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Read the book: «Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, Tome 1», page 14

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§ IX

Il serait difficile de se peindre la confusion et le désespoir de l'armée autrichienne. D'un côté, l'armée française était sur les bords de la Bormida, et il était à croire qu'à la pointe du jour elle la passerait; d'un autre côté, le général Suchet, avec son armée, était sur ses derrières, dans la direction de sa droite.

Où opérer sa retraite? En arrière, elle se trouverait acculée aux Alpes et aux frontières de France; sur la droite, vers Gênes, elle eût pu faire ce mouvement avant la bataille: mais elle ne pouvait plus espérer pouvoir le faire après sa défaite, et pressée par l'armée victorieuse. Dans cette position désespérée, le général Mélas résolut de donner toute la nuit pour rallier et faire reposer ses troupes, de profiter pour cela du rideau de la Bormida et de la protection de la citadelle d'Alexandrie, et ensuite, s'il le fallait, de repasser le Tanaro, et de se maintenir ainsi dans cette position; que cependant on chercherait, en ouvrant des négociations, à sauver l'armée par une capitulation.

Le 15, à la pointe du jour, un parlementaire autrichien vint proposer une suspension d'armes; ce qui donna lieu le même jour à la convention suivante, par laquelle la place de Gênes, toutes celles du Piémont, de la Lombardie, des légations, furent remises à l'armée française; et l'armée autrichienne obtint ainsi la permission de retourner derrière Mantoue, sans être prisonnière de guerre. Par là toute l'Italie fut conquise.

CONVENTION
Entre les généraux en chef des armées française et impériale

Art. 1er. Il y aura armistice et suspension d'hostilités entre l'armée de sa majesté impériale et celle de la république française en Italie, jusqu'à la réponse de la cour de Vienne.

2. L'armée de sa majesté impériale occupera tous les pays compris entre le Mincio, la Fossa-Maestra et le Pô; c'est-à-dire, Peschiera, Mantoue, Borgo-Forte, et depuis là, la rive gauche du Pô; et, à la rive droite, la ville et citadelle de Ferrare.

3. L'armée de sa majesté impériale occupera également la Toscane et Ancône.

4. L'armée française occupera le pays compris entre la Chiesa, l'Oglio et le Pô.

5. Le pays, entre la Chiesa et le Mincio, ne sera occupé par aucune des deux armées. L'armée de sa majesté impériale pourra tirer des vivres des pays qui faisaient partie du duché de Mantoue. L'armée française tirera des vivres des pays qui faisaient partie de la province de Brescia.

6. Les châteaux de Tortone, d'Alexandrie, de Milan, de Turin, de Pizzighettone, d'Arona, de Plaisance, seront remis à l'armée française, du 27 prairial au 1er messidor (ou du 16 juin au 20 du même mois).

7. La place de Coni, les châteaux de Ceva, Savone, la ville de Gênes, seront remis à l'armée française, du 16 au 24 juin (ou du 27 prairial au 5 messidor).

8. Le fort Urbin sera remis le 26 juin (7 messidor).

9. L'artillerie des places sera classée de la manière suivante: 1o toute l'artillerie des calibres et fonderies autrichiennes appartiendra à l'armée autrichienne; 2o celle des calibres et fonderies italiennes, piémontaises et françaises, à l'armée française; 3o les approvisionnements de bouche seront partagés; moitié sera à la disposition du commissaire ordonnateur de l'armée française, et moitié à celle du commissaire ordonnateur de l'armée autrichienne.

10. Les garnisons sortiront avec les honneurs militaires, et se rendront, avec armes et bagages, par le plus court chemin, à Mantoue.

11. L'armée autrichienne se rendra à Mantoue par Plaisance en trois colonnes: la première, du 27 prairial au 1er messidor (du 16 au 20 juin); la seconde, du 1er messidor au 5 messidor (ou du 20 au 24 juin); la troisième, du 5 au 7 messidor (ou du 24 au 26 juin).

