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Read the book: «Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F)», page 24

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Tout porte à croire que les plans des grandes églises, et des cathédrales du commencement du XIIIe siècle notamment, avaient été conçus avec l'idée d'élever une tour carrée sur les quatre piliers de la croisée. Plusieurs de nos grandes cathédrales ont possédé ou possèdent encore ces tours carrées. Amiens, Reims, Beauvais ont eu leur tour de maçonnerie sur le milieu du transsept; Rouen, Laon, Bayeux, Évreux, Coutances, les ont conservées en tout ou partie. Mais soit que l'argent manquât, soit que les architectes aient reculé devant le danger de trop charger les piles isolées des transsepts, presque partout ces tours ne furent point achevées ou furent couronnées par des flèches en charpente recouvertes de plomb, qui, malgré leur poids considérable, étaient loin de charger autant les parties inférieures que l'eût fait une construction de pierre. Quelques cathédrales cependant ne paraissent pas avoir jamais dû recevoir sur la croisée des tours en maçonnerie. Paris, Chartres, Soissons n'en présentent aucune trace, non plus que Senlis, Meaux et Bourges, par la raison que ces derniers monuments avaient été conçus sans transsept. À défaut de tours de maçonnerie sur la croisée des églises, on eut l'idée d'élever de grands clochers de charpente se combinant avec les combles. Notre-Dame de Paris possédait une flèche en bois recouverte de plomb, qui datait du commencement du XIIIe siècle. Cette flèche, démolie il y a cinquante ans environ, était certainement la plus ancienne de toutes celles qui existaient encore à cette époque; sa souche était restée entière, à l'intersection des combles, jusqu'à ces derniers temps. Or, des flèches de charpente, la partie la plus importante, celle qui demande le plus d'études et de soins, au point de vue de la construction, est la souche. Aussi avons-nous relevé exactement ces débris de l'ancien clocher central de Notre-Dame de Paris, avant de les enlever pour y substituer la charpente nouvelle, qui, du reste, est établie d'après le système primitif.


Voici en quoi consiste ce système (10): AB, AB étant les quatre piliers du transsept et CD les faîtages des deux combles se coupant à angle droit; la flèche, au-dessus des combles, est établie sur plan octogone, ses angles étant posés sur les faîtages des deux combles et dans les quatre noues. La base octogonale est portée par deux fermes diagonales AA, BB, se rencontrant en un seul poinçon G qui est l'arbre vertical de la flèche; de plus, les quatre angles I sont maintenus dans les plans verticaux AA, BB, au moyen de grandes contre-fiches IA, IB. Ces contre-fiches, se rencontrant en K, forment ainsi les arbalétriers de quatre fermes inclinées KAB, dont les sommets K soutiennent les quatre angles L de l'octogone. Par ce moyen, les huit angles de la flèche sont portés directement sur des fermes, et le roulement de tout le système est arrêté par les contre-fiches croisées IA, IB.

Il faut savoir que ces charpentes fort élevées périssent toujours par suite d'un mouvement de torsion qui se produit de proche en proche de la base au faîte. En effet, les bois ne peuvent rentrer en eux-mêmes, ils ne se raccourcissent pas; l'effort des vents, le poids finissent par fatiguer un point plus faible que les autres; tout l'effort se produit dès lors sur ce point, et il se fait un mouvement de rotation qui brise les assemblages, courbe les bois et entraîne la ruine de la charpente. Le système adopté pour la souche de la flèche de Notre-Dame de Paris a pour résultat de faire que, non-seulement la torsion de la base est rendue impossible par le croisement des contre-fiches, mais encore que chaque angle de l'octogone reporte sa charge sur deux et même trois piles. Les angles L portent sur les deux piles AB, et les points I sur trois piles ABB ou BAA. Ce système a donc encore cet avantage que, quand la pression du vent agit sur un côté, il y a toujours au moins deux piles du transsept qui reçoivent la charge supplémentaire occasionnée par cette pression.

