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Read the book: «Les bijoux indiscrets», page 18

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CHAPITRE L.
ÉVÉNEMENTS PRODIGIEUX DU RÈGNE DE KANOGLOU, GRAND-PÈRE DE MANGOGUL

La favorite était fort jeune. Née sur la fin du règne d'Erguebzed elle n'avait presque aucune idée de la cour de Kanoglou. Un mot échappé par hasard lui avait donné de la curiosité pour les prodiges que le génie Cucufa avait opérés en faveur de ce bon prince; et personne ne pouvait l'en instruire plus fidèlement que Sélim: il en avait été témoin, y avait eu part, et possédait à fond l'histoire de ces temps. Un jour qu'il était seul avec elle, Mirzoza le mit sur ce chapitre, et lui demanda si le règne de Kanoglou, dont on faisait tant de bruit, avait vu des merveilles plus étonnantes que celles qui fixaient aujourd'hui l'attention du Congo.

«Je ne suis point intéressé, madame, lui répondit Sélim, à préférer le vieux temps à celui du prince régnant. Il se passe de grandes choses; mais ce n'est peut-être que l'essai de celles qui continueront d'illustrer Mangogul; et ma carrière est trop avancée pour que je puisse me flatter de les voir.

– Vous vous trompez, lui répondit Mirzoza; vous avez acquis et vous conserverez l'épithète d'éternel. Mais dites-moi ce que vous avez vu.

– Madame, continua Sélim, le règne de Kanoglou a été long, et nos poëtes l'ont surnommé l'âge d'or. Ce titre lui convient à plusieurs égards. Il a été signalé par des succès et des victoires; mais les avantages ont été mêlés de revers, qui montrent que cet or était quelquefois de mauvais aloi. La cour, qui donne le ton au reste de l'empire, était fort galante. Le sultan avait des maîtresses; les seigneurs se piquèrent de l'imiter; et le peuple prit insensiblement le même air. La magnificence dans les habits, les meubles, les équipages, fut excessive. On fit un art de la délicatesse dans les repas. On jouait gros jeu; on s'endettait, on ne payait point, et l'on dépensait tant qu'on avait de l'argent et du crédit. On publia contre le luxe de très-belles ordonnances qui ne furent point exécutées. On prit des villes, on conquit des provinces, on commença des palais et l'on épuisa l'empire d'hommes et d'argent. Les peuples chantaient victoire et se mouraient de faim. Les grands avaient des châteaux superbes et des jardins délicieux, et leurs terres étaient en friche. Cent vaisseaux de haut bord nous avaient rendus les maîtres de la mer et la terreur de nos voisins; mais une bonne tête calcula juste ce qu'il en coûtait à l'État pour l'entretien de ces carcasses; et malgré les représentations des autres ministres, il fut ordonné qu'on en ferait un feu de joie. Le trésor royal était un grand coffre vide, que cette misérable économie ne remplit point; et l'or et l'argent devinrent si rares, que les fabriques de monnaies furent un beau matin converties en moulins à papier. Pour comble de bonheur, Kanoglou se laissa persuader par des fanatiques, qu'il était de la dernière importance que tous ses sujets lui ressemblassent, et qu'ils eussent les yeux bleus, le nez camard, et la moustache rouge comme lui, et il en chassa du Congo plus de deux millions qui n'avaient point cet uniforme, ou qui refusèrent de le contrefaire95.

«Voilà, madame, cet âge d'or; voilà ce bon vieux temps que vous entendez regretter tous les jours; mais laissez dire les radoteurs; et croyez que nous avons nos Turenne et nos Colbert; que le présent, à tout prendre, vaut mieux que le passé; et que, si les peuples sont plus heureux sous Mangogul qu'ils ne l'étaient sous Kanoglou, le règne de Sa Hautesse est plus illustre que celui de son aïeul, la félicité des sujets étant l'exacte mesure de la grandeur des princes. Mais revenons aux singularités de celui de Kanoglou.

«Je commencerai par l'origine des pantins.

– Sélim, je vous en dispense: je sais cet événement par cœur, lui dit la favorite; passez à d'autres choses.

– Madame, lui demanda le courtisan, pourrait-on vous demander d'où vous le tenez?