12. Messieurs le général St. – Julien, de Schvertinck, de l'artillerie; de Brun, du génie; Telsiegé, commissaire des vivres; et les citoyens Dejean, conseiller d'état, et Daru, inspecteur des revues; l'adjudant-général Léopold Stabedrath, et le chef de brigade d'artillerie Mossel, sont nommés commissaires, à l'effet de pourvoir à l'exécution des articles de la présente convention, soit à la formation des inventaires, aux subsistances et aux transports, soit pour tout autre objet.

13. Aucun individu ne pourra être maltraité pour raison de services rendus à l'armée autrichienne, ou pour opinions politiques. Le général en chef de l'armée autrichienne fera relâcher les individus qui auraient été arrêtés dans la république cisalpine, pour opinions politiques, et qui se trouveraient dans les forteresses sous son commandement.

14. Quelle que soit la réponse de Vienne, aucune des deux armées ne pourra attaquer l'autre qu'en se prévenant dix jours d'avance.

15. Pendant la suspension d'armes, aucune armée ne fera des détachements pour l'Allemagne.

Alexandrie, le 26 prairial an VIII de la république française (15 juin 1800).

signé, Alexandre BERTHIER;
Mélas, général de cavalerie.

Le général Mélas agit conformément aux intérêts de son souverain, en sauvant le fond de l'armée autrichienne; et rendant des places, qui, mal approvisionnées, mal pourvues de garnisons, ne pouvaient pas faire de longues résistances, et être d'ailleurs d'aucune utilité, l'armée étant détruite.

De l'autre part, le premier consul considérait qu'une armée de vingt mille Anglais allait arriver à Gênes; ce qui, avec les dix mille Autrichiens qui étaient restés dans cette place, formait une armée; que, sans aucune place forte en Italie, la position des Français était chanceuse; qu'ils avaient beaucoup souffert aux batailles de Montebello et de Marengo; que l'armée française de Gênes et celle de Suchet avaient également fait de grandes pertes, tant avant le siége, que pendant sa durée, tant pendant les mouvements sur Nice, qu'à la poursuite des Autrichiens; que le général Mélas, en passant le Tanaro était pour plusieurs jours à l'abri de toute attaque; qu'il pouvait donc parfaitement se rallier, se remettre, et qu'une fois l'armée autrichienne réorganisée, il suffirait qu'il surprît une marche d'avance, pour se dégager, soit en se jetant sur Gênes, soit en gagnant par une marche de nuit la Stradella; que sa grande supériorité en cavalerie lui donnait beaucoup d'avantages pour cacher ses mouvements; et que, enfin, si l'armée autrichienne, perdant même son artillerie et ses bagages, parvenait à se dégager, il faudrait bien du temps et bien des peines pour reprendre tant de places fortes.

§ X

Le général Suchet, avec son corps, se dirigea sur Gênes, et entra le 24 juin dans cette ville, que lui remit le prince Hohenzollern, au grand déplaisir des Anglais, dont l'avant-garde venant de Mahon, était arrivée à la vue du port, pour prendre possession de cette place. Les places de Tortone, Alexandrie, Coni, Fenestrelles, Milan, Pizzighitone, Peschiera, Urbin et Ferrare furent successivement remises à l'armée française, avec toute leur artillerie. L'armée de Mélas traversa la Stradella et Plaisance, par divisions, et reprit sa position derrière Mantoue.

La joie des Piémontais, des Génois, des Italiens, ne peut s'exprimer; ils se voyaient rendus à la liberté, sans passer par les horreurs d'une longue guerre, que déja ils voyaient reportée sur leurs frontières, et sans éprouver les inconvénients de siège de places fortes, toujours si désastreux pour les villes et les campagnes environnantes.

