Read the book: «Correspondance, 1812-1876. Tome 4», page 15

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CDLXXXI
A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A GENÈVE

Nohant, 8 juin 1861.

Cher fils,

Je suis à Nohant depuis quelques heures. J'ai été absente quatre mois. J'ai couru la Provence et la Savoie; la Savoie de Chambéry, un paradis! Je me porte mieux que le Pont Neuf. Je suis brûlée du soleil comme une brique. Je trouve le Berry petit, maigre, laid, mais toujours si bonhomme! Faut-il n'aimer que ce qui est orné, campé, fier et superbe? J'aime aussi ma vieille maison, et, contente d'avoir trotté sur la crête des montagnes, je suis aise de revoir, mon pays plat et mes grands horizons bleus.

Voilà mon bulletin. Maurice s'est ennuyé, à Tamaris, de voir toujours la mer sans la franchir. Il s'est envolé pour un mois en Afrique. J'ai de ses nouvelles, il est enthousiasmé. Je l'attends pourtant bientôt.

Parlons de vous. J'ai reçu votre bonne longue lettre à Tamaris (près Toulon), et, de là, je vous ai répondu; vous n'avez donc pas reçu? Vous me disiez d'écrire à Gênes. J'ai écrit à Gênes, et vous êtes sans doute déjà beaucoup plus loin. Vous me parlez moins de votre santé dans la lettre que je reçois aujourd'hui en rentrant chez moi, et qui est du 21 mai.

Vous me dites que vous allez un peu mieux. Un peu n'est pas assez. Mais je ne peux pas croire que bientôt vous n'ayez pris le dessus; si jeune, si bien organisé et si hautement doué, vous voudrez et vous pourrez. Je vous attendrai à Nohant tout l'été, et, si vous tenez votre promesse, je vous aimerai encore mieux, si c'est possible. Sur ce, je vas dormir d'un beau somme; car j'ai beaucoup de chemins de fer et de coups de sifflet, et de gares et de tunnels dans la boule; mais je n'ai pas voulu me reposer avant de vous avoir embrassé maternellement de tout mon coeur.

G. SAND.

Ah! j'oubliais de vous parler de l'Académie. Je ne sais pas pourquoi on m'a mise au concours, ni pourquoi on ne m'a pas couronnée, ni pourquoi on m'eût couronnée. Entre cet aréopage et moi, il y a un monde inconnu de considérants, de mais, de si, de parce que et de quoique auquel je n'entends et n'entendrai jamais rien. La conclusion, c'est que tout ça m'est égal et que je vis dans une planète très gentille, toute en fleurs, en rêves, où j'ai souffert, pleuré, aimé et béni le bon Dieu, en somme; et où jamais on n'a entendu parler d'Académie ni de chagrins littéraires. Vous comprenez bien ça, vous, mon enfant.

CDLXXXII
A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Nohant, 11 juin 1861.

Chère cousine,

Je suis à Nohant, bien contente de retrouver ma vieille maison tranquille, et d'avoir vu, en courant, une partie de la Savoie, un des plus beaux pays que je sache. Vous me donnez de grands regrets de n'avoir pas attendu notre ami, mais je ne pouvais plus retarder mon départ. Je vous envoie une lettre pour lui, puisque vous avez la bonté de vous en charger et que vous savez où le prendre.

J'aurais bien voulu l'entendre dire les belles choses qui vous ont charmée; car j'aime à écouter, et, avec lui, on a tout profit. Son succès parlementaire a étonné bien des gens qui se faisaient de lui une fausse idée; mais ce n'est ni vous, ni moi, ni aucun de ceux qui l'ont entendu causer, qui ont pu être surpris de la force de son raisonnement et du charme de sa parole. Il y a en lui de grandes facultés, de grandes qualités et de grandes séductions. Pourquoi une entrave inconnue, venant d'ailleurs, ou de quelques accès de secret découragement, rend-elle si rare pour lui l'occasion de frapper de grands coups? Je ne sais quelle chaîne engage souvent ce puissant et généreux esprit. Cela se perd pour moi dans la nuit des considérations politiques. Quel malheur pour lui et pour la France qu'il ne soit pas un simple publiciste ou un orateur libre de parler en toute occasion!

