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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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LETTRE CCCI

A M. MURRAY

Venise, 15 novembre 1817.

«M. Kinnaird est probablement de retour en Angleterre à présent, et il vous aura donné les nouvelles que vous pouviez désirer de nous et des nôtres. Je suis revenu à Venise pour y passer l'hiver. M. Hobhouse partira probablement en décembre; mais quel jour, quelle semaine? c'est ce que j'ignore encore. Il demeure maintenant en face de moi.

»J'ai écrit hier à M. Kinnaird, me trouvant un peu inquiet et d'assez mauvaise humeur, pour lui demander des nouvelles de Newstead et des Hansons, dont je n'ai rien appris depuis son départ d'ici, excepté par quelques mots inintelligibles d'une femme inintelligible.

»Je suis aussi fâché d'apprendre l'accident arrivé au docteur Polidori, que quelqu'un peut l'être à l'égard d'un homme pour lequel il a une certaine aversion et quelque peu de mépris. Quand il sera rétabli, apprenez-moi quelle espèce de succès il a dans sa profession. – Comment diable ce pauvre garçon est-il venu se fixer ici?

Je crains que toute la science du docteur à Norwich, lui donne à peine le moyen de mettre du sel dans sa soupe.

»Je croyais qu'il allait au Brésil avec le consul danois, faire prendre des médecines aux Portugais, car ces derniers les aiment à la folie......

»Votre nouveau chant s'est étendu jusqu'à cent soixante-sept stances: – vous voyez qu'il sera long; et quant aux notes d'Hobhouse, je soupçonne qu'elles seront de dimension héroïque. Il faut faire en sorte de tenir M. M*** de bonne humeur, car il est diablement chatouilleux au sujet de votre Revue, et de tout ce qui y tient, sans en excepter l'éditeur, l'amirauté et le libraire. Je me croyais passablement auteur, quant à l'amour-propre et noli me tangere, mais je vois que ces prosateurs sont bien autre chose en fait de susceptibilité.

»Vous rappelez-vous que je vous ai parlé, il y a quelques mois, d'un marquis de Moncade, Espagnol d'un rang distingué, âgé de quatre-vingts ans, et mon proche voisin à la Mira? Eh bien! il y a six semaines environ qu'il est devenu amoureux d'une petite Vénitienne d'une bonne famille, mais sans fortune ni réputation. Il l'a prise chez lui, s'est brouillé avec tous ses anciens amis qui avaient voulu lui donner des conseils (excepté moi, qui ne lui en ai donné aucun), et a installé cette fille chez lui, en qualité de concubine actuelle et de future épouse, et maîtresse de sa personne et de ses meubles. Au bout d'un mois, pendant lequel elle s'était on ne peut plus mal conduite, il a découvert une correspondance entre elle et quelque ancien entreteneur, si bien qu'après l'avoir presque étranglée, il l'a mise à la porte, au grand scandale des galans de la ville, et avec un éclat prodigieux qui a occupé tous les canaux et cafés de Venise. Il dit qu'elle a voulu l'empoisonner, et elle dit Dieu sait quoi; mais il y a eu beaucoup de fracas entre eux. Je connaissais un peu les deux parties: – Moncade me paraissait un vieillard plein de bon sens, réputation qu'il n'a pas tout-à-fait soutenue dans cette circonstance, et la femme est plus brillante que jolie. Pour l'honneur de la religion, elle a été élevée dans un couvent; et, pour la gloire de la Grande-Bretagne, c'est une Anglaise qui a été son institutrice.

»Tout à vous.»

LETTRE CCCII

A M. MURRAY

Venise, 3 décembre, 1817.