En France, cette nouvelle parut d'abord incroyable. Le premier courrier, arrivé à Paris, fut un courrier du commerce: il portait la nouvelle que l'armée française avait été battue; il était parti le 14 juin entre dix heures et midi, au moment où le premier consul arrivait sur le champ de bataille. La joie n'en fut que plus grande, quand on apprit la victoire remportée par le premier consul, et tout ce que ses suites avaient d'avantageux pour la république. Les soldats de l'armée du Rhin furent honteux du peu qu'ils avaient fait; et une noble émulation les poussa à ne conclure d'armistice, que lorsqu'ils seraient maîtres de toute la Bavière.

Les troupes anglaises entassées sur le rocher de Mahon, furent en proie à de nombreuses maladies, et perdirent beaucoup de soldats.

Peu de jours après cette célèbre journée du 14 juin, tous les patriotes italiens sortirent des cachots de l'Autriche, et entrèrent en triomphe dans la capitale de leur patrie, au milieu des acclamations de tous leurs compatriotes, et des Viva el liberatore dell' Italia!

§ XI

Le premier consul partit le 17 juin, de Marengo, et se rendit à Milan, où il arriva de nuit: il trouva la ville illuminée, et dans la plus vive allégresse; il déclara le rétablissement de la république cisalpine; mais la constitution qui l'avait gérée, étant susceptible de modification, il établit un gouvernement provisoire, qui laissait plus de facilités pour terminer, à la paix, l'organisation complète et définitive de cette république. Il chargea l'ordonnateur Petiet, qui avait été ministre de la guerre, en France, de remplir les fonctions de ministre de France, près la république cisalpine, d'en diriger l'administration, et de pourvoir aux besoins de l'armée française, en surveillant et en s'opposant à tous les abus.

La république ligurienne fut aussi réorganisée, et réacquit son indépendance. Les Autrichiens, lorsqu'ils étaient maîtres du Piémont, n'y avaient pas rétabli le roi de Sardaigne, et avaient administré ce pays à leur profit. Ils avaient en cela différé de sentiment avec les Russes, qui auraient voulu le rétablissement du roi dans le Piémont: ce prince qui avait débarqué de la Sardaigne, était en Toscane, et n'avait pas eu la permission de se rendre à Turin.

Le premier consul établit un gouvernement provisoire en Piémont, et nomma le général Jourdan, ministre de la république française près de ce gouvernement. Il était chargé de le diriger, et de concilier les intérêts des peuples du Piémont avec ceux de la république française. Ce général, dont la conduite avait été douteuse, lors du 18 brumaire, fut reconnaissant de voir que le premier consul, non-seulement avait oublié entièrement les évènements passés, mais encore qu'il lui donnait une si haute marque de confiance. Il consacra tout son zèle au bien public.

Quoique le général Masséna eût commis une faute, en s'embarquant de Gênes, au lieu de conduire son armée par terre, il avait toutefois montré beaucoup de caractère et d'énergie: les services qu'il avait rendus dans les premières campagnes, et dernièrement à Zurich, parlaient aussi en sa faveur. Le premier consul le nomma au commandement en chef de l'armée d'Italie.

Les affaires de la république française nécessitaient la présence du premier consul, à Paris. Il partit le 5 messidor (24 juin), passa à Turin, et ne s'y arrêta que deux heures, pour en visiter la citadelle; il traversa le Mont-Cenis, et arriva à Lyon, où il s'arrêta pour donner une consolation à cette ville, et poser la première pierre de la reconstruction de la place Bellecourt; cette cérémonie fut belle par le concours et l'enthousiasme d'un peuple immense. Il arriva à Paris, le 13 messidor (2 juillet) au milieu de la nuit, et sans être attendu; mais aussitôt que, le lendemain, la nouvelle en fut répandue dans les divers quartiers de cette vaste capitale, toute la ville et les faubourgs accoururent dans les cours et les jardins du palais des Tuileries: les ouvriers quittaient leurs ateliers, simultanément; toute la population se pressait sous les fenêtres, dans l'espoir de voir celui à qui la France devait tant. Dans le jardin, les cours et sur les quais, partout les acclamations de la joie se faisaient entendre. Le soir, riche ou pauvre, chacun à l'envi illumina sa maison.