Examinons, maintenant que ce système est connu, l'application qu'on en avait fait à Notre-Dame de Paris. Les piles du transsept de la cathédrale ne forment point un carré, mais un quadrilatère assez irrégulier, ce qui ajoutait à la difficulté d'établir une charpente reposant sur quatre points seulement et supportant une pyramide à base octogone.



La fig. 11 donne la projection horizontale de la souche de cette flèche, en supposant la section faite au-dessus du faîtage des combles; les pièces AB sont les grandes contre-fiches qui portent à la fois les poteaux C au point de leur croisement et les poteaux D qu'ils viennent en même temps contre-butter. Ces contre-fiches AB sont maintenues rigides par de fortes moises horizontales EG, serrées au moyen de clefs de bois; de sorte que les triangles CEG sont des fermes inclinées auxquelles les poteaux CH servent de poinçons. Deux grandes fermes diagonales IK portent directement quatre des angles de l'octogone.



Nous donnons (12) l'une de ces deux grandes fermes diagonales, qui se composent d'un entrait armé portant sur le bahut en maçonnerie et soulagé par de fortes potences dont le pied A s'appuie sur les têtes des piles en contre-bas de ce bahut; de deux arbalétriers CD et de sous-arbalétriers courbes EF s'assemblant dans le poinçon central, l'arbre de la flèche. Les grandes contre-fiches AG sont des moises. Les poteaux principaux formant l'octogone de la flèche sont triples de H en I, c'est-à-dire composés d'une âme et de deux moises. Les poteaux de contre-forts KL sont simples et assemblés à mi-bois dans les arbalétriers CD. On remarquera que ces poteaux sont fortement inclinés vers l'arbre principal. Les poteaux contre-forts KL étaient primitivement buttés par de grandes contre-fiches ML, lesquelles se trouvaient au-dessus des noues et présentaient une côte saillante décorée jadis au moyen des moises pendantes OP recouvertes de plomb et accompagnées de pièces de bois découpées dont les débris R ont été retrouvés. Le poteau S, qui se combinait avec cette décoration et qui était resté en place, formait la tête de ce système d'étaiement, visible au-dessus des quatre noues. Un chapiteau V sculpté dans le poinçon central donnait la date exacte de cette flèche (commencement du XIIIe siècle) 499. À une époque assez ancienne, ces étais visibles et décorés placés dans les noues, si nécessaires à la solidité de la flèche, avaient été enlevés (probablement parce qu'ils avaient été altérés par le temps, faute d'un bon entretien); ce qui a dû contribuer à fatiguer les arbalétriers qui, alors, avaient à porter toute la charge des poteaux KL.



La fig. 13 donne l'enrayure au niveau T, et la fig. 14 l'enrayure au niveau X.



La fig. 15 permet de saisir la disposition des grandes contre-fiches AB du plan fig. 11. On voit comment ces contre-fiches soutiennent, à leur croisement G, les poteaux CH, comment elles s'assemblent à la tête dans les poteaux DK en D, comment les moises horizontales EF serrent et ces contre-fiches et l'extrémité inférieure des poteaux CH, comment le triangle GEF présente un système de ferme inclinée résistant à la charge des poteaux CH. Si nous reprenons la fig. 11, nous remarquerons que non-seulement les poteaux qui forment les huit angles de la flèche sont inclinés vers l'arbre central de manière à former une pyramide et non un prisme, mais que ces poteaux donnent un double système de supports. Nous ne parlons pas des moises qui triplent quelques-uns de ces poteaux, parce que ces moises ne sont que des fourrures propres à donner plus de roide aux points d'appui, dans le sens de leur plat, et surtout destinées à recevoir les assemblages latéraux, afin de ne point affamer les poteaux principaux par des mortaises. Ce système de poteaux jumeaux séparés par un intervalle est un moyen très-puissant de résister à la pression des vents. On comprend que ces poteaux, bien reliés entre eux par des moises horizontales de distance en distance, offrent des points d'appui extrêmement rigides.



