Free

Les amours d'une empoisonneuse

Text
iOSAndroidWindows Phone
Where should the link to the app be sent?
Do not close this window until you have entered the code on your mobile device
RetryLink sent

At the request of the copyright holder, this book is not available to be downloaded as a file.

However, you can read it in our mobile apps (even offline) and online on the LitRes website

Mark as finished
Font:Smaller АаLarger Aa

XIII
PÈRE ET MÈRE

Olivier avec toute l'éloquence et la poésie du cœur, développa son roman d'amour avec Henriette, depuis les premières heures jusqu'à la catastrophe qui faisait de l'unique héritière du financier Hanyvel une orpheline réduite à la misère.

– Voilà, sur ma parole, un joli tour de roue de la Fortune, dit Exili avec un sourire étrange.

– Mon père…

– Les morts n'entendent pas leur oraison funèbre, et il n'est pas inutile que tu connaisses un peu l'histoire de ta nouvelle famille.

On dit que madame veuve Hanyvel est une excellente femme, je veux bien le croire.

Hanyvel, comme les autres, était un adroit coquin.

Ton Henriette est un ange; mais les anges ont des ailes, et si quelqu'un n'avait pas envoyé son père dans sa patrie céleste, tu l'aurais vu s'envoler sous tes yeux.

– Son mariage était résolu.

– Comme toi, cher enfant, un événement unique a marqué mon existence depuis notre séparation.

A mon déclin, je souriais à ton aurore.

Les murs ont des oreilles, même ceux de la Bastille.

Du fond de ma tombe de pierre, j'étais encore en communication avec le monde extérieur, et je puis dire que mon cœur plein d'amertume, se purifiait à la flamme de ton jeune amour.

Si Hanyvel avait eu le cœur d'un père, s'il ne s'était pas obstiné à sacrifier sa fille, je ne l'aurais point rayé du livre des vivants.

– Vous!

– Moi.

– Par qui?

– Par M. Penautier.

– Le trésorier général du clergé?

– Lui-même.

– Comment?

– Tu le sauras tout à l'heure… Cosimo?

– Maître?

– J'ai besoin de causer avec M. Penautier.

Tu le trouveras sans doute à son hôtel ou à la Ferme.

Tu lui diras qu'un ami d'Exili désire le voir.

Va et ramène-le.

Cosimo s'inclina et sortit.

– Un ami d'Exili?..

– Pourquoi pas?

Olivier sembla réfléchir; mais son regard semblait éviter celui de son père adoptif.

– Exili avait pour compagnon de captivité le gentilhomme félon qui m'a si lestement brûlé la politesse au cimetière de la Bastille.

Il en avait fait son disciple sans l'initier à tous ses secrets.

Il s'appelle Gaudin de Sainte-Croix.

Il est bâtard d'une illustre famille, qui n'a jamais voulu l'avouer.

C'est un caput mortuum, un homme de plaisir, sans caractère et sans génie, infatué de sa personne et capable de tout par faiblesse et par vanité, même d'une bonne action.

Il est officier au régiment de Normandie, grand ami du mestre-de-camp, le marquis de Brinvilliers, et amant de sa femme.

Il reprit après une pause:

– C'est précisément cette belle marquise à qui tu as offert la main pour la conduire à son carrosse, le jour de la mort d'Hanyvel, et que ton ami, le chevalier de Tancarvel, lieutenant aux gardes, t'a dit avoir connue chez sa sœur, madame de Sarremont.

– Vous avez la mémoire d'un vieux juge.

Exili sourit à ce compliment, et poursuivit:

– Or, suis bien la filière:

Penautier, qui voit les choses de loin, et comprenant que le marquis de Brinvilliers ne prendrait jamais ombrage de la conduite scandaleuse de sa femme, la dénonça sous main au père de la marquise, Dreux d'Aubray, le lieutenant civil.

Celui-ci, homme intègre, jaloux de l'honneur de sa famille, écrivit le nom de Sainte-Croix sur une lettre de cachet, et l'envoya directement à la Bastille, où il a passé une année.

Il en est sorti vingt-quatre heures avant moi.

Penautier, rusé comme un renard, fourbe comme un chat et malfaisant comme un vieux singe, visitait Sainte-Croix pour lui faire tirer les marrons du feu.

C'est ainsi qu'il a obtenu d'Exili le poison qui a foudroyé Hanyvel.

Dreux d'Aubray, qui croit au repentir de sa fille, serait bien étonné d'apprendre qu'elle l'a versé de sa propre main, le sourire à la bouche, moyennant trente mille livres, une bagatelle qui rapporterait quatre millions à Penautier, si je ne lui faisais rendre gorge.

C'est une justice à lui rendre:

Il entend merveilleusement les affaires.

