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La reine Margot

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XXXIV. Le roi est mort: vive le roi!

Catherine et le duc d’Alençon, livides d’effroi et tremblants de fureur tout ensemble, entrèrent quelques minutes après. Comme Henri l’avait deviné, Catherine savait tout et avait tout dit, en peu de mots, à François. Ils firent quelques pas et s’arrêtèrent, attendant.

Henri était debout au chevet du lit de Charles.

Le roi leur déclara sa volonté.

– Madame, dit-il à sa mère, si j’avais un fils, vous seriez régente, ou, à défaut de vous, ce serait le roi de Pologne, ou, à défaut du roi de Pologne enfin, ce serait mon frère François; mais je n’ai pas de fils, et après moi le trône appartient à mon frère le duc d’Anjou, qui est absent. Comme un jour ou l’autre il viendra réclamer ce trône, je ne veux pas qu’il trouve à sa place un homme qui puisse, par des droits presque égaux, lui disputer ses droits, et qui expose par conséquent le royaume à des guerres de prétendants. Voilà pourquoi je ne vous prends pas pour régente, madame, car vous auriez à choisir entre vos deux fils, ce qui serait pénible pour le cœur d’une mère. Voilà pourquoi je ne choisis pas mon frère François, car mon frère François pourrait dire à son aîné: «Vous aviez un trône, pourquoi l’avez-vous quitté?» Non, je choisis donc un régent qui puisse prendre en dépôt la couronne, et qui la garde sous sa main et non sur sa tête. Ce régent, saluez-le, madame; saluez-le, mon frère; ce régent, c’est le roi de Navarre!

Et avec un geste de suprême commandement, il salua Henri de la main.

Catherine et d’Alençon firent un mouvement qui tenait le milieu entre un tressaillement nerveux et un salut.

– Tenez, monseigneur le régent, dit Charles au roi de Navarre, voici le parchemin qui, jusqu’au retour du roi de Pologne, vous donne le commandement des armées, les clefs du trésor, le droit et le pouvoir royal.

Catherine dévorait Henri du regard, François était si chancelant qu’il pouvait à peine se soutenir; mais cette faiblesse de l’un et cette fermeté de l’autre, au lieu de rassurer Henri, lui montraient le danger présent, debout, menaçant.

Henri n’en fit pas moins un effort violent, et, surmontant toutes ses craintes, il prit le rouleau des mains du roi, puis, se redressant de toute sa hauteur, il fixa sur Catherine et François un regard qui voulait dire:

– Prenez garde, je suis votre maître. Catherine comprit ce regard.

– Non, non, jamais, dit-elle; jamais ma race ne pliera la tête sous une race étrangère; jamais un Bourbon ne régnera en France tant qu’il restera un Valois.

– Ma mère, ma mère, s’écria Charles IX en se redressant dans son lit aux draps rougis, plus effrayant que jamais, prenez garde, je suis roi encore: pas pour longtemps, je le sais bien, mais il ne faut pas longtemps pour donner un ordre, il ne faut pas longtemps pour punir les meurtriers et les empoisonneurs.

– Eh bien, donnez-le donc, cet ordre, si vous l’osez. Moi je vais donner les miens. Venez, François, venez.

Et elle sortit rapidement, entraînant avec elle le duc d’Alençon.

– Nancey! cria Charles; Nancey, à moi, à moi! je l’ordonne, je le veux, Nancey, arrêtez ma mère, arrêtez mon frère, arrêtez…

Une gorgée de sang coupa la parole à Charles au moment où le capitaine des gardes ouvrit la porte, et le roi suffoqué râla sur son lit.

Nancey n’avait entendu que son nom; les ordres qui l’avaient suivi, prononcés d’une voix moins distincte, s’étaient perdus dans l’espace.

– Gardez la porte, dit Henri, et ne laissez entrer personne. Nancey salua et sortit. Henri reporta ses yeux sur ce corps inanimé et qu’on eût pu prendre pour un cadavre, si un léger souffle n’eût agité la frange d’écume qui bordait ses lèvres. Il regarda longtemps; puis se parlant à lui-même:

– Voici l’instant suprême, dit-il, faut-il régner, faut-il vivre?

Au même instant la tapisserie de l’alcôve se souleva, une tête pâlie parut derrière, et une voix vibra au milieu du silence de mort qui régnait dans la chambre royale:

– Vivez, dit cette voix.