Ce fut un bien beau jour.

PIÈCES JUSTIFICATIVES

Lettre de Barras et Fréron, représentants du peuple, près l'armée sous Toulon,
A leurs collègues composant le comité de salut public
Marseille, 11 frimaire, l'an II
de la république française, une et indivisible. (1793.)

Citoyens nos collègues, dans ce moment, nous renonçons à tout autre objet, pour vous entretenir exclusivement de notre position dans les départements du Var et des Bouches-du-Rhône; vous qui êtes au timon de la république, vous avez reconnu que l'arme la plus meurtrière des despotes coalisés contre notre liberté, c'est l'espoir de nous affamer. Malheureusement nos greniers, dans l'intérieur, ne nous laissent pas sans inquiétudes; nos efforts, depuis long-temps, se sont réunis ainsi que ceux de tous les députés dans les départements, au zèle des bons citoyens, pour trouver des mesures qui nous procurassent du blé. Depuis l'entrée des troupes de la république dans le pays rebelle, nous vivons au jour le jour, et c'est avec une peine excessive que nous faisons vivre et notre armée en Italie, et celle sous Toulon. Ces deux départements étaient déja affamés par la longue présence des escadres combinées, avant même que la ville sacrilège tombât en leur pouvoir; nous nous flattions de parvenir à tirer considérablement des grains de l'Italie et du Levant; il faut y renoncer depuis que Naples et la Toscane sont entrés dans la ligue. Tunis, selon toutes les apparences, vient d'être gagnée par les forces et l'or des Anglais; tout annonce que le Dey devient notre ennemi; le convoi immense qui s'y trouvait est perdu pour la république, trois frégates seulement ont échappé et ont pu se refugier en Corse; mais y seront-elles long-temps en sûreté, et de quels secours pour nous?

D'un autre côté, les esclaves s'accumulent à Toulon; d'après le rapport de tous nos espions, il y sont en force de trente-cinq mille hommes, et en attendent encore trente mille; les Portugais y paraissent fournir. Il est certain que s'ils se déployaient, ils forceraient nos lignes; mais ils craignent l'armée de Nice, qui pourrait les mettre entre deux feux, et il y a un plan de la couper. La valeur de nos troupes et la surveillance de nos généraux déjoueront sans doute ces combinaisons; mais nos défenseurs courent risque d'être affamés. Le mauvais temps dégrade les chemins, les greniers y sont vides, tout y est transporté à dos de mulet; avec les pluies, ces braves gens sont exposés. Robespierre jeune est ici, et nous confirme ces tristes détails. Quinze jours de pluies pourraient nous jeter dans le plus grand malheur. Dès le second, la rivière de la Durance déborde et nous tue; elle nous retient des bestiaux depuis long-temps.

Il faut observer en outre que le vent d'Est, qui nous prive de tout secours par mer, soit d'Arles, soit de Cette, est presque continuel, et ce même vent mène tout à nos ennemis. Enfin, ne recevraient-ils pas d'autres forces, avec la position de Toulon, ils sont plus que suffisants pour ne pas craindre nos attaques. Il faudrait mieux de la moitié de monde que nous sommes; faire des tentatives avec ce nombre, c'est sacrifier inutilement nos frères; attendre d'être renforcés, nos ennemis peuvent l'être proportionnellement, et la famine est certaine.

