Read the book: «Ariion XXIII», page 2

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Chapitre deux

Cameron marchait dans une allée menant au Zoo de Central Park, lorsqu’il entendit quelqu’un crier son nom. Il s’arrêta et se retourna.

- Est-ce que je peux marcher avec toi ? demanda Ariion. Les autres me font peur.

- Peur ? Il baissa les yeux vers ses habits. Tu ne penses pas que je fais peur, moi aussi ?

- Tu ne craches pas, tu ne fais pas de remarques stupides et tu ne te grattes pas.

- Très bien. Suis-moi, je vais au zoo. Il y a toujours des choses utiles à récupérer à l’entrée.

- Des choses utiles ? demanda-t-elle. Des ordures, tu veux dire ?

- Euh, ouais, d’accord, des ordures.

Ils passèrent deux heures à pavaner dans le zoo, à ramasser les ordures et à regarder les animaux.

Arrivés à la cage des singes, Ariion inséra deux pièces de vingt-cinq cents dans le distributeur et un sac de cacahuètes tomba.

- Ils vivent la belle vie, eux ! dit-elle en jetant une cacahuète à un bébé singe. Supplier pour de la nourriture et dormir dans une belle cage en sécurité est une vie de rêve.

Elle offrit le sac à Cameron.

- Merci.

Il craqua une cacahuète et en mangea l’intérieur.

- Ouais, ils vivent une vie de rêve.

Ils sortirent du zoo et longèrent le chemin menant au lac. A midi, ils récupérèrent leur déjeuner, puis s’installèrent sur une petite colline d’herbe surplombant l’eau ondulante. Leur déjeuner consistait en un sandwich au fromage et une saucisse italienne, une boisson et une pomme.

Leur repas terminé, Cameron fourra la pomme dans sa poche et ils reprirent leur travail.

Alors qu’ils marchaient dans la direction de Général Sherman Square, Cameron pointa son bâton vers un vieil homme traînant des pieds le long du chemin.

- Hé, mais c’est La Valve !

- La Valve ?

- Il n’a plus qu’un poumon, mais il fume comme une cheminée. Il doit s’arrêter tous les deux ou trois pas pour reprendre son souffle.

Ils s’approchèrent du vieil homme et Cameron dit :

- Salut, La Valve, comment ça va ?

- Hein ? Ah, salut, Came !

La Valve se laissa choir sur un banc, en respirant fort.

- Je vais…très bien.

Il tapota les poches de son manteau en lambeaux, mais elles étaient vides.

- T’aurais pas une…clope… par hasard ?

- Tu sais très bien que je ne fume pas.

- Et ta… copine ?

Sans dents et les épaules affaissées, il haleta pour prendre une inspiration.

Elle hocha la tête.

- Si t’arrêtes pas, dit Cameron, ils te retireront ton deuxième poumon.

- Je sais… Il prit quelques profondes respirations. J’aurais alors… vraiment un grand problème pour respirer ! J’arrêterai demain, c’est promis.

Les vêtements et le corps de Valve sentaient forts. Il fit signe vers le sac en plastique de Cameron.

- Pourquoi tu ramasses la poubelle ?

- J’ai été condamné aux services communautaires.

- Pourquoi ?

Cameron raconta à La Valve son arrestation pour un braquage de banque et comment il s’en était tiré avec seulement trois semaines de services communautaires.

- Elle était avec toi ? lui demanda-t-il en faisant un signe de tête vers Ariion.

- Non, dit Cameron. Elle a commis un crime bien pire que le mien.

- Vraiment ?

La Valve la regarda avec une admiration évidente.

- Tiens, prends ça !

Cameron sortit la pomme de sa poche et la tendit à La Valve.

Le vieil homme hésita.

- T’en veux pas ?

- Euh, j’ai déjà mangé un déjeuner bien copieux, dit Cameron.

- Merci !

La Valve sortit un couteau de sa poche et se coupa un petit morceau de la pomme.

- Elle s’appelle comment ta copine ?

- Ariion.