– Mais, répondit Mirzoza, cela est écrit.

– Oui, madame, répliqua Sélim, et par des gens qui n'y ont rien entendu. J'entre en mauvaise humeur quand je vois de petits particuliers obscurs, qui n'ont jamais approché des princes qu'à la faveur d'une entrée dans la capitale, ou de quelque autre cérémonie publique, se mêler d'en faire l'histoire.

«Madame, continua Sélim, nous avions passé la nuit à un bal masqué dans les grands salons du sérail, lorsque le génie Cucufa, protecteur déclaré de la famille régnante, nous apparut, et nous ordonna d'aller coucher et de dormir vingt-quatre heures de suite: on obéit; et, ce terme expiré, le sérail se trouva transformé en une vaste et magnifique galerie de pantins; on voyait, à l'un des bouts, Kanoglou sur son trône; une longue ficelle usée lui descendait entre les jambes; une vieille fée décrépite96 l'agitait sans cesse, et d'un coup de poignet mettait en mouvement une multitude innombrable de pantins subalternes, auxquels répondaient des fils imperceptibles et déliés qui partaient des doigts et des orteils de Kanoglou: elle tirait, et à l'instant le sénéchal dressait et scellait des édits ruineux, ou prononçait à la louange de la fée un éloge que son secrétaire lui soufflait; le ministre de la guerre envoyait à l'armée des allumettes; le surintendant des finances bâtissait des maisons et laissait mourir de faim les soldats; ainsi des autres pantins.

«Si quelques pantins exécutaient leurs mouvements de mauvaise grâce, ne levaient pas assez les bras, ne fléchissaient pas assez les jambes, la fée rompait leurs attaches d'un coup d'arrière-main, et ils devenaient paralytiques. Je me souviendrai toujours de deux émirs très-vaillants qu'elle prit en guignon, et qui demeurèrent perclus des bras pendant toute leur vie97.

«Les fils qui se distribuaient de toutes les parties du corps de Kanoglou, allaient se rendre à des distances immenses, et faisaient remuer ou se reposer, du fond du Congo jusque sur les confins du Monoémugi, des armées de pantins: d'un coup de ficelle une ville s'assiégeait, on ouvrait la tranchée, l'on battait en brèche, l'ennemi se préparait à capituler; mais il survenait un second coup de ficelle, et le feu de l'artillerie se ralentissait, les attaques ne se conduisaient plus avec la même vigueur, on arrivait au secours de la place, la division s'allumait entre nos généraux; nous étions attaqués, surpris et battus à plate couture.

«Ces mauvaises nouvelles n'attristaient jamais Kanoglou; il ne les apprenait que quand ses sujets les avaient oubliées; et la fée ne les lui laissait annoncer que par des pantins qui portaient tous un fil à l'extrémité de la langue, et qui ne disaient que ce qu'il lui plaisait, sous peine de devenir muets.

«Une autre fois nous fûmes tous charmés, nous autres jeunes fous, d'une aventure qui scandalisa amèrement les dévots: les femmes se mirent à faire des culbutes, et à marcher la tête en bas, les pieds en l'air et les mains dans leurs mules98.

«Cela dérouta d'abord toutes les connaissances, et il fallut étudier les nouvelles physionomies; on en négligea beaucoup, qu'on cessa de trouver aimables lorsqu'elles se montrèrent; et d'autres, dont on n'avait jamais rien dit, gagnèrent infiniment à se faire connaître. Les jupons et les robes tombant sur les yeux, on risquait à s'égarer ou à faire de faux pas; c'est pourquoi on raccourcit les uns, et l'on ouvrit les autres: telle est l'origine des jupons courts et des robes ouvertes. Quand les femmes se retournèrent sur leurs pieds, elles conservèrent cette partie de leur habillement comme elle était; et si l'on considère bien les jupons de nos dames, on s'apercevra facilement qu'ils n'ont point été faits pour être portés comme on les porte aujourd'hui.

«Toute mode qui n'aura qu'un but passera promptement; pour durer, il faut qu'elle soit au moins à deux fins. On trouva dans le même temps le secret de soutenir la gorge en dessus, et l'on s'en sert aujourd'hui pour la soutenir en dessous.