– René! s’écria Henri.

– Oui, Sire.

– Ta prédiction était donc fausse: je ne serai donc pas roi? s’écria Henri.

– Vous le serez, Sire, mais l’heure n’est pas encore venue.

– Comment le sais-tu? parle, que je sache si je dois te croire.

– Écoutez.

– J’écoute.

– Baissez-vous. Henri s’inclina au-dessus du corps de Charles. René se pencha de son côté. La largeur du lit les séparait seule, et encore la distance était-elle diminuée par leur double mouvement. Entre eux deux était couché et toujours sans voix et sans mouvement le corps du roi moribond.

– Écoutez, dit René; placé ici par la reine mère pour vous perdre, j’aime mieux vous servir, moi, car j’ai confiance en votre horoscope; en vous servant je trouve à la fois, dans ce que je fais, l’intérêt de mon corps et de mon âme.

– Est-ce la reine mère aussi qui t’a ordonné de me dire cela? demanda Henri plein de doute et d’angoisses.

– Non, dit René, mais écoutez un secret. Et il se pencha encore davantage. Henri l’imita, de sorte que les deux têtes se touchaient presque. Cet entretien de deux hommes courbés sur le corps d’un roi mourant avait quelque chose de si sombre, que les cheveux du superstitieux Florentin se dressaient sur sa tête et qu’une sueur abondante perlait sur le visage de Henri.

– Écoutez, continua René, écoutez un secret que je sais seul, et que je vous révèle si vous me jurez sur ce mourant de me pardonner la mort de votre mère.

– Je vous l’ai déjà promis une fois, dit Henri dont le visage s’assombrit.

– Promis, mais non juré, dit René en faisant un mouvement en arrière.

– Je le jure, dit Henri étendant la main droite sur la tête du roi.

– Eh bien, Sire, dit précipitamment le Florentin, le roi de Pologne arrive!

– Non, dit Henri, le courrier a été arrêté par le roi Charles.

– Le roi Charles n’en a arrêté qu’un sur la route de Château-Thierry; mais la reine mère, dans sa prévoyance, en avait envoyé trois par trois routes.

– Oh! malheur à moi! dit Henri.

– Un messager est arrivé ce matin de Varsovie. Le roi partait derrière lui sans que personne songeât à s’y opposer, car à Varsovie on ignorait encore la maladie du roi. Il ne précède Henri d’Anjou que de quelques heures.

– Oh! si j’avais seulement huit jours! dit Henri.

– Oui, mais vous n’avez que huit heures. Avez-vous entendu le bruit des armes que l’on préparait?

– Oui.

– Ces armes, on les préparait à votre intention. Ils viendront vous tuer jusqu’ici, jusque dans la chambre du roi.

– Le roi n’est pas mort encore. René regarda fixement Charles:

– Dans dix minutes il le sera. Vous avez donc dix minutes à vivre, peut-être moins.

– Que faire alors?

– Fuir sans perdre une minute, sans perdre une seconde.

– Mais par où? s’ils attendent dans l’antichambre, ils me tueront quand je sortirai.

– Écoutez: je risque tout pour vous, ne l’oubliez jamais.

– Sois tranquille.

– Suivez-moi par ce passage secret, je vous conduirai jusqu’à la poterne. Puis, pour vous donner du temps, j’irai dire à la belle-mère que vous descendez; vous serez censé avoir découvert ce passage secret et en avoir profité pour fuir: venez, venez.

Henri se baissa vers Charles et l’embrassa au front.

– Adieu, mon frère, dit-il; je n’oublierai point que ton dernier désir fut de me voir te succéder. Je n’oublierai pas que ta dernière volonté fut de me faire roi. Meurs en paix. Au nom de nos frères, je te pardonne le sang versé.

– Alerte! alerte! dit René, il revient à lui; fuyez avant qu’il rouvre les yeux, fuyez.

– Nourrice! murmura Charles, nourrice! Henri saisit au chevet de Charles l’épée désormais inutile du roi mourant, mit le parchemin qui le faisait régent dans sa poitrine, baisa une dernière fois le front de Charles, tourna autour du lit, et s’élança par l’ouverture qui se referma derrière lui.

– Nourrice! cria le roi d’une voix plus forte, nourrice! La bonne femme accourut.

– Eh bien, qu’y a-t-il, mon Charlot? demanda-t-elle.