- Ravi de faire ta connaissance. Moi et le vieux…, dit-il en faisant signe vers Cameron,… vivons ici… dans le parc depuis presque quatre ans.

- Quatre ans ? dit Ariion. Et comment vous faites ?

- Il y a beaucoup de… bienfaiteurs, qui viennent ici … deux ou trois fois par semaine.

Il s’arrêta pour reprendre sa respiration et reprit :

- Raconte-lui, Came.

- Ils nous donnent à manger, du dentifrice, du savon, des choses comme ça. C’est pas trop mal, sauf en hiver.

- Ouais, l’hiver, dit La Valve. Raconte-lui.

- Les nuits très froides, on va dans des refuges.

- Je ne pourrais même pas le supporter quatre jours, dit Ariion, encore moins quatre ans.

Cameron et La Valve se regardèrent.

- Beaucoup… n’y arrivent pas.

- Je pense qu’on ferait mieux de nous remettre au boulot, mon pote, lui dit Cameron. Garde-moi à manger pour ce soir.

- Ouais.

La Valve se démena pour se remettre debout.

- Je vais à Wall Street. Quand ces agents financiers … sortent, ils peuvent être parfois très généreux.

Alors que Cameron et Ariion s’éloignaient de La Valve et se dirigeaient vers Sheep Meadow, le portable d'Ariion joua une mélodie. Elle le sortit de sa poche et jeta un coup d'œil à l'écran. Elle soupira et le remit dans sa poche.

- Mauvaises nouvelles ? lui demanda Cameron en enfonçant le bout de son pique-papier dans un gobelet de cappuccino.

Elle hocha la tête.

- C’était maman. Elle ne rentrera pas pour le dîner.

- Tu ne veux pas lui parler ?

Il laissa tomber le gobelet dans le sac poubelle.

Ariion embrocha une cannette de Pepsi.

- Non, c’était juste un message, comme d’habitude.

Elle hocha la tête et laissa tomber la cannette en aluminium dans son sac en plastique.

- Je croyais que tous les gamins aimaient texter ?

- Je n’aime pas les texto.

- Et ton copain ?

Ariion lui lança un regard du coin de l’œil et expira fort du nez.

- Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu n’as pas de copain ou il n’aime pas les texto non plus ?

- Aucun garçon ne me textera ou ne m’appellera.

- Tu plaisantes j’espère ? Une jeune fille mignonne comme toi, les garçons devraient se battre, juste pour lui ouvrir une porte !

Elle rit en grognant.

- Ouais, c’est ça !

- T’as la lèpre ou quoi ?

Elle poussa un grand soupir.

- Pourquoi le juge t’a condamné aux services communautaires ?

- Il pense que cela me rendrait plus responsable.

- Et est-ce que c’est vrai ?

- Tu rigoles ou quoi, Central Park est ma maison. Ça ne me dérange pas de m’y balader en ramassant les ordures.

Il leva les yeux vers la colline.

- Hé, regarde, un emballage de Big Mac. Tu veux l’emballage ou ce ticket de parking ?

Il pointa son pique-papier vers la gauche, en bas de la colline.

- Euh… Je choisis le ticket de parking.

Elle ouvrit son sac poubelle.

- J’ai déjà deux emballages de Big Mac.

* * * * *

Le deuxième jour de services communautaires, Cameron et Ariion marchaient ensemble le long de la rive sud du lac de Central Park.

- Tu as dit qu’ils t’avaient embarquée pour vandalisme, dit Cameron. Qu’est-ce que t’as fait ?

- Tu sais ces caméras vidéo en haut des poteaux ?

Cameron planta une bouteille d’eau en plastique qui émit un sifflement.

- Ouais, elles sont partout.

Cameron fourra la bouteille dans son sac.

- Je déteste ces trucs ! Qu’est-ce qui leur donne le droit de nous surveiller tout le temps ?

- Sécurité ?