«Les dévotes, surprises de se trouver la tête en bas et les jambes en l'air, se couvrirent d'abord avec leurs mains; mais cette attention leur faisait perdre l'équilibre et trébucher lourdement. De l'avis des bramines, elles nouèrent dans la suite leurs jupons sur leurs jambes avec de petits rubans noirs; les femmes du monde trouvèrent cet expédient ridicule, et publièrent que cela gênait la respiration et donnait des vapeurs; ce prodige eut des suites heureuses; il occasionna beaucoup de mariages, ou de ce qui y ressemble, et une foule de conversions; toutes celles qui avaient les fesses laides se jetèrent à corps perdu dans la dévotion et prirent des petits rubans noirs: quatre missions de bramines n'en auraient pas tant fait.

«Nous sortions à peine de cette épreuve que nous en subîmes une autre moins générale, mais non moins instructive. Les jeunes filles, depuis l'âge de treize ans jusqu'à dix-huit, dix-neuf, vingt et par delà, se levèrent un beau matin le doigt du milieu pris, devinez où, madame? dit Sélim à la favorite. Ce n'était ni dans la bouche, ni dans l'oreille, ni à la turque: on soupçonna leur maladie, et l'on courut au remède. C'est depuis ce temps que nous sommes dans l'usage de marier des enfants à qui l'on devrait donner des poupées.

«Autre bénédiction: la cour de Kanoglou abondait en petits-maîtres; et j'avais l'honneur d'en être. Un jour que je les entretenais des jeunes seigneurs français, je m'aperçus que nos épaules s'élevaient et devenaient plus hautes que nos têtes; mais ce ne fut pas tout: sur-le-champ nous nous mîmes à pirouetter sur un talon.

– Et qu'y avait-il de rare en cela? demanda la favorite.

– Rien, madame, lui répondit Sélim, sinon que la première métamorphose est l'origine des gros dos, si fort à la mode dans votre enfance; et la seconde, celle des persifleurs, dont le règne n'est pas encore passé. On commençait alors, comme aujourd'hui, à quelqu'un un discours, qu'on allait en pirouettant continuer à un autre et finir à un troisième, pour qui il devenait moitié obscur, moitié impertinent.

«Une autre fois, nous nous trouvâmes tous la vue basse; il fallut recourir à Bion99: le coquin nous fit des lorgnettes, qu'il nous vendait dix sequins, et dont nous continuâmes de nous servir, même après que nous eûmes recouvré la vue. De là viennent, madame, les lorgnettes d'opéra.

«Je ne sais ce que les femmes galantes firent, à peu près dans ce temps, à Cucufa; mais il se vengea d'elles cruellement. A la fin d'une année, dont elles avaient passé les nuits au bal, à table et au jeu, et les jours dans leurs équipages ou entre les bras de leurs amants, elles furent tout étonnées de se trouver laides: l'une était noire comme une taupe, l'autre couperosée, celle-ci pâle et maigre, celle-là jaunâtre et ridée: il fallut pallier ce funeste enchantement; et nos chimistes découvrirent le blanc, le rouge, les pommades, les eaux, les mouchoirs de Vénus, le lait virginal, les mouches et mille autres secrets dont elles usèrent pour cesser d'être laides et devenir hideuses. Cucufa les tenait sous cette malédiction, lorsque Erguebzed, qui aimait les belles personnes, intercéda pour elles: le génie fit ce qu'il put; mais le charme avait été si puissant, qu'il ne put le lever qu'imparfaitement; et les femmes de cour restèrent telles que vous les voyez encore.

– En fut-il de même des hommes? demanda Mirzoza.

– Non, madame, répondit Sélim; ils durèrent les uns plus, les autres moins: les épaules hautes s'affaissèrent peu à peu; on se redressa; et de crainte de passer pour gros dos, on porta la tête au vent, et l'on minauda; on continua de pirouetter, et l'on pirouette encore aujourd'hui; entamez une conversation sérieuse ou sensée en présence d'un jeune seigneur du bel air, et, zest, vous le verrez s'écarter de vous en faisant le moulinet, pour aller marmotter une parodie à quelqu'un qui lui demande des nouvelles de la guerre ou de sa santé, ou lui chuchoter à l'oreille qu'il a soupé la veille avec la Rabon; que c'est une fille adorable; qu'il paraît un roman nouveau; qu'il en a lu quelques pages, que c'est du beau, mais du grand beau: et puis, zest, des pirouettes vers une femme à qui il demande si elle a vu le nouvel opéra, et à qui il répond que la Dangeville a fait à ravir.»