En effet, soient (16) deux poteaux AB, CD enserrés entre des moises EFG: pour que le poteau CD se courbât suivant la ligne CID, il faudrait que le poteau AB se raccourcit, rentrât en lui-même, ce qui n'est pas possible; pour qu'il se courbât suivant la ligne CKD, il faudrait que le poteau AB s'allongeât, ce qui est de même impossible. Le quadrilatère ACBD, relié par les moises EFG, n'est donc pas susceptible de déformation. Aussi, fidèles à ce principe élémentaire, les architectes gothiques n'ont-ils jamais manqué de l'appliquer dans la construction de leurs flèches de charpente, et, comme toujours, ils en ont fait un motif de décoration.

La souche de la flèche de Notre-Dame de Paris, bien qu'elle fût combinée d'une manière ingénieuse, que le système de la charpente fût très-bon, présentait cependant des points faibles; ainsi, les grandes fermes diagonales (fig. 12) n'étaient pas suffisamment armées au pied, les contre-fiches-moises AG ne buttaient pas parfaitement les poteaux extérieurs de la pyramide, les arbalétriers étaient faibles, les entraits retroussés sans puissance. Les fermes de faîtage (celles qui venaient s'appuyer sur les grandes contre-fiches, disposées en croix de Saint-André, fig. 15) ne trouvaient pas, à la rencontre de ces deux grandes contre-fiches, un point d'appui inébranlable; d'ailleurs ces contre-fiches, à cause de leur grande longueur, pouvaient se courber, ce qui avait eu lieu du côté opposé aux vents. Par suite, la flèche tout entière avait dû s'incliner et fatiguer ses assemblages. Généralement, les pièces inférieures n'étaient pas d'un assez fort équarrissage; puis, pour des charpentes qui sont soumises aux oscillations causées par les ouragans, les clefs de bois sont évidemment insuffisantes, surtout quand, à la longue, ces bois venant à se dessécher ne remplissent plus les entailles dans lesquelles ils sont engagés. Aussi, tout en respectant le principe d'après lequel cette charpente avait été taillée, a-t-on dû, lors de la reconstruction de la flèche de Notre-Dame de Paris, améliorer l'ensemble du système et y introduire les perfectionnements fournis par l'industrie moderne. On se fait difficilement une idée, avant d'en avoir fait l'épreuve, de la puissance des vents sur ces charpentes qui, posées à une assez grande hauteur, sur quatre pieds seulement, s'élèvent elles-mêmes dans les airs au-dessus des autres édifices d'une cité 500. La pression des courants d'air est telle qu'à certains moments tout le poids de la charpente se reporte sur le côté opposé à la direction du vent; il faut donc qu'entre toutes les parties du système il y ait une solidarité complète, afin que cette pression ne puisse, en aucun cas, faire agir tout le poids sur un seul point d'appui. On doit penser que ces charpentes sont comme un bras de levier, qui, s'il n'est pas bien maintenu par un empattement inébranlable, ne manquerait pas d'écraser ou de disloquer l'une des quatres piles qui lui servent d'appui, d'autant que, dans notre climat, les grands vents viennent toujours du même point de l'horizon, du nord-ouest au sud-ouest. Cette pression, répétée sur un seul côté de ces charpentes, doit être un sujet de méditation pour le constructeur. Partant du système admis par l'architecte du XIIIe siècle, on a donc cherché: 1º à former, à la base de la souche de la nouvelle flèche, un quatre-pieds absolument rigide et pouvant résister à toute oscillation; 2º à relier ce quatre-pieds avec la souche elle-même, d'une manière si puissante, que toute pression agissant dans un sens fût reportée au moins sur deux points d'appui et même sur trois; 3º à soutenir également les huit arêtes de la pyramide, tandis que, dans le système ancien, quatre de ces arêtes étaient mieux portées que les quatre autres; 4º à doubler du haut en bas tout le système formant l'octogone de la flèche, afin d'avoir non-seulement les arêtes rigides, mais même les faces; 5º à éviter les assemblages à tenons et mortaises qui se fatiguent par l'effet des oscillations, et à les remplacer par le système de moises qui n'affame pas les bois, les relie et leur donné une résistance considérable; 6º à n'employer le fer que comme boulons, pour laisser aux charpentes leur élasticité; 7º à diminuer le poids à mesure que l'on s'élevait, en employant des bois de plus en plus faibles d'équarrissage, mais en augmentant cependant, par la combinaison de la charpente, la force de résistance 501.