- Espionnage, plutôt ! dit Ariion. On ne peut pas se balader dans les rues sans que ces gadgets nous regardent. Et dans tous les magasins de merde où tu rentres, il y a trois ou quatre boîtes à un œil qui suivent tous tes mouvements. Et qui est derrière ? Peut-être des pervers.

- Je crois que c’est…

- Et où est-ce que c’est dit dans la Constitution que notre gouvernement a le droit de nous espionner ? On n’est pas en Chine, nom de Dieu !

- Mais s’il y a un voleur…

- J’en ai cassé une en lançant dessus une pierre.

Cameron s’arrêta et la regarda fixement.

Ariion avait fait quelques pas de plus, avant de s’arrêter et de se retourner dans sa direction.

- Quoi ?

- Tu sais à quelle hauteur sont ces caméras ?

- Ouais, à 9 ou 12 mètres !

- Et tu as pu l’atteindre avec une pierre ?

- J’ai fait volé la lentille en mille morceaux.

Elle planta un emballage de bonbon.

- Ouah, tu as un bon lancé.

- Ouais, dit-elle en laissant tomber l’emballage dans son sac. Un bon lancé.

- Tu ne savais pas que ces gens de la sécurité finiraient par t’identifier ?

- Ça prouve ce que j’ai dis, pourquoi ils me surveillaient ?

- Peut-être que tu leur paraissais suspecte.

- Bien sûr, je sortais d’un magasin de glaces avec mon amie.

- Qu’est-ce que ta mère t’a dit ?

- Elle m’a envoyée un texto pour me dire qu’elle était déçue.

- C’est tout ?

- Ouais, elle était en réunion.

Ils marchèrent le long d’un sentier, puis passèrent devant une fontaine en marbre.

- Tu es vieux, hein ? dit Ariion.

Cameron la regarda.

- Tu me donnes quel âge ?

Elle étudia son visage un moment, enregistrant sa moustache épaisse et ses longs cheveux.

- J’sais pas. C’est difficile de deviner l’âge de quelqu’un.

Elle s’agenouilla pour ramasser une boule de chewing-gum.

- Devine !

- Euh… Environ cinquante ans ?

- Fort Jésus ! Cameron s’arrêta et se frotta la barbe. Je fais cinquante ans ?

- Soixante ? dit-elle en haussant les épaules. Tu me donnes quel âge, toi ?

Il la regarda incliner la tête et sourire, montrant son appareil dentaire argenté.

- Douze ans ?

- En fait, j’ai fêté mon 13ème anniversaire le 1er décembre.

- J’étais pas loin.

- En vrai, quel âge as-tu ?

Elle enfonça son pique-papier dans un verre en papier.

- Tu me croirais, si je te disais trente-deux ans ?

Ariion se figea. Elle fixa Cameron, les yeux écarquillés. Après un moment, elle glissa le bâton sous son aisselle droite, tira le verre du pique-papier avec sa main droite et le laissa tomber dans son sac.

- Tu ne peux pas avoir trente-deux ans. Ma mère a trente-deux ans et elle fait beaucoup plus jeune que toi.

- Très bien…

Cameron fit une pause et regarda ses mains. Ses ongles étaient craqués et sales, mais sa peau n’était pas ridée.

- Ne prends surtout pas de pincettes avec moi, parce que je n’ai pas de cœur.

Elle lui fit un grand sourire.

- Et ton père ? Quel âge il a ?

- J’sais pas.

- À peu près ! dit-il.

- Je n’ai aucune idée. Je l’ai fait fuir.

- Tu es encore très jeune. Comment as-tu pu le faire fuir ?

- À l’époque, j’étais une toute petite fille.

Il la regarda et attendit.

- J’avais environ deux ans. Il a dit à ma mère qu’il ne pouvait plus le supporter et il est parti. Depuis, nous n’avons plus eu de ses nouvelles.

Cameron harponna un sac en papier jaune et blanc.

- Je ne crois pas qu’il soit parti à cause de toi. Probablement que ta mère et lui ne s’entendaient pas.