– Nourrice, dit le roi, la paupière ouverte et l’œil dilaté par la fixité terrible de la mort, il faut qu’il se soit passé quelque chose pendant que je dormais: je vois une grande lumière, je vois Dieu notre maître; je vois mon Seigneur Jésus, je vois la benoîte Vierge Marie. Ils le prient, ils le supplient pour moi: le Seigneur tout-puissant me pardonne… il m’appelle… Mon Dieu! mon Dieu! recevez-moi dans votre miséricorde… Mon Dieu! oubliez que j’étais roi, car je viens à vous sans sceptre et sans couronne… Mon Dieu! oubliez les crimes du roi pour ne vous rappeler que les souffrances de l’homme… Mon dieu! me voilà.

Et Charles, qui, à mesure qu’il prononçait ces paroles, s’était soulevé de plus en plus comme pour aller au-devant de la voix qui l’appelait, Charles, après ces derniers mots, poussa un soupir et retomba immobile et glacé entre les bras de sa nourrice.

Pendant ce temps, et tandis que les soldats, commandés par Catherine, se portaient sur le passage connu de tous par lequel Henri devait sortir, Henri, guidé par René, suivait le couloir secret et gagnait la poterne, sautait sur le cheval qui l’attendait, et piquait vers l’endroit où il savait retrouver de Mouy.

Tout à coup au bruit de son cheval, dont le galop faisait retentir le pavé sonore, quelques sentinelles se retournèrent en criant:

– Il fuit! il fuit!

– Qui cela? s’écria la reine mère en s’approchant d’une fenêtre.

– Le roi Henri, le roi de Navarre, crièrent les sentinelles.

– Feu! dit Catherine, feu sur lui! Les sentinelles ajustèrent, mais Henri était déjà trop loin.

– Il fuit, s’écria la reine mère, donc il est vaincu.

– Il fuit, murmura le duc d’Alençon, donc je suis roi. Mais au même instant, et tandis que François et sa mère étaient encore à la fenêtre, le pont-levis craqua sous les pas des chevaux, et précédé par un cliquetis d’armes et par une grande rumeur, un jeune homme lancé au galop, son chapeau à la main, entra dans la cour en criant: France! suivi de quatre gentilshommes, couverts comme lui de sueur, de poussière et d’écume.

 

– Mon fils! s’écria Catherine en étendant les deux bras par la fenêtre.

– Ma mère! répondit le jeune homme en sautant à bas du cheval.

– Mon frère d’Anjou! s’écria avec épouvante François en se rejetant en arrière.

– Est-il trop tard? demanda Henri d’Anjou à sa mère.

– Non, au contraire, il est temps, et Dieu t’eût conduit par la main qu’il ne t’eût pas amené plus à propos; regarde et écoute.

En effet, M. de Nancey, capitaine des gardes, s’avançait sur le balcon de la chambre du roi. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il brisa une baguette en deux morceaux, et, les bras étendus, tenant les deux morceaux de chaque main:

– Le roi Charles IX est mort! le roi Charles IX est mort! le roi Charles IX est mort! cria-t-il trois fois. Et il laissa tomber les deux morceaux de la baguette.

– Vive le roi Henri III! cria alors Catherine en se signant avec une pieuse reconnaissance. Vive le roi Henri III!

Toutes les voix répétèrent ce cri, excepté celle du duc François.

– Ah! elle m’a joué, dit-il en déchirant sa poitrine avec ses ongles.

– Je l’emporte, s’écria Catherine, et cet odieux Béarnais ne régnera pas!

XXXV. Épilogue

Un an s’était écoulé depuis la mort du roi Charles IX et l’avènement au trône de son successeur.

Le roi Henri III, heureusement régnant par la grâce de Dieu et de sa mère Catherine, était allé à une belle procession faite en l’honneur de Notre-Dame de Cléry.

Il était parti à pied avec la reine sa femme et toute la cour.

Le roi Henri III pouvait bien se donner ce petit passe-temps; nul souci sérieux ne l’occupait à cette heure. Le roi de Navarre était en Navarre, où il avait si longtemps désiré être, et s’occupait fort, disait-on, d’une belle fille du sang des Montmorency et qu’il appelait la Fosseuse. Marguerite était près de lui, triste et sombre, et ne trouvant que dans ses belles montagnes, non pas une distraction, mais un adoucissement aux deux grandes douleurs de la vie: l’absence et la mort.