«Une dame vénitienne, savante, et déjà un peu avancée en âge, ayant, dans ses intervalles d'amour et de dévotion, entrepris de traduire les lettres et d'écrire la vie de lady Mary Wortley Montague, entreprise à laquelle il y a deux obstacles, d'abord son ignorance de l'anglais, et ensuite son manque total de matériaux pour la biographie qu'elle se propose, s'est adressée à moi pour que je lui fournisse des faits vrais ou faux sur ce sujet intéressant. Lady Montague, je crois, a passé les vingt dernières années de sa vie et peut-être plus à Venise, ou dans ses environs; mais ici, on ne sait rien, on ne se rappelle rien, car l'histoire scandaleuse du jour est remplacée par celle du lendemain; et l'esprit, la beauté et la galanterie, qui ont pu rendre notre compatriote célèbre dans son pays, n'ont pas dû lui être ici de grands titres de distinction, – d'abord parce que le premier n'est pas nécessaire, et ensuite parce que les deux autres attributs sont communs à toutes les femmes, ou du moins le dernier. Si donc vous pouvez me donner ou me procurer quelques détails sur lady Mary Wortley Montague, je vous en serai obligé, et m'empresserai de les transmettre et de les traduire à la dama en question. Et je vous prie aussi de m'envoyer, par quelque voyageur sûr et expéditif, un exemplaire de ses Lettres, avec la pesante et ennuyeuse histoire écrite par le docteur Dallaway, et publiée par sa sotte et orgueilleuse famille.

»La mort de la princesse Charlotte a produit un ébranlement même ici: chez nous, elle doit avoir eu l'effet d'un tremblement de terre. La liste donnée par le Courrier des trois cents et quelques héritiers de la couronne (en y comprenant la maison de Wirtemberg, avec cette ***, p-de honteuse mémoire, que je me rappelle avoir vue à différens bals, pendant le séjour des Russes, en 1814), doit être bien consolante pour tous les fidèles sujets britanniques, aussi bien que pour les étrangers, à l'exception pourtant du signor Travis, riche négociant juif de cette ville, qui se plaint terriblement de la longueur du deuil en Angleterre, qui lui a fait recevoir contre-ordre pour toutes les soies dont il avait la commande pour plus d'une année. La mort de cette pauvre femme est triste sous tous les rapports: mourir à vingt ans ou environ, en couches, et en couches d'un garçon, une princesse, une reine future, et au moment où elle commençait à être heureuse, et à jouir d'elle-même et des espérances qu'elle inspirait…

»Je crois, autant que je puis me le rappeler, que c'est la première princesse royale décédée en couches, dans nos annales historiques. J'en suis affligé sous tous les rapports; je regrette la perte d'un règne féminin, et celle d'une femme qui n'avait pas encore fait de mal, et toutes les réjouissances, tous les discours, toutes les ivrogneries, toutes les dépenses de John Bull à son avènement…

»Le prince se remariera après avoir obtenu son divorce, et M. Southey composera aujourd'hui une élégie, et une ode alors. Le Quarterly aura son article contre la presse, et la Revue d'Édimbourg le sien, moitié l'un, moitié l'autre, sur la réforme et le droit du divorce; *** le Britannique vous donnera l'oraison funèbre du docteur Chalmers, accompagnée de grands éloges, et assignera une place dans les astres à la royauté défunte: – le Morning-Post a déjà fait éclater sans doute ses cris de douleur.

Malheur! malheur! Nealliny! la jeune Nealliny!

»Il y a déjà quelque tems que je n'ai eu de vos nouvelles. – Êtes-vous de mauvaise humeur? je le présume: je l'ai été moi-même; c'est à présent votre tour, et bientôt le mien reviendra.

»Votre très-sincèrement, etc.

B.

»P. S. La comtesse Albrizzi, qui revient de Paris, m'a apporté une médaille de Denon qu'il m'envoie en cadeau. – Elle a un portrait de M. Rogers, à elle appartenant, et qui est aussi de Denon.»

LETTRE CCCV 83

A M. MURRAY

Venise, 19 janvier 1818.