- Il me haïssait parce qu’il avait perdu sa liberté en devenant mon père. Il ne pouvait pas prendre la responsabilité d’élever une enfant débile, alors il a été libéré sous caution.

Elle s’arrêta pour s’asseoir sur un banc en pierre, face à une statue du Général Sherman sur un cheval.

- Raconte-moi ton histoire ?

Il s’assit à côté d’elle et frotta le bout pointu de son pique-papier contre le ciment.

- Que veux-tu dire ?

- Est-ce que tu as des enfants ?

Il secoua la tête en regardant l’extrémité de son bâton.

- Je sais que tu as grandi à l’orphelinat de St-Laurent. Comment c’était ?

- Tu ne me croiras peut-être pas, mais c’était pas mal. Ils prenaient bien soin de moi et j’avais environ trente-cinq frères et sœurs avec qui jouer.

- Mais ta mère et ton père doivent te manquer.

- Je ne les ai jamais connus, ils ne peuvent pas me manquer.

* * * * *

- Encore deux jours et je serai libre, dit Cameron alors que lui et Ariion marchaient le long de la clôture du zoo.

Ça faisait trois heures qu’ils ramassaient des ordures.

- Moi, j’ai fini ma peine la semaine dernière.

Il la fixa du regard.

- Tu es folle ?

Il s’assit sur un banc et déballa son déjeuner offert par la ville.

- Probablement ! Mais je voulais savoir combien de temps ça prendrait à ma mère pour réaliser que ma sentence était finie.

Elle s’assit à côté de lui et ouvrit un sac en papier marron qu’elle avait apportée de chez elle.

Cameron éclata de rire.

- Je ne comprends pas pourquoi les garçons ne te draguent pas.

- Tu ne vas pas recommencer avec ça ?

Chapitre trois

- Est-ce que tu souffres d’une maladie grave, ou quoi ? Ebola, baribari, hari-kari ?

Cameron mordit dans son sandwich au beurre de cacahuète.

- Je suis juste un peu curieux.

Ariion soupira, puis haussa les épaules.

- Presque tous les gamins m’évitent depuis la maternelle, à part une seule fille. Ils me parlent juste pour me dire des méchancetés.

- Qui est cette fille ?

- Félicia McGuire. Elle porte une attelle à sa jambe droite, car son genou n’a pas poussé normalement. Elle ne peut ni courir, ni jouer comme les autres gamins. Elle essaye de cacher son boitement, mais ça ne marche pas.

- Et elle est ta seule amie ?

- Ouais ! Les autres nous appellent ‘les sœurs estropes’.

Il haussa un sourcil.

- ‘Estropes’ pour ‘estropiées’.

- Mais tu es normale !

- Tu n’as pas fait attention à mon bras.

La manche de sa chemise cachait son poing gauche posé sur son genou.

- Il a l’air normal, dit-il.

- Lorsque je me suis assise il y a une minute, j’ai utilisé ma main droite pour poser ma main gauche sur mon genou.

Cameron se pencha en avant pour mieux voir.

Ariion fit bouger les doigts de sa main gauche.

- J’arrive à bouger mes doigts, mais je ne peux pas les serrer.

- Nous avons passé trois semaines ensemble à ramasser les ordures et je n’ai rien remarqué.

- Je suis une pro pour le cacher, mais les enfants le savent depuis des années et, ils ne ratent jamais une occasion pour m’appeler moi et Félicia ‘ les estropes’. Ils adorent se moquer de nous et nous voir pleurer. Mais je ne pleure plus maintenant. Félicia parfois pleure encore, lorsqu’on n’est pas ensemble.

Cameron avala sa salive et regarda un pigeon atterrir sur le chapeau du général Sherman.

- Les gamins peuvent être si cruels parfois, mais je parie que tu le sais déjà.

Elle acquiesça de la tête.

- Fais-moi voir ton bras.

Elle enroula sa manche.

- Il m’a l’air normal ! Qu’est-ce que ton médecin a dit ?