Nous l'avons dit tout à l'heure: les quatre piles du transsept sur lesquelles repose la flèche de Notre-Dame de Paris ne sont pas plantées aux angles d'un carré, mais d'un quadrilatère à quatre côtés inégaux, ce qui ajoutait à la difficulté. Pour ne pas compliquer les figures, nous ne tenons pas compte ici des faibles irrégularités, et nous supposons un parallélogramme dont le grand côté a 14m,75 et le petit 12m,75. Quatre des angles de l'octogone de la flèche devant nécessairement poser sur les deux diagonales du quadrilatère, cet octogone est irrégulier, possédant quatre côtés plus grands que les quatre autres.



La fig. 17 donne, en A, le plan de l'enrayure basse, au niveau des grands entraits diagonaux, qui sont chacun composés de trois pièces de bois superposées ayant 0,25 c. de roide sous le poinçon. Ce tracé fait voir en projection horizontale le quatre-pieds sur lequel s'appuie le système à sa base. Ce quatre-pieds se compose d'une combinaison de potences sous les entraits et de fermes inclinées BC, passant dans les plans d'une pyramide tronquée dont la base est le quadrilatère donné par les piles, et la section supérieure par le plan de l'enrayure au niveau des entraits. Chacun des angles du corps de la flèche se compose de trois poteaux qui ne s'élèvent pas verticalement mais forment une pyramide très-allongée, à base octogone; c'est-à-dire qu'en s'élevant, ces poteaux se rapprochent du poinçon.



Examinons maintenant une des grandes fermes diagonales DE (18). On voit, en A, les trois entraits superposés, roidis et maintenus d'abord par les deux liens B assemblés à mi-bois et formant potence; puis par les deux fortes contre-fiches moisées CD qui reçoivent les liens inclinés indiqués en BC dans la figure précédente. La tête de ces deux contre-fiches-moises vient pincer, en E, le pied des trois poteaux des angles de la flèche. Le poinçon central est en F. Les grandes contre-fiches GH tracent la noue donnée par la rencontre des combles; par conséquent, tout ce qui est au-dessus de ces contre-fiches est vu. Les contre-fiches IK sont des moises, forment arête dans la noue, en rejetant, au moyen d'un chevronnage, les eaux à droite et à gauche, et laissent voir les gradins ajourés décorés d'arcatures et surmontés, sur les quatre poteaux, de statues. D'autres contre-fiches-moises MN réunissent tout le système et s'assemblent dans le poinçon central en O. En outre, cette demi-ferme est maintenue par des moises horizontales qui serrent ensemble ses diverses pièces, empêchent toute dislocation et font de cette charpente un plan roide, immobile, ne pouvant se déformer. Le tracé AA de la fig. 17 nous donne le plan de l'enrayure au niveau P de la fig. 18; le tracé AAA celui de l'enrayure au niveau R, et le tracé A' celui de l'enrayure à la base de la pyramide qui termine la flèche au-dessus du second étage à jour. Dans le tracé AA de la fig. 17, on voit comme s'arrangent les chevronnages divisant la noue en deux et laissant passer les quatre poteaux portant les statues.