Paris était fort tranquille, et la reine mère, véritablement régente depuis que son cher fils Henri était roi, y faisait séjour tantôt au Louvre, tantôt à l’hôtel de Soissons, qui était situé sur l’emplacement que couvre aujourd’hui la halle au blé, et dont il ne reste que l’élégante colonne qu’on peut voir encore aujourd’hui.

Elle était un soir fort occupée à étudier les astres avec René, dont elle avait toujours ignoré les petites trahisons, et qui était rentré en grâce auprès d’elle pour le faux témoignage qu’il avait si à point porté dans l’affaire de Coconnas et de La Mole, lorsqu’on vint lui dire qu’un homme qui disait avoir une chose de la plus haute importance à lui communiquer, l’attendait dans son oratoire.

Elle descendit précipitamment et trouva le sire de Maurevel.

– Il est ici, s’écria l’ancien capitaine des pétardiers, ne laissant point, contre l’étiquette royale, le temps à Catherine de lui adresser la parole.

– Qui, il? demanda Catherine.

– Qui voulez-vous que ce soit, madame, sinon le roi de Navarre?

– Ici! dit Catherine, ici… lui… Henri… Et qu’y vient-il faire, l’imprudent?

– Si l’on en croit les apparences, il vient voir madame de Sauve; voilà tout. Si l’on en croit les probabilités, il vient conspirer contre le roi.

– Et comment savez-vous qu’il est ici?

– Hier, je l’ai vu entrer dans une maison, et un instant après madame de Sauve est venue l’y joindre.

– Êtes-vous sûr que ce soit lui?

– Je l’ai attendu jusqu’à sa sortie, c’est-à-dire une partie de la nuit. À trois heures, les deux amants se sont remis en chemin. Le roi a conduit madame de Sauve jusqu’au guichet du Louvre; là, grâce au concierge, qui est dans ses intérêts sans doute, elle est rentrée sans être inquiétée, et le roi s’en est revenu tout en chantonnant un petit air et d’un pas aussi dégagé que s’il était au milieu de ses montagnes.

– Et où est-il allé ainsi?

– Rue de l’Arbre-Sec, hôtel de la Belle-Étoile, chez ce même aubergiste où logeaient les deux sorciers que Votre Majesté a fait exécuter l’an passé.

– Pourquoi n’êtes-vous pas venu me dire la chose aussitôt?

– Parce que je n’étais pas encore assez sûr de mon fait.

– Tandis que maintenant?

– Maintenant, je le suis.

– Tu l’as vu?

– Parfaitement. J’étais embusqué chez un marchand de vin en face; je l’ai vu entrer d’abord dans la même maison que la veille; puis comme madame de Sauve tardait, il a mis imprudemment son visage au carreau d’une fenêtre du premier, et cette fois je n’ai plus conservé aucun doute. D’ailleurs, un instant après, madame de Sauve l’est venue rejoindre de nouveau.

– Et tu crois qu’ils resteront, comme la nuit passée, jusqu’à trois heures du matin?

– C’est probable.

– Où est donc cette maison?

– Près de la Croix-des-Petits-Champs, vers Saint-Honoré.

– Bien, dit Catherine. M. de Sauve ne connaît point votre écriture?

– Non.

– Asseyez-vous là et écrivez. Maurevel obéit et prenant la plume:

– Je suis prêt, madame, dit-il.

Catherine dicta:

«Pendant que le baron de Sauve fait son service au Louvre, la baronne est avec un muguet de ses amis, dans une maison proche de la Croix-des-Petits-Champs, vers Saint-Honoré; le baron de Sauve reconnaîtra la maison à une croix rouge qui sera faite sur la muraille.»

– Eh bien? demanda Maurevel.

– Faites une seconde copie de cette lettre, dit Catherine. Maurevel obéit passivement.

– Maintenant, dit la reine, faites remettre une de ces lettres par un homme adroit au baron de Sauve, et que cet homme laisse tomber l’autre dans les corridors du Louvre.

– Je ne comprends pas, dit Maurevel. Catherine haussa les épaules.

– Vous ne comprenez pas qu’un mari qui reçoit une pareille lettre se fâche?

– Mais il me semble, madame, que du temps du roi de Navarre il ne se fâchait pas.

– Tel qui passe des choses à un roi ne les passe peut-être pas à un simple galant. D’ailleurs, s’il ne se fâche pas, vous vous fâcherez pour lui, vous.