- J’en ai consulté une douzaine. Ils disent tous la même chose, qu’il n’y a rien d’anormal. Je vais chez un thérapeute deux fois par semaine pour empêcher que mes muscles s’affaiblissent, et j’ai des exercices à faire deux fois par jour. C’est la raison pour laquelle il parait normal. Le seul problème est que je ne peux pas le bouger.

- Est-ce que l'un des médecins t’a parlé de l'hémiparésie ?

- Oui, un médecin m’en a parlé. Mais, ensuite, il a dit qu’il pensait que mon problème n’était pas ça, parce que le reste du côté gauche de mon corps fonctionnait bien.

- Des fois l’hémiparésie n’affecte qu’une partie du corps, le bras ou la jambe ou un côté du visage.

- Comment tu sais tout ça ? lui demanda-t-elle.

- Je l’ai lu quelque part. Je me demande pourquoi tous ces médecins n’ont pas pu déceler ton problème ?

Elle sourit.

- Quoi ?

- Tu te demandes ce qui ne va pas avec mon bras ?

- Ouais ?

- Est-ce que tu penses que ça pourrait être psychosomatique ?

- Que ça vient de ta tête ? Qui t’a dit ça ?

- Les médecins numéro trois, quatre et huit.

Cameron suivit des yeux une petite fille qui courrait sur l’herbe, pourchassant un cocker anglais.

- Donc ces trois médecins pensent que c’est toi qui ne veux pas que ton bras fonctionne normalement ?

- Ouais, ils pensent que je suis cinglée comme mon père.

- J’aimerais demander à ces médecins pourquoi ils penseraient qu’une enfant se soumettrait délibérément à l’agonie toutes ces années de railleries et de tortures des autres gamins.

Elle sourit.

- Merci ! C’est exactement ce que je voulais leur expliquer, mais je ne suis jamais arrivée à trouver les bons mots. Ça me rend folle de rage qu’ils pensent que je fais semblant. Un seul médecin nous a dit, à ma mère et à moi, une chose logique. Il a dit qu’il pensait que c’était une sorte de lésion nerveuse ou de mauvais câblage dans mon épaule qui empêchait mes muscles de fonctionner normalement.

- Oui, ça me semble être plus logique, dit Cameron, mais le problème est que les chirurgiens spécialisés en nerfs sont rares. Est-ce que ce médecin pense que ça guérira avec le temps ?

- Il a dit que ça pourrait arriver, car mon corps est toujours en croissance.

- Si rien ne change dans deux ans, tu devrais aller consulter un neurochirurgien.

* * * * *

Lundi après-midi, Ariion accompagna sa mère à la porte d’entrée de la maison.

- Maman, je te présente Cameron.

- Euh… bonjour.

Sa mère croisa les bras en fixant l’étranger débraillé.

- Comment allez-vous, Mme Sanders ?

- Miss Sanders, s’il vous plait. Je vais bien.

Elle serra le bras de sa fille et la tira à l’intérieur. Une fois la porte fermée, elle se pencha à son oreille.

- Mais qu’est-ce que tu fais ?

- Maman, ne me fais pas honte. Il est très gentil !

- Son physique me dit le contraire, en tout cas ! murmura sa mère.

Ariion et sa mère regardèrent Cameron à travers la porte vitrée. Il s’était tourné pour donner du dos à la porte et se dirigeait vers le bout du porche.

- Où t’as rencontré ce vieux clochard ?

- Au parc. Il faisait partie du programme des services communautaires, comme moi. Et, il n’est pas vieux !

- Oh, mon Dieu ! Qu’est-ce qu’il a fait ? J’ai senti qu’il n’était pas net dès que je l’ai vu.

- Il a été accusé d’un braquage de banque.

- Nom de Dieu, Ariion ! Tu as amené un voleur de banque à notre maison ?

- Il ne l’a pas fait, maman. C’était une erreur d’identité.

Miss Sanders se pencha près de la vitre pour voir Cameron debout au bout du porche.

- J’ai des doutes !

- Il n’est pas vieux. Il a le même âge que toi.