Qu'est-ce qui fait la force de la ci-devant Provence? c'est exclusivement Toulon. Pourquoi ne leur abandonnerions-nous pas tout le terrain stérile jusqu'à la Durance, après avoir enlevé les provisions en tout genre? Les égoïstes de Marseille ont déja payé de leur bourse; alors il se forme un boulevard immense sur les bords de cette rivière; vous y accumulez deux cent mille hommes, et les y nourrissez avec aisance; vous laissez aux infâmes Anglais le soin de nourrir toute la Provence. La belle saison revient, le temps des moissons approche, les végétaux rendent déja; comme un torrent les républicains repoussent la horde esclave, et les rendent à la mer qui les vomit. Ce serait la façon de penser des généraux; la crainte de manquer de vivres enlève le courage aux soldats. Pesez ces réflexions en comité, et délibérez. Nous ferons exécuter les ordres qui nous seront donnés; mais il n'y a pas un instant à perdre. Salut et fraternité.

Vos coopérateurs, Barras, Fréron.
Séance du 7 nivose

Carnot, au nom du comité de salut public, donne lecture des lettres suivantes:

Fréron et Paul Barras, représentants du peuple près l'armée sous Toulon,
A leurs collègues composant le comité de salut public
Au quartier-général de Toulon, ce 30 frimaire, l'an II
de la république, une et indivisible.

Nous avons lu avec indignation, citoyens collègues, la lettre fausse qui nous était attribuée, et dont le comité n'a pas été la dupe. Ce trait est parti de Marseille, dans le même temps que cette ville a tenté de produire un mouvement contre-révolutionnaire que nous avons étouffé.

Remarquez que c'est au moment que nous allions nous réunir à Ollioule, avec nos collègues, pour frapper le grand coup, que l'on a voulu nous perdre; que nos calomniateurs, que nos dénonciateurs continuaient à nous noircir, à nous prêter des crimes. Nous avons contribué à prendre Toulon, nous avons répondu.

Signé, Barras et Fréron.

P. S. Un patriote de Toulon, qui n'était sorti de prison que depuis quinze jours, et qui, depuis cinq mois n'a pas lu les papiers publics, nous a dit qu'on avait répandu le bruit ici pendant le siége, et que l'on disait publiquement que les représentants du peuple avaient décidé de faire rétrograder l'armée française jusqu'aux bords de la Durance, et que c'était Robespierre aîné qui avait fait prédominer cet avis au comité de salut public. Ce fut pour nous un trait de lumière; il est évident que ce sont les émissaires de Pitt qui sont les auteurs de cette calomnie et de la lettre où nos signatures ont été contrefaites.

Adresse de la Convention nationale,

A l'armée de la république, sous les murs de Toulon.

30 frimaire, l'an II
de la république, une et indivisible.

Soldats républicains, vous avez trop long-temps différé la vengeance nationale; trop long-temps vous avez ajourné votre gloire. Les infâmes traîtres de Toulon sont debout; nos ennemis nous bravent; la tyrannie nous menace, et vous demeurez les tranquilles témoins de ce spectacle honteux: n'existeriez-vous donc plus, puisqu'ils vivent encore!

A vos yeux flotte le drapeau du royalisme; il défie votre courage et vous dérobe la vue de la Méditerranée. L'étendard tricolore a-t-il donc perdu ses couleurs? ne rallie-t-il plus les défenseurs de la patrie?

Un vil troupeau d'esclaves, parqué dans des murs odieux, insulte à la république, et ses nombreux bataillons cernent en vain les brigands de Londres et de Madrid.

Le Nord a triomphé; les rebelles sont vaincus dans la Sarthe. Le Midi serait-il seul deshérité de la portion qu'il doit avoir dans la gloire nationale?

Habitants des contrées méridionales, vous, dans l'ame de qui un ciel de feu a versé des passions généreuses et cet enthousiasme brûlant qui fait les grands succès, non, vous n'avez pas été assez fortement indignés des trahisons toulonnaises, de la corruption anglaise et de la lâcheté espagnole. Les travaux du siége languissent. Faudra-t-il donc appeler le Nord pour vous défendre? Faudra-t-il d'autres bras pour remuer la terre qui doit former les retranchements protecteurs de la vie du soldat, et garants de la victoire? Direz-vous que la conquête de Toulon est votre gloire, si le Nord doit l'émouvoir pour l'obtenir? Laisserez-vous moissonner par d'autres mains les lauriers que la liberté a fait naître à côté de vous?

