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Discours par Maximilien Robespierre — 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792

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Venez au moins, gardes nationales qui vous êtes spécialement dévouées à la défense de nos frontières dans cette guerre dont une cour perfide nous menace, venez. Quoi! vous n'êtes point encore armés? Quoi! depuis deux ans vous demandez des armes, et vous n'en avez pas? Que dis-je? On vous a refusé des habits, on vous condamne à errer sans but, de contrées en contrées, objet des mépris du ministère et de la risée des patriciens insolents qui vous passent en revue, pour jouir de votre détresse. N'importe, venez; nous confondrons nos fortunes pour vous acheter des armes; nous combattrons tout nus, comme les Américains... venez. Mais attendrons-nous, pour renverser les trônes des despotes de l'Europe, attendrons-nous les ordres du bureau de la guerre? Consulterons-nous, pour cette noble entreprise, le génie de la liberté ou l'esprit de la cour? Serons-nous guidés par ces mêmes patriciens, ses éternels favoris, dans la guerre déclarée au milieu de nous, entre la noblesse et le peuple? Non. Marchons nous-mêmes à Léopold; ne prenons conseil que de nous-mêmes. Mais, quoi! voilà tous les orateurs de la guerre qui m'arrêtent; voilà M. Brissot qui me dit qu'il faut que M. le comte de Narbonne conduise toute cette affaire; qu'il faut marcher sous les ordres de M. le marquis de la Fayette... que c'est au pouvoir exécutif qu'il appartient de mener la nation à la victoire et à la liberté. Ah! Français! ce seul mot a rompu tout le charme; il anéantit tous mes projets. Adieu la liberté des peuples! Si tous les sceptres des princes d'Allemagne sont brisés, ce ne sera point par de telles mains. L'Espagne sera quelque temps encore l'esclave de la superstition, du royalisme et des préjugés; le Stathouder et sa femme ne sont point encore détrônés; Léopold continuera d'être le tyran de l'Autriche, du Milanais, de la Toscane, et nous ne verrons point de sitôt Caton et Cicéron remplacer au conclave le pape et les cardinaux. Je le dis avec franchise: si la guerre, telle que je l'ai présentée, est impraticable, si c'est la guerre de la cour, des ministres, des patriciens, des intrigants, qu'il nous faut accepter, loin de croire à la liberté universelle, je ne crois pas même à la vôtre; et tout ce que nous pouvons faire de plus sage, c'est de la défendre contre la perfidie des ennemis intérieurs, qui vous bercent de ces douces illusions.

Je me résume donc froidement et tristement. J'ai prouvé que la guerre n'était entre les mains du pouvoir exécutif qu'un moyen de renverser la Constitution, que le dénouement d'une trame profonde, ourdie pour perdre la liberté. Favoriser ce projet de la guerre, sous quelque prétexte que ce soit, c'est donc mal servir la cause de la liberté. Tout le patriotisme du monde, tous les lieux communs de politique et de morale, ne changeront point la nature des choses, ni le résultat nécessaire de la démarche qu'on propose. Prêcher la confiance dans les intentions du pouvoir exécutif, justifier ses agents, appeler la faveur publique sur ses généraux, représenter la défiance comme un état affreux, ou comme un moyen de troubler le concert de deux pouvoirs et l'ordre public, c'était donc ôter à la liberté sa dernière ressource, la vigilance et l'énergie de la nation. J'ai dû combattre ce système; je l'ai fait; je n'ai voulu nuire à personne; j'ai voulu servir ma patrie en réfutant une opinion dangereuse; je l'aurais combattue de même, si elle eût été proposée par l'être qui m'est le plus cher.