– Moi?

– Sans doute. Vous prenez quatre hommes, six hommes s’il le faut, vous vous masquez, vous enfoncez la porte, comme si vous étiez les envoyés du baron, vous surprenez les amants au milieu de leur tête-à-tête, vous frappez au nom du roi; et le lendemain le billet perdu dans le corridor du Louvre, et trouvé par quelque âme charitable qui l’a déjà fait circuler, atteste que c’est le mari qui s’est vengé. Seulement, le hasard a fait que le galant était le roi de Navarre; mais qui pouvait deviner cela, quand chacun le croyait à Pau?

Maurevel regarda avec admiration Catherine, s’inclina et sortit.

En même temps que Maurevel sortait de l’hôtel de Soissons, madame de Sauve entrait dans la petite maison de la Croix-des-Petits-Champs.

Henri l’attendait la porte entrouverte.

Dès qu’il l’aperçut dans l’escalier:

– Vous n’avez pas été suivie? dit-il.

– Mais non, dit Charlotte, que je sache, du moins.

– C’est que je crois l’avoir été, dit Henri, non seulement cette nuit, mais encore ce soir.

– Oh! mon Dieu! dit Charlotte, vous m’effrayez, Sire; si un bon souvenir donné par vous à une ancienne amie allait tourner à mal pour vous, je ne m’en consolerais pas.

– Soyez tranquille, ma mie, dit le Béarnais, nous avons trois épées qui veillent dans l’ombre.

– Trois, c’est bien peu, Sire.

– C’est assez quand ces épées s’appellent de Mouy, Saucourt et Barthélemy.

– De Mouy est donc avec vous à Paris?

– Sans doute.

– Il a osé revenir dans la capitale? Il a donc, comme vous, quelque pauvre femme folle de lui?

– Non, mais il a un ennemi dont il a juré la mort. Il n’y a que la haine, ma chère, qui fasse faire autant de sottises que l’amour.

– Merci, Sire.

– Oh! dit Henri, je ne dis pas cela pour les sottises présentes, je dit cela pour les sottises passées et à venir. Mais ne discutons pas là-dessus, nous n’avons pas de temps à perdre.

– Vous partez donc toujours?

– Cette nuit.

– Les affaires pour lesquelles vous étiez revenu à Paris sont donc terminées?

– Je n’y suis revenu que pour vous.

– Gascon!

– Ventre-saint-Gris! ma mie, je dis la vérité; mais écartons ces souvenirs: j’ai encore deux ou trois heures à être heureux, et puis une séparation éternelle.

– Ah! Sire, dit madame de Sauve, il n’y a d’éternel que mon amour.

Henri venait de dire qu’il n’avait pas le temps de discuter, il ne discuta donc point; il crut, ou, le sceptique qu’il était, il fit semblant de croire.

Cependant, comme l’avait dit le roi de Navarre, de Mouy et ses deux compagnons étaient cachés aux environs de la maison.

Il était convenu que Henri sortirait à minuit de la petite maison au lieu d’en sortir à trois heures; qu’on irait comme la veille reconduire madame de Sauve au Louvre, et que de là on irait rue de la Cerisaie, où demeurait Maurevel.

C’était seulement pendant la journée qui venait de s’écouler que de Mouy avait enfin eu notion certaine de la maison qu’habitait son ennemi.

Ils étaient là depuis une heure à peu près, lorsqu’ils virent un homme, suivi à quelques pas de cinq autres, qui s’approchait de la porte de la petite maison, et qui, l’une après l’autre, essayait plusieurs clefs.

À cette vue, de Mouy, caché dans l’enfoncement d’une porte voisine, ne fit qu’un bond de sa cachette à cet homme, et le saisit par le bras.

– Un instant, dit-il, on n’entre pas là.

L’homme fit un bond en arrière, et en bondissant son chapeau tomba.

– De Mouy de Saint-Phale! s’écria-t-il.

– Maurevel! hurla le huguenot en levant son épée. Je te cherchais; tu viens au-devant de moi, merci!

Mais la colère ne lui fit pas oublier Henri; et se retournant vers la fenêtre, il siffla à la manière des pâtres béarnais.

– Cela suffira, dit-il à Saucourt. Maintenant, à moi, assassin! à moi! Et il s’élança vers Maurevel.

Celui-ci avait eu le temps de tirer de sa ceinture un pistolet.