«Je vous envoie l'histoire en question 84, sous trois enveloppes séparées. – Elle ne conviendra pas à votre journal, étant remplie d'allusions politiques: – imprimez-la seule et sans nom d'auteur. – N'y changez rien; – faites examiner par un professeur les phrases italiennes, pour qu'il juge si elles sont correctement imprimées (car vos imprimeurs me rendent malade par les bévues qu'ils ne cessent de faire), et-que Dieu soit avec vous. Hobhouse a quitté Venise il y a près de quinze jours: je n'ai eu aucune nouvelle de lui.

»Votre, etc.

»Il a tout le manuscrit, ainsi mettez-vous en prière dans votre arrière-boutique ou dans la chapelle de l'imprimeur.»

Note 83: (retour) On a cru devoir retrancher la lettre 303e, qui ne renfermait que des lieux-communs, et la 304e, qui n'a rien de remarquable, même en anglais, que la facilité de l'auteur à joindre des rimes, et dont la traduction eût été d'une platitude insupportable au lecteur. (Note du Trad.)

Note 84: (retour) Beppo.

LETTRE CCCVI

A. M. MURRAY

Venise, 27 janvier 1818.

«Mon père, c'est-à-dire mon père arménien, – le père Pascal, au nom de tous les autres pères de notre couvent, vous envoie les feuilles ci-incluses, avec ses salutations.

»Les traducteurs des passages long-tems perdus et retrouvés depuis peu, du texte d'Eusèbe, ayant jugé à propos de faire paraître le prospectus dont vous trouverez ci-jointes six copies, vous y êtes sollicité de leur procurer des souscripteurs dans les deux universités, parmi les savans, et parmi les ignorans qui voudraient se défaire de leur ignorance: – c'est de quoi le couvent vous prie, ce dont je vous prie, et, à votre tour, priez-en les autres.

»Je vous ai envoyé Beppo, il y a quelques semaines. – Il faut le publier séparément; il y a dedans de la politique et de la hardiesse, il ne vaudra donc rien pour votre journal, qu'on peut comparer à un isthme.

»M. Hobhouse, à moins qu'il ne se soit cassé le cou au milieu des Alpes, doit maintenant nager entre Calais et Douvres, avec un juste-au-corps de liége, tenant mes commentaires de la main droite et sa cotte de mailles entre ses dents.

»On est dans le fort du carnaval, et je suis dans la fièvre et les tourmens d'une nouvelle intrigue, je ne sais précisément avec qui, sinon qu'elle est insatiable d'amour, et ne veut pas d'argent; qu'elle a les cheveux blonds et les yeux bleus, ce qui n'est pas commun ici; que je l'ai rencontrée au bal masqué, et que, quand elle est sans masque, je suis aussi sage que jamais. Je ferai ce que je pourrai du reste de ma jeunesse.»..............

 

LETTRE CCCVII

A M. MOORE

Venise, 2 février 1818

«Votre lettre du 8 décembre n'est arrivée qu'aujourd'hui, par quelque délai assez ordinaire, mais inexplicable. Votre malheur domestique est terrible, et je le sens avec vous autant que j'ose sentir. Dans le cours de la vie, vos pertes seront les miennes et vos plaisirs les miens; et si même toute la sensibilité de mon cœur venait à se tarir, il y aurait encore au fond de ce cœur desséché une larme pour vous et vos chagrins.

»Je puis comprendre ce que vous souffrez, car (l'égoïsme étant toujours ce qui domine dans notre maudite argile) je suis fou moi-même de mes enfans. Outre ma petite fille légitime, j'en ai fait une illégitime depuis, sans parler d'une autre qui existait auparavant 85, et je vois dans ces derniers les appuis de ma vieillesse, en supposant que j'atteigne jamais, ce qui, j'espère, n'arrivera pas, cette époque désolante. J'ai un grand amour pour ma petite Ada, qui peut-être me tourmentera elle aussi comme ***.

Note 85: (retour) Ceci peut être le sujet du poème qui a été donné p. 402 du tome V.