– Quoi! un tel forfait peut se commettre à la face du ciel.

– Et des convives d'une fête, ajouta Exili.

– Il est impossible que les meurtriers restent longtemps impunis.

Ce serait à douter de Dieu lui-même.

– Mais c'est de l'enfantillage!

Penautier tremble comme un enfant et Sainte-Croix n'est qu'un écolier maladroit.

La marquise; par exemple, est ignorante à plaisir, mais elle a le génie du crime et elle ira loin.

– Vous avez un sourire qui me fait frissonner.

– Ce n'est pas dans le cabinet de M. de Mondeluit, ton patron, conseiller au Châtelet, que tu feras des progrès dans la jurisprudence criminelle.

– Je ne puis douter de vos affirmations; et pourtant, en songeant à cette jeune femme, mon cœur se révolte et ma raison se refuse à comprendre.

– Cette jeune femme s'est mariée en 1651, à vingt et un ans. Elle a donc aujourd'hui trente-six ans sonnés à toutes les horloges, comme elle a des enfants de toutes les paroisses, que le marquis de Brinvilliers couvre de son pavillon avec une immuable sérénité.

– Je méprise cet homme.

– Oui, mais nul ne peut mépriser la marquise de Brinvilliers.

Elle ne faillira pas à la devise antique:

«Adultera, venefica.»

– Son visage est doux comme celui des madones, son œil limpide comme celui des enfants. Le jour où je l'ai vue, elle pleurait, et jusque dans sa douleur sa démarche languissante était harmonieuse, il y avait comme un charme secret dans le moindre de ses mouvements, et il me semble encore entendre à mon oreille la musique de sa voix argentée.

– Si tu avais étudié l'histoire naturelle autre part que dans les livres, tu verrais apparaître, sur le masque humain, les lignes mystérieuses des animaux inférieurs.

L'impression que t'a causée la marquise peut se traduire en deux mots:

La grâce onduleuse d'une chatte et la fascination de la vipère.

– Oui! s'écria Olivier comme frappé d'une révélation soudaine:

Son œil était calme et glacial…

J'ai touché sa main satinée.

Elle était souple et froide comme le corps d'un reptile.

– Écoute-moi, Olivier.

Les paroles que tu vas entendre sont une prophétie d'Exili, et le Maître des poisons sait analyser et pétrir l'argile humaine.

Cette femme a l'enfer dans l'âme.

Elle ferait rougir Messaline et Locuste en serait jalouse.

Elle est sur une pente fatale, où nul bras humain ne peut plus la retenir.

Il lui faut de l'or et la liberté absolue.

Son père est un censeur morose; elle l'empoisonnera en lui prodiguant ses infernales caresses.

Elle empoisonnera ses deux frères, pour avoir seule l'héritage de sa famille.

Elle empoisonnera sa fille, parce qu'elle sera belle.

Elle empoisonnera son mari débonnaire, pour épouser son amant.

Elle empoisonnera son amant, quand elle en sera lasse.

La Mort la conduit par la main et la Fatalité la pousse.

Tu la verras, les pieds nus, couverte du voile des parricides, une torche à la main, sur le parvis de Notre-Dame, avant d'avoir le poignet droit coupé et la tête tranchée par la main du bourreau sur la place de Grève.

– C'est horrible…

– La nature a ses lois inconnues:

Elle donne la vie au serpent qui rampe, comme à l'oiseau qui plane.

Et cependant ne vois-tu pas le serpent lové, immobile, qui semble dire à l'oiseau fasciné:

«Descends du ciel, et meurs?»

– Oui.

– Henriette est douce et pure comme une colombe.

Un jour, elle sera attirée par la fascination de la vipère.

Toi-même, elle t'a vu, elle t'a souri…

Olivier, prends garde.

– Les aigles déchirent les reptiles.

Prenez à votre compte la mort de Sainte-Croix.

J'irai au-devant de la marquise de Brinvilliers.

C'est moi qui la jetterai dans les bras du bourreau.

– Lui, mourra de cette main, j'en fais le serment.

– Et moi, je jure par mon amour…

– Tais-toi, Olivier.

Reste silencieux devant la destinée.

– Pourquoi?

– Tu veux la vérité?

– Oui.

– La marquise de Brinvilliers est ta mère!

Olivier laissa tomber sa tête dans ses mains et pleura.

Exili l'observait.

Il rompit le silence.

– Oui, dit-il d'une voix timbrée, qui fit vibrer toutes les cordes du cœur de son enfant d'élection, c'est une chose cruelle pour un fils de mépriser son père et de ne pouvoir embrasser sa mère sans horreur.

Et moi, reprit-il après une pause, je viens d'accomplir la plus difficile et la plus dangereuse de mes expériences.