Miss Sanders regarda sa fille en haussant un sourcil.

Ariion acquiesça de la tête.

- Il a au moins cinquante ans ! Pourquoi tu l’as amené ici ?

Elle regarda à nouveau Cameron à travers la vitre.

- Ses cheveux et ses vêtements délabrés ont l’air de n’avoir jamais touchés l’eau.

- On a besoin d’un jardinier ! Ça fait un mois que tu as renvoyé M. Hailey, l’endroit ressemble maintenant à une jungle.

- Je refuse que ce clochard rôde sur notre propriété.

- Accepte seulement de lui parler une minute, maman ! Si tu ne l’aimes pas, il retournera au parc. Il ne sait même pas qu’il est ici pour du travail. Je lui ai seulement dit que je voulais qu’il fasse ta connaissance.

Elle tendit la main vers la poignée de la porte et ajouta :

- Je lui ai dit que tu étais très gentille, alors ne me fais pas passer pour une menteuse.

- Bon sang ! chuchota Miss Sanders. Mais il vit au parc !

- Hé, Cameron, dit Ariion, alors qu’elle et sa mère sortaient sur le porche.

Cameron se tourna pour leur faire face. Il se gratta la barbe et étudia la mère d’Ariion.

- Ma fille m’a appris que vous cherchiez du travail… euh… c’est… je veux dire un travail temporaire.

Cameron jeta un coup d’œil à Ariion, puis hocha la tête.

- Mon boulot actuel me prend tout mon temps.

- C’est-à-dire… ? demanda Miss Sanders.

- Je suis…, il détourna son regard un instant. Je suis guide.

Miss Sanders étouffa un rire.

- Un guide en matière spirituelle, M. Cameron ? Une sorte de gourou ?

- Non, je donne la direction aux personnes qui viennent au parc.

- Notre minute est terminée.

Miss Sanders se retourna, mais Ariion l’agrippa au coude.

- Vous commencez à me taper sur les nerfs, vous deux !

Ariion fit une pause pour reprendre son souffle.

- Maman, nous avons besoin d’un jardinier. Cameron, tu m’as dit que tu aimerais te faire un peu d’argent en faisant des petits boulots. Jardinier temporaire est un petit boulot. Et, maman, il ne te coûtera pas cher. Alors, si on arrêtait de se chamailler et qu’on allait droit au but, comme tu le dis tout le temps.

Miss Sanders croisa les bras et fixa sa fille.

Cameron croisa les bras et fixa Miss Sanders.

- Quelle genre de travaille faites-vous, Miss Sanders ? lui demanda-t-il.

- Je suis arbitragiste. Je peux vous l’épeler, si vous voulez faire des recherches.

- C’est une personne qui fait de l’arbitrage. C’est une personne qui achète des titres sur un marché pour les revendre sur un autre en se faisant un petit profit.

Miss Sanders regarda sa fille.

- Vous devez être heureuse, dit Cameron, que vous ne soyez pas impliquée dans la fusion Pfizer-Merck.

- Qu’est-ce que vous racontez ?

- Pfizer a fait une offre hostile pour 51% des actions de Merck.

Ariion se tourna vers sa mère.

- C’est bien l’accord dont tu as parlé…

Miss Sanders l’interrompit en posant sa main sur son bras, puis dit à Cameron.

- Je suis au courant de la fusion, mais pourquoi devrais-je être contente de ne pas y être impliquée ?

- Le nouveau médicament de Merck pour l’Alzheimer a des effets secondaires intrigants.

- Non, ce n’est pas vrai, souffla-t-elle. Ce médicament a fait l’objet d’essais cliniques depuis presque cinq ans et il n’a aucun effet indésirable. Comment le sauriez-vous, de toute manière ?

- Je parie qu’il a raison, maman, dit Ariion. Et je sais que tu travaillais sur cet accord.

Miss Sanders ignora la remarque d’Ariion.