»La dédicace que vous m'offrez m'est aussi agréable que vous pouvez le souhaiter. – Je m'inquiète fort peu de ce que les misérables dont se compose le monde peuvent penser de moi: – tout cela est passé; – mais je tiens beaucoup à l'opinion que vous en pouvez avoir. Après cela, dites-en ce que vous voudrez; vous savez que je ne suis pas d'un caractère insociable, et si quelquefois je suis un peu farouche, cela dépend des circonstances. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas grand mérite à être de bonne humeur en votre société; il faudrait faire un effort ou être atteint de folie pour qu'il en soit autrement.

»Je ne sais pas ce que Murray peut avoir dit ou cité 86. J'ai appelé Crabbe et Sam les pères de la poésie actuelle, et j'ai dit que je croyais qu'excepté eux, nous autres jeunes gens étions tous dans une fausse route; mais je n'ai jamais dit que nous ne naviguions pas bien. L'admiration et l'imitation seront fatales à notre gloire (quand je dis notre, je veux parler de nous tous, y compris les disciples de l'école du Lac, excepté le postscriptum des Augustins). La nouvelle génération, par le nombre et la facilité des imitations, se cassera le cou en tombant de notre Pégase qui s'enfuira avec nous. – Quant à nous, nous nous tenons en selle, parce que nous avons dompté le coquin, et que nous savons monter à cheval; – mais quoique facile à monter, c'est le diable à conduire: aussi le premiers devront-ils aller à l'école d'équitation et au manège pour apprendre à diriger le «grand cheval.»

Note 86: (retour) Ayant lu par hasard, dans une de ses lettres à M. Murray, le passage dans lequel il déclare faux et mauvais le système poétique sur lequel le plus grand nombre de ses contemporains, et lui-même, fondaient leur réputation, je saisis cette occasion de le plaisanter un peu dans ma première lettre sur cette opinion, et les motifs qui l'avaient fait naître. «C'était sans doute (osai-je lui dire) une excellente tactique à lui, qui s'était assuré l'immortalité dans ce genre de littérature, de nous couler ainsi à fond, nous autres pauvres diables, qui nous étions embarqués avec lui. Dans le fait, ajoutai-je, il se conduisait à notre égard à-peu-près comme le prédicateur méthodiste, qui disait à sa congrégation: Vous croyez peut-être qu'au jour du jugement vous arriverez au ciel eu vous rattachant aux pans de mon habit, mais je vous attraperai tous, car je porterai un spencer, je porterai un spencer.»

»À propos de chevaux, j'ai transporté les miens, qui sont au nombre de quatre, sur le lido (ce qui veut dire plage en anglais) qui s'étend à une dizaine de milles le long de l'Adriatique, et commence à un mille ou deux de la ville, de sorte que non-seulement je me promène en gondole, mais je puis aussi tous les jours galopper, pendant quelques milles, le long d'un rivage solide et solitaire, depuis la forteresse jusqu'à Malamocco, – ce qui contribue considérablement à entretenir ma santé et ma vivacité.

»Je n'ai presque pas fermé l'œil de la semaine. Nous sommes dans toute la frénésie des derniers jours du carnaval, et il faut que je passe cette nuit ainsi que celle de demain. J'ai eu quelques aventures de masques assez drôles pendant le carnaval; mais comme elles ne sont pas encore terminées, je n'en dirai pas davantage. J'exploiterai la mine de ma jeunesse jusqu'aux dernières veines du minerai, et puis-bonsoir; – j'aurai vécu: cela me suffit.

»Hobhouse est parti avant le commencement du carnaval, de sorte qu'il n'a eu que peu ou pas de plaisir. – D'ailleurs il faut quelque tems pour connaître à fond les Vénitiennes; mais je vous en dirai davantage plus tard à ce sujet dans quelqu'autre de mes lettres.

»Il faut que je m'habille pour la soirée; il y a opéra et redoute, et je ne sais plus quoi, sans compter les bals. – Ainsi donc, toujours tout à vous.

