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Hic et Hec

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Le prélat crevait dans ses panneaux et la jalouse tante de Babet, le tirant par la manche, lui dit: – Monseigneur, que d'horreurs! – Que de volupté! répondit-il. Nous entendîmes ces exclamations, et la circonstance nous inspirant, nous prîmes de concert, sans nous être consultés, le sage parti de rendre nos témoins nos complices; nos belles saisirent la vieille tante, la renversèrent sur le lit de repos; je me jetai sur elle; aussi brave que Curtius je me précipitai dans ce gouffre pour le salut de la patrie. Le prélat était italien: mon attitude, les deux globes que j'offrais à sa vue, ne lui permirent pas d'hésiter; il se crut Jupiter et je fus Ganymède; et Valbouillant, pour compléter le tableau, lui rendit ce qu'il me prêtait; cependant Babet, voyant sa tante assujettie par le poids de trois corps, de manière à ne pouvoir se refuser à la bonne fortune imprévue qui lui arrivait, se saisit d'une des poignées de verges dont nous étions toujours pourvus, et en chatouilla le post-face de Valbouillant, pendant que sa femme, renversée sur la partie vide du lit, nous découvrant les trésors de sa gorge d'albâtre et l'ivoire de ses cuisses, se prêtait à l'intromission d'un doigt caressant que je glissai à travers l'ébène de son taillis, sans cependant que je quittasse la brèche de l'antique citadelle où j'étais logé. La vieille qui, tout d'abord, voulait me mordre, me dévisager, prit enfin son mal en patience. – Bonté divine! s'écria-t-elle en remuant la charnière, ah! chien… mon doux Jésus… quel dommage que ce soit un péché… – Dis plutôt quel bonheur! criait le prélat, me rendant les mouvements de Valbouillant; va, rien ne vaut le fruit défendu… – Je me damne! reprit la vieille toujours tordant le croupion.– Va toujours, j'ai les cas réservés.

Sur la parole du saint prélat, la vieille se résigne, me serre, s'agite et m'arrache une libation, qu'elle me rend avec usure. L'évêque et Valbouillant arrivent au même instant au comble du plaisir. Mme Valbouillant, qui nous avait précédés, se lève alors, et va avec la jeune Babet féliciter la vieille tante de la bonne fortune inattendue qu'elle venait d'avoir; il y avait trop de témoins du plaisir qu'elle venait de prendre pour qu'elle en pût disconvenir. Elle se prêta donc au baiser que lui donna sa nièce, et borna ses remontrances à lui dire: – Tâche du moins que personne ne s'en doute. – Ne craignez rien, répartis-je, vous voyez comme nous traitons les curieux. – Je ne crois pas, dit le prélat, la méthode sûre pour les corriger.

Dès ce moment la confiance s'étant établie entre nous, la contrainte fut bannie; le prélat fut l'âme de nos orgies: le long séjour qu'il avait fait en Italie lui avait donné une profonde théorie de tous les genres de volupté, et joignant la pratique à ses rares lumières, il nous fit essayer avec succès trente attitudes dignes d'exciter le pinceau des Clinchet et modernes. Valbouillant était dans l'ivresse et sa femme proposa au saint homme de le réconcilier avec les plaisirs naturels. La politesse l'empêcha de refuser; pour le récompenser de sa complaisance, je le socratisai pendant sa besogne, et Babet, couchée sur Valbouillant qui s'était jeté à la renverse sur le lit à sa portée, offrait à son oeil lubrique deux jumelles dont Ganymède aurait été jaloux. La tante, pour ne pas rester oisive, d'une main chatouillait les témoins de Monseigneur, et de l'autre s'escrimait à coups précipités d'une poignée de verges, qui sillonnant le bas de mes reins redoublaient ma vigueur. – Eh bien, dit Valbouillant, à l'instant qu'il touchait à la dernière période de la volupté, que dites-vous de ma femme? – Que dans le Paradis elle enlèverait à Madeleine toutes ses pratiques.