J'arrive chargée de plantes qui feront, j'espère, le bonheur de Lucien, si ce petit gueux persévère dans la botanique. J'ai un immense rangement à faire dans mes herbes; mais il y en a un bien pire à faire dans la maison. J'avais un affreux cabinet de travail qui me donnait le spleen, on m'en fait un nouveau, tout simple mais bien propret, où je travaillerai avec plaisir.

En attendant, je ne sais où fourrer ma personne, mes bouquins et mes paperasses. Tout cela sera arrangé pour les vacances, et vous pourrez vous asseoir dans mon atelier sans crainte d'être dévorée par les souris.

Maurice est toujours au delà des mers, enchanté de l'Algérie et me chargeant de toutes ses tendresses pour vous et pour son Lucien. Et moi, chère, je vous aime bien, et vous apprécie chaque jour davantage.

G. SAND.

CDLXXXIII
A M. VICTOR BORIE, A PARIS

Nohant, 29 juin 1861.

Monsieur et illustre professeur,

Daignez permettre à un jeune aspirant à la gloire littéraire de vous offrir la dédicace d'un humble essai, bien indigne d'être mis à vos sacrés pieds, et intitulé jadis l'Homme de campagne, aujourd'hui la Famille de Germandre, devant paraître prochainement dans le Journal des Débats.

J'espère, Monsieur et illustre agronome, que vous ne vous opposerez pas à ce que votre nom vénérable soit le passeport de mon faible essai; veuillez donc agréer l'hommage du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être,

L'AUTEUR D'André.

Mon cher vieux,

Je ris un peu pour m'étourdir: Maurice est parti d'Alger avec le prince et la princesse Clotilde pour Oran, Cadix, Lisbonne. Jusque-là, c'est charmant, c'est délicieux; mais, de Lisbonne, il est question d'aller en Amérique ou de revenir avec la princesse, à son choix et selon mon consentement. Tu penses bien que je ne peux pas ne pas pousser à ce voyage si avantageux pour Maurice en tant qu'instruction et satisfaction, et opéré dans des conditions si belles; mais le coeur crie tout bas. S'il se décide, comme c'est probable, il ne sera pas de retour avant quatre ou cinq mois peut-être. Conte cela à Lambert, et dis-lui que je compte sur vous deux pour les vacances; j'ai bien besoin de vous autres pour ne pas m'attrister; mais, du côté de Belleville, je compte leur écrire qu'en raison de l'absence de Maurice, on ne se réunira pas cette année.

J'ai vu Carabiac et Lina76 partant pour Milan.

CDLXXXIV
A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Nohant, 30 juin 1861.

Cher enfant,

Maurice me charge de vous dire qu'il est à Oran, sur le Jérôme-Napoléon; que le prince l'a pris à Alger et l'emmène à Cadix, Lisbonne et peut-être en Amérique; que, par conséquent, il n'est pas sur le chemin de Toulon et n'ira pas vous voir de sitôt, mais qu'il pense à vous tous et vous embrasse bien fraternellement.

Ce cher enfant va donc courir le monde et je m'en réjouis, malgré un peu de tristesse et d'inquiétude que je lui cache avec soin; car il reviendrait plutôt que de m'affliger, et je ne veux pas qu'il perde une si belle occasion pour voir du pays agréablement.

Dites à tous nos amis où il est, et qu'il comptait bien aller les voir, sans cet incident imprévu. Rappelez-moi aussi à tous les braves gens de la-bas.