Oseriez-vous rentrer dans vos foyers, si la victoire ne vous en ouvre bientôt la route glorieuse? Souffrirez-vous qu'on dise en France, en Europe, dans l'avenir: La république leur commanda de vaincre, ils craignirent de mourir.

Ombre malheureuse et respectable des représentants du peuple victimes de la barbarie anglaise! apparais à nos troupes, et montre-leur le chemin de la gloire. Que le bruit des chaînes des patriotes français déportés à Gibraltar retentisse à vos oreilles; ils demandent vengeance, ils doivent l'obtenir.

Oui, braves républicains, la convention nationale la confie à votre courage; vous rendrez à la France le domaine de la Méditerranée, aux subsistances leur circulation, au commerce ses ports, à la marine ses vaisseaux, et à la politique les routes de l'Italie et des Dardanelles.

Marchez, soldats de la patrie, que le crime de Toulon ne reste plus impuni! La république vous commande la victoire.

Soldats, vous êtes Français, vous êtes libres: voilà des Espagnols, des Anglais, des esclaves; la liberté vous observe!

Séance du 4 nivose an II
Les représentants du peuple auprès de l'armée dirigée contre Toulon,
Au comité de salut public
Au quartier-général d'Ollioule, le 28 frimaire, l'an II
de la république, une et indivisible.

Nous vous avions annoncé, citoyens collègues, que le résultat de l'affaire du 10, n'était que l'avant-coureur de plus grands succès. L'évènement vient de justifier notre prédiction.

En conformité de votre arrêté, toutes les mesures avaient été prises pour que les brigands qui s'étaient lâchement emparés de l'infâme Toulon, en fussent bientôt chassés avec ignominie.

Nous n'avons pas perdu un seul instant, et avant même que toutes les forces attendues fussent réunies, nous avons commencé notre attaque; elle a été principalement dirigée sur la redoute anglaise, dominant les forts de l'Aiguillette et de Balaguier, défendue par plus de trois mille hommes, vingt pièces de canon et plusieurs mortiers.

Les ennemis avaient épuisé les ressources de l'art pour la rendre imprenable; et nous vous assurons qu'il est peu de forts qui présentent une défense aussi inexpugnable que cette redoute, cependant elle n'a pu tenir à l'ardeur et au courage des braves défenseurs de la patrie. Les forces de cette division, sous les ordres du général Laborde, et où le général Dugommier s'est honorablement distingué, ont attaqué la redoute à cinq heures du matin, et à six heures le pavillon de la république y flottait. Si ce premier succès coûte à la patrie environ deux cents hommes tués et plus de cinq cents blessés, l'ennemi y a perdu toute la garnison dont 500 hommes sont prisonniers, parmi lesquels on compte huit officiers et un principal napolitain.

La malveillance n'avait rien négligé pour faire manquer cette importante expédition; mais, distribués dans les différentes colonnes, nous avons rallié ceux qu'on avait effrayés un instant. A notre voix, au nom de la liberté, au nom de la république, tous ont volé à la victoire, et la redoute anglaise et les forts de l'Aiguillette et de Balaguier ont été emportés de vive force.

La prise de cette redoute, dans laquelle les ennemis mettaient tout leur espoir, et qui était pour ainsi dire le boulevard de toutes les puissances coalisées, les a déroutés; effrayés de ce succès, ils ont abandonné, pendant la nuit, les forts de Malbosquet et du Tomet; ils ont fait sauter le dernier de désespoir; ils ont évacué aussi les redoutes rouge et blanche, la redoute et le fort Pharon; ils ont pris des mesures pour mettre leur flotte à l'abri de nos canons et de nos bombes, qui n'ont cessé de les accabler.