– Vous avez empoisonné mon âme, mon père.

Exili se leva comme si la main de l'ange des ténèbres s'était posée sur son épaule.

Dominant cette faiblesse passagère, il répondit d'une voix sourde:

– J'ai mérité ce reproche; mais la nature est une bonne mère, Olivier, et elle me montre le baume qui calmera ta blessure.

Je viens de voir passer une jeune fille sous le couvert de ces arbres.

Sans doute, c'est ta fiancée, car elle regarde avec persistance du côté de cette fenêtre.

Elle est belle comme un lys, et sa vue fera sur toi l'office de contre-poison.

Comme ils échangeaient un signe d'intelligence avec Henriette, la porte s'ouvrit.

Cosimo annonça:

«Monsieur de Penautier, receveur général du clergé.»

XIV
LA DOT D'HENRIETTE

Bien qu'il eût pris tout le temps de se préparer à cette entrevue, le visage du financier trahissait cette vague inquiétude et cette terreur instinctive que le nom redoutable d'Exili mort faisait renaître dans son esprit troublé.

Sur l'invitation d'Olivier, Penautier s'assit.

– A qui ai-je l'honneur de parler? dit-il en s'adressant à Exili, debout devant lui, les bras croisés.

 

– Vous ne me reconnaissez pas?

– Il me semble, monsieur, que ce n'est pas la première fois que j'entends votre voix et que mon regard rencontre le vôtre, mais mes souvenirs sont trop confus pour être précisés.

– Je suis le comte de Kronborg, et votre illusion s'explique par une ressemblance de famille:

Exili était mon frère aîné.

– J'ai eu le regret d'apprendre qu'il est mort à la Bastille.

Votre frère, monsieur, était un homme d'une science consommée et il emporte avec lui bien des secrets.

– Pas tous, monsieur.

Exili reprit:

– J'arrive d'Angleterre, pour obéir à sa dernière volonté, et je repartirai sur l'heure.

En deux mots, voici ce qui vous concerne:

Mon frère désire que nous liquidions ensemble, et séance tenante, la succession d'Hanyvel.

A ce nom, Penautier étendit la main.

– J'étais son ami, monsieur, et ma connaissance de ses affaires et de ses opérations me permettra de vous aider à sauver quelques épaves de ce grand naufrage; mais cette succession est très embarrassée. Hanyvel seul était capable de manœuvrer ses capitaux; toute sa force était dans son crédit; malheureusement, il n'est plus au gouvernail, et son navire a sombré corps et biens.

– Corps, oui; biens, non.

– Les créances d'Hanyvel, qui se chiffrent par quatre millions d'actif, seront mises à prix pour cent mille livres, et la dernière bougie s'éteindra sans enchère.

– Pourquoi?

– Parce que ces créances pouvaient être solides entre ses mains par un roulement de capitaux fictifs, et qu'elles seront sans valeur à la première échéance.

Tout se résume par un mot:

Hanyvel est mort!

– Subitement.

– Qui peut répondre de son lendemain? Quand l'heure sonne, il faut partir.

– Oui, même quand une main complaisante donne un coup de pouce à l'aiguille de l'horloge.

– C'est là une façon d'envisager la mort d'Hanyvel qui pouvait convenir à monsieur votre frère.

– Et je partage absolument sa manière de voir, monsieur Penautier.

Comprenez-moi bien:

Toute la fortune d'Hanyvel est engagée dans des entreprises prospères.

Il ne s'agit, pour la relever, que d'un capital de résistance.

Voulez-vous partager avec moi?

La Ferme est à deux pas.

Apportez-moi quatre bons de cinq cent mille livres, sur Paris, Londres, Vienne et Rome, et je vous abandonne l'autre moitié.

– Parlez-vous sérieusement, monsieur le comte?

– Plaisantez-vous, monsieur Penautier?

– Je plaisantais en vous disant que je puis trouver deux millions sur ma simple signature, dans la caisse de la Ferme.

– Dans la vôtre, alors.

– Il faudrait que j'en sois le possesseur, et je n'en suis que le dépositaire.

– Je vois que nous ne nous entendons pas.

– La raison en est bien simple:

Je ne comprends rien à votre proposition.

– Je vais parler plus clairement:

Si dans une heure vous ne m'apportez pas deux millions, en quatre bons à vue de cinq cent mille livres, Exili sortira de sa tombe et se présentera à votre hôtel.

– Mes gens sont en bas, monsieur, et je n'ai qu'à paraître à cette fenêtre…

– Pour voir la maison déserte d'Hanyvel.

– Que voulez-vous dire, monsieur?

– Que vous êtes son exécuteur, – testamentaire, du moins, et que l'héritage de sa fille Henriette me sera remis, dans cette chambre, et sans délai.