- Qu’est-ce qu’il fait ? Il lit le National Enquirer avant de l’étaler sur son banc du parc pour dormir dessus ? Ou est-ce que les informations s’engouffrent dans son cerveau lorsqu’il pose sa tête dessus pour dormir ?

Ariion et sa mère regardèrent Cameron, attendant qu’il leur dise d’où il a obtenu ses informations.

Il haussa les épaules et fit un clin d’œil à Ariion avant de parler.

- Ça prend environ quatre ans pour que les résidus des ingrédients actifs se déposent à l’arrière du globe oculaire, causant rétinite pigmentaire irréversible.

- Et vous savez ça, parce que…

- Le rapport sera publié dans le magazine Ophthalmology Review Journal, une publication de Harvard. Vous avez sûrement entendu parler de l’Université de Harvard !

Ariion fit un grand sourire.

Miss Sanders plissa des yeux en direction de sa fille, puis demanda à Cameron :

- Et comment vous savez tout ça ?

Elle se retourna vers Cameron.

- Ne me dites pas que vous avez un ordinateur caché sous votre banc dans le parc, avec une connexion Wifi ?

- Ce serait génial, mais non. La bibliothèque de New York a des centaines d’ordinateurs que n’importe qui peut utiliser gratuitement.

Il fit une pause, les joues de Miss Sanders devinrent rouge écarlate.

- Si vous faites des recherches sur Merck et Cernax, vous trouverez un extrait du résumé de l’article.

- Même si cet article sera publié, ce qui m’étonnerait, un petit rapport dans un magazine inconnu ne veut pas dire que Cernax a vraiment cet effet secondaire.

- Je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais lorsque les médias publieront ce rapport, les actions de Merck seront mises en réserve et Pfizer renflouera l’accord, couvrant les arbitragistes de ridicule en leur faisant perdre des millions de dollars.

* * * * *

Le lendemain après-midi, Ariion était assise au bar du petit-déjeuner face à son ordinateur portable, alors que sa mère regardait le contenu du réfrigérateur.

- Je croyais qu’on avait une cuisinière ? dit sa mère.

- Elle a appelé ce matin, dit Ariion, et elle a laissé une adresse pour que tu lui envoies un chèque. Elle ne reviendra pas.

Elle leva sa main gauche sur son genou et utilisa sa main droite pour faire défiler l’écran de son ordinateur.

- Écoute ça, maman !

Ariion glissa son pointeur, puis se mit à lire.

- Merck Drug Company a arrêté la fabrication de son nouveau médicament contre la maladie de l’Alzheimer, Cernax. Un porte-parole de la compagnie a déclaré que l’entreprise suspendrait la production et la distribution, en attendant la révision d’un article publié aujourd’hui dans Ophthalmology Review Journal.

Sa mère sourit et acquiesça.

- Pourquoi tu n’es pas contrariée ? Il y a deux jours, tu aurais commis un meurtre pour obtenir cet accord de fusion. Maintenant, comme l’a affirmé Cameron hier, le cours des actions va s’effondrer.

- J’ai placé une option à courte durée pour cent mille actions de Merck hier soir. A l’ouverture du marché ce matin, Merck a chuté de cinq dollars par action. Il y a une heure, j’ai couvert ma position en faisant un profit de presque deux cents mille dollars.

- Ouah, maman, c’est super ! Mais t’as pas dit que les négociations d’informations privilégiées était illégales ?

- C’est vrai, ma chérie, mais avoir un tuyau d’un clochard concernant des informations publiées, que tout le monde peut lire sur l’internet, n’est pas considéré comme informations privilégiées.

- Il s’appelle Cameron Petit-Cœur St-Laurent.

- Ça n’empêche pas qu’il soit toujours un clochard. Rien d’autre qu’un vagabond vivant de l’aumône.

- Ouais, c’est ça…

Ariion ferma son ordinateur portable, le glissa sous son bras et se dirigea vers la porte arrière.

- Ce vagabond vient juste de te faire gagner deux cent mille dollars !

Elle tendit sa main pour tourner la poignée de la porte.

- Comme si tu en avais besoin !