La soirée s'avançait, le prélat se rhabilla et nous ayant comblés de caresses, il retourna à son palais, remerciant la tante de Babet des plaisirs que lui avaient procurés son inquiétude et ses scrupules, et avant de nous quitter, il lui fit présent d'un suppléant qu'une abbesse qu'il protégeait lui avait envoyé pour modèle, le priant d'en faire faire une douzaine pour le service de sa communauté. La bonne tante, après quelques cérémonies, l'accepta et nous lûmes dans ses yeux qu'elle en ferait plus d'usage que de son chapelet. Nous fîmes un léger repas et nous allâmes nous coucher après avoir bien ri de la fortune de la vieille.

Le lendemain, à peine étais-je éveillé, qu'on me remit une lettre du prélat. La voici:

"Sur le compte avantageux qui nous a été rendu, monsieur, de l'application que vous avez montrée pendant vos études, des progrès que vous avez faits dans la philosophie, la physique et la morale, des dispositions que vous avez à devenir profond dans la théologie, nous croyons qu'il est de notre devoir pastoral de retirer de dessous le boisseau une lumière naissante telle que vous, et de la placer sur le chandelier. Pour vous mettre à même de développer et d'accroître vos talents, je vous offre auprès de moi la place de lecteur; je me charge de votre sort jusqu'à ce que quelque bénéfice honnête venant à vaquer soit votre récompense. L'éducation du fils de M. Valbouillant peut être confiée à d'autres mains, et ce serait un larcin fait à l'Eglise que de lui dérober un sujet qui doit faire sa gloire, je ne vous renfermerai pas dans le seul emploi de lecteur; j'ai fort à coeur un ouvrage auquel je me livre avec un zèle ardent; vous serez mon collaborateur. Je crois l'offre trop avantageuse pour que vous la refusiez; vous pourrez toujours continuer vos bons offices à M. et Mme Valbouillant: ce sont des gens estimables dont je chéris les moeurs, et je vous seconderai de tous mes efforts."

L'offre, en effet, m'était avantageuse; mais je regrettais de quitter la bonne Valbouillant, la petite Babet, le père de famille même; ils m'aimaient tant, ils m'avaient procuré des plaisirs si vifs, si variés… J'allai donc leur montrer la lettre, m'en remettant à leur décision pour accepter ou refuser le parti; ils furent aussi affligés que moi; mais refuser à l'évêque dans un pays où les prêtres peuvent tout, était trop dangereux; il fut donc arrêté que je me rendrais auprès de Sa Grandeur et que je ferais mes efforts pour m'échapper souvent et jouir avec eux des plaisirs que je leur avais fait connaître. Je ne répondis donc point à la lettre du prélat; je m'habillai avec soin, et les yeux baissés, le front modeste, je me rendis chez le saint homme. Dès qu'il me vit, d'un air grave il me dit de passer dans son cabinet intérieur; et se hâtant de se débarrasser du promoteur et de l'official qui l'entretenaient de quelques affaires de diocèse, il vint me rejoindre, ayant défendu qu'on l'interrompît avant qu'il sonnât. Dès que nous fûmes seuls, son visage perdit toute sa gravité épiscopale, il m'embrassa avec transport: – Eh bien, mon ami! mon cher Hic et Hec, me dit-il, nous vivrons donc ensemble, n'y consentez-vous pas? – Les désirs de Monseigneur sont des ordres pour moi. – Bon, entrez donc en exercice de vos fonctions de lecteur.

Il me remet la satire de Pétrone, ouverte à l'endroit qui a fourni la jolie scène des amours d'été, me fait prosterner sur une pile de carreaux, et pendant que je lis, réalise avec moi la scène dont il entend le récit; il la pousse jusqu'au dénouement, et prenant ensuite le livre, il se met à ma place et je lui dis que je sais aussi bien attaquer que soutenir l'assaut; nous nous rajustons et nous approchant d'un bureau, sur lequel étaient amoncelés plusieurs casuistes, il me fait asseoir, sonne, et dit au valet de chambre qui arrive, qu'il peut laisser entrer, et pendant que plusieurs personnes, grands vicaires et autres, sont introduites: – Je suis content, me dit-il, comme en continuant une conversation. Vos principes sont les vrais, vous avez approfondi la matière et quelques années de travail encore vous vaudrez Sanchez. Messieurs, poursuivit-il, en s'adressant aux arrivants, voilà un jeune homme qui me donne de grandes espérances, depuis une heure que je l'examine pour m'assurer de ses talents, je ne l'ai pas trouvé un instant en défaut! il pousse un argument avec force, le soutient avec fermeté, et je crois qu'il fera un grand honneur à l'Eglise. Je l'ai pris pour mon lecteur, et, après notre dîner, je lui donnerai les quatre mineurs; quand on trouve des sujets il ne faut pas les faire languir.