»P. S. J'envoie cette lettre sans l'avoir relue, ainsi excusez les fautes qui s'y trouvent. Je suis enchanté de la célébrité et de la vogue de Lalla, et vous félicite encore une fois d'un succès si bien mérité.»

On ne lira sans doute pas sans intérêt le récit suivant des promenades au Lido, dont il parle dans cette lettre. Ces détails m'ont été communiqués par un monsieur qui le voyait beaucoup à Venise.

«Presque aussitôt après le départ de M. Hobhouse, Lord Byron me proposa de l'accompagner dans ses promenades à cheval sur le Lido. On distingue surtout par ce nom une des longues îles étroites qui séparent de l'Adriatique la lagune au milieu de laquelle s'élève Venise. A l'un des bouts est une fortification qui, avec le château de Saint-Andréa, situé à l'autre extrémité, défend l'entrée la plus voisine de la ville du côté de la mer. En tems de paix, cette fortification est presque démantelée, et Lord Byron y avait loué du commandant une écurie, dont on ne se servait pas, pour y loger ses chevaux. La distance jusqu'à la ville est fort peu considérable: elle est beaucoup moindre que pour gagner la terra firma, et jusque-là le lieu n'était pas mal choisi pour monter à cheval.

»Tous les jours, quand le tems le permettait, Lord Byron venait me chercher dans sa gondole, et nous trouvions les chevaux qui nous attendaient à l'extérieur du fort. Nous allions jusqu'où nous pouvions le long du rivage, et puis sur une espèce de chaussée qui a été élevée là où l'île devient très-étroite, jusqu'à un autre petit fort à moitié chemin environ de la principale forteresse dont j'ai déjà parlé et de la ville ou village de Malamocco, qui est près de l'autre extrémité de l'île. La distance qui sépare les deux forts peut être de trois milles.

»Sur la chaussée du côté de la terre, et non loin du plus petit fort, il y avait une borne qui marquait probablement la séparation de quelque propriété, tout le côté de l'île qui avoisine la lagune étant coupé en jardins potagers pour la culture des légumes qui approvisionnent les marchés de Venise. Lord Byron m'a souvent répété qu'il voulait que je le fisse enterrer sous cette pierre, s'il venait à mourir à Venise ou dans ses environs, pendant que j'y résidais moi-même; et il me parut penser que, quoiqu'il ne fût pas catholique, le gouvernement ne pouvait mettre aucun obstacle à ce qu'il fût enseveli dans un coin de terre qui n'était pas consacré, près du rivage de la mer. Mais, dans tous les cas, je devais ne me laisser arrêter par aucune des difficultés qu'on pouvait élever sur ce point; et surtout, me répéta-t-il souvent, ne pas permettre que son corps fût transporté en Angleterre, ni que personne de sa famille se mêlât de ses funérailles.

»Rien n'était plus délicieux pour moi que ces promenades au Lido. Nous mettions une demi-heure, trois quarts d'heure à traverser l'eau, pendant lesquels sa conversation était toujours amusante et pleine d'intérêt. Quelquefois il emportait avec lui un nouveau livre qu'il avait reçu, et m'en lisait les passages qui l'avaient le plus frappé. Souvent il me répétait des stances entières de l'ouvrage qu'il écrivait, telles qu'il les avait composées dans la soirée de la veille, et ceci était d'autant plus intéressant pour moi, que j'y retrouvais souvent quelque pensée qu'il avait omise dans notre conversation du jour précédent, ou quelque remarque dont il était évident qu'il essayait sur moi l'effet. De tems en tems aussi il me parlait de ses affaires personnelles, et me faisait répéter tout ce que j'avais entendu dire de lui, me priant de ne pas l'épargner, et de lui apprendre sans ménagement tout ce qu'on avait pu imaginer de pis.»

LETTRE CCCVIII

A M. MURRAY

Venise, 20 février 1818.