Ce système de poteaux verticaux traversant les demi-fermes diagonales et faisant décoration au-dessus des noues (système qui avait été adopté par les constructeurs du XIIIe siècle) présente plusieurs avantages: il fait de ces demi-fermes de véritables pans-de-bois parfaitement rigides; il constitue une suite de poinçons qui roidissent les contre-fiches, les maintiennent dans leur plan vertical sans charger en aucune façon l'entrait. Il présente aussi une décoration ingénieuse en ce qu'elle explique, à l'extérieur, comment la flèche vient s'appuyer sur les quatres piliers de la croisée, aussi parce qu'elle établit une transition entre la maçonnerie de l'église et le corps de la flèche, parce qu'elle lui sert de base, d'arc-boutant, pour ainsi dire. On voit, en V (fig. 18), comment sont décorés ces gradins des grandes contre-fiches au-dessus des noues. Il est facile de comprendre maintenant comment sont soutenus les quatre angles de l'octogone qui portent sur les diagonales; pour les quatre angles tombant sur les faîtages des combles, voici quel a été le système adopté. En BB (fig. 17) sont élevées de fortes fermes, reposant sur les bahuts et les quatre piles du transsept; sur le milieu des entraits de ces fermes reposent les pièces horizontales LM puissamment soulagées en C par les pièces inclinées BC. C'est au-dessus de ce point C que portent les triples poteaux formant les quatre autres angles de l'octogone; le point M ne porte que le pied des contre-fiches qui sont destinées à maintenir les poteaux dans leur plan.



La fig. 19 présente l'une de ces fermes BB, qui sert en même temps de ferme de comble. En A, on voit l'extrémité de la pièce horizontale tracée en LM dans la fig. 17; en A', cette extrémité est vue en coupe sur ab. Il n'est pas besoin d'explication pour faire sentir que cette extrémité A ne peut fléchir. En B', nous avons donné le détail des assemblages B, et en C' celui de la croix de Saint-André C, avec le poinçon.



Maintenant, examinons ce système de souche en perspective (20). En A, on voit les grands entraits triples des fermes diagonales; en B, la disposition des liens formant fermes inclinées, roidissant la base de la souche et venant porter en C quatre des angles de l'octogone; en D, apparaissent les fragments de l'entrait de la ferme donnée dans la figure précédente, avec le pan-de-bois qui maintient les poteaux d'angles reposant en C, E étant le poinçon de cette ferme. Des contre-fiches F viennent soulager les poteaux C et reporter leur charge sur les quatre points résistants principaux A; ces contre-fiches ont encore l'avantage d'arrêter le roulement de tout le système. Au-dessus, des croix de Saint-André G, doubles, reportent encore, la charge des poteaux C sur les points d'appui diagonaux. Les pièces I et F remplissent avec avantage les grandes pièces inclinées de l'ancienne charpente que nous avons décrite plus haut. Ce système est d'ailleurs triplé dans la charpente actuelle, nous le voyons reproduit en KL et en KM; de sorte que si une pression extraordinaire se produit en O, cette pression ne charge pas le point C, mais bien les pieds I, et même, de proche en proche, par la disposition des croix de Saint-André et des contre-fiches F, trois des piles du transsept. On observera que ces croix de Saint-André sont doublées, c'est-à-dire assemblées dans deux des poteaux sur les trois qui forment chaque angle à la base de la flèche. Il n'y a donc pas possibilité de roulement dans cette charpente; aucune de ses parties ne peut recevoir un supplément de charge sans transmettre ce supplément à deux et même trois des quatre points d'appui sur lesquels elle porte. En supposant même qu'une des quatre piles du transsept fût enlevée, la charpente resterait debout et reporterait toutes ses pesanteurs sur les trois piles conservées.