Tout le monde me combla d'éloges pour plaire à mon patron; je me couvris du manteau de cette modestie hypocrite qu'on aime à trouver dans un jeune homme, mais dont les gens instruits sont rarement les dupes. En sortant de table, l'évêque me tint parole, je me trouvai sous-diacre, sans avoir fait d'autre séminaire que sur les coussins de Monseigneur et dans le boudoir de Mme Valbouillant.

Le prélat me permit d'aller lui faire part de mon avancement, et me rappelant, il me dit tout bas: – J'irai chez eux quand je serai débarrassé de nos importuns, prévenez-les pour que nous puissions n'être qu'entre nous. Je m'inclinai avec respect et je sortis.

Je fus reçu avec transport par mes amis; Valbouillant et sa femme m'accablaient de questions; j'y répondis de mon mieux et je leur dis par quelle voie j'étais entré dans les ordres, ajoutant que l'évêque viendrait leur dire, dès qu'il serait libre, ce qu'il avait fait pour leur protégé. Babet qui survint me couvrit de baisers et si je m'en étais cru, je n'aurais pas différé à leur marquer ma reconnaissance de la part qu'ils prenaient à mon avancement; mais l'incertitude du moment de l'arrivée du prélat, le désir de lui faire faire une orgie complète, nous firent suspendre nos plaisirs. Il ne se fit pas attendre; alors la porte fut fermée pour tout le monde; on lui fit des remerciements et des reproches (ce qu'il faisait pour moi ne dédommageait pas de ce qu'on perdait à mon absence). Le saint homme promit que je pourrais les voir souvent et qu'il joindrait ses efforts aux miens pour égayer leurs moments.

Après ces premiers propos, on fit venir Babet, qui d'abord s'était retirée par respect, et, profitant de la chaleur du climat, sur l'avis du prélat, nous quittâmes les pompes du luxe, et nous nous mîmes dans l'état où étaient nos premiers parents dans l'Eden avant que la pomme fatale leur eût appris qu'ils étaient sans vêtements. On eût dit, en regardant Mme Valbouillant, que c'était la Volupté sous la livrée de la Fraîcheur; ce qui manquait à la légèreté de sa taille était bien compensé par la finesse de sa peau, la fermeté des chairs, l'appétissant des formes arrondies et le tempérament que ses yeux pétillants et l'humidité de ses lèvres vermeilles annonçaient; pour Babet, l'Albane ou le Boucher l'auraient prise pour la plus jeune des Grâces, sa taille svelte et déliée n'avait pas encore la perfection des formes, mais on voyait que deux ans encore leur donneraient cette rondeur qu'on ne trouve point dans l'extrême jeunesse; des cheveux d'un noir de jais, et tombant par grosses boucles au-dessus de ses mollets, formaient autour d'elle un voile transparent qui rendait encore plus touchants les charmes dont ils couvraient une partie. Le prélat ne put tenir contre ce charmant objet; elle fut la première à recevoir son hommage. – Tâchons, dit alors l'évêque, de remplir par quelque récit amusant l'intervalle que la nature exige entre le plaisir et la renaissance des désirs; je vais vous raconter une aventure qui m'est arrivée quand j'étais au séminaire. – Ecoutons. Et l'on s'assit autour du prélat.