Elle sortit en claquant la porte, la rouvrit, passa sa tête à l’intérieur et cria :

- Je vais au parc.

La porte branla quand elle la claqua à nouveau.

Sa mère fixa du regard la porte un moment.

- Après les taxes, murmura-t-elle, il ne me restera plus que cent cinquante-mille dollars.

* * * * *

Vendredi matin, Cameron était sous le porche arrière de Miss Sanders. Il entendit Ariion et sa mère franchir la porte.

- Je vois que les macrosiphum euphorbiae ruinent votre spinosissima.

Ariion rit et faillit renverser le plateau qu’elle tenait en équilibre sur sa main droite.

- Ouais, maman, je t’avais dit de prendre tes médicaments ce matin.

Elle posa le plateau sur la table et servit trois verres de thé glacé.

- M. St-Laurent, dit Miss Sanders, qu’est-ce que vous racontez ?

Elle s’assit à la table et lui fit signe de s’asseoir sur la chaise en face d’elle.

- Les pucerons ont dévasté vos roses.

Il s’assit et accepta la boisson offerte par Ariion. Il prit une petite gorgée, puis inclina le verre dans sa direction.

- Merci ! C’est exactement ce dont j’avais besoin.

Il lissa sa moustache du revers de sa main, puis se tourna vers Miss Sanders.

- Je vous conseille d’acheter du Sevin Dust au WalMart pour les exterminer.

Ariion sourit à sa mère.

- Que dis-tu d’un peu de jardinage ?

Miss Sanders poussa un long soupir et tendit la main vers sa boisson.

- Ou vous pouvez également mélanger du liquide vaisselle à du savon, ajouta Cameron, et le vaporiser sur les buissons.

- Continue, Cameron, dit Ariion. Lorsque tu arriveras à la partie d’agiter une baguette magique en disant ‘Pouf’, elle fera attention à ce que tu dis.

- Ah, ah, très marrant ! dit Miss Sanders. Où avez-vous appris toutes ces bêtises sur les roses et les fusions boursières ?

- Hé, je suis sans ressources, mais pas analphabète.

- Que dites-vous d’un petit travail ? demanda Miss Sanders.

Cameron secoua la tête.

- Dans mon monde, le mot ‘travail’ est une insulte.

Sa carrière professionnelle avant qu’elle ne parte en vrille la surprendrait sûrement. Il y a dix ans, il gagnait un quart de million de dollars par an, puis en un après-midi accablant ses gains avaient chuté à zéro. Depuis il n’avait fait que des petits boulots. C’était comme si son ambition s’était dissipée avec son salaire.

En fait, Cameron n’avait pas besoin de travail à temps complet, mais seulement quelques jours de travail pour se faire un peu d’argent. Il n’était pas intéressé par les engagements à long-terme. Vingt ou trente dollars lui conviendraient très bien. Son seul but était d’avoir assez d’argent pour s’acheter des tickets-repas.

- Très bien, que diriez-vous de travailler pour nous en tant qu’ingénieur paysagiste ?

- Vous aimeriez que je sois votre aide-jardinier ?

- Ce que je veux est que vous disparaissez de notre vie. Mais ma chère fille semble penser que vous possédez…euh… disons, des potentiels ?

- Potentiels, hein ?

Il jeta un coup d’œil à Ariion, puis regarda à nouveau sa mère.

Elle n’était pas moche, mais trop maigre à son goût. Si elle défaisait son chignon et relâchait ses longs cheveux auburn, elle serait mignonne. Un peu de fard à paupières et du crayon à lèvres feraient des merveilles.

- Qu’en pensez-vous ? demanda Cameron à Miss Sanders.

- Je pense qu’un vagabond restera toujours un vagabond.

- Et une sorcière restera…

- Est-ce que vous pouvez arrêter ça ! dit Ariion. On croirait un couple marié. Cameron, on aimerait que tu sois notre jardinier.

- Humm… et qui sera ma patronne ?

- Moi… dit Miss Sanders.

Ariion l’interrompit.

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