– Est-ce un guet-apens?

Je vous préviens que cette manœuvre tournera contre vous.

– Il vous est loisible de sortir librement, monsieur Penautier.

Je n'ajouterai qu'un mot:

Je vous ai dit qu'Exili sortirait de sa tombe.

Allez au cimetière de la Bastille et faites ouvrir son cercueil:

Il est vide.

– Si le cadavre d'Exili a disparu, j'attendrai sa visite.

– Peut-être ne reconnaîtrez-vous pas mon frère sous son incarnation nouvelle.

Il a changé de nom, comme de visage…

Il me ressemble.

Regardez-moi.

Penautier hésita une seconde; puis, d'une voix éteinte et d'un geste suppliant, il prononça lentement les paroles suivantes:

– Je suis prêt à donner ma signature, après vous avoir expliqué…

– Je connais cette histoire, interrompit Exili.

Passez dans ce cabinet, préparez les traites et remerciez-moi de vous laisser la vie.

Penautier, tremblant comme la feuille, s'empressa d'obéir.

La porte était à peine refermée sur lui que Cosimo reparut.

– Monsieur le comte, dit-il, j'ai fait attendre madame Hanyvel et sa fille.

Ces dames étaient dans une mortelle inquiétude.

Elles ont l'habitude de voir M. Olivier tous les jours, et, par ma faute, elles n'avaient pas été prévenues…

– Momento, dit Exili.

Cosimo avait déjà disparu.

XV
RÉDEMPTION

Exili, l'œil sombre, jeta un manteau sur ses épaules, regarda Olivier, immobile et pâle comme une statue, et lui dit:

– L'antiquité avait des autels où les malheureux, et même les coupables, trouvaient un asile sûr… Adieu.

– Si vous êtes malheureux, mon père, dites-moi s'il est en mon pouvoir de vous consoler.

– O mon fils bien-aimé, laisse-moi te donner ce nom une dernière fois, l'ange qui traduira cette parole à Dieu obtiendra la grâce d'Exili l'empoisonneur, car s'il a travaillé pour les vers de la tombe, il a aussi formé un homme comme toi, qui honore l'humanité.

– Il y a pour vous dans mon cœur une affection réfléchie, plus profonde, plus humaine et plus sacrée que l'amour commandé par la nature.

– Que le cœur déborde de joie ou d'amertume, qu'il est doux d'entendre la voix d'un ami, la voix d'un fils!

Pardonne-moi d'avoir douté de toi.

Si tu m'avais laissé partir, je serais mort désespéré.

– Celui qui juge sera jugé.

Je ne sais rien de vous et ne veux rien savoir.

Exili peut s'accuser lui-même, son fils ne le croira pas.

Les genoux d'Exili fléchirent et ses mains se levèrent frémissantes vers le ciel:

– O Dieu! dit-il, tu m'es témoin que je ne suis pas un assassin.

Tu m'as donné cette étincelle vive que l'homme appelle le génie, et je l'ai conservée lumineuse et brûlante comme les lampes éternelles de tes sanctuaires.

J'ai travaillé l'argile périssable, du droit de l'esprit sur la matière, car la Mort seule a le secret de la Vie.

Que d'autres l'interrogent avec plus de bonheur.

Pour moi, j'ai l'âme trop pleine d'ombre pour trouver la lumière.

Le vieillard retourne à l'enfance, et ceux qui m'ont vu gravir pesamment la colline ne reconnaîtront plus celui qui descendra…

Embrasse-moi, mon fils.

Quelques instants après, Penautier sortit de la chambre voisine, remit les traites entre les mains d'Exili, et gagna la porte de sortie sans qu'une parole eût été échangée.

Un signe avertit Cosimo.

Il introduisit les visiteuses.

Henriette entra la première.

D'un mouvement spontané, elle se jeta dans les bras d'Olivier.

– Deux êtres qui s'aiment sont unis, dit Exili à madame Hanyvel avec un pâle sourire.

– Quel est ce gentilhomme si triste et si beau? demanda Henriette en grande confidence à son fiancé.

– C'est mon père… L'aimerez-vous, Henriette?

– Je serai sa fille.

Exili remit un portefeuille à Olivier.

– Voici, lui dit-il, la dot de ta femme et mon cadeau de noces.

Cosimo t'accompagnera à Venise.

Là, rien ne viendra troubler votre amour, et vous y trouverez la part de bonheur qui m'a été refusée sur la terre.

Le mariage d'Henriette et d'Olivier fut célébré sans pompe à la fin de cette journée.

Au moment où les nouveaux époux se disposaient à sortir de l'église, ils cherchèrent des yeux le comte de Kronborg, qui avait assisté à la cérémonie.

Exili avait disparu.

FIN