Le système d'après lequel a été établi la souche de la flèche de Notre-Dame de Paris étant bien connu, examinons cette flèche au-dessus du faîtage du comble, c'est-à-dire au-dessus du niveau d'où elle commence à se détacher sur le ciel (21). Une vue perspective présente, du côté droit, la flèche dépourvue de sa décoration, et, du côté gauche, la flèche décorée. En A est une des quatre fermes correspondant aux fermes diagonales; on observera l'inclinaison des poteaux formant les arêtes de cette flèche au-dessous de la pyramide supérieure, qui ne se dégage qu'au niveau B. Cette inclinaison, y compris les retraites successives, n'a pas moins de 0,80 c. dans une hauteur de 15m,00; et cependant, par l'effet de la perspective, à peine si l'on aperçoit une diminution dans le corps de la flèche autre que celle produite par les retraites C. Bien mieux, si les huit angles de l'octogone étaient montés d'aplomb, le corps de la flèche paraîtrait plus large sous la pyramide supérieure qu'à sa base. L'illusion de l'oeil est ici d'accord avec les conditions de stabilité; en effet, ces huit angles, qui tendent à se rapprocher du poinçon à mesure qu'ils s'élèvent, conduisent l'oeil à la forme pyramidale prononcée du couronnement, et forment en même temps une suite d'étais qui maintiennent l'arbre central dans la verticale. Par l'effet singulier du contraste des lignes verticales et inclinées se détachant sur le ciel à une grande hauteur, si les pinacles D qui terminent les poteaux d'angle étaient verticaux, vus à côté des arêtiers de la pyramide supérieure, ils sembleraient s'écarter en dehors. Il faut que, dans un monument aussi élevé et dont la forme générale est aussi grêle, toutes les lignes tendent à s'incliner vers l'axe, si l'on veut que rien dans l'ensemble ne vienne contrarier la silhouette. Nous donnons, en E, le couronnement de la flèche, dont la pomme F est à 45m,00 au-dessus du faîtage du comble.

Nous avons dit que la charpente, en s'élevant, se composait de pièces de plus en plus légères, mais assemblées avec plus de force. En examinant l'enrayure tracée en G, on reconnaîtra combien elle présente de résistance; ce système est adopté pour les quatre enrayures indiquées en G dans le géométral A. Cette enrayure se compose de moises assemblées à mi-bois, ainsi que le fait voir le détail I, se coupant à angle droit, pinçant le poinçon, quatre arêtiers, et roidies par des goussets K de manière à former un carré; immédiatement au-dessous, une seconde enrayure contrariant celle-ci et combinée de la même manière produit, en projection verticale, une étoile à huit pointes, qui donne la section de la pyramide. Non-seulement ce système présente une grande résistance, mais il a l'avantage de donner à la pyramide des ombres toujours accusées qui la redressent à l'oeil et lui donnent une apparence plus svelte. Lorsque les pyramides des flèches aussi aiguës sont élevées sur une section simplement octogonale, si le soleil frappe d'un côté, une partie de la pyramide est entièrement dans le clair et l'autre dans l'ombre; à distance, le côté clair se confond avec le ciel et le côté ombré donne une ligne inclinée qui n'est point balancée, de sorte que la pyramide paraît être hors d'aplomb. Les grands pinacles avec leurs crochets qui fournissent toujours des points ombrés et brillants tout autour de la pyramide, du côté du clair comme du côté opposé à la lumière, contribuent encore à éviter ces illusions de l'oeil qui sont produites par des masses d'ombres opposées sans rappel de lumière à des masses claires sans rappel d'ombre. Nous ne saurions trop le répéter: lorsqu'un édifice ou partie d'un édifice se découpe entièrement sur le ciel, rien n'est indifférent dans la masse comme dans les détails; la moindre inattention dans l'adoption d'un ornement, dans le tracé d'un contour, dérange entièrement l'harmonie de la masse. Il est nécessaire que tout soit clair, facile à comprendre, que les profils et ornements soient à l'échelle, qu'ils ne contrarient jamais la silhouette, et cependant qu'ils soient tous visibles et appréciables.

La flèche de Notre-Dame de Paris est entièrement construite en chêne de Champagne; tous les bois sont recouverts de lames de plomb, et les ornements sont en plomb repoussé 502.