 

J'avais, dit-il, seize ans; j'étais assez joli, et ma tante, chez qui je passais communément les vacances à sa terre, s'amusait souvent à m'habiller en fille, et faisait prendre mes habits à Faustine, sa fille; elle était de mon âge, avait la taille élancée, et, pour la tournure et les grâces, ressemblait beaucoup à la gentille Babet. Ces travestissements avaient établi entre nous une liberté dont nous ne manquâmes pas de profiter. Faustine avait du tempérament comme Babet; j'étais ardent comme Hic et Hec. Ma tante n'était pas ombrageuse; son directeur la consolait de l'ennui de son veuvage, et quand il venait passer quelques jours au château, nous étions encore plus libres, ma tante désirant jouir dans la retraite des pieuses exhortations du saint homme. Nous allions souvent nous promener en cabriolet, ma cousine et moi, dans les maisons du voisinage: il nous était même permis de découcher quelquefois, le voisinage étant habité par des amis de ma tante. Un jour que le père en Dieu était à la maison, il nous prit fantaisie d'aller nous promener, ma soeur et moi (c'est ainsi que je nommais Faustine); la fontaine de Vaucluse était l'objet de notre curiosité, et nous dîmes à ma tante que nous reviendrions coucher à moitié chemin, chez une vieille parente qu'elle aimait beaucoup. Nous nous arrêtâmes dans un cabaret, à deux lieues de la route, pour déjeuner. Pendant qu'on le préparait, l'idée me prit de troquer d'habits avec Faustine, qui m'avait paru la veille charmante en abbé. – Volontiers, si cela t'amuse, mon frère, me dit-elle; mais je n'ai point ici ma femme de chambre, comment ferons-nous? – Bel embarras, je t'en servirai. – Oui, mais la décence! – Qui est-ce qui le saura? tu ne te méfies pas de moi? – Non, sans doute; mais cependant je ne voudrais pas que tu visses tout à fait… – Comme tu es faite, n'est-ce pas? va, je m'en doute. – Je le crois bien; mais… – Tu te doutes bien comme je suis. – J'en ai quelques idées, mais point de certitude. – Et qui nous empêche de satisfaire notre curiosité? – Mais maman… – Crois-tu qu'elle se gêne avec le révérend père Cazzoni! – Oh! je ne veux pas pénétrer ses secrets. – Nous ne l'instruirons pas non plus des nôtres; allons, quitte tes jupes et ton corset. – Au moins tu seras sage. – Oui, mais je veux tout voir. – Soit, mais tu satisferas aussi ma curiosité? – De toute mon âme; mais tu n'en diras rien? – Non, jamais, ni toi non plus. – Je te le jure!

Et nous voilà à nous déshabiller avec empressement; mon habit était à bas, son fichu et son corset étaient enlevés, nous commençâmes par comparer nos seins. – Ah! Faustine, les deux charmants hémisphères, que ces boutons qui représentent les pôles sont frais et vermeils, que ces veines bleues relèvent l'éclat de cet albâtre sur lequel elles sont tracées, et je serrais ces charmantes fraises entre mes lèvres caressantes. – Finis donc, mon frère; tu me jettes dans un trouble… je ne pourrais pas finir de me déshabiller. J'obéis en la dévorant des yeux. – Mais travaille donc aussi, dit-elle, d'un ton impatient: tu ne fais que me regarder, et je serai déjà toute nue que tu auras encore ta culotte.

Je fis ce qu'elle ordonnait, et j'avais ôté mon caleçon qu'à l'instant ayant enlevé ses jupes, elle se dépouillait de sa chemise; nos yeux se portèrent simultanément vers le point central. – Ah! que c'est joli, m'écriai-je en portant une main avide sur la mousse naissante qui commençait à couvrir le portique du plus joli temple de l'amour! – Ah! que c'est beau, dit-elle en serrant dans sa main l'image brillante du serpent qui tenta notre première mère; comme cela est dur! cela se découvre, et ce qui est au-dessous, à quoi cela sert-il?

Ses attouchements me mettaient dans un état qui ne me permettait pas de lui répondre. Et de mon côté j'examinai l'objet intéressant qu'elle offrait à ma vue; j'avais commencé par fermer la porte au verrou et je la décidai sans peine à se placer sur le lit pour que nous puissions réciproquement continuer notre examen. – Cela, lui dis-je, est destiné par la nature à s'ajuster dans la partie où je tiens mon doigt. – Ah! comme ce doigt me chatouille! regarde. – En effet, veux-tu que j'essaie?… – Dam… je le voudrais bien, mais si maman le savait!