Mirzoza trouva ces ridicules assez plaisants, et demanda à Sélim s'il les avait eus.

«Comment! madame, reprit le vieux courtisan, était-il permis de ne les pas avoir, sans passer pour un homme de l'autre monde? Je fis le gros dos, je me redressai, je minaudai, je lorgnai, je pirouettai, je persiflai comme un autre; et tous les efforts de mon jugement se réduisirent à prendre ces travers des premiers, et à n'être pas des derniers à m'en défaire.»

Sélim en était là, lorsque Mangogul parut.

L'auteur africain ne nous apprend ni ce qu'il était devenu, ni ce qui l'avait occupé pendant le chapitre précédent: apparemment qu'il est permis aux princes du Congo de faire des actions indifférentes, de dire quelquefois des misères et de ressembler aux autres hommes, dont une grande partie de la vie se consume à des riens, ou à des choses qui ne méritent pas d'être sues.

CHAPITRE LI.
VINGT-HUITIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. OLYMPIA

«Madame, réjouissez-vous, dit Mangogul en entrant chez la favorite. Je vous apporte une nouvelle agréable. Les bijoux sont de petits fous qui ne savent ce qu'ils disent. La bague de Cucufa peut les faire parler, mais non leur arracher la vérité.

– Et comment Votre Hautesse les a-t-elle surpris en mensonge? demanda la favorite.

– Vous l'allez savoir, répondit le sultan. Sélim vous avait promis toutes ses aventures; et vous ne doutez point qu'il ne vous ait tenu parole. Eh bien! je viens de consulter un bijou qui l'accuse d'une méchanceté qu'il ne vous a pas confessée, qu'assurément il n'a point eue, et qui même n'est pas de son caractère. Tyranniser une jolie femme, la mettre à contribution sous peine d'exécution militaire, reconnaissez-vous là Sélim?

– Eh! pourquoi non, seigneur? répliqua la favorite. Il n'y a point de malice dont Sélim n'ait été capable; et s'il a tu l'aventure que vous avez découverte, c'est peut-être qu'il s'est réconcilié avec ce bijou, qu'ils sont bien ensemble, et qu'il a cru pouvoir me dérober une peccadille, sans manquer à sa promesse.

– La fausseté perpétuelle de vos conjectures, lui répondit Mangogul, aurait dû vous guérir de la maladie d'en faire. Ce n'est point du tout ce que vous imaginez; c'est une extravagance de la première jeunesse de Sélim. Il s'agit d'une de ces femmes dont on tire parti dans la minute, et qu'on ne conserve point.

– Madame, dit Sélim à la favorite, j'ai beau m'examiner, je ne me rappelle plus rien, et je me sens à présent la conscience tout à fait pure.

– Olympia, dit Mangogul…

– Ah! prince, interrompit Sélim, je sais ce que c'est: cette historiette est si vieille, qu'il n'est pas étonnant qu'elle me soit échappée.

– Olympia, reprit Mangogul, femme du premier caissier du Hasna, s'était coiffée d'un jeune officier, capitaine dans le régiment de Sélim. Un matin, son amant vint tout éperdu lui annoncer les ordres donnés à tous les militaires de partir, et de joindre leurs corps. Mon aïeul Kanoglou avait résolu cette année d'ouvrir la campagne de bonne heure, et un projet admirable qu'il avait formé n'échoua que par la publicité des ordres. Les politiques en frondèrent, les femmes en maudirent: chacun avait ses raisons. Je vous ai dit celles d'Olympia. Cette femme prit le parti de voir Sélim, et d'empêcher, s'il était possible, le départ de Gabalis: c'était le nom de son amant. Sélim passait déjà pour un homme dangereux. Olympia crut qu'il convenait de se faire escorter; et deux de ses amies, femmes aussi jolies qu'elle, s'offrirent à l'accompagner. Sélim était dans son hôtel lorsqu'elles arrivèrent. Il reçut Olympia, car elle parut seule, avec cette politesse aisée que vous lui connaissez, et s'informa de ce qui lui attirait une si belle visite.