Dans l'horrible situation où nous ont conduits le despotisme, la faiblesse, la légèreté et l'intrigue, je ne prends conseil que de mon coeur et de ma conscience; je ne veux avoir d'égards que pour la vérité, de condescendance que pour l'infortune, de respect que pour le peuple. Je sais que des patriotes ont blâmé la franchise avec laquelle j'ai présenté le tableau décourageant, à ce qu'ils prétendent, de notre situation. Je ne me dissimule pas la nature de ma faute. La vérité n'a-t-elle pas déjà trop de torts d'être la vérité? Comment lui pardonner, lorsqu'elle vient, sous des formes austères, en nous enlevant d'agréables erreurs, nous reprocher tacitement l'incrédulité fatale avec laquelle on l'a trop longtemps repoussée? Est-ce pour s'inquiéter et pour s'affliger qu'on embrasse la cause du patriotisme et de la liberté? Pourvu que le sommeil soit doux et non interrompu, qu'importe qu'on se réveille au bruit des chaînes de sa patrie, ou dans le calme plus affreux de la servitude? Ne troublons donc pas le quiétisme politique de ces heureux patriotes; mais qu'ils apprennent que, sans perdre la tête, nous pouvons mesurer toute la profondeur de l'abîme. Arborons la devise du palatin de Posnanie; elle est sacrée, elle nous convient: Je préfère les orages de la liberté au repos de l'esclavage. Prouvons aux tyrans de la terre que la grandeur des dangers ne fait que redoubler notre énergie, et qu'à quelque degré que montent leur audace et leurs forfaits, le courage des hommes libres s'élève encore plus haut. Qu'il se forme contre la vérité des ligues nouvelles, elles disparaîtront; la vérité aura seulement une plus grande multitude d'insectes à écraser sous sa massue. Si le moment de la liberté n'était pas encore arrivé, nous aurions le courage patient de l'attendre; si celte génération n'était destinée qu'à s'agiter dans la fange des vices où le despotisme l'a plongée; si le théâtre de notre révolution ne devait montrer aux yeux de l'univers que les préjugés aux prises avec les préjugés, les passions avec les passions, l'orgueil avec l'orgueil, l'égoïsme avec l'égoïsme, la perfidie avec la perfidie, la génération naissante, plus pure, plus fidèle aux lois sacrées de la nature, commencera à purifier cette terre souillée par le crime; elle apportera, non la paix du despotisme, ni les honteuses agitations de l'intrigue, mais le feu sacré de la liberté, et le glaive exterminateur des tyrans; c'est elle qui relèvera le trône du peuple, dressera des autels à la vertu, brisera le piédestal du charlatanisme, et renversera tous les monuments du vice et de la servitude. Doux et tendre espoir de l'humanité, postérité naissante, tu ne nous es point étrangère; c'est pour toi que nous affrontons tous les coups de la tyrannie; c'est ton bonheur qui est le prix de nos pénibles combats: découragés souvent par les objets qui nous environnent, nous sentons le besoin de nous élancer dans ton sein; c'est à toi que nous confions le soin d'achever notre ouvrage, et la destinée de toutes les générations d'hommes qui doivent sortir du néant! Que le mensonge et le vice s'écartent à ton aspect; que les premières leçons de l'amour maternel te préparent aux vertus des hommes libres; qu'au lieu des chants empoisonnés de la volupté, retentissent à tes oreilles les cris touchants et terribles des victimes du despotisme; que les noms des martyrs de la liberté occupent dans ta mémoire la place qu'avaient usurpée dans la nôtre ceux des héros de l'imposture et de l'aristocratie; que tes premiers spectacles soient le champ de la fédération inondé du sang des plus vertueux citoyens; que ton imagination ardente et sensible erre au milieu des cadavres des soldats de Château-Vieux, sur ces galères horribles où le despotisme s'obstine à retenir les malheureux que réclament le peuple et la liberté; que ta première passion soit le mépris des traîtres et la haine des tyrans; que ta devise soit: Protection, amour, bienveillance pour les malheureux, guerre éternelle aux oppresseurs! Postérité naissante, hâte-toi de croître et d'amener les jours de l'égalité, de la justice et du bonheur!