– Et qui le lui dira? ce ne sera pas moi, sûrement. – Eh bien! eh bien! essayons. – Soit, essayons!

Alors, avec toute la gaucherie de l'ignorance et toute l'ardeur de l'amour, nous cherchons à nous mettre en besogne; la crainte de blesser Faustine arrêtait mes efforts dès qu'elle témoignait de la douleur; elle me rappelait, mais toujours la même difficulté se présentait. Enfin, je me souvins qu'au collège mon régent de seconde, voulant badiner avec moi, s'était mis en frais de satire et m'avait appris ce proverbe: Col patenzia et la supa si chiavarebbe una mosca. Je pris un morceau de beurre frais qu'on nous avait apporté avec des radis, et grâce à ce secours, je renouvelai mes efforts. Faustine s'arme de courage, résiste sans fuir; la tête de ma colonne force la barrière; je redouble, le bélier pénètre, la muraille s'entr'ouvre, les désirs escaladent la brèche et s'y logent en arborant le drapeau des plaisirs. Nous trouvions ce jeu si doux que nous avions de la peine à le quitter; mais la crainte que la fille de l'auberge ne nous surprît en apportant ce qu'on nous préparait pour déjeuner, nous força de nous rhabiller.

Je pris la chemise de Faustine, qui s'affubla de la mienne; elle se chargea de ma coiffure, moi de la sienne, et quand on vint nous servir, elle offrait aux yeux un petit abbé, et je paraissais une assez jolie fille. Faustine, pour se conformer à son nouveau costume, prit l'air d'un jeune étourdi, et y réussit mieux que moi quand je voulus prendre l'air de réserve convenable à mon habit. La servante qui porta notre déjeuner avait la gorge ferme, la jambe fine, le bas bien tiré et la jupe courte, comme l'ont d'ordinaire nos jolies Venaissines. Faustine la lutina; Javotte paya d'une tape l'agilité de ses mains. Le nouvel abbé ne se rebuta pas, et levant sa jupe par-derrière, toucha l'endroit sensible. – Qu'est-ce donc? petit fripon, sans le respect que j'ai pour mademoiselle votre soeur, je vous corrigerais de la bonne façon; voyez un peu le beau morveux! – Ah! ne vous gênez pas, repris-je en riant, c'est un petit libertin, je ne prendrai pas sa défense. Alors Javotte vous l'empoigne d'un bras vigoureux, et en un clin d'oeil déboutonne sa culotte, l'abat et lui donne deux bonnes claques, et cherchant ce qui le rendait si insolent, elle jette un cri de surprise en ne trouvant qu'une jolie grotte où elle croyait trouver un rocher sourcilleux. – Ah! pardon, mademoiselle, si j'avais su ce que vous étiez, je n'aurais pas fait la bégueule, et si cela vous amuse, vous êtes la maîtresse. Faustine, pour ne pas la désobliger, consentit à recevoir de bon gré ce qu'elle avait d'abord voulu ravir, et d'un doigt obligeant lui rendit le même bon office qu'elle en recevait.

Pendant qu'elles s'occupaient, je pris la parole et je dis à Javotte que nous étions soeurs et que nous allions voir une de nos parentes dans l'intention de la divertir par ce travestissement, et je lui donnai un écu pour nous garder le secret. – Ah! de bon coeur, dit-elle; mais vous êtes trop jolie pour n'être que spectatrice, et elle voulait passer sa main sous ma jupe. – Non, Javotte, je vous remercie, il y a des empêchements. – Des nouvelles de Rome peut-être? – Précisément. – Qu'importe, j'ai là de l'eau, les mains sont bientôt lavées. – Oh! non, jamais dans cet état… – Vous ne me ressemblez guère, c'est le temps où je suis la plus ardente.