Depuis notre arrivée, j'ai travaillé comme un diable. J'ai fini mon roman, corrigé, expédié. Je suis à présent dans le rangement botanique, et chaque plante du Midi que je revois me rappelle mes promenades, les beaux endroits que je connais si bien, le Ragas, le Coudon, Montrieux, les grès de Sainte-Anne, Dardenne, etc. Vous rappelez-vous, à Pierrefeu, le bonhomme qui labourait des pierres, et les lentilles qui poussaient quand même? et les sans-feuilles que vous n'avez pas pu baptiser en français, et les petites aspérules bleues que Solangette allait me cueillir dans le champ voisin, et tous vos prétendus muguets, etc.?—Je repasse tout cela et je leur fais la toilette. Il me semble qu'il y a déjà longtemps que je vous ai quittés, tant le milieu d'ici, le climat, la flore, les visages sont différents. L'accent provençal et son compagnon intime le mistral manquent à notre existence. Je vois toujours Bou-Maza dans les bras de Nicolas et je répète sa chanson favorite:

Nicolas, demain ta fête!

Et cette pauvre Léda? pourvu qu'à force de nous chercher, elle ne s'en aille pas trop loin et ne soit pas tuée comme vagabonde dangereuse! si elle avait l'esprit de venir jusqu'ici, je vous réponds qu'elle serait bien reçue.

Mais parlons de vous, cher enfant. La santé est-elle revenue pour rester? Il est évident qu'il y avait débilitation et qu'il faut refaire l'estomac.

Et la pauvre Solange, est-elle toujours au ban de sa classe, à cause de sa marraine? Oh! les vilaines gens que les prêtres d'aujourd'hui!… On dit que le pape est mort et qu'on le cache. Que résulterait-il de cette mort? Il eût bien dû passer à la place du pauvre Cavour!

Que fait Désirée? est-elle toujours bien fatiguée? Êtes-vous à Mer-Vive par cette chaleur? C'est une charmante femme que Désirée, une figure angélique de douceur et de distinction. Vous dites quelquefois qu'elle manque d'énergie: votre Solange en a pour deux, et il me semble que c'est très bien arrangé comme ça par le bon Dieu.—Elles doivent s'aimer d'autant plus qu'elles diffèrent, et la charmante Anaïs me paraît un bien précieux dans la famille.

Mais voilà trois heures du matin et j'espère que vous ronflez tous, même vous, qui dormez si peu, mais qui ne vous amusez pas, j'espère, à attendre le lever de la comète. Elle est un peu belle, n'est-ce pas? Quelle queue!—Elle doit se lever du côté de Saint-Mandrier, être sur Mer-Vive et Tamaris entre dix et onze heures du soir et se coucher derrière les gorges d'Ollioules, même un peu plus à gauche. Dites-moi si c'est comme ça.

Nous ne l'avons vue que ce soir. Depuis huit jours, nous avons de la pluie, à la grande joie des habitants, qui étaient à sec depuis deux mois. Je vas me coucher. Bonsoir, chers enfants. Je vous embrasse tous quatre bien tendrement.

Maurice a aujourd'hui trente-huit ans; moi, dans cinq jours, j'en aurai cinquante-sept. Voilà deux journées que nous avons rarement passées, lui et moi, sans nous embrasser. Solange, par compensation, est ici et vous envoie tous ses compliments et amitiés.

CDLXXXV
A M. VICTOR BORIE, A PARIS

Nohant, 2 juillet 1861.

Mon cher gros,

Calamatta m'a dit que l'on faisait courir un bruit que je t'autorise à démentir à l'occasion. Ce bruit, c'est que l'empereur m'avait envoyé vingt-cinq mille francs, en dédommagement du prix que m'a refusé l'Académie. Cela n'est pas. Je sais que l'intention y était, sous forme de vingt mille francs ou d'autre chose; on a été chargé de me demander si j'acceptais. J'ai été reconnaissante de l'intention; mais j'ai refusé de recevoir quoi que ce fût.

Si, dans quelque journal, on prétendait le contraire, je te prierais de m'en avertir, afin que je le démente officiellement. Avertis Emile de cela, j'ai la tête à autre chose et je n'ai pas pensé, depuis huit jours, à lui en donner avis.

CDLXXXVI
A M. ARMAND BARBES, A LA HAYE

Nohant, 11 juillet 1861.