– Ah! cette fois, dit le Tueur de Roi en ajustant le jeune homme, je crois que tu es mort.

Et il lâcha le coup. Mais de Mouy se jeta à droite, et la balle passa sans l’atteindre.

– À mon tour maintenant, s’écria le jeune homme. Et il fournit à Maurevel un si rude coup d’épée que, quoique ce coup atteignît sa ceinture de cuir, la pointe acérée traversa l’obstacle et s’enfonça dans les chairs.

L’assassin poussa un cri sauvage qui accusait une si profonde douleur que les sbires qui l’accompagnaient le crurent frappé à mort et s’enfuirent épouvantés du côté de la rue Saint-Honoré.

Maurevel n’était point brave. Se voyant abandonné par ses gens et ayant devant lui un adversaire comme de Mouy, il essaya à son tour de prendre la fuite, et se sauva par le même chemin qu’ils avaient pris, en criant: «À l’aide! »

De Mouy, Saucourt et Barthélemy, emportés par leur ardeur, les poursuivirent.

Comme ils entraient dans la rue de Grenelle, qu’ils avaient prise pour leur couper le chemin, une fenêtre s’ouvrait et un homme sautait du premier étage sur la terre fraîchement arrosée par la pluie.

C’était Henri.

Le sifflement de De Mouy l’avait averti d’un danger quelconque, et ce coup de pistolet, en lui indiquant que le danger était grave, l’avait attiré au secours de ses amis.

Ardent, vigoureux, il s’élança sur leurs traces l’épée à la main.

Un cri le guida: il venait de la barrière des Sergents. C’était Maurevel, qui, se sentant pressé par de Mouy, appelait une seconde fois à son secours ses hommes emportés par la terreur.

Il fallait se retourner ou être poignardé par derrière.

Maurevel se retourna, rencontra le fer de son ennemi, et presque aussitôt lui porta un coup si habile que son écharpe en fut traversée. Mais de Mouy riposta aussitôt.

L’épée s’enfonça de nouveau dans la chair qu’elle avait déjà entamée, et un double jet de sang s’élança par une double plaie.

– Il en tient! cria Henri, qui arrivait. Sus! sus, de Mouy! De Mouy n’avait pas besoin d’être encouragé. Il chargea de nouveau Maurevel; mais celui-ci ne l’attendit point. Appuyant sa main gauche sur sa blessure, il reprit une course désespérée.

– Tue-le vite! tue-le! cria le roi; voici ses soldats qui s’arrêtent, et le désespoir des lâches ne vaut rien pour les braves.

 

Maurevel, dont les poumons éclataient, dont la respiration sifflait, dont chaque haleine chassait une sueur sanglante, tomba tout à coup d’épuisement; mais aussitôt il se releva, et, se retournant sur un genou, il présenta la pointe de son épée à de Mouy.

– Amis! amis! cria Maurevel, ils ne sont que deux. Feu, feu sur eux!

En effet, Saucourt et Barthélemy s’étaient égarés à la poursuite de deux sbires qui avaient pris par la rue des Poulies, et le roi et de Mouy se trouvaient seuls en présence de quatre hommes.

– Feu! continuait de hurler Maurevel, tandis qu’un de ses soldats apprêtait effectivement son poitrinal.

– Oui, mais auparavant, dit de Mouy, meurs, traître, meurs, misérable, meurs damné comme un assassin!

Et saisissant d’une main l’épée tranchante de Maurevel, de l’autre il plongea la sienne du haut en bas dans la poitrine de son ennemi, et cela avec tant de force qu’il le cloua contre terre.

– Prends garde! prends garde! cria Henri. De Mouy fit un bond en arrière, laissant son épée dans le corps de Maurevel, car un soldat l’ajustait et allait le tuer à bout portant. En même temps Henri passait son épée au travers du corps du soldat, qui tomba près de Maurevel en jetant un cri. Les deux autres soldats prirent la fuite.

– Viens! de Mouy, viens! cria Henri. Ne perdons pas un instant; si nous étions reconnus, ce serait fait de nous.

– Attendez, Sire; et mon épée, croyez-vous que je veuille la laisser dans le corps de ce misérable?

Et il s’approcha de Maurevel gisant et en apparence sans mouvement; mais au moment où de Mouy mettait la main à la garde de cette épée, qui effectivement était restée dans le corps de Maurevel, celui-ci se releva armé du poitrinal que le soldat avait lâché en tombant, et à bout portant il lâcha le coup au milieu de la poitrine de De Mouy.