Voyant qu'il n'y avait rien à faire avec moi, elle nous servit. Nous mangeâmes à la hâte et nous partîmes. Nous rîmes fort dans la voiture du succès de la témérité et de l'embarras où m'avaient jeté les offres de Javotte; nous interrompions nos rires par le tendre souvenir des caresses que nous nous étions prodiguées, et des lumières que nous avions acquises. Ces idées m'occupaient trop pour songer au chemin, et une malheureuse ornière où la roue tomba pendant que j'embrassais Faustine, donna une telle secousse qu'une de nos soupentes se rompit. Force nous fut de nous arrêter, un baiser ne pouvait pas rétablir la fracture. Nous ne savions à quel saint nous vouer, et le plus petit sellier du village nous aurait été plus utile que l'intercession de tous les bienheureux des litanies. Nous grommelions entre nos dents, quand nous vîmes se promener, sur la gauche, un châtelain du canton, en perruque ronde, chapeau et souliers gris, une grande canne à la main, surmontée d'un échenilloir; sa mine annonçait près de cinquante ans. Sa moitié, la tête enfouie dans une énorme calèche garnie de ruban coquelicot, s'avançait majestueusement soutenue sur un bambou. Cette dame, majeure depuis dix ans, s'efforçait depuis trois lustres de donner un héritier à l'illustre famille Cornucio, dont son époux était le chef. Mais la Providence se refusant à leurs désirs, n'avait point étouffé dans son âme l'espoir de réussir en s'attachant un collaborateur, quand l'occasion s'en présenterait.

Ce digne couple ayant aperçu notre accident, s'avança pour nous offrir les secours qui dépendaient de lui: nous nous trouvâmes heureux de leur zèle obligeant; leur domestique conduisit au château notre cabriolet délabré, et nous, nous nous joignîmes au couple Cornucio dans leur promenade: la dame s'empara du bras du feint abbé et le mari saisit le mien; à mesure que nous approchions du château, leurs yeux s'animaient, leurs coudes pressaient nos bras sur leurs coeurs; leurs voix devenaient agitées et leurs discours flatteurs. Arrivés au castel on s'occupa de nous loger; ils n'avaient que deux petites chambres à nous donner, l'une attenant à la chambre de madame, l'autre à celle de monsieur; il paraissait tout naturel de loger l'abbé près de celle du mari et la prétendue demoiselle près de la dame, mais d'un commun accord ils en décidèrent autrement, comptant chacun tirer parti du voisinage. J'aurais pu, en changeant le soir de chambre avec Faustine, contenter tout le monde et cacher le mystère de mon travestissement; mais l'idée qu'elle serait dans les bras de ce vieux satyre me révoltait trop; j'aimai mieux attendre l'événement et prendre conseil des circonstances. Cornucio et sa femme nous accablèrent de prévenances toute la soirée, et après le souper qui fut arrosé de très bon vin, ils nous menèrent dans nos chambres. – Soyez bien sage, mon cher petit abbé, dit la dame en embrassant Faustine, il n'y a qu'une mince cloison entre votre lit et le mien, j'entendrai tout; et puis, lui dit-elle à l'oreille, la porte qui nous sépare ne ferme pas. Le mari me fit les mêmes confidences, et m'ajouta qu'il était somnambule, en me serrant fortement la main, puis il se retira. Je ris de sa méprise et je me couchai. Faustine en fit autant dans sa chambre avec laquelle j'étais bien fâché de n'avoir pas communication, car nos chambres étaient aux deux bouts de la maison, il fallait traverser un corridor le long de l'appartement, de la salle à manger et de celui du maître.

A peine avais-je fermé l'oeil que j'entendis marcher dans ma chambre, et s'avancer près de mon lit; je sentis que j'allais avoir à combattre; je saisis le pot de chambre, dont j'avais fait usage en me couchant, et quand Cornucio voulut ouvrir mon lit pour s'y placer, j'avançai le bras et le coiffai du vase, et, traversant à toutes jambes le corridor, j'arrivai à la porte de Faustine, que j'enfonçai d'un coup de genou; je la trouvai se débattant comme le chaste Joseph avec la femme de Putiphar; elle était si bien enveloppée dans ses couvertures que notre lascive hôtesse n'avait pas découvert son sexe. La dame, à mon abord, parut médusée; je me plaignis amèrement de la violence que son mari avait voulu me faire éprouver, et je grondai mon soi-disant frère de l'impudeur avec laquelle il osait abuser des bontés de notre respectable hôtesse. – Moi, ma soeur, s'écria le faux abbé, le ciel m'est témoin que c'est madame qui voulait. – J'ai cru vous entendre gémir; craignant que vous ne fussiez incommodé, je suis vite accourue pour vous donner les secours qui dépendaient de moi. – Votre mari, madame, ne vous le cède pas en charité; mais je ne désempare pas de la chambre de mon frère, lui seul peut me protéger contre l'impudicité de votre mari. – Couche-toi, ma soeur, me dit Faustine, je me mettrai dans un fauteuil près de ton lit pour te défendre; j'espère que madame y voudra bien consentir, et souffrir que nous reposions jusqu'au point du jour. Alors nous quitterons une maison où l'innocence est si peu respectée.