La flotte est dans ce moment hors de la grande rade: les ennemis ont embarqué beaucoup de Toulonnais et la plus grande partie de leurs forces; ils ont pourtant laissé des troupes au fort Lamalgue, et dans la ville, pour protéger leur retraite. Nous sommes maîtres de la croix des signaux, du fort l'Artigue et du cap Brun. Nous espérons que dans la nuit nous serons maîtres du fort Lamalgue, et demain nous serons dans Toulon, occupés à venger la république.

Plus de quatre cents bœufs, des moutons, des cochons, seules troupes que le pape ait envoyées avec quelques moines, des fourrages, des provisions de toutes espèces, des tentes, tous les équipages que les ennemis avaient dans leurs forts et redoutes, et plus de cent pièces de gros calibre sont en notre pouvoir; nous vous donnerons, sous peu de jours, l'état de ceux qui se sont le plus distingués, et à qui nous aurons accordé des récompenses. Vous verrez par cet état que nous avions tiré de la diversion de Nice toutes les forces qui se trouvaient disponibles, et que nous n'avons rien négligé pour prendre cette ville à jamais exécrable. Notre première lettre sera datée des ruines de Toulon. Nous ne vous avons pas écrit plutôt, par la raison qu'étant à cheval depuis plusieurs jours et plusieurs nuits, tous nos moments ont été tellement employés, que nous n'avons pu disposer d'un seul pour vous écrire.

Signés, Ricord, Fréron et Robespierre jeune.

P. S. Notre collègue Barras, qui se trouve à la division commandée par le général Lapoype, nous a annoncé la prise de vive force de toutes les hauteurs de la montagne du Pharon, et de l'évacuation de la redoute du fort de ce nom, et de quatre-vingt prisonniers, y compris un lieutenant anglais. Il vous fera part des succès que cette division a obtenus, et qui sont le résultat de l'exécution du plan arrêté par le comité de salut public.

En un mot, l'attaque générale a été si bien combinée, que, dans vingt-quatre heures, tous les postes ont été attaqués et occupés par les deux divisions de l'armée de la république.

Salut et fraternité.
Lettre du général en chef Dugommier, au ministre de la guerre
Du quartier-général d'Ollioule, le 10 frimaire, l'an II
de la république, une et indivisible.

Citoyen ministre,

Cette journée a été chaude, mais heureuse; depuis deux jours une batterie essentielle faisait feu sur Malbosquet et inquiétait beaucoup, vraisemblablement, ce poste et ses environs. Ce matin, à cinq heures, l'ennemi a fait une sortie vigoureuse, qui l'a rendu maître d'abord, de tous nos avant-postes de la gauche et de cette batterie, à la première fusillade. Nous nous sommes transportés avec célérité à l'aile gauche, je trouvai presque toutes ses forces en déroute; le général Garnier se plaignant que ses troupes l'avaient abandonné, je lui ordonnai de les rallier et de se porter à la reprise de notre batterie; je me mis à la tête du troisième bataillon de l'Isère, pour me porter de même par un autre chemin à la même batterie. Nous avons eu le bonheur de réussir; bientôt ce poste est repris; les ennemis vivement repoussés se replient de tous côtés, en laissant sur le terrain un grand nombre de morts et de blessés; cette sortie enlève à leur armée plus de douze cents hommes, tant tués que blessés et faits prisonniers; parmi ces derniers, plusieurs officiers d'un grade supérieur; et enfin, leur général en chef, M. Ohara, blessé d'un coup de feu au bras droit; les deux généraux devaient être touchés dans cette action, car j'ai reçu deux fortes contusions, dont une au bras droit, et l'autre à l'épaule, mais sans danger. Après avoir renvoyé vivement l'ennemi d'où il revenait, nos républicains, par un élan généreux, mais désordonné, ont marché vers Malbosquet, sous le feu vraiment formidable de ce fort; ils ont enlevé les tentes d'un camp qu'ils avaient fait évacuer par leur intrépidité; cette action, qui est un vrai triomphe pour les armes de la république, est d'un excellent augure pour nos opérations ultérieures; car, que ne devons-nous pas attendre d'une attaque concertée et bien mesurée, lorsque nous faisons bien à l'improviste.