Le jeune homme tomba sans même pousser un cri; il était tué raide.

Henri s’élança sur Maurevel; mais il était tombé à son tour, et son épée ne perça plus qu’un cadavre.

Il fallait fuir, le bruit avait attiré un grand nombre de personnes, la garde de nuit pouvait venir. Henri chercha parmi les curieux attirés par le bruit une figure, une connaissance, et tout à coup poussa un cri de joie.

Il venait de reconnaître maître La Hurière.

Comme la scène se passait au pied de la croix du Trahoir, c’est-à-dire en face de la rue de l’Arbre-Sec, notre ancienne connaissance, dont l’humeur naturellement sombre s’était encore singulièrement attristée depuis la mort de La Mole et de Coconnas, ses deux hôtes bien-aimés, avait quitté ses fourneaux et ses casseroles au moment où justement il apprêtait le souper du roi de Navarre et était accouru.

– Mon cher La Hurière, je vous recommande De Mouy, quoique j’ai bien peur qu’il n’y ait plus rien à faire. Emportez-le chez vous, et s’il vit encore n’épargnez rien, voilà ma bourse. Quant à l’autre laissez-le dans le ruisseau et qu’il y pourrisse comme un chien.

– Mais vous? dit La Hurière.

– Moi, j’ai un adieu à dire. Je cours, et dans dix minutes, je suis chez vous. Tenez mes chevaux prêts.

Et Henri se mit effectivement à courir dans la direction de la petite maison de la Croix-des-Petits-Champs; mais en débouchant de la rue de Grenelle, il s’arrêta plein de terreur.

Un groupe nombreux était amassé devant la porte.

– Qu’y a-t-il dans cette maison, demanda Henri, et qu’est-il arrivé?

– Oh! répondit celui auquel il s’adressait, un grand malheur, monsieur. C’est une belle jeune femme qui vient d’être poignardée par son mari, à qui l’on avait remis un billet pour le prévenir que sa femme était avec un amant.

– Et le mari? s’écria Henri.

– Il s’est sauvé.

– La femme?

– Elle est là.

– Morte?

– Pas encore; mais, Dieu merci, elle n’en vaut guère mieux.

– Oh! s’écria Henri, je suis donc maudit! Et il s’élança dans la maison. La chambre était pleine de monde; tout ce monde entourait un lit sur lequel était couchée la pauvre Charlotte percée de deux coups de poignard. Son mari, qui pendant deux ans avait dissimulé sa jalousie contre Henri, avait saisi cette occasion de se venger d’elle.

– Charlotte! Charlotte! cria Henri fendant la foule et tombant à genoux devant le lit.

Charlotte rouvrit ses beaux yeux déjà voilés par la mort; elle jeta un cri qui fit jaillir le sang de ses deux blessures, et faisant un effort pour se soulever.

– Oh! je savais bien, dit-elle, que je ne pouvais pas mourir sans le revoir.

Et en effet, comme si elle n’eût attendu que ce moment pour rendre à Henri cette âme qui l’avait tant aimé, elle appuya ses lèvres sur le front du roi de Navarre, murmura encore une dernière fois: «Je t’aime», et tomba morte.

Henri ne pouvait rester plus longtemps sans se perdre. Il tira son poignard, coupa une boucle de ses beaux cheveux blonds qu’il avait si souvent dénoués pour en admirer la longueur, et sortit en sanglotant au milieu des sanglots des assistants, qui ne se doutaient pas qu’ils pleuraient sur de si hautes infortunes.

– Ami, amour, s’écria Henri éperdu, tout m’abandonne, tout me quitte, tout me manque à la fois!

– Oui, Sire, lui dit tout bas un homme qui s’était détaché du groupe de curieux amassé devant la petite maison et qui l’avait suivi, mais vous avez toujours le trône.

– René! s’écria Henri.

– Oui, Sire, René qui veille sur vous: ce misérable en expirant vous a nommé; on sait que vous êtes à Paris, les archers vous cherchent, fuyez, fuyez!

– Et tu dis que je serai roi, René! un fugitif!

– Regardez, Sire, dit le Florentin en montrant au roi une étoile qui se dégageait, brillante, des plis d’un nuage noir, ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle.

Henri poussa un soupir et disparut dans l’obscurité.

FIN