« – Monsieur, lui dit Olympia, je m'intéresse pour Gabalis, il a des affaires importantes qui rendent sa présence nécessaire à Banza, et je viens vous demander un congé de semestre.

« – Un congé de semestre, madame? Vous n'y pensez pas, lui répondit Sélim; les ordres du sultan sont précis: je suis au désespoir de ne pouvoir me faire auprès de vous un mérite d'une grâce qui me perdrait infailliblement. Nouvelles instances de la part d'Olympia: nouveaux refus de la part de Sélim.

« – Le vizir m'a promis que je serais compris dans la promotion prochaine. Pouvez-vous exiger, madame, que je me noie pour vous obliger?

« – Et non, monsieur, vous ne vous noierez point, et vous m'obligerez.

« – Madame, cela n'est pas possible; mais si vous voyiez le vizir.

« – Ah! monsieur, à qui me renvoyez-vous là? Cet homme n'a jamais rien fait pour les dames.

« – J'ai beau rêver, car je serais comblé de vous rendre service, et je n'y vois plus qu'un moyen.

« – Et quel est-il? demanda vivement Olympia.

« – Votre dessein, répondit Sélim, serait de rendre Gabalis heureux pour six mois; mais, madame, ne pourriez-vous pas disposer d'un quart d'heure des plaisirs que vous lui destinez?»

«Olympia le comprit à merveille, rougit et bégaya, et finit par se récrier sur la dureté de la proposition.

« – N'en parlons plus, madame, reprit le colonel d'un air froid, Gabalis partira; il faut que le service du prince se fasse. J'aurais pu prendre sur moi quelque chose, mais vous ne vous prêtez à rien. Au moins, madame, si Gabalis part, c'est vous qui le voulez.

« – Moi! s'écria vivement Olympia; ah, monsieur! expédiez promptement sa patente, et qu'il reste.» Les préliminaires essentiels du traité furent ratifiés sur un sofa, et la dame croyait pour le coup tenir Gabalis, lorsque le traître que vous voyez, s'avisa, comme par réminiscence, de lui demander ce que c'était que les deux dames qui l'avaient accompagnée, et qu'elle avait laissées dans l'appartement voisin.

« – Ce sont deux de mes intimes, répondit Olympia.

« – Et de Gabalis aussi, ajouta Sélim; il n'en faut pas douter. Cela supposé, je ne crois pas qu'elles refusent d'acquitter chacune un tiers des droits du traité. Oui, cela me paraît juste; je vous laisse, madame, le soin de les y disposer.

« – En vérité, monsieur, lui répondit Olympia, vous êtes étrange. Je vous proteste que ces dames n'ont nulle prétention à Gabalis; mais pour les tirer et sortir moi-même d'embarras, si vous me trouvez bonne, je tâcherai d'acquitter la lettre de change que vous tirez sur elles.» Sélim accepta l'offre. Olympia fit honneur à sa parole; et voilà, madame, ce que Sélim aurait dû vous apprendre.

– Je lui pardonne, dit la favorite; Olympia n'était pas assez bonne à connaître, pour que je lui fasse un procès de l'avoir oubliée. Je ne sais où vous allez déterrer ces femmes-là: en vérité, prince, vous avez toute la conduite d'un homme qui n'a nulle envie de perdre un château.

– Madame, il me semble que vous avez bien changé d'avis depuis quelques jours, lui répondit Mangogul: faites-moi la grâce de vous rappeler quel est le premier essai de ma bague que je vous proposai; et vous verrez qu'il n'a pas dépendu de moi de perdre plus tôt.

– Oui, reprit la sultane, je sais que vous m'avez juré que je serais exceptée du nombre des bijoux parlants, et que depuis ce temps vous ne vous êtes adressé qu'à des femmes décriées; à une Aminte, une Zobéide, une Thélis, une Zulique, dont la réputation était presque décidée.