Mon ami,

J'apprends de Londres, par Pichon, que vous avez été récemment très gravement indisposé. On pense que le climat de la Haye ne vous convient pas. Pouvez-vous hésiter à chercher un ciel plus clément pour vous? ne savez-vous pas ce que vos amis perdraient en vous perdant, et croyez-vous ne rien devoir à nous tous qui vous aimons tant? Les circonstances ont ralenti ou intercepté nos relations; mais vous n'êtes pas de ceux qui doutent, et vous savez bien que mon coeur est toujours tout à vous.

J'envoie à Paris chez Pichon, qui y sera dans peu de jours, le premier volume de l'Histoire de ma vie, qu'il m'avait retourné pour que je pusse y écrire votre nom. Il y a bien longtemps que cet ouvrage, où je vous ai consacré plusieurs pages, est chez lui, attendant l'occasion de vous parvenir.

Maurice voyage. Il doit être en route pour les États-Unis. Mais je ne vous en dis pas moins que lui aussi vous aime, car je le sais. Combien souvent nous avons parlé de vous!

Je n'ose plus vous supplier de revenir en France, craignant de vous blesser dans un parti pris, auquel pourtant votre état de santé vous permettrait bien de vous soustraire, à présent qu'on doit vous recommander l'air natal. Faites que j'aie au moins de vos nouvelles et croyez à mon inaltérable affection.

GEORGE SAND.

CDLXXXVII
A MAURICE SAND, A BORD DU JÉROME-NAPOLÉON

Nohant, 27 juillet 1861.

Cher enfant,

Je crois bien que je t'écris toujours pour rien. Tandis que tes lettres sont en route pour Nohant, tu as tout le temps de dépasser la station que tu m'indiques pour y répondre. J'envoie donc à tout hasard. Je t'ai écrit bien des lettres que tu ne recevras peut-être jamais. Mais j'ai reçu, ce matin, celle que tu m'écrivais des Açores. Que te voilà donc loin, cher garçon! Et, à cette heure, combien de centaines de lieues de plus! Enfin tu te portes bien, tu as beau temps, tu vois les choses les plus curieuses et les plus intéressantes, je reçois tes lettres, je me dis que tu es heureux et je m'arme de tout le courage possible pour ne m'inquiéter de rien. Ma santé est très bonne, malgré un été affreux, tout pareil à celui de l'année passée. Ta soeur vient de partir, elle a passé un mois ici. Nous avons Alexandre Dumas fils et Bérengère. Nous parlons bien de toi, comme tu peux croire. Je travaille toujours comme un nègre. Tu sais que c'est preuve de santé. Je te bige mille fois.

L'Exposition est finie, les récompenses sont données; rien pour toi, ni pour Lambert, ni pour Manceau.

Je vas écrire à madame Villot pour tes aquarelles; mais je doute que son mari y puisse quelque chose. Je te bige encore; quand donc sera-ce pour de vrai? Mais sois tranquille et ne t'inquiète pas. Je suis raisonnable et si heureuse de ce qui te rend heureux! Dis au prince que je lui ai écrit plusieurs fois pour toi. J'ai écrit aussi à Ferri.

CDLXXXVIII
A M. ADOLPHE JOANNE, A PARIS

Nohant, 6 août 1861.

Cher Monsieur,

J'ai reçu vos Itinéraires et je vous remercie de votre bon souvenir. Mes compliments plus que jamais sur ces excellents travaux, qu'on lit encore au coin du feu comme des livres de voyage, après s'en être servi comme de guides. Ce sont d'immenses recherches et de fatigantes études, je le comprends. Tout honneur et mince profit. Mais l'honneur est grand. Un gouvernement vraiment progressif encouragerait, aiderait ou récompenserait de telles entreprises. Ma!…

Je suis heureuse d'apprendre que vous êtes mieux portant. Je suis à peu près guérie après mille petites rechutes qui ne m'ont pas empêchée de grimper sur toutes les montagnes de la Provence et de faire, en compagnie de votre Itinéraire, une course de quelques jours en Savoie. J'ai été ravie de ce pays-là. Si vous revenez quelque jour sur les environs de Toulon, j'ai pris là bien des notes et j'y ai vu des choses magnifiques, dont aucun Itinéraire ne fait mention.