Alors comme aujourd'hui, l'occasion d'élever des flèches de charpente aussi importantes ne se présentait pas souvent. Le plomb était plus cher autrefois qu'il n'est aujourd'hui, bien que son prix soit encore fort élevé; sur de petites églises de bourgades, de villages ou d'abbayes pauvres, on ne pouvait penser à revêtir les flèches de charpente qu'en ardoise. Il fallait, dans ce cas, adopter des formes simples, éviter les grands ajours et bien garantir les bois contre la pluie et l'action du soleil.

Nous avons constaté bien des fois déjà que l'architecture du moyen âge se prête à l'exécution des oeuvres les plus modestement conçues comme à celle des oeuvres les plus riches: cela seul prouverait que c'est un art complet. Si l'architecture ne peut s'appliquer qu'à de somptueux édifices et si elle se trouve privée de ses ressources quand il faut s'en tenir au strict nécessaire, ce n'est plus un art, mais une parure sans raison, une affaire de mode ou de vanité.



Nous donnons (22) un exemple de ces flèches entièrement revêtues d'ardoises, élevée, comme celle de Notre-Dame de Paris, à la rencontre des combles sur le transsept: c'est la flèche de l'église d'Orbais (Marne), autrefois dépendante d'une abbaye. Excepté les extrémités des poinçons, qui sont revêtues de chapeaux de plomb très-simples, toute la charpente est couverte en ardoise. On voit, en A, la moitié d'un des pans-de-bois de la souche; CD est l'arbalétrier du comble. Comme toujours, cette souche est diminuée, ayant 4m,88 à sa base et 4m,66 à son sommet au niveau de l'enrayure de la pyramide. Celle-ci est octogone et pose ses angles sur les milieux des pans-de-bois, ainsi que le fait voir le tracé B. Les arêtiers E sont soulagés par des contre-fiches G assemblées dans les poteaux d'angle H, et sur les angles F sont posés quatre petits pinacles, visibles sur le tracé perspectif. Le corps de la flèche, la pyramide, les pinacles et les lucarnes sont couverts d'ardoises petites, épaisses, clouées sur de la volige de chêne. Il y a des lames de plomb dans les noues. Cet édifice, si simple, est d'un effet charmant, à cause de ces saillies, et surtout à cause de l'heureuse proportion de l'ensemble; il date du XIVe siècle. Le beffroi est indépendant de la charpente de la flèche et repose seulement, comme celle-ci, sur les quatre piles du transsept.

On voit encore, sur la croisée de l'ancienne église abbatiale d'Eu, la souche d'une flèche, du XVe siècle, en charpente, dont la disposition originale mérite d'être signalée. C'était une pyramide passant du plan carré au plan octogone dans la hauteur du comble, de manière que l'inclinaison des faces se suivait, sans interruption, du faîtage de ces combles au sommet de la flèche. Ce système présentait une grande solidité.



Soit (23) AB deux des quatre points d'appui du transsept, des fermes inclinées ABC forment les faces d'une pyramide à base carrée. La projection des fermes des combles est donnée par le triangle ABD; donc, les triangles ADC, BDC sont vus au-dessus de la pente de ces combles; la contre-fiche AE passe dans le plan des deux arbalétriers AG, AF. Les poinçons IC passent dans le plan de la pyramide octogone. Au niveau du faîtage des combles est posée une enrayure sur plan octogone GFK, etc., embrévée dans les pièces principales inclinées AP, AG, AC, BC, etc. L'élévation X, prise sur la moitié de la flèche de B en I, fait voir la projection du comble en B'D', la grande ferme inclinée en B'C', inclinée suivant le plan B'O. Les contre-fiches AE du plan horizontal se voient en B'E' et la première enrayure octogone en L, sur laquelle reposent les véritables arêtiers de la flèche. Ici, les angles de l'octogone ne correspondent pas aux faîtages des quatre combles et aux quatre noues, mais bien le milieu des faces de cet octogone. En N est tracée l'une des contre-fiches diagonales AE et la section EP faite au milieu d'une des quatre faces de la pyramide donnant sur les noues; des lucarnes R sont ouvertes sur ces quatre faces. Une galerie S rompt l'aspect uniforme de la flèche et sert de guette. L'enrayure du sol de cette galerie est tracée en M. L'enrayure Q est tracée en Q', les quatrième et cinquième enrayures étant combinées de la même façon. En V, un tracé perspectif indique la rencontre des pièces inclinées de la souche avec la première enrayure octogone L. Cette flèche a été dérasée au niveau Q; mais un tableau du XVIIe siècle qui est déposé dans l'église d'Eu, présentant une vue fort bien faite des bâtiments de l'abbaye, nous donne le complément de la flèche et son système de décoration qui ne manquait pas d'élégance.