– Je conviens, dit Mangogul, qu'il eût été ridicule de compter sur ces bijoux: mais, faute d'autres, il a bien fallu s'en tenir à ceux-là. Je vous l'ai déjà dit, et je vous le répète, la bonne compagnie en fait de bijoux est plus rare que vous ne pensez; et si vous ne vous déterminez à gagner vous-même…

– Moi, interrompit vivement Mirzoza! je n'aurai jamais de château de ma vie, si, pour en avoir un, il faut en venir là. Un bijou parlant! fi donc! cela est d'une indécence… Prince, en un mot, vous savez mes raisons; et c'est très-sérieusement que je vous réitère mes menaces.

– Mais, ou ne vous plaignez plus de mes essais, ou du moins indiquez-nous à qui vous prétendez que nous ayons recours; car je suis désespéré que cela ne finisse point. Des bijoux libertins, et puis quoi encore, des bijoux libertins, et toujours des bijoux libertins.

– J'ai grande confiance, répondit Mirzoza, dans le bijou d'Églé; et j'attends avec impatience la fin des quinze jours que vous m'avez demandés.

– Madame, reprit Mangogul, ils expirèrent hier; et tandis que Sélim vous faisait des contes de la vieille cour, j'apprenais du bijou d'Églé, que, grâce à la mauvaise humeur de Célébi, et aux assiduités d'Almanzor, sa maîtresse ne vous est bonne à rien.

– Ah! prince, que me dites-vous là? s'écria la favorite.

– C'est un fait, reprit le sultan: je vous régalerai de cette histoire une autre fois; mais en attendant, cherchez une autre corde à votre arc.

– Églé, la vertueuse Églé, s'est enfin démentie! disait la favorite surprise; en vérité, je n'en reviens pas.

– Vous voilà toute désorientée, reprit Mangogul, et vous ne savez plus où donner de la tête.

– Ce n'est pas cela, répondit la favorite; mais je vous avoue que je comptais beaucoup sur Églé.

– Il n'y faut plus penser, ajouta Mangogul; dites-nous seulement si c'était la seule femme sage que vous connussiez?

– Non, prince; il y en a cent autres, et des femmes aimables que je vais vous nommer, repartit Mirzoza. Je vous réponds comme de moi-même, de… de…»

Mirzoza s'arrêta tout court, sans avoir articulé le nom d'une seule. Sélim ne put s'empêcher de sourire, et le sultan d'éclater de l'embarras de la favorite, qui connaissait tant de femmes sages, et qui ne s'en rappelait aucune.

Mirzoza piquée se tourna du côté de Sélim, et lui dit: «Mais, Sélim, aidez-moi donc, vous qui vous y connaissez. Prince, ajouta-t-elle en portant la parole au sultan, adressez-vous à… Qui dirai-je? Sélim, aidez-moi donc.

– A Mirzoza, continua Sélim.

– Vous me faites très-mal votre cour, reprit la favorite. Je ne crains pas l'épreuve; mais je l'ai en aversion. Nommez-en vite une autre, si vous voulez que je vous pardonne.

– On pourrait, dit Sélim, voir si Zaïde a trouvé la réalité de l'amant idéal qu'elle s'est figuré, et auquel elle comparait jadis tous ceux qui lui faisaient la cour.

– Zaïde? reprit Mangogul; je vous avoue que cette femme est assez propre à me faire perdre.

– C'est, ajouta la favorite, peut-être la seule dont la prude Arsinoé et le fat Jonéki aient épargné la réputation.

– Cela est fort, dit Mangogul; mais l'essai de ma bague vaut encore mieux. Allons droit à son bijou:

 
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchas.
 

– Comment! ajouta la favorite en riant, vous possédez votre Racine comme un acteur.»

95.Révocation de l'édit de Nantes.
96.Mme de Maintenon.
97.Ces deux émirs sont Vendôme, que Mme de Maintenon haïssait, et Catinat qu'elle soupçonnait de jansénisme.
98.Les convulsions à Saint-Médard.
99.Ingénieur et opticien mort en 1733. Il écrivait des livres et vendait des globes et des instruments de mathématiques. Voir Plan d'une Université, t. III, p. 460.

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12+
Release date on Litres:
11 August 2017
Volume:
330 p. 1 illustration
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