Je ne saurais trop louer la bonne conduite de tous ceux de nos frères d'armes qui ont voulu se battre; parmi ceux qui se sont le plus distingués, et qui m'ont le plus aidé à rallier et pousser en avant, ce sont les citoyens Buonaparte, commandant l'artillerie; Arena et Gervoni, adjudants-généraux.

Dugommier, général en chef.
Lettre adressée au ministre de la guerre par le général en chef de l'armée d'Italie
Du quartier-général d'Ollioule, le 29 frimaire an II
de la république, une et indivisible.

Citoyen ministre, Toulon est rendu à la république, et le succès de nos armes est complet. Le promontoire de l'Aiguillette devant décider le sort de la ville infâme, comme je vous l'avais mandé, les positions qu'il présente devant assurer la retraite des ennemis, ou le brûlement de leurs vaisseaux par l'effet de nos bombes, le 26 frimaire, tous les moyens furent réunis pour la conquête de cette position; le temps nous contraria et nous persécuta jusqu'à près d'une heure du matin; mais rien ne put éteindre l'ardeur des hommes libres combattant des tyrans. Ainsi, malgré tous les obstacles du temps, nos frères s'élancèrent dans le chemin de la gloire aussitôt l'ordre donné.

Les représentants du peuple, Robespierre, Salicetti, Ricord et Fréron, étaient avec nous; ils donnaient à nos frères l'exemple du dévouement le plus signalé. Cet ensemble fraternel et héroïque était bien fait pour mériter la victoire; aussi ne tarda-t-elle pas à se déclarer pour nous, et nous livra bientôt, par un prodige à citer dans l'histoire, la redoute anglaise défendue par une double enceinte, un camp retranché de buissons composé des chevaux de frise, des abattis, des ponts, treize pièces de canons de 36, 24, etc., cinq mortiers, et deux mille hommes de troupes choisies; elle était soutenue en outre par les feux croisés de trois autres redoutes qui renfermaient trois mille hommes.

L'impétuosité des républicains et l'enlèvement subit de cette terrible redoute, qui paraissait à ses hauteurs un volcan inaccessible, épouvantèrent tellement l'ennemi, qu'il nous abandonna bientôt le reste du promontoire, et répandit dans Toulon une terreur panique qui acquit son dernier degré, lorsqu'on apprit que les escadres venaient d'évacuer les rades.

Je fis continuer, dans la même journée, les attaques de Malbosquet et autres postes; alors Toulon perdit tout espoir, et les redoutes rouges, celles des Pommets, de Pharon, et plusieurs autres, furent abandonnées dans la nuit suivante.

Enfin, Toulon fut aussi évacué à son tour; mais l'ennemi, en se retirant, eut l'adresse de couvrir sa fuite, et nous ne pûmes le poursuivre. Il était garanti par les remparts de la ville, dont les portes, fermées avec le plus grand soin, rendaient impossible le moindre avis.

Le feu qui parut à la tête du port fut le seul indice de son départ; nous nous approchâmes aussitôt de Toulon, et ce ne fut qu'après minuit, que nous fûmes assurés qu'il était abandonné par ses vils habitants, et l'infâme coalition qui prétendait follement nous soumettre à son révoltant régime.

La précipitation avec laquelle l'évacuation générale a été faite, nous a sauvé presque toutes nos propriétés et la plus grande partie des vaisseaux. Toulon nous rend par la force tout ce que sa trahison nous avait ravi. Je vous enverrai incessamment l'état que je fais dresser de tous les objets qui méritent attention.