«J'ai des remerciemens à faire à M. Croker, ainsi qu'à vous, pour le contenu du paquet qui m'est arrivé beaucoup plus promptement qu'aucun autre, à cause de la précaution obligeante de M. Croker, et de l'air officiel des sacs. Tout m'est parvenu en bon état, à l'exception des bouteilles de magnésie, dont deux seulement sont arrivées entières, les autres ayant été cassées par le frottement. Mais il n'importe; tout est au mieux, et je vous suis extrêmement obligé.

»Quant aux livres, je les ai lus, ou pour mieux dire, je les lis. – Quel peut être, je vous prie, ce sexagénaire dont le comérage est si amusant? Dans plusieurs de ses esquisses, j'ai reconnu particulièrement Gifford, Mackintosh, Drummond, Dutens, H. Walpole; mesdames Inchbald, Opie, etc., etc., ainsi que les Scott, les Loughborough, et les plus célèbres dans le clergé et le barreau. – Il y a de plus quelques allusions plus courtes à des écrivains connus, et quelques lignes sur certain noble auteur, représenté comme sceptique et malin, suivant la bonne vieille histoire: «ainsi qu'il en fut dans le commencement qu'il en est à présent, mais qu'il n'en sera pas toujours.» Connaissez-vous l'individu en question, maître Murray? Hein? et dites-moi aussi, je vous prie, lequel est désigné pour vous, de tous ces libraires? Est-ce le sec, le sale, l'honnête, l'opulent, le pointilleux, le magnifique, ou le fat? Ventrebleu! l'auteur devient un peu grossier en approchant de son grand climatérique.

»Les Revues m'ont fort amusé. – Il faut être aussi éloigné de l'Angleterre que je le suis pour goûter, dans tout son entier, l'attrait de ces feuilles périodiques: c'est comme de l'eau de Soda pendant un été italien. Mais combien vous êtes cruel envers lady ***! Vous devriez vous rappeler qu'elle est femme, et quoiqu'il faille convenir qu'elles sont de tems en tems bien impatientantes; cependant, comme auteurs du moins, elles ne peuvent faire grand mal, et je trouve qu'il est dommage de perdre avec elles tant d'invectives piquantes, quand nous autres, jacobins, nous offrons un si beau champ. C'est peut-être la critique la plus amère qui ait jamais été faite, et il y a de quoi donner au docteur terriblement de besogne, en qualité de mari et d'apothicaire, à moins qu'elle ne dise comme Pope, en parlant d'une attaque qu'il avait reçue: «Cela me vaut une prise de corne de cerf.»

»J'ai reçu dernièrement des nouvelles de Moore, et j'ai appris avec chagrin la perte qu'il a faite. – C'est ainsi que vont les choses-«Medio de fonte leporumau pinacle de la gloire et du bonheur, voilà, comme à l'ordinaire, un malheur qui lui arrive.

».......................................

M. Hoppner, que j'ai vu ce matin, est devenu père d'un très-beau petit garçon; la mère et l'enfant vont tous deux très-bien. En ce moment Hobhouse doit être près de vous, et vous devez aussi avoir reçu certains paquets et lettres de moi, envoyés depuis son départ. Je n'ai pas été en bonne santé du tout, depuis huit jours. Mes souvenirs à Gifford et à nos amis.

»Votre, etc.

»P. S. D'ici à un mois ou deux, Hanson sera probablement obligé de m'envoyer un commis avec des actes à signer (Newstead ayant été vendu, en novembre dernier, 94,500 liv. sterl.). Dans ce cas, je vous prie de m'envoyer, par cette occasion, une nouvelle provision des objets que vous avez coutume de me faire passer, et que je prie M. Kinnaird de vouloir bien payer avec les fonds qu'il a dans sa banque, en les portant en déduction sur le compte que j'ai avec lui.

 

»2e P. S. Demain je vais voir Otello, opéra tiré de notre Othello, et l'un des meilleurs de Rossini, dit-on. – Il sera curieux d'assister, à Venise même, à la représentation du conte vénitien, et de voir ce qu'on aura fait de Shakspeare en musique.»