 

La dame, après quelques excuses maladroites, sortit et ayant barricadé nos portes, nous nous jetâmes dans les bras l'un de l'autre, et nous savourâmes à loisir l'ivresse des plaisirs dont nous avions pris un échantillon dans l'auberge. Le lendemain, à la pointe du jour, ayant repris les habits de notre sexe, nous partîmes sans prendre congé de nos hôtes libidineux, et notre soupente raccommodée nous ramena chez ma tante, où j'achevai de passer voluptueusement la fin des vacances, après avoir assisté aux noces de mon aimable cousine, dont le mari, nerveusement conformé, ne s'aperçut point que j'avais frayé le sentier qu'il parcourut encore avec peine.

Nous avions repris nos forces pendant l'histoire du prélat, et tour à tour pendant la soirée nous nous enivrâmes de tous les plaisirs qu'offrent la nature et la débauche à des gens qui, pleins de vigueur et vides de préjugés, loin de rien refuser à leurs désirs, les irritent par la recherche de toutes les possibilités voluptueuses.

A quelques jours de là, mon prélat, près duquel je remplissais avec zèle les fonctions dont il m'avait chargé, m'avertit que j'avais à me préparer à le suivre à Bédarrides, sa maison de plaisance, à trois lieues d'Avignon, où il allait se reposer pendant une quinzaine des travaux de l'épiscopat; que j'y trouverais sa soeur, femme de qualité de Bénévent, et sa fille, chanoinesse des plus hautaines, mais ayant toutes les grâces de son état. Il me confia que sa soeur, femme de trente-cinq ans, encore belle et fraîche, suivant toutes les apparences, me trouverait à son gré, et qu'il espérait que je l'aiderais à lui faire les honneurs de sa maison; que pour la fille, elle avait la fraîcheur de ses dix-sept ans, le sourcil noir, l'oeil vif, les lèvres humides et les plus heureuses dispositions pour marcher sur les traces de sa mère, mais que la fierté de ses soixante-quatre quartiers l'avait jusqu'alors empêchée de céder, parce qu'elle avait toujours trouvé quelque lacune dans l'arbre généalogique de ses soupirants; quoique l'état de chanoinesse qu'elle avait embrassé, vu son peu de fortune, l'eût fait renoncer au mariage, et que le manuel des solitaires, ou les simulaires usités dans les couvents dussent être son unique consolation. Je la plaignis d'un préjugé si contraire au voeu de la nature, à l'humilité chrétienne. – Je compte sur vous, mon cher Hic et Hec, pour l'en guérir, me dit-il; votre tournure, votre mine séduisante, vos profondes connaissances dans l'art de la volupté, peuvent seules ramener au bercail cette brebis égarée. – Et comment y pourrai-je parvenir? moi, sans nom, sans titres, sans aïeux, le mépris sera le premier sentiment qu'elle éprouvera pour moi. – J'en fais mon affaire, j'ai mon roman tout prêt: c'est un jésuite, missionnaire dans l'Inde, qui, revenant du royaume de Pégu, vous aura ramené de ce pays par l'ordre d'un prince dont vous êtes le fils naturel, pour être élevé dans la religion chrétienne, que son éloquence lui a fait embrasser. – Si cette mystification amuse Monseigneur, je ne saurais qu'obéir. – On t'en devra de reste pour ta complaisance: Laure est faite au tour et n'a contre elle que l'excès de l'orgueil; je te mets à même de l'initier, mais c'est à la même condition que Valbouillant a mise à l'éducation de Babet et que tout sera commun entre nous quand tu l'auras guérie de ses préjugés.