La fig. 24 reproduit l'aspect géométral de la flèche d'Eu, revêtue de sa plomberie et de sa couverture en ardoise, la plomberie n'étant appliquée qu'au couronnement supérieur de la pyramide, à la galerie, aux lucarnes et aux noues.

À Évreux, sur une tour centrale en maçonnerie qui surmonte la croisée de la cathédrale s'élève une flèche en charpente recouverte de plomb, fort dénaturée par des restaurations successives, mais qui présente cependant encore une assez bonne silhouette. Elle est complétement ajourée de la lanterne au faîte, et cette lanterne est d'un bon style du XVe siècle. Le défaut de ce couronnement, c'est d'être trop grêle pour la souche en maçonnerie qui lui sert de base; elle s'y relie mal, et la trop grande quantité d'ajours fait encore paraître ce défaut plus choquant.

L'une des plus belles flèches du XVe siècle était celle de la Sainte-Chapelle du Palais, reconstruite depuis peu par feu Lassus sur un ancien dessin conservé à la Bibliothèque Impériale. Cette flèche est gravée dans la Monographie de la Sainte-Chapelle publiée par M. Bance, avec ses détails de charpente et de plomberie. Nous engageons nos lecteurs à recourir à cet ouvrage.

Mais, à cette époque, les architectes avaient déjà perdu ce sentiment délicat de la silhouette des édifices, et ils surchargeaient tellement leurs ensembles de détails recherchés que les masses perdaient de leur grandeur. On ne trouve plus, dans la flèche de la Sainte-Chapelle du Palais, cette inclinaison des poteaux de la partie inférieure portant la pyramide; ceux-ci s'élèvent verticaux, ou à peu près, ce qui alourdit l'ensemble et empêche l'oeuvre de filer, d'une venue, du faîtage du comble au sommet. Les détails, trop petits d'échelle, paraissent confus, gênent les lignes principales au lieu de les faire ressortir. Cependant, nous voyons encore, sur le transsept de la cathédrale d'Amiens, une flèche du commencement du XVIe siècle, dans l'exécution de laquelle les qualités signalées ci-dessus sont développées avec un rare bonheur.

499
   Ce chapiteau a été conservé lors de la descente de la souche.


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500
   Le sommet de la flèche de Notre-Dame de Paris est à 96 mètres au-dessus du pavé de l'église.


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501
   Le 26 février 1860, un coup de vent qui a renversé à Paris un grand nombre de cheminées, enlevé des toits et jeté bas quelques-unes des charpentes destinées à la triangulation, n'a fait osciller la flèche de Notre-Dame que de 0,20 c. environ à son sommet, bien que cette flèche ne fût pas alors complétement terminée et qu'elle ne fût garnie de plomb qu'à sa partie supérieure, ce qui nécessairement devait rendre l'oscillation plus sensible.


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502
   La charpente de cette flèche a été exécutée par M. Bellu, et la plomberie par MM. Durand frères et Monduit. L'ensemble, compris les ferrures, pèse environ 500,000 kilog. Chacune des piles du transsept pourrait porter ce poids sans s'écraser. Les douze statues des apôtres et les quatre figures des symboles des évangélistes qui garnissent les quatre arêtiers des noues sont en cuivre repoussé, sur les modèles exécutés par M. Geoffroy-Dechaume.


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