohant, 9 avril 18GS.

Cher ami, J'ai été encore un peu malade en arrivant ici, fatiguée surtout, bien que le voyage ne soit rien, et que je dorme en chemin de fer mieux que dans un lit. Mais je suis affaiblie cette année, et il faut que je patiente, ou que je m'habitue à n'avoir plus d'énergie vitale. Je ne souffre pas, c'est toujours ça. J'ai retrouvé ma charmante belle-fille toujours charmante, et ma petite-fille sachant donner de gros baisers, et marchant presque seule. Chère enfant! je n'ose pas l'adorer. Il m'a été si cruel de perdre les autres! Elle est forte et bien portante; mais je ne peux plus croire à aucun bonheur, bien que je paraisse toujours avec mes enfants l'espérance en personne.

Nohant est tout en feuilles et en fleurs, bien plus que Paris et Palaiseau. Il n'y fait pas froid; mais nous avons des bourrasques comme en pleine mer. Maurice a fini toutes les corrections que vous lui aviez indiquées. Il me charge de vous renouveler tous ses remerciements et de vous exprimer sa cordiale gratitude. Moi, j'ai à vous remercier toujours pour vos bonnes lettres et les détails si intéressants sur tous nos amis de lettres. Vous vivez avec délices dans cette atmosphère capiteuse. C'est de votre âge. Moi, je m'y plais complètement quand j'y suis; mais je ne sais si je pourrais y vivre toujours sans dépérir. Je suis paysan au physique et au moral. Élevée aux champs, je n'ai pas pu changer, et, quand j'étais plus jeune, le monde littéraire m'était impossible. Je m'y voyais comme dans une mer, j'y perdais toute personnalité, et j'avais aussitôt un immense besoin de me retrouver seule ou avec des êtres primitifs. Nos paysans d'alors ressemblaient encore pas mal à des Indiens. A présent, ils sont plus civilisés et je suis moins sauvage. N'importe, j'ai encore du plaisir à revoir des gens sans esprit, que l'on comprend sans effort et que l'on écoute sans étonnement. Mais je ne veux pas vous désenchanter de ce qui vous enchante, d'autant plus que je m'y laisse enchanter aussi; et de très bon coeur, quand je rentre dans le courant. Vous subissez le charme de la rue de Courcelles, à ce que je vois. Ce charme est très grand, plus soutenu, mais moins intense que celui du frère. Ces deux personnes seront infiniment regrettables, si la tempête qui s'amasse les emporte loin de nous. Mais que faire? Les révolutions sont brutales, méfiantes et irréfléchies. Je ne sais où en sont les idées républicaines. J'ai perdu le fil de ce labyrinthe de rêves, depuis quelques années. Mon idéal s'appellera toujours liberté, égalité, fraternité! Mais par qui et comment, et quand se réalisera-t-il tant soit peu? Je l'ignore. Ce que je sais, c'est que partout on entend sortir de la terre et des arbres, et des maisons et des nuages ce cri: «En voilà assez!»

Je suis tentée de demander pourquoi, bien que je voie l'impuissance de l'idée napoléonienne en face d'une situation plus forte que cette idée; mais, quand on l'a acclamée et caressée quinze ans, comment fait-on pour en revenir et s'en dégoûter en un jour? Notez que ceux qui se plaignent et se fâchent le plus aujourd'hui sont ceux qui, depuis quinze ans, la défendaient avec le plus d'âpreté. Que s'est-il passé dans ces esprits bouleversés? N'y avait-il, dans leur enthousiasme, qu'une question d'intérêt, et la peur est-elle la suprême fantaisie?

Vous ne voyez pas cela à Paris, là où vous êtes situé. Ce vieux Sénat vous impose, il vous indigne, et vous applaudissez les libres penseurs qu'on persécute. En province, on sent que cela ne tient à rien, et, généralement, on est abattu, parce qu'on méprise le parti du passé et qu'on redoute celui de l'avenir. Quelle étincelle allumera l'incendie? un hasard! et quel sera l'incendie? un mystère! Je suis naturellement optimiste; pourtant j'avoue que, cette fois, je n'ai pas grand espoir pour une génération qui, depuis quinze ans, supporte les jésuites. — J'en reviendrai peut-être. — J'attends!

Songez à votre promesse de venir nous voir.

A vous de coeur.

G. SAND.

41
  Madame Berthe Girerd.


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42
  Fils de Planet.


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43
  Femme de chambre de madame Plessy.


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44
  Madame Emilie Guyon.


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45
  Mademoiselle Alice Lamessine, aujourd'hui madame Paul Segond, fille du premier mariage de madame Edmond Adam.


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46
  Maurice-Paul Albert.


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Age restriction:
12+
Release date on Litres:
28 September 2017
Volume:
300 p. 1 illustration
Copyright holder:
Public Domain