Les gorges d'Ollioules seules sont connues. Mais combien d'autres scènes plus étranges et plus grandioses à peu de distance. Mes notes sont à votre service pour une autre édition.

A vous de coeur; bon courage et bonne santé, et, si vous revoyagez, souvenez-vous de l'auberge de Nohant.

G. SAND.

Je ne vous dis rien de la part de mon fils, vu que, de l'Afrique, il a passé en Amérique! Mon Dieu, que c'est loin!

CDLXXXIX
A MAURICE SAND, A BORD DU JÉRÔME-NAPOLÉON

Nohant, 11 août 1861.

Cher enfant,

J'ai reçu ta lettre d'Halifax, et aujourd'hui madame Villot m'écrit que votre navire a été rencontré par un bâtiment qui signale votre arrivée à New-York. Elle me dit que l'on peut vous écrire encore une fois. Où? elle ne me le dit pas plus que toi et je suis toujours réduite à écrire au hasard, me désolant de l'inquiétude que tu peux avoir et ne sachant pas si M. Hubaine t'a expédié mes lettres. Cette fois, j'envoie par madame Villot. Peut-être, des huit ou dix lettres que je t'ai écrites, en recevras-tu au moins une!

Dieu veuille que tu ne sois pas inquiet, cher enfant! Je serais bien fâchée de te gâter ce beau voyage par un tourment d'esprit. Je me porte bien et je me défends de toute inquiétude pour mon compte, voulant que tu me retrouves en bon état de santé morale et physique. Je reçois tes lettres, qui me donnent du calme et du courage. Que de choses tu auras vues! que de choses âme raconter! Je n'aime pas beaucoup les brouillards où vous errez cinq ou six jours, par exemple! Enfin il faut qu'il y ait de tout cela dans votre tournée d'aventures! Ce sont des souvenirs qui s'amassent pour toi, et j'espère que tu en tiens journal, pour les retrouver dans leur ordre, et me dire tout cela clairement. Je te suis sur la carte; mais comme ce sera plus joli quand tu seras là pour me tracer la route! Tu auras passé cette année par trente-sept sortes de temps avec des saisons tout à l'envers. Pendant que tu avais froid à Terre-Neuve, on cuisait ici, et, pendant que tu grillais en Afrique, nous grelottions dans nos habits d'été.

A présent, nous avons un été superbe et nous allons tous les jours à la rivière. Dumas y allait matin et soir. Il est parti, et nous partons nous-mêmes demain pour Gargilesse (deux ou trois jours).

Nous n'avons rien de nouveau au pays. Dans la maison, rien de changé; car le mariage du jardinier et de la cuisinière n'a rien modifié au personnel. Je travaille toujours dans le même local, sauf qu'il est propre et gentil et commode. Je fais toujours de la botanique quand j'ai le temps. Nous avons eu Bérengère deux fois et elle reviendra encore. Il y a du nouveau très étrange, très heureux pour elle dans sa vie. Je te conterai ça. Solange est à Paris ou à Spa, on ne peut pas savoir.

Madame Villot a reçu des lettres de New-York: j'espère en avoir une de toi demain en passant à la Châtre. Les vieux Vergne sont venus la semaine dernière et m'ont beaucoup parlé de toi. Tout le monde t'aime et te bige. Et moi, cher enfant, je te bige mille fois et je t'aime de toute mon âme.

CDXC
A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Nohant, 11 août 1861.

Chère cousine,

Merci des bonnes nouvelles que vous me donnez. J'espère en avoir aussi demain, car cela m'arrive toujours le lendemain de votre avertissement et vous êtes bien aimable et bien-bonne de me le donner toujours. J'avais reçu une lettre d'Halifax et, jusque-là, Maurice n'avait rien reçu de moi, il était assez inquiet. Je ne sais vraiment pas si M. Hubaine s'occupe de lui expédier mes lettres, puisque Maurice me dit que tout le monde en reçoit, excepté lui. Je vous en envoie donc une, espérant que, par vous, elle arrivera, puisqu'il est écrit que vous me portez bonheur! Vous savez sans doute qu'ils ont eu d'épais brouillards et qu'ils ont dû s'arrêter deux ou trois fois le long de Terre-Neuve. Maurice trouve pourtant qu'on voyage trop vite et que le prince traverse tout comme un boulet de canon. Il n'a pas le temps de ramasser des plantes et des insectes. Il est vrai qu'il me faisait le même reproche à Toulon dans nos promenades, et Dieu sait si j'ai rien de commun avec les allures d'un projectile!

Nous avons reçu le manuscrit de Dumas, lequel Dumas est parti hier. Je ne sais pas si nous pourrons jouer cela, à cause des costumes et de la richesse du local qui nous manquent; ça demande réflexion. En attendant, nous montons une petite pièce de moi qui va paraître dans la Revue des deux mondes et qui a été écrite pour le théâtre de Nohant. Lucien y a un rôle; mais, comme il apprend plus vite que Marie et Auguste, il suffira qu'il nous arrive le 20, ainsi que vous nous l'accordez. Il y a sur le chantier une autre pièce où il aura un rôle très étendu. Il a une si belle mémoire, qu'on peut en profiter. J'espère que le plaisir de voir ce cher enfant et ceux d'ici, jeunes et vieux, s'amuser, me donnera calme et patience pour attendre mon absent.

A vous de coeur, chère cousine.

G. SAND.

CDXCI
A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 11 août 1861.

Mon enfant,

Nous avons reçu des lettres pour vous, que Marchal vous expédie avec soin. Nous avons reçu aussi le Roi et la Reine. Nous ne pouvons pas jouer ça: nous manquons de costumes, de local surtout pour des gens de si haute volée. Nous vous renvoyons le manuscrit, pour que vous voyiez vous-même si ça pourrait aller à la Revue des deux mondes. Cela ne fait pas de doute pour moi, car c'est très joli. Mais peut-être aviez-vous raison de penser qu'il vaudrait mieux y débuter par quelque chose de plus important. La lettre de Buloz, qui était dans la mienne, sans enveloppe, et que j'ai lue, doit vous engager un peu; car il y a de la bonne foi et du vrai dans ce qu'il vous dit. Je ne vois pas d'inconvénient à lui accorder la lecture de votre roman quand il sera fini. Il n'est pas homme à le critiquer, quand même il n'oserait pas le publier; c'est-à-dire qu'on peut compter sur sa discrétion, d'autant plus qu'il a le désir de vous attirer et de se bien conduire avec vous.

Nohant est si grand depuis votre départ, que nous nous sauvons pour quelques jours dans la petite baraque de Gargilesse, où nous ne vous oublierons pas pour cela; car nous parlons de vous, du matin au soir. Nous nous questionnons pour savoir quand et comment vous serez vraiment heureux, en dépit de tous vos bonheurs. Car c'est peut-être là tout le mal, une âme rassasiée! mais ça se renouvelle, une âme, une âme qu'est pas ordinaire, et nous invoquons sous toutes ses formes l'ange du renouvellement. Nous ne sommes pas forts dans nos théories ni dans nos imaginations; mais nous vous aimons, voilà ce qu'il y a de clair et de sûr.

Je ne sais si madame Villot vous a écrit. Elle ne me dit absolument rien, sinon qu'elle a envoyé exprès à Paris une personne pour chercher le manuscrit; c'est à vous de savoir si vous voulez le lui rendre au cas où elle le redemanderait, ce que je ne crois pas d'après son silence sur votre compte. Dans tous les cas, vous devriez faire faire une copie pendant que vous tenez l'original.

En attendant de vos nouvelles et la repromesse de votre retour, nous nous mettons deux pour vous embrasser tendrement. Marie vous fait une belle révérence.

G. SAND.

76.Calamatta et sa fille.
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27 July 2019
Volume:
290 p. 1 illustration
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